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La prohibition de l'inceste revisitéeChapais Bernard, 2015, Liens de sang. Aux origines biologiques de la société humaine. Montréal, Éditions du Boréal, 359 p.[Notice]

  • Daniel Dagenais

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  • Daniel Dagenais
    Département de sociologie et d’anthropologie, Université Concordia, 1455, boul. de Maisonneuve Ouest, Montréal (Québec) H3G 1M8, Canada
    daniel.dagenais@concordia.ca

L’ouvrage de Bernard Chapais, Liens de sang. Aux origines biologiques de la société humaine, paru aux éditions du Boréal en 2015 en traduction de la version originale du livre publiée aux Presses de l’université de Harvard en 2008 (sous un titre passablement différent : Primeval Kinship. How Pair-Bonding Gave Birth to Human Society) constitue ni plus ni moins la reprise la plus importante de la question de l’origine de la société humaine depuis la thèse fameuse de Lévi-Strauss présentée dans Les structures élémentaires de la parenté. Quelle que soit l’interprétation de l’intérêt du lectorat qui ait conduit les éditeurs à mettre l’emphase, tantôt sur le pair-bonding, tantôt sur ses origines biologiques, tantôt sur la parenté, c’est bien l’origine de la société qui préoccupe Chapais, qui situe d’ailleurs très explicitement sa réflexion dans le prolongement de celle de Lévi-Strauss en dépit du fait que la perspective phylogénétique qu’il entend défendre prenne le contrepied de la phénoménologie structuraliste de ce dernier. Il écrit ainsi : Comme cette citation le laisse entendre, c’est en prenant appui sur notre connaissance des sociétés de primates non humains que Chapais entend éclairer ce qui constitue l’originalité des sociétés humaines à travers un départage minutieux de ce qui relève d’un héritage simien plus ou moins direct, de sa modification au gré des circonstances écologiques, voire de sa transformation une fois saisi par de nouveaux processus cognitifs proprement humains. Et c’est sans doute la première chose qu’il faut dire à propos de cet ouvrage : Chapais nous offre ici une synthèse unique des travaux de ces anthropologues et primatologues qui, après qu’on eût épuisé l’inventaire des structures élémentaires de parenté de sorte qu’il ne restait plus qu’à se livrer à un jeu formel entre elles pour régresser jusqu’à leur origine commune, se sont tournés vers les régularités comportementales en matière de parenté qui traversent les sociétés animales, espérant déboucher sur l’origine des sociétés humaines par l’autre bout du tunnel, si l’on peut dire. La synthèse dont il est question n’est pas simplement un compte rendu pointilliste des connaissances accumulées au fil des ans, mais aussi une reconstruction originale visant à montrer que : En effet, Chapais s’est lancé dans cette aventure, dès le début des années 1990, avec en tête l’idée de renouveler l’interprétation de l’origine (et de l’originalité) de la société humaine par le biais de la primatologie. Il écrit ainsi, non sans une certaine fierté : Il faut reconnaître que cet effort soutenu n’aura pas été vain, qui a abouti à ce qu’il faut bien considérer comme une oeuvre majeure de l’anthropologie contemporaine. Cet aboutissement d’une carrière consacrée à la recherche offre en outre un modèle du plus haut niveau où celle-ci doit se situer, à savoir d’offrir une synthèse des connaissances à travers la reprise des sempiternelles questions qui animent nos humanités, toutes disciplines confondues. Que demander de mieux ? Le très large étayage de la thèse soutenue par Bernard Chapais (synthèse des connaissances de la primatologie, critique du tournant des études de parenté prises à partir de Schneider, reprise critique de la thèse de Lévi-Strauss, déconstruction épistémologique des étapes ayant conduit à la prohibition de l’inceste et reconstruction de histoire phylogénétique de la société humaine), sans oublier les prolongements théoriques que son auteur continue à donner à sa réflexion, rend périlleuse la tâche du commentateur. Aussi ai-je décidé de prendre appui d’abord sur sa reconstruction de l’histoire phylogénétique de la société humaine, rompant avec sa propre logique d’exposition. Je passe rapidement sur la critique du formalisme structuraliste lévi-straussien – son refus de trouver quelque origine réelle, historique, phylogénétique, aux structures …

Parties annexes