PrésentationFemmes et subjectivations musulmanes : prolégomènes[Notice]

  • Abdelwahed Mekki-Berrada

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Les auteures et les auteurs dédient cet ouvrage collectif à la mémoire de la professeure Saba Mahmood (1962-2018).

Saba Mahmood, une étoile filante, a donné une impulsion novatrice à l’anthropologie contemporaine grâce au regard critique qu’elle a posé, et que son oeuvre continuera de poser pour toujours, sur l’anthropologie du genre, l’anthropologie politique-éthique et l’anthropologie de l’islam.

Ce numéro thématique, Femmes et subjectivations musulmanes, doit beaucoup au regard paradigmatique de Saba Mahmood.

Merci Saba !

Religion et psychanalyse sont si souvent interpellées l’une par l’autre qu’elles en viennent à former une dyade dont les termes seraient inséparables. L’espace de ce numéro thématique n’est pas approprié pour décortiquer une telle dyade, d’autant plus que la psychanalyse comme la religion sont des champs pluriels, des notions parapluies qui abritent respectivement de multiples modes d’appréhension de l’être, du sujet et du réel. Avoir eu l’espace nécessaire, il aurait été pertinent de confronter pour mieux les comparer les appréhensions du religieux par différents psychanalystes d’autorité historique tels que Sigmund Freud, Mélanie Klein, Jacques Lacan ou Françoise Dolto. Nous nous en tiendrons à celui qui est souvent reconnu comme le fondateur de la psychanalyse, à savoir Sigmund Freud, pour effectuer un bref détour par la psychanalyse freudienne et quelques-uns de ses derniers écrits rédigés alors que l’orientalisme était un paradigme dominant en Occident. Un orientalisme qui fait de l’islam, des musulmanes et des musulmans des objets d’exploration savante et idéologique. Dans Totem et tabou (2001 [1913]), mais aussi dans L’avenir d’une illusion (2013 [1927]), Freud voyait la religion comme une illusion et comme le symptôme d’une sorte de névrose obsessionnelle collective, une épidémie planétaire. Si, malgré tout, le religieux est aujourd’hui si tenace, soutient Freud (1986 [1939]) dans son dernier ouvrage, L’homme Moïse et la religion monothéiste, c’est parce qu’il « ressurgit après avoir été refoulé » (Bourdin 2005 : 25). Dans Le moi et le ça, Freud (2010 [1923]) conçoit la religion comme l’avatar d’un conflit oedipien non résolu, la reviviscence d’un sentiment de culpabilité qui serait en fait l’angoisse liée à la peur de perdre l’objet/le sujet aimé. Freud voit aussi le sentiment religieux comme l’émanation d’un surmoi hypertrophié (« hypermoral », écrit-il) : « Formation substitutive qui remplace la nostalgie pour le père, [le surmoi] contient le germe à partir duquel toutes les religions se sont formées » (Freud 2010 : 84). Avec Malaise dans la civilisation, Sigmund Freud (1992 [1929]) conçoit la religion comme « une déformation chimérique de la réalité […] les religions de l’humanité doivent être considérées comme des délires collectifs […] Naturellement, celui qui partage encore un délire ne le reconnaît jamais comme tel » (Freud 1992 : 27). Si l’on se fie à Freud, plus de 90 % de l’humanité vivrait alors dans « l’illusion », la « chimère », le « délire » et le déni. En effet, en arrondissant des chiffres toujours incertains, 7 milliards d’hommes et de femmes croyants de la planète seraient les objets passifs d’une pensée religieuse dictatoriale et délirante qui interdit tout processus de formation du sujet. Toujours est-il qu’au moment où Freud construit sa théorie du religieux, l’orientalisme est au sommet de sa popularité et, en tant qu’un des principaux paradigmes dominants, va imposer à des savants comme Freud de considérer l’Autre non européen et non blanc comme affilié aux « races et [aux] peuples sauvages » (Freud 1992 : 34). La psychanalyse freudienne n’est-elle pas née dans un contexte paradigmatique où l’orientalisme de Silvestre de Sacy, d’Ernest de Renan et d’Edward William Lane, ainsi que l’évolutionnisme social primitif de Charles Darwin, de Lewis Henry Morgan et d’Edward Burnett Tylor étaient au sommet de leur popularité ? Certes, mais Freud, même s’il était enlisé dans ce carcan paradigmatique et idéologique de son temps, n’a pas glissé vers la radicalité haineuse aboyée par l’orientalisme raciste d’un De Gobineau (1967 [1853]) et son Essai sur l’inégalité des races humaines, ou par l’orientalisme antisémite et islamophobe d’un Ernest Renan (1883) (dans Laffite 2015). Freud, même prisonnier du surmoi idéologique de son temps demeure plus …

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