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La monographie de paroisse ou de village est un genre littéraire qui est souvent l’apanage d’historiens amateurs, de religieux ou de retraités disposant de temps libres. On y trouve généralement, de façon plus ou moins ordonnée, des tonnes d’informations factuelles, fréquemment sous forme de longues listes, sur l’histoire religieuse, scolaire ou politique de la communauté dont est presque toujours issu l’auteur. Dans cet ouvrage sur Pintendre, rédigé en collaboration, notre collègue Renaud Santerre renouvelle le genre par des études beaucoup plus approfondies sur la démographie et l’économie de cette municipalité en pleine expansion démographique, accompagnées de généalogies complètes des principales familles souches. Il faut dire qu’il s’était fait la main en publiant en 1994 une monographie du même genre sur son village natal, Squatec, dans la vallée du Témiscouata (Santerre 1994) et qu’il a bénéficié de cette expérience pour améliorer la formule.

Pintendre (anciennement Saint-Louis de Pintendre) est une petite municipalité industrielle et commerciale de plus de 6 000 habitants, située dans le comté de Lévis sur la rive Sud du fleuve Saint-Laurent et voisine de la ville du même nom. Comme pour Squatec, l’auteur principal y est rattaché par un lien particulier qui est celui de propriétaire non résident d’une terre. Aujourd’hui, on y exploite une carrière de sable, ce qui explique un très intéressant passage de la monographie intitulé « Les “mines” de sable » qui soulève des questions de fond sur le développement économique, les problèmes de zonage et l’aménagement spatial à plus long terme de la municipalité.

Cet ouvrage comprend en fait deux volumes dans un, chacune de ses deux parties (« Monographie de Pintendre » et « Album des familles, des entreprises et des organismes de Pintendre ») ayant pu être publiée séparément. La première partie — la plus intéressante pour les anthropologues et autres spécialistes des sciences humaines — comprend neuf chapitres, mais les deux derniers (« Recensement fédéral de 1901 » et « Généalogies des principales familles de Pintendre ») peuvent être considérés comme des annexes en raison du matériel factuel qu’ils contiennent. Les chapitres qui ont le plus retenu mon attention par la qualité de leur contenu, de leurs analyses et de leur écriture sont les trois premiers, rédigés soit en collaboration, pour le premier, soit individuellement pour les deux autres, par l’auteur principal et historien. Ils traitent dans l’ordre du « Cadre historique et géographique », de l’évolution démographique rapide et de la transformation économique de la municipalité.

L’élaboration du cadre historique s’articule autour de la notion de « communauté distincte » empruntée à l’anthropologue Jennie Keith Ross et met l’accent sur la création d’« aires villageoises » autour des moulins desservant les agriculteurs des alentours et le développement de « collectivités locales » à partir de celles-ci (p. 35). Ainsi, en périphérie de la paroisse de Saint-Joseph-de-la-Pointe-Lévy, se sont constitués des pôles économiques et démographiques qui ont donné naissance à d’autres paroisses, en particulier celle de Saint-Louis-de-Gonzague-de-Pintendre, fondée en 1900 et dont le centenaire est à l’origine de la publication de ce volume commémoratif.

Comme l’indique l’avant-propos rédigé par l’auteur de ce collectif, sa préparation s’est échelonnée sur pas moins de cinq ans et a impliqué de nombreux collaborateurs travaillant sous la supervision d’un « comité du livre » composé de quatre personnes, toutes anthropologues diplômées de l’Université. Plusieurs étudiants et étudiantes en anthropologie ont aussi collaboré à la collecte et au traitement de données, soit dans le cadre de travaux pratiques crédités, soit dans celui d’un travail d’été rémunéré. Il s’agit là d’une initiative particulièrement intéressante et bénéfique pour la formation de jeunes anthropologues. Quatre autres personnes ont contribué à la rédaction des chapitres IV à VII de la partie monographique intitulés respectivement « Politique municipale », « Sur le chemin des écoles », « Chronologie d’une paroisse en mouvement » et « Mémoires vivantes ». Si on leur ajoute les auteurs des nombreux petits textes contenus dans l’album de famille et rédigés par un ou plusieurs de leurs membres, le volume du centenaire de Pintendre constitue donc une oeuvre collective dans le plein sens du terme. Il représente aussi un exemple de la collaboration fructueuse entre universitaires et membres de la population « ethnographiée » ainsi que de l’application des méthodes anthropologiques tant qualitatives que quantitatives.

Bien que plus volumineux, l’ouvrage sur Squatec accordait beaucoup moins de place à la première partie, soit une centaine de pages et se présentait surtout comme un album de plus de 300 familles qui y ont rédigé de courts textes. Dans les deux volumes, ces petites histoires de famille sont abondamment illustrées de photos qui l’emportent quelquefois sur le texte. Comparativement à celui de Pintendre, le volume commémoratif du centenaire de Squatec ne constitue par une véritable monographie de ce village, car sa partie donnant un aperçu général de la communauté traite assez succinctement de son évolution démographique, de ses « caractéristiques sociales » et de ses « familles souches », avec une dizaine de tableaux et deux photos aériennes. S’y ajoutent deux autres parties comprenant des transcriptions intégrales des recensements fédéral de 1901 et paroissial de 1926 et les généalogies des principales familles. La partie monographique a donc pris de l’étoffe dans l’ouvrage sur Pintendre avec la collaboration de plusieurs auteurs, alors qu’elle est surtout l’oeuvre d’une seule personne dans le cas de Squatec.

D’autre part, il apparaît que les deux communautés étudiées ont connu des trajectoires évolutives tout à fait différentes l’une de l’autre. Celle de Squatec est un cas typique de colonisation agricole tardive dans les premières décennies du 20e siècle qui a créé de toutes pièces une paroisse rurale ayant atteint son apogée démographique en 1956 avec 2 258 personnes et connu une émigration massive depuis, à l’instar de nombreuses communautés de même type au Québec. Pour sa part, Pintendre est née d’un fractionnement d’une paroisse territorialement et démographiquement imposante, et a vécu pendant un temps d’agriculture et du commerce de chevaux avant de se transformer en une petite ville industrielle et commerciale relativement prospère dans les dernières décennies. Ce qui s’est traduit par une démographie « au galop », selon l’expression de l’auteur principal, étant passée de 1 816 personnes en 1966 à plus de 6 000 en 1996. La comparaison de l’évolution démographique des deux communautés nous les présente comme deux cas types de la transformation de la société québécoise : l’exode des campagnes et la concentration de la population en milieu urbain, y compris dans les nombreuses petites villes périphériques qui ont poussé comme des champignons. À l’instar de nombreuses personnes de notre génération, l’auteur a connu personnellement les deux phénomènes.