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Hermesse Julie, 2016, De l’ouragan à la catastrophe au Guatemala. Nourrir les montagnes. Paris, Éditions Karthala, 352 p.[Notice]

  • Emmanuelle Bouchard-Bastien

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  • Emmanuelle Bouchard-Bastien
    Département d’anthropologie, Université Laval, Québec (Québec), Canada

Basé sur une enquête ethnographique réalisée épisodiquement entre mars 2006 et août 2010, le livre de Julie Hermesse, De l’ouragan à la catastrophe au Guatemala. Nourrir les montagnes, nous transporte dans la municipalité de San Martín Sacatepéquez, un territoire rural et montagneux situé au sud-ouest du Guatemala et surplombé par trois volcans. Le relief accidenté de San Martín et les variations météorologiques (pluie, vent et sécheresse) rythment les activités agricoles et les célébrations rituelles et religieuses de ses habitants. À 85 % d’origine maya mam, les Tinecos (abréviation de San Martínecos) représentent aujourd’hui un groupe hétérogène en ce qui concerne les différentes appartenances religieuses, les parcours de vie, les générations et les réalités socioéconomiques. Mais, pour l’ensemble de la communauté tineca, les montagnes occupent traditionnellement un rôle clé : « les crêtes marquent les limites des terroirs et les sommets en sont les protecteurs ; les mythes mettent ces derniers en scène et les chamanes les invoquent constamment dans leurs incantations » (Antochiw et al. 1991 : 32, dans Hermesse 2016 : 141). Initialement destinée à s’inscrire dans le champ d’études des religiosités, l’enquête de l’auteure s’est amorcée six mois après le passage de l’ouragan Stan (octobre 2005) qui provoqua des glissements de terrain et la destruction des récoltes de pommes de terre et de maïs. Ce contexte particulier de pertes matérielles et humaines (trois décès furent recensés) et d’insécurité alimentaire amena Hermesse à modifier ses approches théoriques et conceptuelles et à s’intéresser à l’anthropologie des catastrophes, mais sans laisser de côté l’étude des systèmes symboliques et des transformations culturelles associées à l’avènement de nouvelles religiosités, qui demeure le coeur de ses travaux. En résulte un ouvrage qui se démarque avant tout par son apport ethnographique, puisque l’hétérogénéité des approches théoriques aurait pu être resserrée. L’ouvrage jongle entre l’écologie politique des catastrophes de Anthony Oliver-Smith (2002) et les systèmes ontologiques de Philippe Descola (2005), deux approches que l’auteure juge complémentaires pour l’analyse de ses propos, mais qu’elle peine à amalgamer en fin de compte. Le premier chapitre expose les récits des Tinecos sur les causes et conséquences de l’ouragan. Ces récits, qui se sont imposés à la chercheuse lors de son séjour en 2006, permettent de mettre au jour divers systèmes de sens et de représentations de la nature. S’ensuit le deuxième chapitre, qui dresse un excellent portrait des inégalités socioéconomiques historiques et des dégradations environnementales actuelles, qui ont contribué à la mise en place des conditions de vulnérabilité à l’origine du désastre engendré par Stan. S’inscrivant dans l’anthropologie des catastrophes et l’écologie politique, ce chapitre est malheureusement peu mobilisé dans le reste de l’ouvrage. La deuxième section (chapitres 3 et 4) relate les représentations de l’événement en s’ancrant dans la religiosité de San Martín, paysage caractérisé par des rituels chamaniques, l’expansion des Églises pentecôtistes, la présence centrale de l’Église catholique depuis la conquête espagnole et les prophéties mayas. C’est par cette deuxième section, bien appuyée à la fois sur la littérature scientifique et de nombreuses citations d’habitants locaux, que se démarque l’ouvrage. Le travail ethnographique de l’auteure, qui a pu tisser des liens avec des interlocuteurs issus des différents systèmes de croyances, est à saluer. La richesse des discours recueillis suggère que le passage de l’ouragan Stan a permis la résurgence du système symbolique maya chez les Mam pentecôtistes, ce qui constitue l’apport disciplinaire le plus significatif de l’ouvrage. Malgré l’apparente disparité entre les dogmes protestants évangéliques et les rituels coutumiers, ces derniers tendent vers une interprétation commune de l’ouragan Stan : la catastrophe serait le résultat de la négligence des rites coutumiers envers les montagnes, qui …

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