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Pak Ok-Kyung, 2019, Les plongeuses jamnyo (haenyo) de Jeju en Corée, préface de Kyung-Soo Chun, traduit de l’anglais par Alice Boucher. Genève et Lausanne, Fondation culturelle Musée Barbier-Mueller et Ides et Calendes, 176 p., cartes, illustr., glossaire, bibliogr.[Notice]

  • Marie-Françoise Guédon

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  • Marie-Françoise Guédon
    Département d’études anciennes et de sciences des religions, Université d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada

Sous les dehors accueillants d’un album de photographies (prises par Ok-Kyung Pak et Koh Sing-Mi), cet ouvrage nous offre une étude ethnographique succincte mais rigoureuse des jamnyo, femmes plongeuses en apnée, de Jeju, en Corée du Sud, une île volcanique de 1840 km2 située au large de la péninsule coréenne. Les plongeuses jamnyo (haenyo) de Jeju en Corée s’inscrit dans un intérêt grandissant pour les sociétés où les femmes occupent des positions sociales importantes. Comme les femmes plongeuses ama du Japon, les jamnyo ont longtemps fait vivre leurs communautés de leur activité de pêche. Plus récemment, elles ont attiré l’attention des journalistes et des entreprises de tourisme, mais peu de chercheurs se sont adressés aux femmes elles-mêmes, longtemps dépeintes par la société dominante comme des travailleuses ignorantes et immorales — ne respectant ni par leurs comportements ni par leur indépendance économique et sociale les conventions du code éthique et social du néo-confucianisme. Il existe au sujet de la société insulaire de Jeju très peu de sources qui ne soient pas de langue coréenne ; ce nouvel apport en français est donc a priori le bienvenu. Le livre de Pak se démarque aussi par son approche ethnographique classique en partie émique : la plupart des références coréennes servent en effet les idéaux néo-confucéens de la civilisation coréenne continentale, considérés comme la référence idéale ou « culture réelle » par les lettrés coréens. Pak prend au contraire pour point de départ la culture vécue localement par les femmes elles-mêmes. Il s’agit donc ici d’un apport original d’un grand intérêt. Les photographies en couleurs sont plus que des illustrations : elles démontrent d’une part la part du paysage dans l’identité des insulaires et, d’autre part, l’engagement personnel, physique et corporel des femmes dans leur travail et dans leur communauté. Cho Hae-Jeong, ethnologue coréenne, aborda en 1978-1979 cette « culture des femmes » par le biais d’une approche féministe. Tout en donnant son accord aux conclusions de sa collègue, Pak adopte une vision élargie du contexte historique, social, culturel et religieux de la vie de ces femmes. Elle a dans sa mire autant les voix féminines que les voix masculines, autant les rites confucéens que les rituels chamaniques, autant les relations historiques difficiles et douloureuses avec l’extérieur que les développements technologiques et les soubresauts du marché international. À un autre niveau, cette monographie est aussi un plaidoyer passionné pour le respect dû à ces femmes, et dû aussi à l’héritage qu’elles laissent au monde, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO depuis décembre 2016. L’ouvrage se divise en cinq chapitres descriptifs suivis d’une courte conclusion. Un premier chapitre survole l’histoire de ce peuple qui fut, jusqu’à la fin du premier millénaire, un royaume maritime et commercial semi-indépendant. L’île de Jeju eut ensuite à souffrir plus de dix siècles de pillage et d’invasions successives par les royaumes coréens (918-1392), puis par les Mongols (1260-1368), puis par le royaume Koryo (jusqu’en 1392) qui fit de Jeju une forteresse militaire, imposant taxes et tributs aux familles, et forçant les hommes — et même les femmes — à servir dans ses armées. Le royaume coréen de Choseon (1392-1910) enferma Jeju dans un néo-confucianisme rigide, détruisant les sanctuaires chamaniques (1702), limitant la pêche et imposant finalement une quarantaine de deux siècles à la population (entre 1629 et 1839). Les femmes prirent la relève pour assurer la subsistance de leur famille. En 1910, les armées japonaises réorganisèrent le travail des femmes au profit du Japon. La fin de la Seconde Guerre mondiale vit de nouvelles révoltes à Jeju, dont la fameuse insurrection du 3 avril 1948, …