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La fin de vie interpelle. Elle est un objet foisonnant de recherches en sciences sociales et en sciences du soin, suscitant réflexion tant dans les champs politique et économique que social et culturel. Comme le donne à voir ce numéro double de la revue Anthropologie et Sociétés, ces réflexions sont à la fois publiques et privées, portant sur autrui, mais aussi sur soi. Proches, personnes en fin de vie et soignants témoignent tour à tour de la complexité (ou non) de trajectoires de vie et de trajectoires de soins aux horizons tantôt indéfinis tantôt définis. Ce mourir contemporain rappelle le vieillissement de la population. Il évoque également la chronicité de la maladie, un éventail thérapeutique à la fois très large et restreint selon la population visée (du jeune au grand âge) et des pratiques de soins variées, selon les localités et les lieux de soins. De même, les rites évoluent tout comme les modalités du mourir et son anticipation, favorisant l’émergence de pratiques nouvelles, de façons de penser la mort, de la dire, de la sonder.

Alors que les travaux sur la mort (et, davantage, « les morts », selon Gilles Bibeau [2013 : 51]) et les rituels funéraires sont chers à l’anthropologie (Kaufman et Morgan 2005 ; Jérôme et Poirier 2018 ; Engelke 2019), le mourir en tant que fenêtre extraordinaire sur le social contemporain est un thème récent, émergent. Avec et par-delà les pratiques de soins et dans la continuité de Maurice Godelier (2014) et ses travaux sur la mort, la fin de vie et le mourir sont ici discutés comme une construction sociale et non comme un état d’être délimité par la clinique. Puis, fin de vie et mort se déclinent pour plusieurs sur fond de traditions culturelles et religieuses. Les rites entourant la mort, présents dans toutes les sociétés, s’inscrivent dans les grandes traditions religieuses (Thomas 1980 ; Coyer 2015) et aussi en marge de ces dernières dans les sociétés hypermodernes où la diversité, l’hyperdiversité (Hannah 2011), résulte à la fois de la mobilité et des mouvements migratoires (Vertovec 2007 ; Foner et al. 2019), mais aussi des transformations sociales qui accompagnent la mondialisation des échanges de tout ordre (Humphris 2014).

Cela dit, la culture — entendue comme un ensemble de significations, de normes et de valeurs partagées qui sous-tendent comment les membres d’un groupe social comprennent le monde qui les entoure (Crowley-Matoka 2016) et y agissent — participe à façonner, selon les contextes et les interactions, les pratiques, savoirs et croyances d’un groupe donné en regard de la maladie, de la mort, du soin. Cette même culture est actrice dans les prises de décisions qui jalonnent la grande maladie, tout comme l’est la médecine tout entière en tant que système culturel qui oriente les pratiques soignantes et les attentes de part et d’autre. Cette culture médicale embrasse généralement l’action comme moteur alors que les progrès scientifiques génèrent un éventail thérapeutique toujours croissant, donnant lieu ou pouvant donner lieu à des fins de vie qui interpellent. Cette culture médicale est elle aussi multiple, selon l’organisation des soins (hospitaliers, de longue durée ou dans la communauté) et les localités. L’expression de cette culture ou cette culture performée s’inscrit à son tour dans un social complexe où institutions et individus, proches et malades interviennent constamment avec des ressources variables selon des trajectoires souvent incertaines.

Sans viser une définition de la « bonne mort » (Kaufman et Morgan 2005 ; Gunaratnam 2013 ; Castra 2014 ; Engelke 2019), rappelons qu’elle évoque tantôt une fin de vie sans douleur ou avec pleine conscience, une mort chez soi (dans la société locale ou d’origine pour les migrants) ou en institution de soins (Fortin et Le Gall 2016), une expérience individuelle ou inscrite dans un collectif familial, de parenté ou communautaire (Soom Ammann et al. 2016). Cette « bonne mort » peut aussi s’exprimer différemment selon la position qu’occupe la personne malade au sein de sa famille (enfant, parent, conjoint, frère ou soeur), le genre, l’âge ou le milieu social.

Quant aux trajectoires de la fin de vie et du mourir contemporains, elles sont marquées par une pluralité de manières de voir le monde, la vie, la mort, par l’apport de la technologie biomédicale, les attentes et possibilités quant aux lieux où le mourir est possible (hôpital, institution de soins prolongés ou de soins palliatifs, domicile). Dire la mort en est aussi tributaire : les expressions sont variables, en nuances, parfois affirmées, parfois silencieuses. Comme dans d’autres situations d’interaction, les personnes en fin de vie, leurs proches et accompagnants sont porteurs de normes et de valeurs façonnées, voire coproduites au fil des parcours individuels, de la maladie et du contexte plus large de vie. Les systèmes de référence sont pluriels. Si la culture (de classe, religieuse, ethnique) entre en ligne de compte dans l’appréciation d’une bonne mort, les référents sont toutefois fluctuants au sein des divers ensembles (patients, proches, soignants aux appartenances diverses). Saisir les espaces relationnels dans lesquels le mourir est vécu, les contextes et la qualité des interactions entre acteurs devient fondamental (Kellehear 2014). Ces espaces sont parfois colorés par la famille, mais encore cette famille est elle aussi en mouvance (composition, recomposition, locale, transnationale). Ils peuvent aussi renvoyer à des liens sociaux variés, de voisinage, d’entraide, associatifs, et ce faisant rendre compte (ici encore) d’une pluralité d’acteurs accompagnants, voire impliqués dans les décisions qui jalonnent la trajectoire de la maladie et du mourir.

Cette notion de « trajectoire » permet de saisir la mort en tant que processus temporel, certes, mais aussi social (plutôt que biologique), au carrefour de nombreuses perspectives potentiellement divergentes entre malade, famille et soignants (Strauss et al. 1985). Les trajectoires de fin de vie, du mourir et de la mort sont en cela inclusives, temporelles, relationnelles, contextuelles, et donnent lieu à un éventail thérapeutique, de la cure au care, d’une perspective curative à une approche de confort, d’une reconnaissance de la mort comme soin (death as care) ou, au contraire, d’une mort comme échec. Les choix thérapeutiques qui jalonnent la trajectoire de fin de vie, le lieu et les modalités (et défis organisationnels) de cette fin de vie, la qualité de la mort à venir, le dévoilement, la médication, le maintien de la vie et le recours à l’aide médicale à mourir sont autant de sources potentielles de divergences entre les différents acteurs concernés, c’est-à-dire entre proches, entre proches et personne malade, entre proches, personne malade et soignants (Mino et Lert 2003 ; Fortin et Le Gall 2016 ; Soom Ammann et al. 2016). La diversité des situations possibles donne lieu à autant d’interrogations quant au meilleur soin et à la « bonne mort ».

La mort représente la fin d’un parcours, l’étape ultime du mourir alors que la « fin de vie » et le « mourir » sont des notions plus floues (Kaufman et Morgan 2005 ; Chapple 2010) que certains situent entre la phase de curabilité de la maladie et le moment du décès (Castra 2003). Si l’on se rapporte au projet de loi canadien C-14 (2016) sur l’aide médicale à mourir, par exemple, et au Québec à la loi 2 (2014) concernant les soins de fin de vie, une personne en fin de vie est une personne dont la mort est « raisonnablement prévisible ». L’aide médicale à mourir et la sédation palliative sont directement tributaires de cette définition. Mais qu’en est-il sur le terrain ? Selon l’interlocuteur (et le contexte de soins), la fin de vie évoque un temps défini (ou non), des trajectoires tantôt prévisibles tantôt imprévisibles qui ont en commun une condition fragile, une souffrance, une vulnérabilité du mourant et des personnes qui l’accompagnent. Quel que soit le lieu s’instaure un dialogue entre les possibles thérapeutiques (s’ils existent, s’ils sont envisageables) et l’accompagnement. Et nous verrons avec ce numéro d’Anthropologie et Sociétés comment cette relation est variable, selon les localités et les acteurs concernés.

Dans une tentative de cerner le mourir dans sa contemporanéité, les articles proposés dans ce numéro abordent la mort et la fin de vie sous différents angles, en tenant compte du point de vue tant des personnes en fin de vie que de celui de leur famille et des soignants. Ces personnes sont d’ici et d’ailleurs, de milieu urbain ou rural, jeunes et moins jeunes. Elles témoignent de rituels anciens et nouveaux, de tensions au sein des milieux de soins, entre perspectives curatives et d’accompagnement. Par ces histoires racontées, elles permettent de saisir les normes et valeurs qui traversent les milieux et contextes variés où ces mourirs adviennent.

Diversité, migration, accompagnement et mourir

Une première partie, intitulée « Diversité, migration, accompagnement et mourir », propose d’appréhender la fin de vie et le mourir à partir de la perspective du soutien reçu par le mourant ou le mort. Chacune des quatre contributions qui la composent présente un point de vue original et interroge l’accompagnement de la personne en fin de vie par des proches, principalement à partir de l’expérience des familles elles-mêmes.

L’article de Françoise Lestage examine les pratiques d’accompagnement des conjointes de migrants mexicains âgés malades ou défunts. Il révèle le rôle des rapports de genre au Mexique dans l’accompagnement tout en insistant sur l’importance de tenir compte de l’impact du cadre administratif et juridique des États-nations et du système de santé sur ces rapports. L’auteure constate qu’un nouvel équilibre s’établit au profit de l’épouse du migrant qui prend soin de son mari tout en soulignant la capacité limitée des conjoints quant au choix du lieu de fin de vie et de mort.

Le deuxième article de cette partie, écrit par Hélène Kane et Dave Fearon, nous conduit en milieu rural au sud de la Mauritanie. Il se penche à la fois sur l’expérience que font des membres de la famille de la fin de vie d’un proche atteint d’une pathologie grave et incurable et sur celle d’agents de santé, d’imams et de représentants d’associations locales. En l’absence de structure offrant spécifiquement des soins palliatifs, les malades terminent leurs jours à domicile. Les auteurs mettent en évidence les lourdes conséquences qu’a l’interruption des soins spécialisés pour les membres de la famille à qui incombent l’accompagnement et le soutien au malade. La présence de la famille lors de la fin de vie est considérée comme la condition d’une mort apaisée tandis qu’à l’inverse une mort solitaire est une mort indigne. Le rôle de la famille consiste aussi à préparer le malade à la mort, notamment en passant sous silence les informations qui pourraient le décourager.

Pour leur part, dans leur article, Josiane Le Gall, Marie-Ève Samson et Sylvie Fortin examinent l’accompagnement en fin de vie dans un contexte où les soins formels sont au contraire très présents et s’intéressent au regard des familles. Elles constatent que la rencontre d’aînés immigrants et de leurs proches avec les services de santé québécois est déterminante dans l’expérience de fin de vie. Cette rencontre, qui peut générer autant de satisfaction que de déception pour les enfants ou les petits-enfants de la personne âgée, joue un rôle dans la qualité des expériences de fin de vie, mais également dans la perception d’une bonne mort, qui ne correspond pas uniquement ici au fait d’être entouré dans ses derniers moments.

Enfin, dans son essai, Sjaak van der Geest propose de réfléchir aux changements qu’ont connus la mort et le décès avec l’introduction de l’euthanasie, de même qu’aux conséquences de ces changements sur la façon d’appréhender la fin de vie dans les études anthropologiques. L’auteur suggère que l’euthanasie, une nouvelle forme de mourir selon lui, a modifié les rituels du mourir en laissant place à une plus grande authenticité. Alors que la fin de vie était jusque-là entourée de silence et peu ritualisée, mais également l’objet de peu d’études, de nouvelles façons de dire adieu au mourant sont imaginées lorsque la mort est planifiée.

Pratiques de et vers la fin de vie 

Dans une seconde partie, intitulée « Pratiques de et vers la fin de vie », trois auteurs se penchent sur le point de vue du mourant lui-même en faisant ressortir la pertinence et la nécessité d’accorder une place aux paroles, sentiments et souhaits des mourants.

Tout d’abord, à travers une esquisse de l’histoire de la linguistique, Michael Erard s’interroge sur la place accordée par cette discipline à la question de la mort. L’auteur constate que ce thème a été absent pour diverses raisons. Parmi celles-ci on retrouve les tabous entourant la mort et l’agonie, l’accent placé sur les origines, les commencements et l’acquisition du langage, mais également la difficulté de recueillir le récit des mourants eux-mêmes. Pour Erard, une linguistique de la fin de vie prêterait attention tant aux derniers mots qu’aux sens qui leur sont accordés par ceux qui les « entendent ».

Alors qu’Erard souligne la pertinence de documenter les dernières paroles du mourant tout en illustrant les défis que cela peut représenter sur le plan méthodologique, l’article de Mira Menzfeld sur les émotions de personnes mourantes en Allemagne rapporte, quant à lui, ces paroles. La présence de l’auteure au chevet de personnes en fin de vie dans deux contextes nationaux différents (Allemagne et Chine) permet de documenter le mourir en explorant le ressenti émotionnel au cours de la fin de vie. Elle permet également de mettre en valeur la gestion des émotions lors de ce moment particulier. Menzfeld montre comment certaines émotions ressenties par les mourants — telles que la gaieté, l’humour, l’envie ou la jalousie — entrent en conflit avec les modèles culturels de la fin de vie.

De son côté, Michelangelo Giampaoli retrace la quête de personnes en fin de vie qui préparent leur mort en planifiant leur sépulture. À partir de récits recueillis lors d’une ethnographie multisituée en Europe, en Amérique du Sud et en Amérique du Nord, l’auteur montre comment l’achat et l’entretien d’une tombe dans un cimetière possèdent non seulement une dimension de continuité, mais sont aussi une expérience de transgression, dans le cadre de laquelle l’individu vit activement ses derniers moments. Cette perspective permet notamment de poser la question du cimetière comme lieu thérapeutique. Peu importe la forme que revêt la tombe qu’ils construisent, les individus font le choix de ne pas subir la mort, mais plutôt d’apprendre à l’apprivoiser en planifiant les dernières étapes de leur vie.

Soins palliatifs, soins continus, soins de confort 

Avec Jean-Christophe Mino et Pierre Moulin nous abordons un troisième thème, « soins palliatifs, soins continus, soins de confort », et, d’une certaine manière, les tensions entre les perspectives curatives et « une médecine de l’incurable » (Mino et al. 2008). Dans leur article, la prise en charge institutionnelle de la mort est mise à l’avant-scène, donnant lieu à une réflexion de fond sur la notion même de « soins palliatifs » et la place de ces soins dans le dispositif sanitaire en France. Leur contribution met en lumière la façon dont les représentations des soins palliatifs varient selon les protagonistes (soignés ou soignants) et selon la vision même du projet de la médecine. Il s’agit de perspectives situées, alimentées par plusieurs terrains et expériences professionnelles.

En continuité avec Mino et Moulin, Aline Sarradon-Eck, Eve Bureau-Point et Aurélia Mathiot investiguent les dimensions performatives du mot palliatif auprès des malades, de leurs proches et des soignants dans deux régions françaises. Ces soins, qui couvrent un éventail d’approches, demeurent largement associés à la mort dans l’imaginaire collectif et, de ce fait, tardent à entrer en scène. Leurs propos donnent à voir comment les relations qu’entretiennent les usagers et leur famille avec les institutions de soins et les praticiens participent à cette représentation particulière des soins palliatifs et à l’évolution de ces représentations tout au long de la trajectoire de soins.

Les travaux de Sylvie Fortin et de Sabrina Lessard confortent ces représentations (et les pratiques) des soins palliatifs comme des soins de fin de vie. Les auteures traitent toutefois du point de bascule (s’il y en a un) entre les perspectives curatives et palliatives malgré le fait que ces dernières se veulent des soins de confort prodigués tout au long de trajectoires de maladie au pronostic sombre, et ce, tant chez les enfants que chez les personnes de grand âge en milieu hospitalier et en institutions de soins de longue durée à Montréal. Les décisions qui jalonnent la grande maladie sont autant de révélateurs de l’imbrication du social dans le mourir (tout comme le montrent les contributions de Le Gall, Samson et Fortin et de Kane et Fearon dans ce numéro), des normes et valeurs qui prévalent dans ces espaces où la vie et la mort se rejoignent, dans un contexte souvent dominé par l’incertitude.

Il en est de même avec le texte de Maryse Soulières qui met aussi en lumière le complexe rapport à la mort et à la fin de vie tant des proches que des soignants. L’auteure évoque le brouillage du statut de « vivant » des personnes (en institution de soins) atteintes de troubles neurocognitifs majeurs et documente un « mourir lent » qui interpelle. Au fil d’une ethnographie lente (comme le dira aussi Lessard) menée en institutions de soins de longue durée à Montréal et des réflexions qu’elle suscite, Soulières s’interroge elle aussi sur le sens même de la « bonne mort ». Ses interrogations s’étendent aux dimensions éthiques de l’aide médicale à mourir pour ces personnes qui ne peuvent maintenant y consentir, mais dont la vie ou plutôt la mort ne cesse de s’achever.

La question de l’aide médicale à mourir et de ses rapports (ou ses écarts) avec les soins palliatifs et la bonne mort deviennent centraux avec Florent Schepens. Le « mourir lent » décrit par Soulières avoisine une « mauvaise mort » qui peut être évitée avec ce que nous appelons au Québec l’aide médicale à mourir et, ailleurs, une pratique d’euthanasie. Par l’entremise de travaux empiriques en France, Schepens met à nouveau en scène les tensions présentes entre soins palliatifs et aide médicale à mourir. Les soins sont-ils partie prenante de cette aide ou, au contraire, cette aide s’inscrit-elle en marge, voire en porte à faux avec la notion même de « soins palliatifs » ? L’auteur rattache cette interrogation (et les tensions qu’elle soulève) à différentes visions du monde, de la personne, du malade, où le politique est à l’avant-plan.

Pratiques de soins

Pour clore ce numéro double, dans une quatrième et dernière partie, intitulée « Pratiques de soins », trois articles les examinent. En effet, la « bonne mort » ne cesse d’interpeller. Cette fois Gabriela Rauber, Eva Soom Ammann et Corina Salis Gross nous convient en Suisse à la rencontre d’infirmières qui travaillent en institutions de soins. Performée et post-mortem, cette bonne mort est façonnée par les infirmières pour le souvenir des proches, mais aussi pour celui des consoeurs soignantes. Tout comme Schepens, ces auteures situent le travail du mourir et de la mort (doing death, death work) dans le champ moral, une morale inséparable de la bonne mort telle que véhiculée par les soins palliatifs dans les sociétés contemporaines de l’Ouest (ou du Nord global, pourrions-nous dire). Ces sociétés n’en sont pas moins plurielles, en évolution. Selon ces auteures, les pratiques infirmières en sont le reflet, tout comme elles sont façonnées par l’actuelle pandémie de COVID-19.

Nous poursuivons notre incursion dans l’univers des soignants et du travail du soin en Suisse, cette fois auprès d’étudiants en médecine. C’est par l’entremise de projets de formation et des travaux de leurs étudiants que Rose-Anna Foley et Michael Saraga discutent leurs relations aux patients et à la mort telles qu’ils les perçoivent dans leur pratique (actuelle ou à venir). Les auteurs nous entraînent au coeur des préoccupations de ces aspirants soignants, qui sont certes soignants mais aussi citoyens et, ce faisant, partie prenante d’une localité (Fortin 2013). Objectivité (clinique) et subjectivité, émotions et pratiques réflexives s’entrecroisent dans un tableau où valeurs et normes prennent forme, à l’image de ce milieu.

En dernier lieu, le travail de Samuel Blouin auprès des professionnels du soin qui pratiquent l’aide médicale à mourir au Québec témoigne lui aussi de cette dimension affective de la pratique soignante. À l’instar de Luc Boltanski (2007), Blouin évoque les régimes d’amour et de justice pour saisir une éthique en actes mise de l’avant par ceux qui pratiquent cette forme d’euthanasie dans un contexte où cette pratique ne fait pas l’unanimité parmi les soignants (et dans la société). Ce travail est une importante contribution à une situation complexe, Blouin reliant l’objection de conscience (légitimée) des médecins à la pratique de l’aide médicale à mourir aux conditions sociales dans lesquelles se prennent les décisions qui favorisent ou non cette participation.

Deux entretiens suivent, en guise de conclusion à ce numéro. Le premier, mené par Emanuel Guay et Lauréanne Dussault-Desrochers avec l’anthropologue américaine Nancy Scheper-Hugues, couvre un ensemble de thèmes qui traversent ses diverses contributions, de la violence et la souffrance sociale aux inégalités. Abdoulaye Guindo nous propose ensuite un entretien avec l’anthropologue français Yannick Jaffré, qui retrace son parcours et ses thématiques de recherche. Ensemble ils discutent une « anthropologie fondamentale et impliquée » contemporaine, principalement dans les contextes sociosanitaires africains.