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Cash Transfers in Context: An Anthropological Perspective est un ouvrage collectif publié sous la direction de Jean-Pierre Oliver de Sardan et Emmanuelle Piccoli visant à apporter de nouvelles connaissances sur le sujet des cash transfers (CT) [transferts en espèces], un mécanisme de transfert d’argent développé au Mexique et au Brésil afin d’aider économiquement les populations vulnérables qui a été exporté par la suite partout dans le monde. Les objectifs de ce type de programme peuvent aller de l’éradication de l’extrême pauvreté à l’aide temporaire lors de catastrophes naturelles.
Les précédents travaux sur le sujet ont essentiellement été produits par des chercheurs externes n’utilisant que des bases de données, ce qui a eu comme conséquence une grande production de travaux reposant principalement sur des méthodes quantitatives qui proposent un modèle de CT clés en main, c’est-à-dire un modèle universel et exportable applicable tel quel. La mise en place de ces programmes engendre cependant des complications sur le terrain à plusieurs niveaux qui sont hors de portée des travaux quantitatifs. Loin de vouloir discréditer ces recherches ou les programmes de transfert d’argent, Cash Transfers in Context a pour but de montrer les différents problèmes et bouleversements imprévisibles engendrés par la mise en place de CT en se basant sur des pays latino-américains et africains ainsi que du Moyen-Orient. Le livre se veut donc un complément qualitatif qui vise à entraîner une réflexion sur les complications des différents CT en vue de les harmoniser avec le contexte local dans lequel ils sont implantés.
À partir de recherches se fondant sur des méthodes d’enquête de terrain propres à l’anthropologie (observation, observation participante, entrevue, etc.), les auteurs des douze chapitres développent donc ce qu’Olivier de Sardan — dont la renommée dans le domaine de l’anthropologie du développement n’est plus à faire — et Piccoli appellent la « revanche des contextes » (« revenge of contexts »). Cette expression « met en évidence le fait que des contextes, ignorés ou sous-estimés par les programmes de CT, reviennent en jeu et produisent une série d’effets inattendus » (p. 58, notre traduction). Les différents exemples présentés dans cet ouvrage s’orientent autour de trois dispositifs : le ciblage géographique et économique des individus, le système de transfert et l’imposition ou non de conditions. Ces trois points sont la source de différents conflits et interprétations entre les acteurs de premier plan (bénéficiaires, non-bénéficiaires, employés du programme), en raison du contexte propre à chaque région. Sont alors abordés des sujets comme les relations hommes-femmes, la structure économique des ménages, la participation et la pression des bénéficiaires dans la communauté et dans les programmes, etc.
Les CT sont en grande partie attribués aux femmes puisque, dans certains des contextes analysés ici, les personnes les plus vulnérables sont majoritairement les femmes et les enfants. De plus, un préjugé persistant voulant que les hommes dépensent l’argent en drogue et alcool et en produits de luxe alors que les femmes sont plus sujettes à se sacrifier pour la famille et les enfants joue également lors du ciblage des bénéficiaires. Or, les analyses démontrent, d’une part, que ce préjugé est erroné et, d’autre part, que ce type de distribution donne une plus grande autonomie et capacitation aux femmes.
L’ouvrage dévoile également des effets inattendus relatifs aux systèmes de transfert, comme les montants d’argent étrangement inégaux, le mépris des employés envers les bénéficiaires, la corruption ou encore le phénomène de file d’attente. Maria Elisa Balen (chap. 4) s’intéresse à ce phénomène (appelé queuing), où les femmes, prestataires du programme en Colombie, attendent pendant des jours sous un soleil allant jusqu’à 40 ℃, subissant directement l’humiliation des employés du programme ou indirectement celle des passants.
Le troisième dispositif, l’imposition de conditions, est exclusivement observé en Amérique latine. La raison est propre à l’histoire des CT. Les premiers CT ont été implantés au Mexique et au Brésil par les gouvernements en place afin de combattre le cycle intergénérationnel de la pauvreté. Le concept de « pauvreté » est utilisé dans un sens économique et social. L’argent est donc donné sous certaines conditions, par exemple avoir un suivi médical pour les femmes, mères et enfants, ainsi que respecter un taux de présence à l’école pour les enfants. Par la suite, les travaux sur le sujet ont séparé les deux sens pour ne garder que le sens économique. Le modèle de CT exporté ne prend en compte que l’aspect économique, alors que la pauvreté, chez certaines communautés en Afrique, est également liée à des aspects sociaux et politiques.
Cet ouvrage collectif s’adresse à un lectorat universitaire s’intéressant à l’anthropologie du développement, au développement international ou aux populations vulnérables dans les pays du tiers-monde. Cash Transfers in Context démontre non seulement les faiblesses du modèle exporté de CT basé sur des méthodes quantitatives, mais également, à plus grande échelle, l’importance de l’anthropologie comme discipline qualitative qui réussit à saisir des éléments cruciaux échappant aux études quantitatives. Il expose en cela la complémentarité qui existe entre les deux types de recherche.