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Feldman Nehara, 2018, Migrantes : du bassin du fleuve Sénégal aux rives de la Seine. Paris, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 208 p.[Notice]

  • Zoé Derré

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  • Zoé Derré
    École des hautes études en sciences sociales, Paris, France

Après avoir soutenu sa thèse portant sur les migrations et l’oppression, issue de l’observation d’un groupe de femmes d’un lignage noble de la région de Kayes au Mali (2009), Nehara Feldman publie un premier ouvrage intitulé Migrantes : du bassin du fleuve Sénégal aux rives de la Seine. S’inscrivant dans le courant de l’anthropologie féministe, elle souligne les divisions sexuelles existant tant dans l’espace que dans la répartition du travail domestique entre hommes et femmes du lignage Dagnoko, mettant ainsi en évidence les rapports de domination dans l’attribution des rôles sociaux. Les mobilités géographiques des individus, le point focal de l’étude, sont donc analysées à travers le prisme du genre. L’auteure amorce l’ouvrage par une première analyse du rapport entre genre et espace avant de proposer une étude de la mobilité géographique des femmes — qu’elle soit ponctuelle, durable, interne ou externe au pays d’origine —, cherchant à en souligner les motifs constamment ancrés dans la division sexuelle du travail. La dernière partie traite du contraste entre la position des migrantes en France et celle qu’elles occupent lorsqu’elles reviennent au pays. Feldman postule qu’il existe une continuité entre le village de Galoba, la capitale Bamako et la région parisienne afin d’étudier les multiples configurations des rapports sociaux en place au village. Les rapports de force évoqués précédemment sont donc analysés de manière dynamique dans l’espace. C’est ce qui constitue à la fois tout l’intérêt ainsi que l’originalité de l’étude. Partant de la notion de « territoire des femmes » (p. 34), Feldman constate qu’elle masque le caractère contraint de leur présence en ces lieux. Elle distingue alors trois types d’espaces : ceux où les femmes sont affectées, ceux où elles sont autorisées et ceux d’où elles sont exclues. Ce rapport de force s’appuie sur une division sexuelle du travail où les tâches domestiques sont considérées comme exclusivement féminines et réglementent les allées et venues des femmes, créant ainsi « leurs » espaces. Si l’on peut croire que ces femmes tendent vers une forme d’émancipation par la migration en France, c’est finalement l’inverse qui est observé puisque leurs espaces légitimes se réduisent : le logement est plus exigu et les tâches domestiques ne nécessitent plus autant de sorties. À ces rapports de domination genrés s’ajoute une hiérarchie au sein même du groupe des femmes selon leur âge et leur position sociale, qui perdure lors de l’expérience migratoire. Toutefois, les migrantes installées en France jouissent lors de leurs retours au pays d’un prestige qui les dispense d’effectuer des tâches qu’elles devraient normalement accomplir en raison de leur position sociale. Cette situation leur permet de « se réinventer » (p. 181) en adoptant des comportements considérés comme luxueux. Ces pratiques distinctives peuvent également engendrer des transgressions des normes de genre, comme si leur statut de migrante les rapprochait de la position sociale des hommes. L’auteure fait ici un lien avec son propre statut de « Blanche » (p. 187) pendant ses séjours au Mali où elle avait d’abord été affectée au groupe des hommes, les femmes la considérant comme incapable d’effectuer les travaux domestiques. Les migrantes interrogées sur le sujet évoquent l’idée d’une perte d’habitude à la dureté des tâches pour expliquer cette dispense des tâches dites féminines. Cette vision d’elles « à part » (p. 188) constitue selon l’auteure un frein à une remise en question plus globale des normes de genre en place dans cette société. Concernant les possibles biais de l’enquête, l’appartenance sociale du lignage Dagnoko à une caste supérieure suppose, selon l’auteure, que les femmes étudiées vivent potentiellement de manière plus forte le contrôle social observé. Toutefois, ce …

Parties annexes