Ce texte s’inscrit à la suite d’un essai bibliographique publié en 2012 dans lequel j’ai proposé une analyse sur la production des connaissances européennes sur les processus de métissage. Cette étude exhaustive sur la littérature (Giguère 2012a) visait à poser les jalons pour un meilleur dialogue entre diverses écoles théoriques et méthodologiques, entre diverses aires culturelles aussi, dans le vaste domaine de recherche regroupant le métissage, les identités métisses et l’identification métisse. Cette réflexion sur les nouvelles tendances dans la recherche sur le métissage dévoilait de surcroît la formation d’un sous-champ disciplinaire — les processus de métissage — rattaché à celui de l’identité, et ce, dans un grand éventail de disciplines aussi diversifiées et inhabituelles que les mathématiques, la biologie et la philosophie. La publication de cet essai bibliographique proposait un décloisonnement du discours scientifique sur le métissage, une dépolitisation et une déjudiciarisation au profit de fondements plus universels comme les questions identitaires en contextes d’altérité. Adepte des analyses comparatives et des mises en perspective internationales (Giguère 2006a ; 2010 ; 2012 ; 2014), j’ai souhaité alors contribuer à la mise en relation du développement des connaissances empiriques et théoriques réalisées au Canada au sujet des identités métisses canadiennes avec des travaux principalement réalisés en Europe et basés sur des données empiriques un peu partout dans le monde. Mon observation première faisait remarquer que les études sur les identités métisses canadiennes étaient, jusqu’à l’aube des années 2010, principalement réalisées par des citoyens canadiens alors que les études réalisées en Europe prenaient ancrage dans divers cas de figure dans le monde et par des intellectuels également issus de divers continents. J’ai moi-même été influencée par cette vague intellectuelle, lors de mon parcours académique en Europe et approfondi des données empiriques dans la région méditerranéenne (Giguère 2005a-c ; 2006b ; 2008a-b ; 2009 ; 2010 ; 2012a-b ; 2014 ; 2015a-b). Il m’était difficile de mettre le doigt sur la « différence canadienne ». Pour la comprendre, il me fallait ouvrir ces frontières invisibles entre les analyses intellectuelles européennes et canadiennes concernant l’identité métisse. Pourquoi l’approche européenne et comparative était-elle aussi marginale au Canada ? Pourquoi les travaux des Européens étaient-ils aussi peu cités au Canada ou alors limités aux intellectuels déjà marqués par une forte affinité et des collaborations soutenues avec les institutions européennes ? Dans ce dernier registre, je pense notamment à l’impact de François Laplantine et à sa collaboration avec Alexis Nouss (Laplantine et Nouss 1997, 2001). Tous deux ont eu un impact intellectuel important alors que d’autres, comme Jean-Loup Amselle (1999, 2000, 2001), ont eu un impact mitigé au Canada. Dans ce même article, publié en 2012, j’avais relevé le facteur linguistique et la caractéristique des écoles de pensées françaises, plus républicaines, peu attractives dans le Canada anglais, lequel discute plus ouvertement des Métis de l’Ouest d’un point de vue ethnique et territorialement circonscrit. Dans le cadre des travaux de la Chaire de recherche du Canada sur l’identité métisse auxquels j’ai participé à titre de chercheure associée, j’ai poursuivi en ce sens par des publications visant à aller plus loin dans le dialogue entre les écoles de pensées et les empiries en publiant des expériences internationales encadrées par une réflexion épistémologique ayant la comparaison avec l’exception canadienne au coeur de ses considérations. Si la situation des identités métisses au Canada est particulière, on doit pouvoir la situer par rapport aux autres réalités et orientations théoriques. Par exemple, en 2014, Denis Gagnon et moi-même (Gagnon et Giguère 2014) dans un numéro thématique de la revue Anthropologie et Sociétés, avons réussi à rassembler des cas fort variés (Madagascar, Nouvelle-Calédonie, …
Parties annexes
Références
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