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Avec son premier ouvrage, Michael Wilson Becerril nous plonge dans l’extraction aurifère industrielle au Pérou. Empreinte d’activisme, cette étude, à l’intersection de la science politique et de l’anthropologie, inspirée de méthodes ethnographiques, analyse les dynamiques de conflit au coeur du développement de quatre projets miniers au nord du pays. En étudiant le renforcement, la normalisation et la transformation des inégalités structurelles à travers les interactions quotidiennes, Becerril entend lever le voile sur les circonstances d’exclusion et d’exploitation des communautés autochtones et noires du Pérou. Proposant une nouvelle perspective centrée sur la « politique de l’attention » (p. 6), définissant une logique évènementielle de la violence, ce livre s’adresse aussi bien au monde universitaire qu’à l’industrie et à la société civile.

La violence liée à l’industrie extractive péruvienne est entraînée par des discours justifiant d’un côté un accaparement des terres commandité par l’État central et, de l’autre, l’organisation des communautés s’y opposant. Inspiré par les recherches existantes sur l’intersection entre extraction, violence, vie quotidienne et responsabilité des entreprises, Becerril adopte une conception transnationale des conflits dictée par les logiques de chaînes d’approvisionnement. Néanmoins, cette étude n’est pas celle des pratiques de responsabilité des entreprises minières dans l’une des juridictions les plus riches en matières premières, mais bien une recherche éclairant les dynamiques de transformation de conflits passifs en épisodes violents. Ainsi, comprendre et théoriser « les procédés qui répandent la méfiance, l’insatisfaction et le ressentiment conduisant à une escalade de la violence » (p. 34, notre traduction) à travers quatre cas d’étude permet au lecteur de mieux comprendre les limites du système extractif néolibéral actuel. Becerril identifie trois approches par lesquelles les entreprises engagent avec les communautés, déterminant leurs réponses, et qui guide cet ouvrage : coercition, persuasion et coercition avec persuasion. Celles-ci définissent le futur des projets aurifères et l’engagement avec les communautés, ainsi que le spectacle de la violence et l’attention qui lui est portée.

Le premier chapitre présente le paysage de l’industrie aurifère industrielle péruvienne et ses liens conflictuels avec les communautés. Becerril se positionne à l’encontre des entreprises minières qui « instillent une violence quotidienne » (p. 57). Les impacts pour les communautés locales sont à la fois économiques, écologiques et culturels, alors que l’adoption d’un système néolibéral réduit la capacité d’intervention de l’État. L’auteur nous convie au coeur d’un pays toujours influencé par le régime Fujimori, politisant les conflits. Il attire l’attention sur l’importance de la violence quotidienne et des discours l’entourant pour comprendre sa perception, son utilisation et sa narration par l’industrie et les communautés impactées.

Le chapitre suivant explore le cas de la mine de Tambo Grande. Le concessionnaire a adopté une stratégie de coercition et de criminalisation des opposants tout en promettant un développement économique rapide. Au coeur d’une région agricole, le projet a fait face à la mise en place de mouvements populaires forts. Le projet, imposé malgré une série de rapports critiques, suscita une opposition des plus organisées. L’échec de l’entreprise permet de théoriser certains facteurs ayant conduit à sa fin, dont le manque de cohérence de sa stratégie d’engagement avec les communautés, la force des réseaux locaux d’opposition, le soutien d’ONG nationales et internationales, la transformation tactique de l’opposition après la première vague de violence et le succès du processus de consultation démocratique.

Le quatrième chapitre s’intéresse à la mine de La Zanja. La stratégie employée par la coentreprise combine une répression des mouvements sociaux avec un partenariat avec des ONG locales et des programmes de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Néanmoins le conflit latent, loin d’avoir faibli avec l’implantation de la mine, est régulièrement ravivé. La logique de répression et de récompenses économiques « galvanise la colère et la résistance » (p. 124) contre l’entreprise. L’échec de l’opposition à la mine est en partie expliqué par le manque de cohésion du mouvement des rondas campesinas [rondes paysannes].

Le cas de la mine de Lagunas Norte, décrit dans le chapitre cinq, permet de se pencher sur le rôle des stratégies de RSE. La mine suit une logique de répression légale et policière, combinée à une approche philanthropique d’ouverture. Le musèlement de la contestation divisa les opposants, poussant certains à des actes de violence commis pour justifier les actions de l’entreprise. Dans un contexte légal favorable à l’industrie minière, le conflit a été rapidement étouffé. Becerril soutient que le « système légal et institutionnel péruvien assume une part majeure de responsabilité pour l’escalade extra-institutionnelle et l’enracinement du conflit au coeur de la région » (p. 145).

Enfin, le dernier cas d’étude porte sur Cerro Corona où les opposants ne sont que très peu organisés et n’ont recouru qu’à des tactiques non violentes et symboliques. En dépit des politiques de bon voisinage déployées par Gold Fields, Becerril soutient que celles-ci n’ont pas permis de créer des relations durables et mutuellement bénéfiques avec les communautés. L’auteur décrit le développement d’une illusion de convivialité, d’égalité et de réciprocité à travers des politiques de RSE. En réalité, ces mêmes politiques ont délégitimé les demandes locales en les présentant comme antagonistes.

Resisting Extractivism se penche sur des questions importantes en utilisant des exemples concrets et présentés de manière claire et concise. Becerril y explore l’importance des politiques de l’attention médiatique, humanitaire et politique au sein des conflits liés aux matières premières. La capacité de mobilisation des communautés définit en partie leur succès et s’oppose aux puissantes stratégies de relations publiques mises en place par les entreprises.