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Trois ans se sont écoulés depuis la découverte du premier cas de SARS‑CoV‑2 en décembre 2019, à l’origine de la maladie à coronavirus 2019 (la COVID‑19), et la déclaration de la pandémie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en mars 2020. Alors que la crise semble aujourd’hui se résorber, le bilan est effarant. En date du 27 janvier 2023, plus de 665 millions de personnes ont été officiellement infectées par la COVID‑19, dont plus de 6,5 millions qui en seraient décédées. Entre le 26 et le 27 janvier 2023, près de 180 000 nouveaux cas d’infection auraient été enregistrés dans le monde (WHO Coronavirus [COVID-19] Dashboard), ce qui montre que si la situation semble s’améliorer, l’infection n’est pas pour autant chose du passé.
Alors qu’un recul demeure nécessaire pour appréhender dans toute leur complexité les causes et les conséquences de cette crise sanitaire majeure, la pandémie a sans conteste révélé et exacerbé une myriade d’enjeux et de réalités. La rapidité avec laquelle la COVID‑19 s’est répandue sur le globe nous a rappelé, s’il en était besoin, l’unité spatiale et temporelle grandissante de notre monde. L’hypothèse principale concernant l’origine de la maladie — une maladie vraisemblablement d’origine zoonotique, c’est-à-dire transmise à l’être humain à partir d’un réservoir animal — a à nouveau mis notre relation aux animaux et à la nature sous les projecteurs et nous force à nous questionner sur nos modes de production et de consommation et sur les impacts à venir des changements climatiques (Laugrand 2020 ; voir également Keck et Lynteris 2018). En l’absence de traitement ou de vaccin efficace durant les premières vagues de la pandémie, la majorité des pays ont implanté des mesures inédites[1] destinées à freiner la propagation du virus (par exemple l’interdiction des déplacements, la fermeture des écoles, des commerces et des services, l’instauration de couvre-feu, l’imposition de « passeports sanitaires », etc.). Ces mesures ont grandement perturbé l’économie mondiale, les activités professionnelles et les relations sociales, et ont suscité de l’incertitude (Dousset 2020) ainsi qu’une foule d’émotions (stupeur, peur, angoisse, lassitude). Ces mesures ont également rencontré de la résistance (pensons aux nombreuses manifestations contre le port du masque et le « passeport vaccinal » qui ont eu lieu à travers le globe), mettant ainsi en exergue la perte de confiance de nombreux individus dans les institutions telles que l’État, la science et les médias (Hornsey, Lobera et Díaz-Catalán 2020 ; Fassin 2021 ; voir également Lindenbaum 2001 ; Massé et al. 2011). La COVID‑19 a aussi confirmé ce que d’autres épidémies nous avaient appris par le passé, notamment que les maladies infectieuses se propagent dans les lignes de faille de la société ; les personnes les plus touchées par ces maladies, ainsi que par les mesures mises en oeuvre pour y répondre, sont celles qui sont déjà victimes d’inégalités sociales. La pandémie a par ailleurs mis en lumière des phénomènes nouveaux ou ayant suscité jusqu’ici moins d’attention en anthropologie. Jamais auparavant n’avions-nous ainsi autant parlé d’hésitation à la vaccination, concept utilisé pour référer au fait qu’une partie de la population entretient des craintes importantes par rapport à la vaccination, craintes qui peuvent mener à refuser un ou des vaccins recommandés ou à retarder la vaccination (Dubé et al. 2013, voir également Dubé et al., ce numéro). La rapidité du développement de vaccins efficaces contre la COVID‑19 et notamment de vaccins employant une technologie peu utilisée auparavant, les vaccins à ARN messager, ont entre autres suscité beaucoup de questionnements et de préoccupations, tout comme d’ailleurs les stratégies de priorisation de la vaccination (une forme de triage) adoptées par différents pays du monde dans un contexte de doses limitées. La pandémie nous a également apporté le concept d’« infodémie », forgé à partir des mots « épidémie » et « information » et défini par l’OMS comme une surabondance d’informations dans un contexte de pandémie (Infodemic WHO, voir également Eysenbach 2020). Si les rumeurs et la désinformation ont toujours existé en temps de crises sanitaires, le phénomène a toutefois pris une ampleur sans précédent dans le contexte de la COVID‑19 en raison des usages accrus d’Internet et des médias sociaux comme sources d’information et de moyens de communication.
La pandémie de COVID‑19 est un véritable défi pour les anthropologues et pour l’anthropologie comme discipline. N’ayant qu’un accès limité ou pas d’accès du tout aux lieux habituels de leur recherche (rappelons-nous que certaines régions et certains pays ont fermé hermétiquement leurs frontières aux visiteurs pendant de nombreux mois), plusieurs anthropologues n’ont pu compter que sur les rapports des médias internationaux pour obtenir de l’information sur la situation transpirant de leur « terrain ». Dans ce contexte de crise, certains ont eu recours à des méthodes de collecte de données leur permettant d’avoir un instantané des opinions sur la pandémie, à l’opposé des recherches habituellement menées auprès des gens et s’échelonnant sur une plus longue période (par exemple l’étude des conversations en ligne sur les médias sociaux, l’analyse d’articles de journaux ou même l’analyse de caricatures) (Labbé et al. 2022). De nombreux anthropologues ont également écrit sur leur expérience personnelle durant la pandémie ou ont contribué aux réflexions sur la crise en puisant dans leurs données ethnographiques antérieures (Agier 2020 ; Dozon 2022). Plusieurs ouvrages et numéros spéciaux de revues anthropologiques portant sur la COVID‑19 ont ainsi vu le jour depuis mars 2020 (par exemple Adams et Nading 2020 ; Ennis-McMillan et Hedges 2020 ; Gray, Himmelgreen et Romero-Daza 2020 ; Hermesse et al. 2020 ; Higgins, Martin et Vesperi 2020 ; Manderson et Levine 2020 ; Napier 2020 ; Selim 2020). La plupart des textes contenus dans ces publications sont de l’ordre du commentaire ou du texte réflexif. Il faudra en effet attendre encore avant que des recherches basées sur des données empiriques sur la COVID‑19 recueillies aux quatre coins du monde n’apparaissent dans les revues anthropologiques. Certains textes esquissent néanmoins déjà des enjeux importants. Pour n’en nommer que quelques-uns, l’article d’Aalyia Sadruddin et Marcia Inhorn (2020), publié dans Anthropology Now, invite à une réflexion sur la COVID‑19 et le vieillissement en comparant des terrains ethnographiques aux États-Unis, où les personnes âgées ont été déshumanisées, voire sacrifiées dans le contexte de la pandémie, et des terrains africains, notamment au Rwanda, où les aînés sont traités avec une attention particulière grâce à de « petits gestes » du quotidien. Frédéric Laugrand (2020), dans son texte dans le recueil collectif intitulé Masquer le monde, analyse les représentations des animaux identifiés comme des vecteurs de la maladie à coronavirus 2019 dans les médias et, en s’appuyant sur ses nombreux travaux entourant les rapports entre humains et animaux, ouvre vers une réflexion sur les zoonoses, la crise écologique et les enjeux du néolibéralisme. Dans un commentaire où il revient sur ses travaux ethnographiques et cliniques sur les idiomes de la détresse, les soins et la résilience en Asie du Sud, en Asie du Sud-Est ainsi qu’en Amérique du Nord, Mark Nichter (2022) décrit la détresse morale vécue par les travailleurs de la santé aux États-Unis pendant la crise de la COVID‑19 et souligne l’importance de différencier l’épuisement individuel de la blessure morale liée à la détresse structurelle causée par les pénuries de ressources matérielles et humaines en contexte de crise sanitaire. Enfin, dans le contexte de l’« infodémie » entourant la pandémie de COVID‑19, Maxime Polleri (2022) souligne les multiples contributions possibles de la discipline sur ce thème et ce que ces travaux peuvent nous apprendre sur les « sociétés numériques contemporaines », au-delà de la distinction entre le vrai et le faux et la chasse aux mythes et aux fausses nouvelles.
La COVID‑19 n’est toutefois que la dernière d’une longue liste de maladies épidémiques qui ont marqué l’histoire des sociétés au cours des derniers siècles. La peste, la variole, la typhoïde, le typhus, la grippe espagnole, la rougeole, le choléra, et, plus récemment, le SRAS, la grippe H1N1, le Zika, Ebola, sans oublier le VIH/sida, pour n’en nommer que quelques-unes, ont sévèrement affecté les individus et les sociétés à travers le monde. De façon un peu étonnante considérant l’influence profonde qu’ont ces évènements, l’anthropologie s’est intéressée plutôt tardivement aux épidémies et aux pandémies. Comme le note Shirley Lindenbaum (2001 : 378), alors qu’une vague d’études sur les épidémies a marqué la discipline historique au cours des années 1960 et 1970, « les anthropologues étudiant la santé et la maladie, en tant que descendants de W.H.R. Rivers, d’E.E. Evans-Pritchard et de Victor Turner, se sont plutôt penchés sur les complexités et les subtilités des systèmes de croyances et de comportements non occidentaux en matière de santé »[2]. Bien que la richesse de ce champ d’études soit désormais incontestable, l’anthropologie s’est tout de même attelée tardivement à l’étude du VIH/sida qui frappait pourtant durement dans plusieurs sociétés où les anthropologues travaillaient (Bibeau 1996 ; Lindenbaum 2001 ; Parker 2001 ; Schoepf 2001). Malgré le fait que les recherches sur les épidémies et les pandémies et l’élaboration et la mise en oeuvre de réponses à celles-ci proviennent principalement de la santé publique et de l’épidémiologie, l’anthropologie a néanmoins proposé de riches analyses de ces crises sanitaires dans différents contextes sociaux et culturels. À cet égard, elle a souvent joué un rôle critique face à l’application glocalisée de directives internationales de santé publique qui occultent fréquemment les réalités locales, et a même parfois joué un rôle de « traducteur » ou de « médiateur » entre les institutions et les communautés pour favoriser une plus grande adhésion aux mesures de contrôle et de prévention des maladies infectieuses (Desclaux et Anoko 2017).
Le propos de ce numéro d’AnthropologieetSociétés est de présenter, à partir d’études originales menées dans plusieurs contextes ethnographiques, différents thèmes et approches en anthropologie des épidémies et des pandémies et d’identifier des voies prometteuses pour l’avenir sans prétendre à l’exhaustivité. Il ne s’agit pas de la première expérience d’Anthropologie et Sociétés avec les épidémies et les pandémies. Dès 1991, la revue publiait un numéro intitulé « L’univers du sida », sous la direction de Gilles Bibeau et de Ruth Murbach, explorant les représentations de la maladie et les perceptions du risque dans différents contextes, y compris dans les discours scientifiques sur le VIH/sida. Il importe toutefois, avant d’aller plus loin, de distinguer les concepts d’épidémie et de pandémie qui sont au coeur de ce numéro. On définit classiquement, en épidémiologie, une épidémie comme l’occurrence généralisée d’une maladie infectieuse dans une communauté à un moment donné. En comparaison, le mot pandémie est utilisé pour référer à « une épidémie survenant dans le monde entier, ou sur une zone très étendue, traversant les frontières internationales et affectant généralement un grand nombre de personnes » (Kelly 2011 : 540). La pandémie se distingue donc de l’épidémie par deux principaux critères : son étendue géographique et la forte transmissibilité et gravité de la maladie concernée (voir également Monnais, ce numéro). L’importante hétérogénéité, tant inter- qu’infranationale, qui caractérise les pandémies a toutefois amené plusieurs anthropologues à parler d’épidémies multiples plutôt que de pandémie.
Face aux épidémies et aux pandémies, les anthropologues ont adopté des approches diverses et ont porté leur attention sur des thèmes variés. Forte de sa préoccupation traditionnelle pour la question du sens, l’anthropologie s’est intéressée aux significations associées aux épidémies et aux pandémies. Les anthropologues ont ainsi montré que les représentations et les discours sur ces évènements sociosanitaires s’ancrent dans des systèmes de savoirs locaux et s’appuient souvent sur des manières préexistantes de concevoir la santé et la maladie (Jansen 2013). Les interprétations des maladies épidémiques peuvent également être vues comme des commentaires sur des évènements sociopolitiques et historiques qui affectent les individus et les communautés (pensons, par exemple, aux travaux de Mark Nichter [1987] sur la fièvre de Kyasanur dans le sud‑est de l’Inde, considérée comme une maladie associée à la déforestation causée par le développement, ou aux travaux de Leslie Butt [2005] sur le VIH/sida en Papouasie, vu comme une maladie importée par le colonisateur indonésien pour exterminer les Papous). Les travaux des anthropologues ont aussi fait valoir que les discours sur les maladies épidémiques dessinent communément une « géographie du blâme » (Farmer 1992) qui stigmatise l’« Autre » (par exemple les personnes d’origine chinoise dans le contexte de la COVID‑19 ou les « 4H » dans le cas du VIH/sida [les homosexuels, les hémophiles, les héroïnomanes et les Haïtiens]), avec des conséquences importantes non seulement pour les individus qui subissent cette stigmatisation, mais également pour la mise en oeuvre de réponses de santé publique appropriées et en temps opportun (Atlani‑Duault et al. 2015 ; Barreneche 2020).
L’anthropologie s’est également intéressée aux facteurs sociaux, culturels, politiques, économiques et environnementaux associés à la propagation des épidémies et des pandémies. L’hypermobilité, l’intensification des rapports commerciaux, l’urbanisation rapide, l’insécurité alimentaire, le manque d’accès à l’eau potable et à des systèmes d’assainissement des eaux usées, ainsi que les modes de production alimentaire ou les changements climatiques, qui modifient les habitats des animaux et qui transforment leurs interactions avec les humains, pour n’en nommer que quelques-uns, sont intrinsèquement liés à la vitesse de propagation et à l’étendue des maladies épidémiques. Les travaux de plusieurs anthropologues ont illustré que les inégalités de race, de genre et de classe sont étroitement associées au risque d’être exposé aux agents pathogènes qui causent les maladies épidémiques (Farmer 2001). En temps d’épidémie ou de pandémie, lorsque les ressources sont limitées et que les structures, tant sociales que médicales, peinent à répondre aux besoins des individus et des communautés, les maladies infectieuses entraînent également des conséquences particulièrement néfastes pour les personnes victimes d’inégalités sociales (personnes en situation de pauvreté, personnes marginalisées, etc.). Ces deux derniers points sont particulièrement évidents dans le contexte de la COVID‑19, où le virus affecte de façon disproportionnée les populations migrantes, les minorités ethniques ainsi que les Autochtones en raison, notamment, de leurs conditions de vie (logements surpeuplés permettant difficilement l’isolement, entre autres), et de leur surreprésentation dans des emplois précaires, où l’accès aux équipements de protection individuelle est difficile et où les conditions de travail sont souvent mauvaises (Jensen, Kelly et Avendano 2021). Les travaux des anthropologues ont également mis en lumière l’importance de prendre en compte les préjudices accrus causés par l’interaction des maladies épidémiques avec d’autres problèmes sociaux et de santé préexistants, ce que Merrill Singer qualifie de « syndémies » (1996). La pandémie de VIH/sida et la résurgence de la tuberculose ont ainsi créé un fardeau de maladie disproportionné au sein des communautés pauvres du monde (Singer et Clair 2003). Dans le contexte de la pandémie de COVID‑19, le nouveau coronavirus entre en synergie avec des maladies telles que le diabète et les troubles cardiovasculaires ainsi qu’avec des enjeux sociaux tels que l’insécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable et les logements surpeuplés pour créer des conditions de détresse particulières parmi les groupes les plus pauvres et les plus marginalisés (Ennis-McMillan et Hedges 2020).
L’expérience des individus et des communautés face aux mesures mises en place afin de contrôler et de prévenir les épidémies et les pandémies a également été au coeur des travaux des anthropologues. Dans le contexte de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, des travaux ont illustré, par exemple, que les séjours en centre de traitement et de quarantaine étaient vécus comme déshumanisants par une majorité de patients (Ennis-McMillan et Hedges 2020) et que l’interdiction de manipuler les cadavres afin d’éviter la transmission post-mortem du virus avait suscité beaucoup de résistance dans les communautés (voir Kra et al., ce numéro). Ceci a d’ailleurs mené plusieurs chercheurs à se mobiliser pour revendiquer la tenue de rituels funéraires dignes et sécuritaires (voir par exemple Abramowitz 2017 ; Sams et al. 2017). La vaccination constitue également une mesure phare du contrôle et de la prévention des épidémies et des pandémies. À la pointe de l’aiguille, comme l’ont noté Melissa Leach et James Fairhead (2007), la vaccination passe du global au plus intime des mondes et offre un terrain anthropologique qui permet d’analyser autant les représentations des maladies et des soins que les facteurs structuraux qui influent sur ces programmes de santé publique. Les travaux d’Emily Brunson (2015), qui s’est intéressée aux facteurs associés à l’acceptation des vaccins infantiles par les parents aux États-Unis, ont souligné, par exemple, l’importante influence des réseaux sociaux — davantage que les connaissances et les croyances individuelles — sur la décision de faire vacciner ou non son enfant. Les travaux d’Élisa Sobo (2016), réalisés eux aussi aux États-Unis, ont montré pour leur part que les discours des parents concernant le choix des vaccins pour leurs enfants exprimaient — quelle que soit la position défendue — un désir d’appartenance et des préoccupations identitaires. Dans une perspective d’anthropologie médicale critique, d’autres anthropologues se sont intéressés aux facteurs structuraux plus larges qui modulent l’accès aux vaccins (enjeux politiques, intérêts financiers, rôle des institutions de santé globale) (Closser 2010 ; Graham 2019), une question incontournable dans le contexte des enjeux d’équité vaccinale entourant les vaccins contre la COVID‑19.
Les anthropologues se sont aussi attachés à analyser l’expérience des malades en temps d’épidémie et de pandémie. Leurs travaux ont documenté les itinéraires thérapeutiques des personnes atteintes de maladies épidémiques, les systèmes de soins pluriels auxquels elles ont recours (biomédecine, médecine traditionnelle, médecines alternatives et complémentaires, religion, etc.), les priorités et les intérêts concurrents avec lesquels elles doivent jongler dans leurs efforts pour obtenir des soins (par exemple obligations professionnelles, soins aux enfants, ressources limitées, etc.), leur expérience des systèmes de santé — souvent sous pression et fragilisés en temps d’épidémie et de pandémie —, leurs interactions avec le personnel soignant ainsi que leur expérience des traitements, qu’ils soient prophylactiques ou curatifs. La stigmatisation et la discrimination vécues par les malades, notamment dans le contexte d’Ebola, de la peste ou du VIH/sida, ont également été un objet d’attention pour les anthropologues. Ainsi que leurs travaux l’ont montré, ces attitudes hostiles, nourries de la peur de la contagion ou de connotations péjoratives qui associent ces maladies à l’immoralité ou à la déviance, ajoutent à la souffrance liée à la maladie. Elles sont même souvent vécues plus difficilement par les personnes atteintes que les manifestations cliniques des maladies elles-mêmes (voir par exemple Parker et Aggleton 2003 ; Keusch, Wilentz et Kleinman 2006 ; Yang et al. 2007 ; Labbé, dans ce numéro).
Contenu du numéro
Les articles rassemblés dans ce numéro, rédigés par des chercheurs provenant des quatre coins de la francophonie et portant sur des pays (Canada, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Sénégal, Papouasie–Nouvelle-Guinée, îles Fidji) et sur des épidémies diverses (COVID‑19, rougeole, VIH/sida, Ebola), se situent dans la lignée de ces travaux anthropologiques sur les épidémies et les pandémies. La plupart des articles ont été écrits par des chercheurs qui ont participé aux efforts de santé publique face aux épidémies qu’ils décrivent, ce qui montre que faire de la recherche sur les épidémies et les pandémies est souvent plus qu’une entreprise intellectuelle ; il s’agit également d’un engagement social et politique. Dans ce numéro, nous mettons l’accent sur ce qui constitue, de notre point de vue, la force de l’anthropologie, c’est-à-dire l’analyse des contextes locaux (sans pour autant négliger les facteurs globaux) dans lesquels les maladies infectieuses émergent et dans lesquels les effets des épidémies et des pandémies sont ressentis (Kleinman etal. 2008)
Dans le premier article, Laurence Monnais, historienne de la médecine, retrace l’histoire d’une pandémie « silencieuse » causée par une maladie évitable par la vaccination, soit la pandémie de rougeole survenue à la fin des années 1980. Pandémie silencieuse, comme le note l’auteure, car malgré les milliers de cas d’infection et de décès, et en dépit des programmes de vaccination qui avaient été instaurés pour prévenir cette maladie depuis plusieurs années, cette pandémie n’a été l’objet que de peu de discussions et n’a laissé que peu de traces dans les imaginaires collectifs. L’article de Monnais souligne les défis que pose la prévention par la vaccination d’une des maladies les plus contagieuses connues à ce jour, qui exige des taux de vaccination de plus de 95 % de la population pour créer une immunité collective, défi qui est d’autant plus grand que deux doses sont requises pour une couverture vaccinale complète. Monnais rappelle aussi que, bien que le nombre et l’étendue des cas de rougeole répertoriés correspondent en tout point aux critères utilisés aujourd’hui pour décréter une pandémie, jamais ce concept n’a été utilisé pour parler de la rougeole à l’époque. En effet, il faut attendre le SRAS en 2005 et surtout la grippe H1N1 en 2009 et 2010 pour que les autorités mondiales de santé publique utilisent le concept de pandémie et le mettent au coeur des stratégies de réponse à des risques infectieux à potentiel épidémique puis en définissent des balises précises. En retraçant l’histoire de cette pandémie « discrète » à partir d’une analyse des statistiques et des documents de l’OMS ainsi que de la littérature grise, l’article de Monnais montre que la pandémie de rougeole est davantage qu’un risque biologique ; elle est un « fait social total », soit le produit de facteurs politiques, économiques, socioculturels et scientifiques à l’échelle nationale et internationale. Laurence Monnais montre également que les programmes internationaux « verticaux » qui visent à éliminer des maladies évitables par la vaccination, bien que basés sur une volonté noble de diminuer les souffrances et les décès évitables, contribuent à creuser des inégalités sociales et de santé (par exemple, dans les sociétés occidentales, en stigmatisant certaines communautés [religieuses, migrantes, minoritaires] en leur imputant des « barrières culturelles à la vaccination » sans remettre en question les obstacles systémiques qu’elles rencontrent dans leur accès aux soins ou à l’échelle mondiale, lorsque d’autres crises [catastrophes naturelles, guerres, famines, etc.] freinent pour certains l’accès aux vaccins). En s’attardant à la pandémie de rougeole et aux programmes d’élimination de cette maladie, l’article de Monnais rappelle que les approches technicistes et biomédicales des programmes verticaux de vaccination demeurent des « solutions simples » à des enjeux syndémiques beaucoup plus complexes et qu’ils ne peuvent en eux-mêmes contribuer à améliorer durablement et équitablement la santé.
Le deuxième article, par Ève Dubé et ses collaborateurs, s’appuie sur une vingtaine d’entretiens menés en ligne à l’automne 2020 afin d’explorer les perceptions de la vaccination contre la COVID‑19 dans les communautés inuit du Nunavik. Alors que très peu de cas de la maladie avaient été enregistrés à ce moment au Nunavik et que ces communautés avaient été priorisées pour recevoir le vaccin du fait de leur éloignement des grands centres hospitaliers et des risques accrus en cas d’éclosion, l’article met en lumière les doutes et craintes exprimés dans ces communautés. Au-delà des préoccupations quant aux craintes possibles concernant la sécurité d’un nouveau vaccin et des inquiétudes au sujet de son efficacité, l’article illustre comment les facteurs organisationnels et historiques influencent la réticence à l’égard d’un nouveau vaccin. Loin de refléter un manque de connaissance ou d’information — voire de l’irrationalité —, Dubé et ses collaborateurs rappellent que le refus de la vaccination peut être une conséquence prévisible des relations de pouvoir, de privilège et de disparités entre les peuples autochtones et non autochtones dans un contexte postcolonial. En effet, les politiques abusives passées des gouvernements, que l’on pense aux écoles résidentielles, mais également à la stérilisation forcée des femmes ou aux traitements forcés contre la tuberculose dans des sanatoriums du Sud, d’où plusieurs ne sont jamais sortis vivants, expliquent en grande partie la méfiance des Inuit envers les politiques sanitaires actuelles de l’État.
Le troisième article, écrit par Michèle Cros et Benjamin Frerot, porte sur l’épidémie d’Ebola ayant touché l’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Cette épidémie est abordée à travers le récit graphique qu’en fait le Burkinabé Diniaté Pooda, planteur de cacao en Côte d’Ivoire, à la frontière avec la Guinée qui a été fortement frappée par l’épidémie, et proche collaborateur de Cros, et dont l’un des dessins figure sur la couverture de ce numéro d’Anthropologie et Sociétés. Le récit de Diniaté Pooda dépeint des chauves-souris contaminées après avoir consommé des noix de palmiers à huile qui auraient été empoisonnées à dessein, puis des hommes qui abattent ces animaux, qui les mangent et qui ne tardent pas à être à leur tour contaminés et à mourir. Comme le soulignent les auteurs, au-delà de la rumeur ou de la théorie du complot, l’histoire graphique de Diniaté Pooda illustre la réinterprétation des messages sanitaires sur Ebola qui ont abondamment circulé dans la région à l’époque. Lorsqu’il commente sa « nouvelle graphique » retraçant l’origine d’Ebola, Diniaté Pooda parle abondamment des relations conflictuelles entre la Guinée et son ancien colonisateur, la France, et des Blancs qui cherchent à étendre leurs cultures au détriment des populations locales. Il ne reste qu’un pas à franchir pour une théorie de l’empoisonnement des noix de palmiers à huile et du désir des étrangers d’éliminer les populations africaines. Comme le notent les auteurs, ce type de discours n’est pas la preuve d’une incapacité des populations à comprendre l’épidémie d’Ebola et d’y répondre, ainsi que l’ont parfois interprété les acteurs investis dans la lutte contre la maladie, mais une véritable critique politique et écologique postcoloniale dans un contexte bien réel d’exploitation de la nature en Afrique médiée par des intérêts étrangers. À partir des dessins de Diniaté Pooda, Cros et Frerot portent leur regard plus loin et interrogent l’impact des perturbations environnementales et du changement d’utilisation des terres sur les risques d’émergence des maladies infectieuses, et particulièrement des zoonoses.
Firmin Kra et ses collaborateurs écrivent également au sujet de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, mais adoptent un angle d’analyse radicalement différent : celui de la communication des mesures préventives par les gouvernements et de l’influence des logiques et enjeux politiques sur celle-ci. En s’appuyant sur le cas de la Côte d’Ivoire, les auteurs examinent plus particulièrement les pratiques de communication des acteurs politiques autour de deux mesures préventives : l’interdiction de consommation de viande de brousse et l’interdiction des pratiques d’inhumation traditionnelles. Alors que le risque de contracter la maladie à virus Ebola en mangeant de la viande de brousse est bien moindre que celui lié à la manipulation des corps des défunts infectés, les auteurs montrent que l’essentiel des communications préventives du gouvernement de Côte d’Ivoire a porté sur l’interdiction de la viande de brousse, celui-ci ayant même été jusqu’à adopter une approche répressive en sanctionnant tous ceux et celles soupçonnés de chasse, de commercialisation et de consommation de viande de brousse, alors que le risque lié aux pratiques funéraires fut complètement tu. Selon les auteurs, pour comprendre ce choix, il faut prendre en considération le contexte social et politique de la Côte d’Ivoire à cette époque. Au moment où le risque d’Ebola arrive aux portes de la Côte d’Ivoire, le pays se relève d’une crise politique qui a fortement divisé la population. Le gouvernement au pouvoir (celui d’Alassane Ouattara) est alors dans une situation de faible légitimité et de grande fragilité. La mise en oeuvre des recommandations de l’OMS pour gérer une potentielle crise d’Ebola nécessite des précautions politiques pour ne pas ajouter de frustrations aux facteurs de fragilités structurels et conjoncturels qui minent déjà le rapport entre l’État et la société. Dans ce contexte, interdire les rituels funéraires — qui expriment la compassion et la solidarité, qui sont pleinement intégrés aux normes sociales ivoiriennes et qui, s’ils ne sont pas réalisés ou le sont partiellement, peuvent perturber la tranquillité et la dignité du mort, mais aussi l’avenir et la sérénité des vivants — est jugé trop risqué, alors que légiférer et « lutter contre le braconnage » permet à l’État de montrer sa volonté de lutter contre le risque épidémique et de consolider son autorité en contrôlant d’éventuelles conséquences politiques immédiates. Kra et ses collaborateurs illustrent ainsi la difficulté, pour les États, à articuler exigences sanitaires et impératifs sociopolitiques et culturels.
L’article de Khoudia Sow, le cinquième de ce numéro, traite lui aussi de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest et présente, plus spécifiquement, les résultats d’une étude ethnographique menée en temps réel auprès de soignants ayant été en contact avec un patient atteint de la maladie au Sénégal. L’article témoigne de l’itinéraire thérapeutique du patient, des modalités de sa prise en charge et du vécu de la période de surveillance des soignants ayant été en contact avec ce patient. Au-delà de la panique et de la stigmatisation qu’ont vécues ces soignants durant leur période de confinement, l’article de Sow met en lumière les facteurs structurels qui contribuent à une vulnérabilité accrue face aux risques infectieux d’acteurs non professionnels qui sont les premiers responsables des soins aux malades dans le système de santé sénégalais. Les propos témoignent des « carrières d’invisibilité sociale » de soignants qui agissent à titre de « contractuels », « bénévoles » ou « stagiaires », mais dont le rôle demeure essentiel au bon fonctionnement du système de soins. Ces soignants, majoritairement des femmes, peu rémunérés et ayant des compétences variables, assurent malgré tout la plupart des soins de santé de base. À travers la crise sanitaire causée par le virus Ebola, les nombreuses vulnérabilités de ces soignants invisibles sont exposées : manque de reconnaissance, manque de formation, manque d’équipement de protection individuelle, mauvaises conditions de travail, précarité, absence de soutien financier en cas d’absence du travail, etc. Comme le souligne Sow, les enjeux soulevés en lien avec cet épisode de maladie à virus Ebola s’appliquent à la gestion d’autres épidémies. En effet, le rôle des agents de santé communautaire dans les systèmes de santé, qui s’est développé en Afrique subsaharienne à partir de la fin des années 1970, s’est élargi et institutionnalisé avec le soutien des politiques et du financement des agences de santé internationales. L’étude ethnographique de Sow illustre les enjeux particuliers que pose la gestion des risques infectieux par ces soignants de première ligne qui, en raison d’un manque de reconnaissance et de valorisation, sont forcément plus méfiants envers les consignes et les recommandations des autorités de santé. En somme, à travers le récit d’une crise sanitaire qui rend visible le travail invisible de ces soignants, Sow rappelle que pour une gestion efficiente des maladies infectieuses à portée épidémique, il est impératif d’agir sur les facteurs de vulnérabilités structurelles en facilitant « la reconnaissance, la valorisation et la formalisation du statut de ces soignants ».
Les deux articles qui suivent portent sur le VIH/sida en Océanie, une région à laquelle on n’associe pas d’instinct la maladie. L’article d’Holly Wardlow s’intéresse à la « féminisation du VIH/sida » en Papouasie–Nouvelle-Guinée, plus particulièrement dans la région de Tari, où l’anthropologue mène des travaux ethnographiques depuis plus de deux décennies. En s’inspirant des théories féministes et en s’appuyant sur trois études de cas, Wardlow montre que le VIH/sida est « féminisé » de multiples manières — c’est-à-dire qu’il a des conséquences et des implications particulières pour les femmes — en Papouasie–Nouvelle-Guinée. Les données présentées par l’auteure montrent d’abord la vulnérabilité des femmes, notamment leur vulnérabilité structurelle à l’infection dans le contexte de l’extraction des ressources minières, où elles sont souvent utilisées par leur parentèle pour forger des liens, par le biais du mariage, avec les propriétaires fonciers qui reçoivent des redevances des compagnies minières, bien que ces femmes ne connaissent souvent pas ces hommes et qu’elles ne désirent pas toujours ces unions. Elles montrent ensuite que le VIH peut être féminisé par le biais de stratégies de sensibilisation visant à accroître les connaissances des individus sur la transmission de la maladie. Comme le note l’auteure, les stratégies de sensibilisation ne sont pas socialement neutres et peuvent suggérer sur le plan discursif, comme c’est le cas par exemple en Papouasie–Nouvelle-Guinée, que les femmes sont plus susceptibles de transmettre le VIH que les hommes. Les données présentées par Wardlow suggèrent finalement que le VIH peut être féminisé après le diagnostic, à travers les façons dont s’exprime la stigmatisation. Contrairement aux hommes, qui sont la plupart du temps propriétaire de la terre et de la maison où ils vivent, les femmes sont souvent dépendantes des autres pour le logement et les soins en Papouasie–Nouvelle-Guinée. Les femmes atteintes du VIH, lorsqu’elles ne sont pas rejetées par leur famille, se sentent donc souvent obligées, après leur diagnostic, de prouver aux autres, par différents moyens (par exemple par une préoccupation exagérée pour l’hygiène ou en effectuant autant de travaux domestiques que leur santé le leur permet afin de démontrer à la fois leur « vertu » et leur valeur économique pour le foyer), qu’elles sont des personnes morales, à qui on peut faire confiance et qui ne mettraient pas en danger ceux qui ont accepté de les accueillir et de les héberger. Wardlow fait valoir un argument important à travers ses trois études de cas : que le genre, en tant que concept analytique, doit être considéré comme l’une des dimensions des épidémies à tous leurs stades — de la vulnérabilité à la maladie aux interventions, jusqu’aux traitements et aux soins.
Fabienne Labbé traite également du VIH/sida dans son article, mais cette fois-ci aux îles Fidji et sous l’angle de la stigmatisation que l’infection suscite. L’auteure apporte un point de précision dès le début de son texte : l’utilisation du concept d’épidémie pour parler du VIH aux îles Fidji est inappropriée d’un point de vue épidémiologique. Cependant, le terme est passé dans le vocabulaire d’usage local, et plutôt que de parler du « VIH » ou du « sida », la population parle communément de « l’épidémie de VIH/sida ». En s’appuyant sur les récits de vie de 28 Fidjiens autochtones (i Taukei) vivant avec l’infection avec qui elle a eu l’occasion d’échanger sur une période de cinq ans, Labbé étudie ce que les personnes atteintes du VIH disent considérer comme le plus difficile au sujet de leur condition, c’est-à-dire la stigmatisation qui lui est associée. Cette stigmatisation, liée aux discours qui associent le VIH à la déviance et à l’immoralité, ne touche toutefois pas seulement la personne séropositive elle-même, mais s’étend aussi à ses différents groupes d’appartenance et particulièrement à sa famille, à son lignage et à son clan. Confrontées au fait d’être considérées par les autres comme des personnes de moindre valeur et d’avoir entaché la réputation de leurs familles, les personnes séropositives d’origine autochtone disent communément se sentir māduā, un terme polysémique que Labbé analyse et qui peut être traduit dans le contexte comme étant la honte. L’auteure montre ainsi que la stigmatisation associée au VIH aux Fidji est une expérience fondamentalement morale, émotionnelle et intersubjective. Face aux attitudes stigmatisantes dont elles sont l’objet, les personnes atteintes du VIH ne sont toutefois pas passives ; elles mettent en oeuvre différentes stratégies pour gérer la stigmatisation et le sentiment de honte que celle-ci génère, à la fois pour elles et pour leurs proches (par exemple, conserver leur condition secrète, se distancier de l’image d’immoralité associée au VIH en se convertissant au pentecôtisme ou encore résister à la stigmatisation en adhérant à un groupe de soutien pour personnes séropositives et en devenant militants pour la cause). À travers ses analyses, Labbé nous rappelle que la stigmatisation est une dimension fondamentale du vécu des épidémies et des pandémies. Elle nous invite également à faire davantage de place à la prise en compte des émotions dans l’étude de l’expérience des épidémies et pandémies.
Le numéro se termine finalement par un entretien réalisé par Ève Dubé et Fabienne Labbé avec Gilles Bibeau, professeur émérite au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, sur ses travaux portant sur les épidémies et les pandémies. Bibeau, dont la contribution à l’anthropologie est exceptionnelle, retrace comment et pourquoi il s’est intéressé aux maladies infectieuses, alors qu’il rêvait de devenir médecin et missionnaire en Afrique, avant de faire des études en théologie puis un doctorat en anthropologie médicale. À partir d’une approche historique des grandes périodes épidémiques liées à ce qu’il appelle des « ruptures pathocéniques », il rappelle comment la diffusion des virus — de la peste au SARS‑CoV‑2 — ne peut se comprendre qu’en les situant dans leur contexte social, culturel et environnemental plus large. Dans cet entretien, Bibeau aborde autant ses travaux sur la maladie à virus Ebola et le VIH/sida que les réflexions que lui suscite la crise actuelle de la COVID‑19.
Les articles de ce numéro apportent donc des éléments de réponses aux questions suivantes :
Comment les individus et les communautés font-ils sens des épidémies et des pandémies et comment interprètent-ils les messages sanitaires à leur sujet ?
Quelles sont les dynamiques qui facilitent la propagation des épidémies et des pandémies contemporaines ? Quelles sont les syndémies à l’oeuvre ?
Quels sont les impacts des mesures mises en place pour prévenir et contrôler les épidémies et les pandémies sur la vie des individus et des communautés ?
Comment les malades et les soignants font-ils l’expérience des épidémies et des pandémies ?
En somme, les articles contenus dans ce numéro d’Anthropologie et Sociétés montrent que les épidémies et les pandémies sont le reflet de nos sociétés ; les crises sanitaires exposent et renforcent les inégalités sociales et de santé existantes et rappellent comment des facteurs structuraux (sociaux, politiques, économiques et historiques) influent non seulement sur la répartition des maladies infectieuses, mais aussi sur les représentations et comportements des individus. En plus d’offrir un recul critique face aux interventions de la santé publique en réponse aux crises sanitaires, les articles de ce numéro illustrent comment les conditions de la mise en oeuvre de ces politiques et programmes influent sur leur capacité à prévenir, à contenir et à récupérer des épidémies. Ils laissent également voir que les interventions de santé publique qui reconnaissent les modèles culturels locaux ainsi que les inégalités sociales sont plus susceptibles de renforcer la confiance, de promouvoir la participation communautaire au contrôle des maladies épidémiques et de fournir des soins appropriés dans ces contextes de crise.
Parties annexes
Notes
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[1]
Notons que différentes mesures telles que la quarantaine, les cordons sanitaires, les protections individuelles ou le confinement des personnes malades ont été implantées en Europe et en Asie dès le Moyen-Âge afin de contrôler la propagation de différentes maladies infectieuses, notamment la peste et la lèpre (Fournier 2003). Le caractère inédit de ces mesures dans le contexte de la COVID‑19 réside dans leur implantation dans la quasi-totalité des pays à travers le monde dans une même fenêtre temporelle.
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[2]
Toutes les citations dans ce texte sont librement traduites de l’anglais.
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