Éthique et environnement

Pour une éthique de l’environnement urbain. Prolégomènes[Notice]

  • Thierry Paquot

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  • Thierry Paquot
    Institut d’urbanisme de Paris-UPEC

L’enseignement de philosophie au lycée en France dissociait la morale de l’action. La morale visait à doter l’adolescent d’une conscience capable de distinguer le bien du mal. Selon les courants de pensée enseignés et l’orientation spirituelle de l’enseignant, l’apprenti-philosophe pouvait aussi bien se référer à une stricte laïcité républicaine qu’à l’amour chrétien (forcément désintéressé) envers son prochain ou à tout autre principe moral. Les marxistes parlaient de justice de classe et les épicuriens rêvaient d’une ascèse joyeuse et libératrice… Dorénavant, la philosophie en classe de terminale s’attaque aux grands sujets dits de société, comme la liberté, l’État, la justice, la violence, la technique, la nature, etc., et ne sépare plus, du moins arbitrairement, morale et action. Au contraire ces deux domaines sont solidaires : comment agir sans la recherche d’objectifs qui transcendent les intérêts égoïstes du sujet ou comment adhérer à certaines valeurs sans les appliquer ? La préoccupation environnementale qui taraude tout à chacun exige de combiner éthique et praxis ou plus exactement d’inventer une éthique à la hauteur des défis environnementaux et des expérimentations qui prennent soin de l’environnement au nom d’une éthique spécifique. Je ne substitue pas ici le terme d’éthique à celui de morale au nom d’une quelconque mode langagière. Ce glissement notionnel résulte d’une volonté de mettre en avant l’individu, comme sujet agissant et pensant, doué d’une éthique (qu’il ne cesse de construire et de reconstruire eu égard aux transformations du monde) et non pas le membre plus ou moins passif d’une société qui, elle, est régit par une morale, cette « science des moeurs ». Longtemps interchangeables dans le langage ordinaire ces deux mots ne le sont plus et chacun exprime un sens bien particulier. L’éthique concerne ce qui appartient en propre à un individu, les devoirs qui lui incombent selon les valeurs qu’il souhaite promouvoir et défendre, d’où l’idée d’éthique personnelle, médicale ou sportive. C’est aussi, et depuis peu, la reconnaissance de devoirs éthiques qui ne mobilisent pas seulement un sujet humain mais tout étant appartenant au vivant. Certes, une plante ou un papillon ne sont pas des sujets, mais ce ne sont pas non plus des objets. Ils ont des droits et nous avons, nous humains, des devoirs envers eux. La philosophie en devenant écosophie doit rompre avec l’anthropocentrisme qu’elle a toujours favorisé et reconnaître que le monde non humain relève de considération morale : l’écosophie vise au biocentrisme. Pour cela, elle ne peut se contenter de décalquer les concepts de la philosophie mais oeuvrer à en élaborer de nouveaux. L’éthique environnementale s’affiche dans de nombreuses revues, d’abord anglo-saxonnes, dans des colloques et diverses publications dès la fin des années soixante-dix, à la suite de la parution de l’ouvrage d’Hans Jonas, Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, en 1979 (traduction française en 1990). L’auteur nous invite à une frugalité alors inconnue ou inusitée et à respecter les générations futures en ne dégradant pas n’importe comment les biens communs dont elles hériteront, d’autant que certains ne sont pas renouvelables. Le rapport Brundtland, Our Common Future (1987) et les préconisations du « Sommet de la Terre » (Rio, 1992) vont dans le même sens : protéger la diversité, ne pas commettre d’injustice tant générationnelle que vis-à-vis des espèces et admettre une égalité de traitement entre le vivant et l’humain, même si leurs intentions divergent. Alors de nombreuses questions surgissent qui chahutent la raison, bien souvent encore considérée comme seul cadre référentiel pour une réponse logique du point de vue des seuls intérêts humains, au point où elle ne peut régir rationnellement. Car, l’éthique environnementale, dans ses nombreuses variantes, prend en …

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