Dossier : Vertus civiques et institutions démocratiques

Vertus civiques et institutions démocratiquesIntroduction[Notice]

  • Jérémie Duhamel et
  • Robert Sparling

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  • Jérémie Duhamel
    Centre de recherche en éthique, Université de Montréal

  • Robert Sparling
    Faculté des sciences sociales, Université d’Ottawa

Les théoricien(ne)s politiques s’entendent généralement sur l’idée que la qualité et la viabilité des institutions démocratiques dépendent du soutien des citoyen(ne)s. Pour que les dispositifs institutionnels s’accordent avec les exigences de légitimité qui orientent la démocratie, il apparaît nécessaire de compter sur une citoyenneté disposée à embrasser certaines aspirations collectives et à surveiller le travail accompli par ses représentant(e)s. La démocratie se révèle ainsi indissociable de certaines aptitudes, capacités et compétences civiques qui s’exercent dans les différentes sphères de la vie commune. L’exercice du vote, la défense et le respect des droits, la vigilance des pouvoirs et la participation à la délibération commune ne sont que quelques exemples de pratiques individuelles et collectives constitutives de la démocratie supposant des façons de réfléchir et d’agir spécifiques, et dont le développement ne peut être laissé au hasard. Pour rendre compte de ces aspects de la personnalité civique des individus, la philosophie politique a principalement eu recours, tout au long de son histoire, au terme de vertu. Depuis les travaux pionniers de Hans Baron et les synthèses historiques proposées par John G. A. Pocock et Quentin Skinner, par exemple, on a coutume d’associer le lexique de la vertu civique à la tradition républicaine. Qu’elles soient d’inspiration grecque ou romaine, les variantes du républicanisme ont en commun d’accorder une importance cruciale à la participation directe ou indirecte des citoyen(ne)s aux affaires politiques. Dans la perspective répubblicaine, la diffusion de la vertu civique exprime, en même temps qu’elle rend possible, la vitalité de la cité devant les risques de corruption des moeurs et des lois. Au cours des dernières décennies, différentes contributions historiographiques ont permis de montrer le caractère structurant du langage de la vertu dans l’histoire des idées politiques et morales anciennes et modernes, et cela, au-delà du giron proprement républicain. Le langage multiséculaire de la vertu fait aujourd’hui l’objet d’une méfiance sans précédent. Pilier d’une culture politique aux accents réactionnaires, paternalistes, ethnocentriques ou élitistes, ce langage s’inscrirait en faux avec l’orientation pluraliste des sociétés démocratiques contemporaines. La référence à la vertu est devenue à ce point embarrassante que ceux-là mêmes qui se réclament de la tradition républicaine hésitent à recourir à cette notion surannée. Ainsi, dans son ouvrage phare consacré au républicanisme, Philip Pettit privilégie plutôt le terme de « civilité », une référence qui paraît plus en accord avec l’esprit du temps. À n’en pas douter, l’éclipse de la vertu est l’un des symptômes les plus éloquents des métamorphoses de notre langage politique savant et ordinaire. Il importe toutefois de ne pas surestimer cette différence lexicale : le fait de ne plus utiliser la notion de vertu ne signifie pas la fin de l’intérêt porté à la question des moeurs et des manières d’être qui soutiennent et accompagnent l’expérience démocratique. De fait, alors qu’elles rejettent le langage de la vertu, la plupart des théories politiques contemporaines souscrivent à l’exigence relative à l’interdépendance des dispositifs institutionnels et des dispositions civiques. S’il existe un consensus implicite à cet égard, la manière dont il convient de penser le développement de ces aptitudes et capacités civiques dans un contexte caractérisé par le fait du pluralisme fait l’objet d’un désaccord persistant. Prendre au sérieux ce désaccord permet de jeter un nouvel éclairage non seulement sur la manière dont on a coutume de distinguer les différentes configurations théoriques (l’opposition paradigmatique entre libéralisme et républicanisme, par exemple), mais aussi sur les nouvelles lignes de fracture autour desquelles gravitent les discussions qui se déploient à l’intérieur de chacune d’elles. Comment penser les modalités de formation de ces « vertus » pour qu’elles puissent soutenir les institutions de la justice sans …

Parties annexes