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Le spécisme est une notion clé en éthique animale. Proposée par Richard Ryder au début des années 1970, elle a été popularisée par le philosophe Peter Singer grâce à la publication de son ouvrage La libération animale. Singer y définit le spécisme comme « un préjugé ou une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce et à l’encontre des intérêts des membres des autres espèces » (1993 [1975], p. 36). Depuis, le terme apparaît dans un nombre croissant de publications où il est utilisé pour qualifier certaines relations interspécifiques ou pour préciser la nature de fautes morales ou d’injustices commises à l’endroit d’individus en fonction de leur espèce.
Le spécisme a reçu un degré d’attention rarement accordé aux concepts philosophiques. En plus de faire l’objet d’échanges animés entre les chercheur·e·s en philosophie morale et dans le domaine des études animales critiques, il s’est invité dans plusieurs disciplines, telles que la criminologie (Beirne, 1999 ; Cazaux, 1999), la psychologie (Dhont et al., 2016; Caviola et al., 2019), la sociologie (Cudworth, 2011; Peggs, 2012), la géographie humaine (Gillespie et Collard, 2015; Springer et al., 2022) et la littérature (Cornwell, 2008 ; Smith, 2017). Décrié par les activistes du mouvement de défense des animaux[1] et discuté par les journalistes s’intéressant de plus en plus à la manière dont nous traitons les autres animaux, le phénomène est désormais un véritable enjeu de société.
Les antispécistes font remarquer que l’espèce, comme les autres caractéristiques biologiques d’un individu (la couleur de sa peau ou la classification de ses organes reproducteurs comme mâles ou femelles), n’a pas en soi la pertinence nécessaire pour justifier qu’on accorde à ses intérêts plus ou moins de considération morale qu’aux intérêts semblables d’autres individus (Singer, 1993 [1975]; Rachels, 1990). Selon eleux, le critère de l’espèce ne peut fonder la croyance en la supériorité morale des êtres humains par rapport aux animaux non humains ni les pratiques reposant sur une telle idéologie.
La plupart des philosophes reconnaissent qu’il serait illégitime de hiérarchiser moralement les individus sur la seule base de leur espèce. C’est pourquoi celeux qui cherchent à justifier l’anthropocentrisme[2] et l’exploitation d’animaux à des fins humaines se tournent généralement vers d’autres différences, réelles ou imaginaires[3], entre l’humanité et le reste du monde animal. Historiquement, il a été affirmé que les êtres humains sont exceptionnels en ce qu’eux seuls ont été créés à l’image de Dieu (Augustin, 1969 [397-401]). On a aussi soutenu que la possession d’une âme rationnelle est ce qui distingue essentiellement les membres de l’humanité du reste de la création et fait en sorte qu’ils occupent un rang moral privilégié (Descartes, 2016 [1637]). Aujourd’hui, ce sont principalement des attributs cognitifs associés à la notion philosophique de personne, tels qu’un type particulier d’intelligence ou de rationalité, l’aptitude à mobiliser les concepts nécessaires à la délibération morale, ou encore l’autonomie rationnelle (Kant, 1994 [1785]; Cohen, 1986; Kagan, 2019), qui sont invoqués pour contester la thèse de l’égalité animale. Les êtres humains posséderaient ces capacités cognitives de manière exclusive (ou à un degré plus élevé que les animaux d’autres espèces), d’où leur statut moral supposément supérieur et la priorité accordée à leur vie et à leurs intérêts.
À cela, les antispécistes ont opposé l’argument dit « des cas marginaux » (Singer, 1974; Dombrowski, 1997; McMahan, 2005) : si le statut moral des individus dépendait de ce type d’aptitudes, certains êtres humains – comme les très jeunes enfants ou les personnes ayant perdu ou n’ayant jamais développé ces capacités – auraient un statut inférieur aux autres. Pour sauvegarder le principe de l’égalité morale de tous les êtres humains, il faudrait alors abaisser le seuil à partir duquel le niveau d’intelligence, la capacité à planifier pour l’avenir ou le degré d’agentivité morale est jugé suffisant pour qu’un individu soit admis dans la communauté morale regroupant les êtres considérés comme des égaux, en dignité et en droits. Or, un tel ajustement, conçu pour qu’aucun être humain ne soit exclu de cette communauté, aurait pour effet immédiat d’y inclure aussi des animaux non humains. En effet, quelle que soit la condition d’admission alors retenue, au moins certains êtres non humains la satisferaient. Cela signifie, concluent les antispécistes, qu’il faut rejeter l’hypothèse initiale de la supériorité du statut moral des êtres humains par rapport à celui des autres animaux. Bref, aucun des principaux critères suggérés pour justifier la hiérarchie morale des individus ou l’inégale considération de leurs intérêts semblables ne semble suivre les frontières de l’espèce humaine. Favoriser les Homo sapiens par rapport aux animaux d’autres espèces relèverait d’une discrimination injuste et serait spéciste.
Ce sont donc des chercheur·e·s préoccupé·e·s par la manière dont nous nous représentons et dont nous traitons les animaux non humains qui ont, les premier·e·s, parlé de spécisme. Une fois forgé, le concept n'est cependant pas resté entre les mains des animalistes. Des chercheur·e·s ont construit divers raisonnements pour montrer que les membres de l’espèce humaine méritent plus de considération (de la part de leurs congénères, du moins) que les membres d’autres espèces, en s’efforçant de ne pas prêter flanc à l’objection des cas marginaux. Certain·e·s ont ainsi tenté de réfuter les accusations de spécisme en soutenant que plusieurs de nos jugements et de nos comportements à l’égard des animaux sont parfaitement justifiés. Privilégiant une conception strictement descriptive[4] du spécisme, d’autres ont cherché à le défendre plutôt qu’à s’en défendre. Iels se sont attaché·e·s à montrer que, puisque les êtres humains et leurs intérêts sont d’une plus grande importance morale que les autres animaux et leurs intérêts comparables, certaines instances de spécisme sont justifiées, voire moralement obligatoires. Le statut déontique de nos comportements envers les animaux non humains fait ainsi l’objet de désaccords substantiels. De surcroît, la façon dont le spécisme est conceptualisé suscite de vives oppositions, même entre celeux qui ne contestent pas forcément son caractère injuste.
Aux yeux des animalistes, le simple fait de nommer certains des nombreux torts causés aux animaux offrait l’avantage de rendre ces torts plus visibles et d’en faciliter la critique. Privilégier un terme évoquant le racisme et le sexisme permettait en outre de donner, par association, une idée intuitive de l’ontologie et la moralité du phénomène :
Les racistes violent le principe d’égalité en donnant un plus grand poids aux intérêts des membres de leur propre race quand un conflit existe entre ces intérêts et ceux de membres d’une autre race. Les sexistes violent le principe d’égalité en privilégiant les intérêts des membres de leur propre sexe. De façon similaire, les spécistes permettent aux intérêts des membres de leur propre espèce de prévaloir sur des intérêts supérieurs de membres d’autres espèces. Le schéma est le même dans chaque cas.
Singer, 1993 [1975], p. 39
L’analogie avec le racisme et le sexisme est assumée et même revendiquée par celeux qui se soucient du sort que nous réservons aux animaux non humains.
Leur analyse de la condition animale a même conduit certain·e·s chercheur·e·s à insister sur les liens historiques, sociologiques, juridiques, structurels, matériels, idéologiques, discursifs et psychologiques entre l’exploitation animale actuelle et certaines injustices dont des groupes humains ont été historiquement victimes et dont ils souffrent encore aujourd’hui (Patterson, 2008 [2002]; Davis, 2005; Francione et Charlton, 2015; Burgat, 2018; Giroux, 2020a). Pour faire ressortir le caractère moralement insoutenable de certaines de nos pratiques impliquant des animaux, les activistes animalistes ont à leur tour comparé l’élevage industriel ou l’expérimentation animale à l’esclavage humain et à la Shoah, notamment[5]. Ces rapprochements ont été faits dans le but de nous inciter à prendre conscience de nos préjugés à l’égard des animaux d’autres espèces, des dispositions affectives d’indifférence, de mépris ou d’hostilité que nous avons parfois envers eux et, par-dessus tout, des traitements discriminatoires et souvent hautement cruels que nous leur réservons.
Parfois faites avec maladresse, ces analogies ont suscité inquiétude et indignation. On a sévèrement critiqué les références consistant à assimiler les personnes de couleur aux animaux non humains et rappelé le rôle de premier plan que ce genre d’association a joué dans les processus de déshumanisation et d’animalisation ayant servi et servant toujours à cautionner la violence contre les groupes racisés et leur oppression (Harper, 2010; Kim, 2015; Ko et Ko, 2017). De même, des théoricien·ne·s du handicap se sont vivement opposé·e·s au recours à l’argument des cas marginaux et ont fustigé ce qui leur semblait représenter une forme d’instrumentalisation d’êtres vulnérables dont l’humanité n’est toujours pas pleinement reconnue (Kittay, 2009; Carlson, 2010). Aujourd’hui, les chercheur·e·s en éthique animale ou en études animales font souvent preuve de prudence ou de méfiance à l’égard de telles analogies. Certain·e·s les critiquent ou s’y opposent explicitement.
Néanmoins, la plupart de celeux qui s’intéressent au spécisme ne renoncent pas tout à fait à examiner la relation que le phénomène entretient avec le racisme, le sexisme, le capacitisme et les autres notions centrales aux enjeux de justice interhumaine. Iels développent plutôt des manières sophistiquées, originales et constructives de puiser dans les connaissances entourant des phénomènes déjà bien étudiés pour éclairer notre compréhension d’un phénomène encore peu analysé (Harris, 2009; Deckha, 2017; Ko et Ko, 2017; Taylor, 2019). Ces auteur·rice·s examinent moins les similarités entre le spécisme, d’une part, et le racisme, le sexisme ou le capacitisme, d’autre part, que les racines communes à tous ces phénomènes. Suivant les écoféministes antispécistes qui ont avancé la thèse des oppressions liées et de la convergence des luttes (Adams et Gruen, 2014; Wyckoff, 2015; Bailey, ce dossier), iels mènent leurs réflexions d’une perspective intersectionnelle et cherchent des manières solidaires et constructives de comprendre les relations qu’entretiennent les différentes injustices et les divers éléments qui les causent ou les composent (Donaldson et Kymlicka, 2014; Kymlicka, 2018).
La place que la perspective intersectionnelle issue du féminisme noir (Crenshaw, 1989; 1991) a prise ces dernières années dans les sciences humaines et sociales incite à un repositionnement face aux analyses croisées. Cette approche nous met en garde à la fois contre les comparaisons simplistes qui négligent les spécificités des phénomènes et celles des contextes dans lesquels ils se produisent, et contre notre propension à minimiser la diversité au sein des groupes tout en exagérant ce qui les distingue entre eux. Elle rappelle l’importance de penser les injustices en tenant compte des chevauchements d’appartenance et des dynamiques qui relient différents systèmes d’oppression, et à ne laisser aucun groupe vulnérable dans l’ombre des luttes sociales les mieux établies. En cela, l’intersectionnalité offre un cadre permettant non seulement de tirer des enseignements précieux de l’étude des injustices interhumaines pour problématiser celles qui sont commises envers les animaux non humains, mais aussi, inversement, de repenser les injustices contre certains groupes humains à partir de l’analyse de celles que subissent les animaux d’autres espèces. Prenons l’exemple de la tendance à insister, dans les luttes antiracistes, antisexistes et anticapacitistes, sur l’humanité commune aux hommes adultes blancs dont le corps et l’esprit sont socialement considérés comme la norme, et aux membres de groupes opprimés ou marginalisés. Il est fréquent que les acteur·rice·s oeuvrant au sein de ces mouvements de justice sociale affirment que les personnes racisées, les femmes et les personnes dont le profil cognitif est jugé atypique devraient être traitées avec respect puisque, après tout, elles sont « humaines » elles aussi (Bailey, ce numéro)! En plus de renforcer l’idée d’une profonde division entre l’espèce humaine et les autres espèces animales, cette stratégie contribue au maintien des conditions propices à la hiérarchie des individus au sein même de l’humanité – certains membres de l’espèce humaine possédant plus que d’autres les attributs invoqués au soutien de l’exceptionnalisme humain. Des échanges avec des antispécistes pourraient les amener à abandonner cet argument, qui est dommageable pour les groupes humains qu’iels cherchent justement à défendre autant que pour les animaux non humains (Kymlicka, 2018). De plus, l’approche intersectionnelle pourrait motiver les philosophes critiques de la race, les féministes, les théoricien·ne·s du handicap et, plus largement, les chercheur·se·s travaillant sur la discrimination, l’oppression, la domination, etc., à raffiner leurs conceptions du racisme, du sexisme ou du capacitisme en tenant compte de ce que l’étude des rapports humains-animaux révèle (Mills, 2019, ou encore Stoljar et Bailey, dans ce numéro). Enfin, la grille d’analyse intersectionnelle engage une réflexion critique sur elle-même, à la lumière des enjeux soulevés par la question animale (Deckha, 2008; 2017).
C’est dans l’esprit de cette approche exigeante et féconde, caractérisée par l’analyse croisée, que s’inscrivait le colloque « Spécisme et autres discriminations »[6], organisé par le Centre de recherche en éthique (CRÉ) et le Groupe de recherche en éthique environnementale et animale (GRÉEA) et tenu en août 2021. Les enregistrements des présentations livrées à cette occasion sont disponibles en accès libre sur Radio-CRÉ[7], alors que le texte d’une des interventions (celle d’Agnes Trzak) l’est sur le site web du CRÉ[8]. Le présent dossier fait suite à cet événement et vise, comme lui, à enrichir le travail conceptuel consacré aux liens entre le spécisme et les injustices interhumaines, travail qui, pense-t-on, a pour effet d’encourager la solidarité entre les luttes de justice sociale et de contribuer à leur efficacité. Ce dossier réunit cinq articles. Les textes de Christiane Bailey, Luc Faucher et Natalie Stoljar ont été présentés par leur auteur·rice lors du colloque de 2021, tandis que ceux de Frauke Albersmeier et Félix Saint-Germain ont été écrits spécialement pour ce dossier. Nous vous les présentons brièvement.
Le premier article s’intitule « Sans émotion : comment l’approche émotionnelle du racisme éclaire le spécisme ordinaire ». Dans ce texte, Luc Faucher met son expertise sur le statut métaphysique de « race » et sur les questions morales qui entourent les phénomènes raciaux au service de l’enquête portant sur la meilleure manière de conceptualiser le spécisme. Sa thèse est que les approches agentielles, qui sont privilégiées dans la littérature philosophique consacrée au racisme, ne sont pas les plus adéquates pour penser correctement le « spécisme ordinaire ». Selon lui, même les approches doxastiques, qui ne réduisent pas le racisme à des attitudes affectives, à des émotions ou à des volitions et se fondent plutôt sur les croyances des agents, si elles étaient appliquées au spécisme, ne suffiraient pas à rendre compte de la vaste majorité des injustices envers les animaux non humains. Pour y parvenir, il vaudrait mieux faire appel à une approche non agentielle, selon laquelle le spécisme serait une idéologie (Mills, 2003; Shelby, 2016), voire une « institution cognitive » qui maintient et reproduit l’oppression des animaux en modelant le paysage d’affordances des individus (Maiese, 2022). Si les limites des approches strictement agentielles ressortent clairement lorsqu’il s’agit de comprendre le spécisme, Faucher pense qu’elles affectent également nos analyses du racisme, qui auraient également avantage à être faites d’une perspective pluraliste s’intéressant également aux dimensions structurelles, systémiques ou institutionnelles du phénomène. Prendre en considération la nature idéologique du spécisme et du racisme (où l’idéologie est entendue dans un sens large incluant « non seulement des croyances, mais aussi des phénomènes non-cognitifs, subpersonnels et même corporels et environnementaux » [Faucher, p. 85, où il se réfère à la conception de Sally Haslanger, 2017a]), peut guider les luttes libératrices en orientant les actes de résistance vers la démonstration que la subordination de certains groupes n’est pas naturelle et que les choses pourraient être autrement.
Faucher part donc de l’observation que le spécisme ordinaire n’est généralement pas motivé par du mépris, de l’hostilité ou du dégoût et plonge plutôt ses racines dans l’idéologie du suprématisme humain, c’est-à-dire dans une catégorisation des animaux non humains comme des êtres inférieurs, qui influence nos perceptions et contribue à façonner nos pensées, nos émotions et nos pratiques. À son tour, Frauke Albersmeier s’intéresse au rôle des attitudes et des émotions des agents dans leurs rapports aux animaux non humains. Dans son article intitulé « Ambivalent speciesism », elle se penche sur un type précis de racisme et de sexisme, pour se demander si le spécisme a son équivalent. Elle rappelle que les états affectifs associés au racisme ou au sexisme ne sont pas toujours exclusivement négatifs et que ces injustices peuvent se présenter sous une forme ambivalente, incluant une dimension bienveillante (Glick et Fiske, 1996). Certes, le spécisme ne fait pas (encore) l’objet d’un opprobre social comparable au racisme et au sexisme. Il est néanmoins possible, remarque l’autrice, qu’avec le développement de notre sensibilité au sort des animaux, le spécisme se manifeste sous des expressions de plus en plus subtiles, notamment à travers des émotions et jugements positifs envers ces individus, ce qui facilite le maintien de leur subordination. Si le spécisme ouvertement hostile préoccupe les animalistes, Albersmeier les invite toutefois à rester attentif·ve·s aux allures bienveillantes qu’il pourrait se donner. Les stéréotypes positifs, rappelle-t-elle, peuvent aussi causer des torts. Dans le cas des animaux non humains, ils risqueraient d’entraîner de la négligence et des punitions injustifiées.
Remarquons qu’en soulevant une question à peu près inexplorée jusque-là, Albersmeier se place volontairement en porte-à-faux par rapport à la conception du spécisme comme discrimination, qu’elle a elle-même défendue (Horta et Albersmeier, 2020; Albersmeier, 2021) et qui semble être privilégiée par la plupart des chercheur.ses en éthique animale. En effet, envisager une version ambivalente du spécisme, comme le requiert peut-être l’objectif de concevoir le phénomène de manière analogue au racisme et au sexisme, pourrait exiger de le concevoir comme un ensemble de préjugés, plutôt que comme une forme de discrimination.
Dans son article intitulé « Oppression and non-human animals », Natalie Stoljar contribue également aux discussions portant sur l’ontologie du spécisme. Pour répondre à la question « Qu’est-ce que le spécisme ? », les chercheur·se·s tentent de situer le phénomène dans l’important réseau conceptuel développé pour penser les diverses injustices. Certain·e·s avancent qu’il s’agit bien d’un ensemble de préjugés ou d’une attitude de parti pris, comme l’indique la définition qu’en donne Peter Singer. D’autres soutiennent qu’il constitue plutôt un type de discrimination ayant la particularité de désavantager certains individus en raison de l’espèce qui leur est assignée (Horta, 2020; Giroux, 2020b, Horta et Albersmeier, 2020; Jaquet, 2024). D’autres, enfin, le conçoivent comme un type d’oppression dont les animaux non humains seraient victimes (Gruen, 2009; Wyckoff, 2015). C’est à cette dernière interprétation du spécisme comme l’oppression des (non) membres de certaines espèces animales que Stoljar s’intéresse. Dans le texte qu’elle nous propose, elle se demande plus précisément si les injustices subies par les autres animaux satisfont l’une ou l’autre des deux principales conceptions philosophiques de l’oppression. Son enquête l’amène à conclure que l’application de la conception par groupe social, développée par les philosophes féministes, s’applique difficilement aux animaux non humains, parce que ceux-ci ne formeraient pas des groupes sociaux tels que les tenant·e·s de cette approche les entendent. Selon l’autrice, la conception idéologique issue de l’analyse marxiste et de la théorie critique, selon laquelle l’oppression se perpétue de façon non coercitive, en opérant au sein de vastes réseaux culturels incluant des représentations, outils, schémas, scripts, associations qui guident nos actions et nos pratiques, pour façonner les esprits (Haslanger, 2017b; 2019), s’y prêterait mieux. Appliquer cette conception de l’oppression au spécisme (comme certains auteurs tels que Wyckoff [2015], ou Faucher [ce dossier] le font) exigerait cependant, observe Stoljar, de répondre aux objections formulées par Charles W. Mills (2019). Selon ce dernier, certaines dimensions de la conception idéologique de l’oppression ne se transposent pas aisément au contexte des animaux non humains. Il souligne notamment la nature profondément enracinée de l’idéologie spéciste, par comparaison aux idéologies oppressant des groupes humains; le façonnement de l’esprit des êtres humains opprimés, lequel ne trouverait pas d’équivalent chez les animaux subissant du spécisme; et la nécessité pour des êtres humains de jouer le rôle de porte-parole en faveur des animaux d’autres espèces, alors que les groupes humains victimes d’oppression sont en mesure de contester eux-mêmes leur subordination. Stoljar en conclut que cette conception idéologique de l’oppression pourrait s’avérer moins utile pour comprendre et combattre l’oppression des non humains que celle de groupes humains.
S’éloignant quelque peu des débats conceptuels, la contribution de Christiane Bailey est consacrée à la thèse des oppressions liées, telle que développée par les écoféministes antispécistes. Pour comprendre les relations complexes que les injustices contre les animaux non humains entretiennent avec celles qui sont faites aux femmes et aux autres groupes humains vulnérables, il faudrait aller au-delà des analyses métaphysiques et des analogies formelles entre le spécisme, le sexisme ou le racisme. Une étude critique des représentations, des mécanismes psychologiques ou structurels et des institutions qui facilitent la subordination de certains individus, comme celle que Greta Gaard, Carol Adams et Lori Gruen nous ont offerte dans les années 1990, serait également nécessaire. Le travail des écoféministes antispécistes permettrait ainsi d’éclairer « les façons dont différentes formes d’oppression s’alimentent et se renforcent mutuellement » (Bailey, p. 140).
La thèse des oppressions liées a été accueillie avec scepticisme par certains. Parmi les critiques qui lui ont été adressées se trouve la contestation de l’existence d’un lien nécessaire entre le sexisme et le spécisme (Cochrane, 2010). C’est à cette critique que Bailey s’attache à répondre en montrant qu’elle s’adresse à un homme de paille puisque, suivant la terminologie de Jason Wyckoff (2014) que reprend l’autrice, la thèse en question ne concerne pas autant les implications logiques d’une forme d’oppression sur une autre, que les « connexions causales contingentes » entre les oppressions, les « conditions matérielles et sociales communes » aux unes et aux autres, de même que les « liens normatifs ou idéologiques » qui les unissent. Selon Bailey, l’exploration des relations complexes – qu’elles soient historiques, culturelles, idéologiques, économiques, symboliques, philosophiques ou psychologiques – entre le patriarcat, le colonialisme, le capacitisme, le suprématisme blanc et le suprématisme humain permet de mieux comprendre comment ces forces se croisent et se soutiennent les unes les autres et de saisir pourquoi il est raisonnable de supposer qu’en pratique, les diverses luttes de libération sont aussi reliées. Bailey termine son texte par une réflexion sur le mouvement écologiste, qui, suppose-t-elle, aurait accordé beaucoup plus d’attention aux intérêts des animaux pris individuellement s’il avait été plus féminin.
« [L]e monde serait en bonne partie régi par des mécanismes profonds qui relient étroitement le sexisme, l’identité masculine et la viande. » C’est à cette thèse sur les rapports entre le sexisme et le spécisme défendue par l’écoféministe Carol J. Adams que Félix Saint-Germain s’est intéressé. Dans sa contribution à ce dossier, l’auteur nous propose une étude critique de La Politique sexuelle de la viande (2016), une traduction du livre d’Adams originalement publié en anglais, en 1990. Selon lui, cet ouvrage mérite d’être mieux connu du lectorat francophone, notamment parce qu’il « débusque une même logique de domination derrière le spécisme et le sexisme, proposant de précieuses clés conceptuelles pour comprendre les discours de naturalisation et de légitimation des oppressions qui affligent les humaines et les autres animaux » (Saint-Germain, p. 164).
Après une présentation des notions de base à partir desquelles Adams travaille, Saint-Germain entreprend d’exposer les concepts clés de son oeuvre, soit le « référent absent », le « dépeçage » et la « politique sexuelle de la viande ». En dégageant et réorganisant les idées centrales de la monographie, l’auteur contribue à vulgariser et à disséminer certaines des réflexions les plus fondamentales de l’écoféminisme antispéciste. Ce faisant, il valorise les efforts visant à comprendre l’interconnexion des injustices et joint sa propre voix à celle d’Adams et de nombreuses autres écoféministes antispécistes dans leur appel à un « ralliement théorique et politique entre le féminisme et l’antispécisme » (Saint-Germain, p. 164).
La comparaison des injustices subies par les animaux non humains à celles infligées à certains groupes humains soulève des défis considérables, mais éviter totalement de tels parallèles est aussi problématique. Il demeure essentiel de rester attentif.ve.s au rôle central que la déshumanisation a joué dans la justification d’atrocités ayant jalonné l’histoire humaine. Comme le montrent les contributions à ce dossier, une analyse qui dépasse les frontières entre l’espèce humaine et les autres espèces animales peut cependant enrichir et affiner notre compréhension de l’injustice, plus généralement. Un tel exercice peut à la fois respecter les spécificités propres à chaque phénomène et éviter l’assimilation de certains individus à d’autres, tout en permettant d’explorer de nouvelles perspectives et de jeter un éclairage renouvelé sur certains des enjeux éthiques les plus pressants de notre époque.
Parties annexes
Notes
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[1]
À titre d’exemple, pensons à la journée mondiale contre le spécisme organisée à l’initiative de People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) et donnant lieu chaque année à des manifestations publiques tenues dans les villes de plusieurs pays. Pensons également au récent documentaire Speciesism: The Movie, dans lequel sont explorés divers enjeux entourant le spécisme.
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[2]
Certes, le spécisme ne se réduit pas à l’anthropocentrisme puisqu’il peut également concerner les préjugés ou la discrimination contre les membres de certaines espèces particulières plutôt que tous les animaux non humains, ou même contre les membres de l’espère Homo sapiens. Nous nous concentrons ici sur la forme anthropocentrique que peut prendre le spécisme parce qu’elle est certainement celle qui préoccupent le plus les antispécistes.
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[3]
C’est l’expression employée dans la définition que les Cahiers antispécistes donnent au spécisme. Les Cahiers antispécistes sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://www.cahiers-antispecistes.org/le-specisme/.
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[4]
Nous entendons ici une conception selon laquelle le spécisme, même s’il devait toujours être mauvais ou injuste, ne le serait pas « par définition », si bien qu’on pourrait avancer des arguments pour le défendre sans nécessairement se méprendre sur le sens du terme. Cette conception s’oppose à une conception moralisée voulant qu’un phénomène ne puisse être spéciste que s’il est moralement incorrect ou injuste. Pour en apprendre davantage à propos de ce débat, voir Horta (2010) et Jaquet (2019).
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[5]
Pensons, par exemple, à la campagne intitulée “Are Animals the New Slaves?” que l’on peut traduire par « Les animaux sont-ils les nouveaux esclaves », que PETA lançait en 2005 (Harper, 2010).
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[6]
Pour les détails, voir la page suivante : https://www.lecre.umontreal.ca/évènement/colloque-sur-le-specisme-et-les-autres-discriminations/.
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[7]
Voir la page suivante : https://www.youtube.com/playlist?list=PLEMySUMc-oCxM4abuq 5HnjhadeCVGNYiE.
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[8]
Pour le texte de Trzak, voir la page suivante : https://www.lecre.umontreal.ca/speciesism-and-disability-thoughts-on-disabled-bodies-neurodivergent-brains-and-cross-species-bonds-2/.
Bibliographie
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