Résumés
Résumé
Ovrage pionnier dans les études animales intersectionnelles, La Politique sexuelle de la viande (1990) de Carol Adams analyse l’imbrication du sexisme et du spécisme pour montrer comment le patriarcat maintient une double domination sur les femmes et les animaux. Le présent article retrace le contexte intellectuel du livre et expose quelques-uns de ses concepts clés, tels que le « référent absent » et le « dédeçage », qui révèlent les mécanismes d’invisibilisation et de pérennisation de violences systémiques. Il s’agit surtout de mettre en évidence la pertinence de la théorie critique féministe végane dans la déconstruction des discours de naturalisation des oppressions. Envisagée sous un angle politique, la consommation de viande apparaît en tant que symbole par excellence de subjectivation masculine et de réification de l’autre.
Abstract
A pioneering work in intersectional animal studies, The Sexual Politics of Meat (1990) by Carol Adams analyzes the links between sexism and speciesism to demonstrate how patriarchy sustains a dual domination over women and animals. This article explores the intellectual context of the book and highlights some of its key concepts, such as the "absent referent" and "butchering", which reveal the mechanisms that render systemic violence invisible and perpetuate it. The primary aim is to show the relevance of feminist-vegan critical theory in deconstructing the discourses that naturalize oppression. Viewed through a political lens, meat consumption emerges as the ultimate symbol of masculine subjectivation and the reification of the other.
Corps de l’article
Certaines choses passent inaperçues, non pas parce qu’elles sont dissimulées, mais au contraire parce qu’elles sont omniprésentes. Saturant la perception, elles intègrent le normal et l’ordinaire au point de s’y confondre parfaitement. Et où l’évidence s’impose, l’inertie prospère.
Mais parfois, il est de ces rencontres littéraires qui percent une brèche dans l’épaisseur du familier. Parmi les oeuvres de cette qualité, La Politique sexuelle de la viande de Carol J. Adams, paru en 1990, dessille particulièrement le regard sur le rapport entre sexisme et spécisme[1] dans la culture occidentale prédominante. À sa lecture, quantité d’éléments discursifs et symboliques du quotidien apparaissent comme autant de produits idéologiques chargés d’une violence aussi colossale qu’invisibilisée.
Pour résumer la thèse centrale de l’autrice, le monde moderne serait en bonne partie régi par des mécanismes profonds qui relient étroitement le sexisme, l’identité masculine et la viande. En témoigne, affirme-t-elle, la profusion de publicités et de représentations qui renforcent les stéréotypes de genre autour de la consommation carnée en sexualisant les animaux et en animalisant les femmes pour la gratification de l’homme[2].
Dans cette optique, ce que Carol Adams nomme la « politique sexuelle de la viande » est un aspect intrinsèque du patriarcat qui consiste à objectifier les femmes et les animaux non humains[3] par des moyens similaires afin d’octroyer aux hommes l’accès à leur corps, consolidant ainsi la domination masculine sur ces derniers.
Après plus de 30 ans, La Politique sexuelle de la viande demeure un incontournable dans les théories intersectionnelles et au-delà. Bien que traduit en français depuis 2016, ce premier ouvrage de Carol Adams mérite assurément une plus grande exposition dans le monde francophone, et cela pour au moins deux raisons.
a. En pensant l’interconnexion des injustices, La Politique sexuelle de la viande débusque une même logique de domination derrière le spécisme et le sexisme, proposant de précieuses clés conceptuelles pour comprendre les discours de naturalisation et de légitimation des oppressions qui affligent les humaines et les autres animaux.
b. Dans ce sillage, La Politique sexuelle de la viande appelle à un ralliement théorique et politique jusqu’alors insoupçonné – quoiqu’historiquement latent – entre le féminisme et l’antispécisme, les deux approches s’inspirant et se défiant mutuellement au profit d’une démarche originale. Ensemble, elles insufflent de vives réflexions au sein des mouvements progressistes et engendrent de nouvelles solidarités.
Cet article présentera quelques idées marquantes de La Politique sexuelle de la viande à partir d’une explicitation détaillée de la grille d’analyse féministe végane que son autrice façonne. En synthétisant les notions préalables de féminisme, de véganisme, d’intersectionnalité et de théorie critique qui irriguent l’oeuvre de Carol Adams, nous éluciderons quelques-uns de ses concepts phares, tels que le « référent absent », le « dépeçage », et bien sûr la « politique sexuelle de la viande ».
Nous retracerons d’abord le contexte d’incubation philosophique du livre en vue de cerner les problèmes qui l’animent et de découvrir les moyens théoriques que l’autrice s’est donnés pour les résoudre. Ce faisant, nous explorerons les sources de l’articulation du féminisme et du véganisme dans la pensée de Carol Adams afin de clarifier le sous-titre de l’ouvrage (une théorie critique féministe végétarienne).
1. CONSCIENCE VÉGÉTARIENNE ET CONSCIENCE FÉMINISTE
Mon végétarisme avait peu à voir avec mon féminisme, ou du moins c’est ce que je croyais…[4]
Nourrie de recherches universitaires et de militantisme, l’écriture de La Politique sexuelle de la viande s’est déroulée sur une période de 17 ans. Dans cette partie préliminaire, nous suivrons les origines biographiques et philosophiques du livre afin de dégager les intuitions directrices de l’autrice et de les situer dans le paysage intellectuel qu’elles ont concouru à défricher.
Née dans l’État de New York en 1951[5], Carol Adams est chercheuse indépendante et militante. Titulaire d’une maîtrise en théologie de l’Université de Yale, elle est considérée comme une pionnière dans la convergence des études féministes et animalistes. À ce jour, elle a écrit et édité une trentaine d’ouvrages et plus de 50 articles de revues scientifiques sur ces thèmes.
Son éducation politique s’amorce dès l’enfance auprès de ses parents, les deux étant actifs dans les causes des droits civiques et du féminisme durant les années 1960. Les questions sur la condition animale, quant à elles, se sont imposées plus tard dans son parcours intellectuel et militant. Commençons par traiter de celles-ci (1.1) avant de nous pencher sur la conception du féminisme que Carol Adams fait sienne (1.2). Nous saisirons mieux par la suite la conjonction du végétarisme et du féminisme dans sa pensée (2).
1.1 L’éveil au végétarisme : « Je mange une vache morte[6]… »
Adams raconte qu’au terme de sa première année de maîtrise, en 1973, alors qu’elle était de retour à la maison familiale, son poney fut victime d’une balle tirée par un chasseur qui le prit accidentellement pour sa proie. La vision du corps inerte de son ami vint la hanter le soir même, tandis qu’elle croquait dans un hamburger. Un paradoxe l’assaillit aussitôt :
Je pensais à un animal mort tout en consommant le cadavre d’un autre. Quelle différence y avait-il entre le corps de cette vache et celui du poney que j’allais enterrer le lendemain ? Je ne pouvais trouver aucune justification éthique à ce favoritisme qui excluait cette vache simplement parce que je ne l’avais pas connue. Je portais maintenant sur la viande un regard différent[7].
Cet événement confronta Adams à l’incohérence entre la compassion que la plupart des animaux suscitent en elle et le funeste sort qu’elle réserve pourtant à ceux qui sont élevés pour être mangés. La seule façon de raccorder ses actions au diapason de ses convictions consistait à adopter le végétarisme, ce qu’elle fit graduellement en 1973-1974.
1.2 La prise de conscience féministe
Avant de devenir un morceau de viande anonyme, l’animal était un individu. Doté d’une intériorité et d’intérêts subjectifs irréductiblement singuliers, cet être n’existera jamais deux fois à l’identique. L’attestation de cette réalité fait surgir un lot d’énigmes dans l’esprit de Carol Adams : comment en vient-on à voir autrui comme un objet de consommation, comme un « morceau de viande » ? Comment un sujet devient-il un objet ? Comment quelqu’un devient-il un moyen pour une fin ? Et surtout : qui décide d’une telle transformation ? Qui décide « ce que, ou plus exactement, qui nous mangeons[8] » ?
Dépassant largement les registres de la bienveillance et des préférences alimentaires, ces questions exigent des réponses politiques, fermement arrimées à l’analyse des dynamiques de pouvoir structurant les rapports sociaux. Le féminisme de Carol Adams libère justement de telles réponses en connectant les violences systémiques qui reposent sur les critères du sexe avec celles qui reposent sur le critère de l’espèce. Toutefois, cette connexion ne s’est pas établie d’un coup. Pour en observer la genèse, il convient de sonder ce que l’autrice appelle la « conscience féministe », c’est-à-dire une disposition affective et critique qui, préalable à la constitution du féminisme comme mouvement politique, problématise l’hétérosexisme et les hiérarchies de genres en tant que constructions sociales.
Adams ne formule pas de définition unique et définitive du féminisme dans La Politique sexuelle de la viande. Probablement volontaire, cette omission émane d’un féminisme compris moins comme un corpus de doctrines que comme un ethos particulier. Pour le décrire, elle cite la phénoménologue féministe Sandra Lee Bartky en épigraphe de l’antépénultième chapitre de l’ouvrage :
Pour être une féministe, il faut d’abord le devenir […] Les féministes ne sont pas conscientes de quelque chose de différent que les autres-- elles sont conscientes des mêmes choses de manière différente. On pourrait se risquer à dire que la conscience féministe transforme un “fait” en une “contradiction”[9].
Cette conversion du regard procède de la réalisation que ce qui est donné pour « factuel », voire « naturel », s’avère le plus souvent fabriqué dans le but de pérenniser des rapports de pouvoir intéressés, en l’occurrence de type patriarcal. La relégation des femmes à la sphère domestique, par exemple, a longtemps été légitimée par le rôle que leur destinait « naturellement » la maternité[10]. Autrement dit, le bien-fondé d’une différence de traitements entre des groupes d’individus est inféré à partir d’une différence physiologique, soit la différence sexuelle. Signée par des faits biologiques, une hiérarchie sociale contingente s’avance dès lors comme une nécessité, en dépit de l’impertinence morale de son critère de discrimination[11].
Dans sa forme, la prise de conscience féministe n’est pas sans rappeler celle qui fit basculer sous les yeux de Carol Adams le « fait » de la viande en « contradiction », suivant la mort de son compagnon. Elle s’applique aisément en ce qui a trait à la consommation carnée et aux justifications naturalistes qui en éludent le caractère culturel, identitaire et politique. La manducation de certains animaux va tellement de soi dans la culture dominante qu’elle revêt une aura de pure factualité, conjurant d’avance tout soupçon éthique. Citant la philosophe Mary Midgley, Adams rappelle que « [l]e symbolisme de l’alimentation carnée n’est jamais neutre[12]. »
Mais force est de reconnaître que pour l’instant, l’association entre féminisme et végétarisme chez Carol Adams semble se limiter à un principe subversif analogue. Après tout, n’importe quelle posture critique se tient au creux d’une « contradiction », eu égard aux « faits » déterminés. Quelle est donc la spécificité de la conscience féministe et pourquoi résonnerait-elle si fortement avec le végétarisme ?
2. VERS UNE THÉORIE CRITIQUE FÉMINISTE VÉGANE
Et puis, mon féminisme végane et mon véganisme féministe se sont enchevêtrés[13].
L’injonction à « voir les mêmes choses d’une manière différente » exprime donc le tournant philosophique fondateur du féminisme et du végétarisme chez Carol Adams. Cela dit, son féminisme et son végétarisme doivent partager ne serait-ce qu’une cible commune, sans quoi leur proximité reste anecdotique. Or, l’originalité de La Politique sexuelle de la viande réside précisément dans sa mobilisation de ces perspectives contre l’oppression patriarcale, responsable selon l’autrice de la subordination des femmes et des animaux dans la tradition occidentale prédominante.
Dans cette deuxième partie, nous mettrons en lumière le concept de patriarcat à partir de l’approche intersectionnelle privilégiée par Carol Adams (2.1), ce qui permettra de comprendre pleinement le sens et la vocation de sa théorie critique féministe végane (2.2).
2.1 Le point de vue intersectionnel féministe végane sur le patriarcat
Les idées principales de La Politique sexuelle de la viande se sont manifestées à Carol Adams en 1974 au contact d’écrivaines du XIXe et du XXe siècle qui étaient féministes et végétariennes, comme Elizabeth Gould Davis, Charlotte Perkins, Agnes Ryan, Mary Edwards Walker, Frances Willard et Mary Shelley, pour ne nommer que celles-là. Adams crut que l’affinité pour le végétarisme chez tant de féministes excédait la pure coïncidence. Leur abstention de chair animale revenait peut-être, pensa-t-elle, à contester l’ordre patriarcal à chaque repas.
D’après cette hypothèse, non seulement le végétarisme comme stratégie féministe suggèrerait la teneur idéologique que le patriarcat confère à la viande, mais il identifierait du même coup la viande à titre de signe de l’idéologie patriarcale. Adams commençait ainsi à entrevoir des pistes de réponse à ses questions de départ (« comment quelqu’un devient-il quelque chose ? » ; « qui décide qui nous mangeons ? »).
L’infériorisation des femmes et l’infériorisation des animaux se recouperaient dans une même logique de contrôle, voire de consommation, que le féminisme et le végétarisme seraient à même de déconstruire par la théorie et la praxis. C’est pourquoi Adams écrit : « Le féminisme critique la binarité des genres. Mais il propose aussi un outil d’analyse pour dévoiler la construction sociale des relations entre l’être humain et les autres animaux[14]. »
Le potentiel de cet outil d’analyse se révèle à travers le prisme intersectionnel que l’autrice oriente vers l’oppression patriarcale. Dans quelle mesure l’oppression des animaux et celle des femmes concorderaient-elles parfois et quelle signification doit-on accorder à la notion centrale de patriarcat dans ce portrait ? Comme ces questions sont nouées, la réponse à la première (a.) fournira la solution de la deuxième (b.).
a. Les liens unissant l’oppression des animaux à celle des femmes s’attestent d’au moins trois façons. La première, d’ordre sociohistorique, naît d’une solidarité entre individus et groupes historiquement opprimés[15]. D’où la surreprésentation des femmes dans la cause animale d’hier et d’aujourd’hui (malgré leur occultation par les figures de proue masculines du mouvement), et de la plus grande proportion de personnes noires américaines qui sont végétariennes ou véganes par rapport aux personnes blanches (8% contre 3% de la population mondiale en 2015)[16]. Adams se dit convaincue « que les êtres humains autrefois exploités peuvent ressentir de l’empathie pour les non-humains qui sont victimes d’exploitation et leur venir en aide[17] ».
Plus significatif, le deuxième indice du lien entre l’oppression des femmes et celle des animaux correspond au contrôle sexuel dont les animaux femelles font les frais dans l’industrie de la viande, du lait et des oeufs. Adams fait remarquer que « [l]a majorité des animaux consommés sont des femelles adultes et juvéniles. Ces femelles font l’objet d’une double exploitation, pendant leur vie et après leur mort. Ce sont littéralement des pièces de chair féminine[18]. » En un mot, les femelles sont exploitées en tant que femelles pour leur système reproducteur. Paradigmatique, la condition des vaches laitières et des truies en gestation[19] illustre brutalement cette réalité.
Évidemment, le destin des animaux mâles n’est pas beaucoup plus enviable : castration à vif dans presque tous les cas (sauf pour les mâles reproducteurs, qui peuvent toutefois subir des décharges électriques à la prostate afin de provoquer l’éjaculation), broyage des poussins mâles dès la naissance, abattage systématique des veaux, etc.). Les mâles seraient donc tout autant violentés parce qu’ils sont des mâles. La variable sexuelle serait-elle donc discréditée par l’universalité d’une condition ?
Adams voit les choses autrement. Même si la discrimination sexuelle touche aussi les mâles dans les industries concernées, l’autrice croit que c’est la même volonté patriarcale de domination des corps qui vise les animaux mâles et femelles. Non pas que l’exploitation animale soit consubstantielle d’une « essence masculine » – Adams récuse l’essentialisme des genres –, mais plutôt que la conception dominante de la masculinité s’ancrerait dans la domination sexuelle, elle-même inhérente à l’exploitation animale.
Tout le propos de Carol Adams consiste à montrer comment la conception patriarcale de la masculinité et l’infériorisation corolaire des femmes s’alimentent de concert dans l’infériorisation préalable des animaux. En revanche, l’exploitation sexuelle des animaux femelles instaurerait un référent culturel beaucoup plus pervers vis-à-vis des femmes que le fait l’équivalent mâle vis-à-vis des hommes.
Le troisième angle d’approche sur la jonction entre l’oppression des femmes et l’oppression des animaux se déploie dans le chapitre d’ouverture de La Politique sexuelle de la viande. Adams y explique que la consommation de viande a de tout temps tracé une ligne de partage entre les classes sociales, et, au sein de celles-ci, une autre démarcation plus profonde encore entre les sexes. Cette seconde démarcation fait écho à une « mythologie » quasi universelle « voulant que la chair soit un aliment masculin et que manger de la viande constitue une activité masculine[20] ». La consommation de viande serait, selon cette mythologie, le marqueur de virilité par excellence.
Certes, les femmes mangent aussi de la viande, mais celle-ci serait périphérique à l’identité qui leur est dévolue. Tandis qu’elle est contingente chez la femme, la consommation de viande est nécessaire chez l’homme. L’autrice fait remarquer que dans les cas de disette, les quantités limitées de viande sont réservées aux hommes. Or, une telle distribution ne saurait être justifiée par les besoins nutritionnels réels des individus strictement selon leur sexe, souligne-t-elle. Les femmes qui sont enceintes ou qui allaitent ont des besoins plus élevés en protéines que les hommes[21]. Pourtant, elles sont souvent les premières à mourir dans les situations de famines. Plus loin dans le texte, Adams évoque le cas des conjointes qui cuisinent de la viande à leur partenaire en dépit de leur dégoût ou de leur réticence morale. « Je ne mange pas de viande, mais j’en cuisine pour mon mari » exprime ce motif.
Pour étayer l’idée de l’accès à la viande comme signe de la différenciation sexuelle, Adams rapporte des légendes, des mythes et des cultes autour de l’appropriation masculine de la viande. Cette appropriation patriarcale serait une constante dans l’immense variété de cultures culinaires par-delà les lieux et les époques.
Pour Carol Adams, ces mythes vivent encore de nos jours dans le langage machiste autour de la viande qui sépare les vrais hommes des autres, les efféminés et les homosexuels mangeurs de légumes, symboles de « passivité féminine ». Jusqu’à la fin du chapitre, Adams multiplie les exemples tirés de l’histoire de la littérature et de la philosophie, de la politique, de la publicité et des adages populaires pour appuyer sa thèse de la fonction patriarcale de la viande dans l’élaboration de la différence sexuelle de laquelle l’identité masculine tire son essence. Tous ces réseaux de signification se rencontrent dans ce que l’autrice nomme « les textes patriarcaux de la viande », où le concept de « textes » évoque le caractère sémantique de la viande et l’épithète « patriarcal » indique le rôle de maintien du pouvoir masculin sur les femmes et les animaux qu’occupent ces productions de sens. L’intériorisation de ces textes fait en sorte que les valeurs patriarcales sont généralement bien intégrées.
Face à ces trois axes « d’interdépendance entre l’oppression des femmes et celle des autres animaux », Adams admet trouver « consternant que le féminisme n’identifie pas les questions de genre profondément ancrés dans la consommation d’animaux[22] ». Appelant de ses voeux la convergence des luttes féministes et véganes, elle s’attelle à la critique du patriarcat, concept primordial sur lequel nous nous focaliserons maintenant.
b. Sous la plume de Carol Adams, le patriarcat se rapporte à un système de genres qui postule une binarité fixe[23] homme/femme afin d’assurer une division hermétique de statut, de rôle et de privilèges entre ces deux groupes au bénéfice du premier. Contrairement à ce qu’indique son étymologie, le patriarcat (combinaison de pater et archè) ne signifie pas littéralement le « pouvoir du père » (même si celui-ci a effectivement existé). En fait, le patriarcat nomme le pouvoir des hommes sur les femmes tel qu’il a été édifié sur un idéal de masculinité – et par extension d’humanité –, qui subordonne les êtres exclus de la catégorie « homme », autant parmi les humains que parmi les non-humains. Plus conforme à cette définition, le terme « phallocratie » n’est employé qu’une fois dans La Politique sexuelle de la viande[24].
Dans ce paysage hiérarchique, la dichotomie homme/femme accomplit donc une tâche hautement normative en faveur des politiques qu’elle sous-tend et catalyse de surcroît d’autres dichotomies cautionnant la même structure de domination[25].
Comme l’écrit Françoise Héritier, « [l]e langage dualiste est un des constituants élémentaires de tout système de représentations, de toute idéologie envisagée comme la traduction de rapports de force[26] ». Pour Carol Adams, la critique de la distinction humain/animal est indispensable à la déconstruction des rouages idéologiques des oppressions, car c’est vers celle-ci que renvoient la plupart des marqueurs d’infériorité comme autant de vases communicants.
Dans un cadre patriarcal, la schématisation dualiste fait d’une pierre deux coups : elle esquisse les contours identitaires du sujet « digne de ce nom » (l’homme maître de lui-même et propriétaire de son corps) et reflète simultanément la nature de l’autre comme son miroir négatif (animaux, femmes, personnes de couleur, personnes handicapées, etc.). Sur le thème principal de Carol Adams, patriarcat et consommation carnée coïncideraient notamment dans l’idée selon laquelle
être un homme est lié à des identités revendiquées ou rejetées : ce que les « vrais » hommes font et ne font pas. Les « vrais » hommes ne mangent pas de quiche. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de privilège, mais aussi de symbolisme. Dans notre culture, la masculinité se développe en partie autour de l’accès à la consommation de chair et du contrôle du corps de l’autre[27].
Implicites, les connivences entre le patriarcat et la viande sont culturellement omniprésentes : codépendance symbolique de la consommation carnée et de la virilité et féminisation (voire émasculation) des hommes végétariens et a fortiori véganes, fantasmes de l’ancêtre chasseur, survalorisation des protéines animales et dévalorisation des protéines végétales, triade viande-muscles-masculinité, culte du barbecue, peur phobique du tofu, célébration des comportements prédateurs, idolâtrie du « mâle alpha » (carnivore évidemment), etc.
En amont des signes de validation sociale, être un « vrai homme » est surtout un code pour « être un sujet », c’est-à-dire être celui qui peut user en droit de l’autre en tant qu’objet. Partant, l’autre de l’homme se déduit par une série de privations qui autorisent expressément sa prise de possession et sa mise à disposition discrétionnaire. Typiquement, le manque de rationalité fait office de licence pour l’asservissement légitime des animaux et des humain·es par les êtres « rationnels ». Le canon de la rationalité peut aussi se décliner ici et là sous d’autres formes : l’âme, la perfectibilité, l’intelligence, le libre arbitre, le langage articulé, le savoir technique, la civilité, etc.
Dans la préface à l’édition vingtième anniversaire de La Politique sexuelle de la viande, Adams mentionne les réflexions de Jacques Derrida sur l’animal et la déconstruction du concept de sujet[28]. S’intéressant aux discours qui condamnent certains meurtres et en tolèrent d’autres (celui des animaux étant emblématique), Derrida décèle une « structure sacrificielle » au coeur du concept occidental de sujet, dont la genèse aménagerait une catégorie spéciale « pour une mise à mort non criminelle : avec ingestion, incorporation ou introjection du cadavre[29] ».
S’érigeant sur le sacrifice des non-sujets, le sujet est toujours déjà innocenté par l’exclusion a priori de ces derniers hors de la communauté morale qu’il crée à son image. Par exemple, en réponse aux indignations que suscita sa théorie de l’animal-machine, selon laquelle les animaux sont des automates dépourvus de conscience et de sensibilité, Descartes peut écrire sans ironie que « [s]on opinion n’est pas si cruelle aux animaux qu’elle est favorable aux hommes […], puisqu’elle les garantit du soupçon même de crime quand ils mangent ou tuent les animaux[30] ».
Pour Derrida, le meurtre alimentaire et l’alimentation carnée ne composent pas simplement un « fait » anthropologique, culturel ou gastronomique : ils sont constitutifs de la subjectivité et par extension de l’« essence humaine » et de l’humanisme qui en découle[31]. Le philosophe formule le néologisme « carnophallogocentrisme » pour désigner le processus de subjectivation de l’humain mâle qui proclame son autorité (phallocentrisme) à travers la suprématie de la rationalité discursive (logocentrisme), une autorité s’affirmant constamment par le biais du carnivorisme[32].
N’ayant pas lu Derrida à l’époque de la publication de La Politique sexuelle de la viande, Carol Adams partageait néanmoins ses intuitions :
Si l’être humain modèle était, par exemple, féministe et végétarien, plutôt que mâle et mangeur de viande, alors notre idée de la nature humaine serait fondamentalement remise en cause – les animaux seraient conçus comme des parents, et non comme des proies, des « modèles » ou des « machines animales » ; nous-mêmes serions vus comme radicalement liés à ces parents, et non comme des prédateurs, des expérimentateurs, ou comme propriétaires. La reconstruction de la nature humaine comme féministe inclut l’examen de la manière dont, en tant qu’humains, nous interagissons avec le monde non humain. Les droits des animaux ne sont pas anti-humains ; ils sont anti-patriarcaux[33].
Sans emprunter les mêmes voies que Derrida, Adams approfondit à sa façon la co-constitution égologique de la virilité et du carnivorisme en exposant « les racines de l’exploitation animale dans la construction du sujet patriarcal[34] ». Persuadée de la responsabilité du patriarcat dans la transformation des individus en matière consommable, Adams cherche alors à en expliquer le modus operandi. Pour ce faire, elle se dote d’une lentille adaptée à son objet d’étude, à savoir « une théorie critique féministe-végétarienne », comme l’énonce le sous-titre de La Politique sexuelle de la viande, que nous déploierons à l’instant.
2.2 Analyse du sous-titre : une théorie critique féministe végétarienne
Carol Adams mène son enquête à l’aune d’une approche intersectionnelle féministe-végane. Il est pertinent de revenir sur le sous-titre de l’ouvrage à l’étude (Une théorie critique féministe végétarienne). Nous commencerons par déterminer qu’au lieu du qualificatif « féministe végétarienne », celui de « féministe végane », plus près des thèses de l’autrice, s’impose (a.). Nous verrons ensuite en quoi consiste, dans le contexte de la pensée de Carol Adams, une « théorie critique » (b.), à partir de laquelle nous expliciterons deux concepts majeurs de La politique sexuelle de la viande : le concept de référent absent et celui de dépeçage (c.).
a. Une féministe végane
Même si le sous-titre de La Politique sexuelle de la viande annonce une « théorie critique féministe-végétarienne », l’autrice se revendique nettement du véganisme : « La Politique sexuelle de la viande est en réalité une théorie critique féministe végane[35] », confirme-t-elle. Par conséquent, l’interchangeabilité entre « végétarisme » et « véganisme » dans son premier livre peut surprendre, car ces termes ne sont pas synonymiques.
Pour rappel, le végétarisme correspond à l’abstention de chair animale, tandis que le véganisme s’étend à tout produit issu de l’exploitation animale, ce qui inclut le lait, les oeufs et le miel. L’éthique végane conteste de surcroît l’exploitation animale dans les domaines du textile, de l’expérimentation scientifique, du sport et du divertissement.
Pourquoi dans ce cas Carol Adams n’utilise-t-elle pas d’emblée les mots « véganisme » et « végane » ? La question se pose, car l’autrice critique scrupuleusement les modes de production du lait et des oeufs, ces derniers étant inclus dans le végétarisme. Deux raisons peuvent expliquer cette ambivalence[36].
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Forgé en 1944, le mot « veganism » n’était pas encore largement répandu au début des années 1990, année de publication de La Politique sexuelle de la viande. Par souci d’accessibilité, Adams a opté pour l’usage du terme « végétarisme », consacrant quelques paragraphes à la présentation du véganisme en tant que « nouvelle désignation[37] ».
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Comme une bonne portion de l’ouvrage traite d’écrivaines féministes et végétariennes, l’autrice estimait que l’adjectif « végane » aurait constitué une faute à leur endroit, en plus d’un anachronisme. Mais si Carol Adams s’inspire des intuitions végétariennes de ses prédécesseures, sa contribution reste indéniablement végane, comme elle le déclare désormais sans équivoque. D’ailleurs, l’édition trente-cinquième anniversaire de La Politique sexuelle de la viande, qui paraîtra en novembre 2024, sera sous-titrée : « A Feminist-Vegan Critical Theory ».
Du reste, il va sans dire que le véganisme de Carol Adams s’affiche comme un antispécisme, dans la mesure où celle-ci rejette catégoriquement l’exceptionnalisme humain et la dévaluation corolaire des autres animaux sur la base du critère biologique de l’espèce, comme le corrobore ce passage fréquemment cité : « La justice ne devrait pas constituer une institution si fragile qu’elle ne puisse s’étendre au-delà de l’espèce Homo sapiens[38]. »
Bien qu’il figure aujourd’hui parmi les classiques dans le domaine, La Politique sexuelle de la viande n’a pas été pensé par son autrice comme un livre d’éthique animale[39]. De fait, elle n’y défend pas de thèses quant à la nature et l’ampleur de nos devoirs moraux envers les animaux non humains, à l’instar de Peter Singer et de Tom Regan des années auparavant. Elle n’essaie pas non plus de gagner son lectorat au féminisme et au véganisme par des démonstrations logico-déductives ou des données empiriques.
Adams rapporte qu’en dépit de l’originalité de son projet, on a souvent voulu classer La Politique sexuelle de la viande quelque part entre l’utilitarisme et le déontologisme, alors que ces avenues ne lui ont jamais semblé vraiment prometteuses[40]. Elle leur reproche leur rationalisme et leur individualisme, c’est-à-dire leur exclusion des émotions hors du processus décisionnel en éthique et leur omission des relations situées dans lesquelles le vécu des individus s’inscrit immanquablement. Qui plus est, elle accuse la doctrine des intérêts et la théorie des droits de servir une épistémologie patriarcale où règne l’individu libre, autonome et maître de ses émotions. Héritage des Lumières, cette conception universalise un paradigme d’individus égaux ; une idée séduisante, qui fait toutefois fi des inégalités nécessairement impliquées par les relations de dépendance dans lesquelles évoluent au premier chef les animaux domestiques. Mais pour Carol Adams, la dépendance, les affects et la vulnérabilité ne sont pas des obstacles qu’il faudrait écarter de la réflexion éthique : ce sont des paramètres inhérents aux liens sociaux qui appellent une prise en compte morale. En contrepartie, le prix à payer pour leur rejet est, toujours selon l’autrice, une éthique formaliste et abstraite, fermée aux aléas des situations matérielles et concrètes des réalités intersubjectives.
Ne relevant donc ni de l’utilitarisme ni du déontologisme, le véganisme de Carol Adams puise en fait dans l’écoféminisme et l’éthique du care. Si cela ne dépassait pas le cadre que nous nous sommes fixé pour cet article, il faudrait rendre compte de la discorde philosophie entre l’antispécisme et l’écoféminisme, mouvements que Carol Adams tente tant bien que mal de faire tenir ensemble. Cela dit, cette tension ne l’affectait pas à l’époque de La Politique sexuelle de la viande.
b. Une théorie critique
Quelqu’un m’a dit un jour « Tu ne peux pas contester la mythologie d’une nation ou d’une personne. » Et pourtant, c’est ce que j’essaie de faire. C’est ce que nous essayons de faire en tant que véganes et écoféministes. En tant que véganes féministes, nous luttons contre une mythologie[41].
Adams décrit son propre travail comme une « théorie engagée qui émerge de la colère éprouvée face à la situation actuelle et qui envisage ce qui est possible [pour la changer][42] ». Elle ne cache donc pas le pathos qui anime ses recherches sur les violences contre les femmes et les animaux, frappant ostensiblement son oeuvre du sceau du militantisme. Outre la divulgation de ses motivations personnelles, cette démarche révèle surtout la fonction que Carol Adams assigne à l’activité intellectuelle. Conformément à la tradition de la théorie critique dont elle se réclame, Adams considère que le travail théorique est inséparable des structures de pouvoir et des luttes sociales en cours.
L’un des instigateurs de la théorie critique, le philosophe et sociologue Max Horkheimer, définit la théorie critique en l’opposant à la théorie « traditionnelle ». Appréhendée comme le modèle théorique « par défaut », cette dernière s’avance comme une production purement descriptive de connaissances touchant l’univers culturel et naturel.
Parallèlement, la théorie critique substitue le mandat d’interprétation du monde que s’est longtemps donnée la philosophie pour celui de transformation du monde (en paraphrasant la onzième thèse sur Feuerbach de Marx). Pour ses adeptes, l’activité intellectuelle ne surplombe jamais les tumultes de la société : elle en est partie prenante, qu’elle le veuille ou non. Prêtant ouvertement sa pensée au service de la justice sociale, Carol Adams stipule dans un autre texte que « la théorie critique est une théorie engagée : elle comprend que des corps sont menacés ; elle est informée par l’activisme et est écrite, en partie, pour informer l’activisme[43] ».
Au reproche qu’une telle vision relèverait davantage du militantisme que de la théorie, celle-ci obligeant à la neutralité, une théoricienne engagée répondrait que l’option de rechange n’est pas moins militante[44]. La pensée n’étant jamais apolitique, l’impartialité philosophique serait au mieux l’idiote utile du pouvoir, au pire un instrument actif d’oppression.
Pour Adams, le véritable abîme ne sépare pas la pensée politique de la pensée apolitique, mais la pensée politique de la pensée qui a le luxe de se croire dépolitisée. Couplée avec l’intersectionnalité, la théorie critique brandie par Carol Adams décèle le caractère historique, politique, idéologique et structurel de phénomènes « neutralisés » par l’idéologie ambiante quant aux questions de genre, de race, de classe, de capacité et d’espèce.
La vocation critique et militante de la théorie de Carol Adams l’enjoint à manier une technique philosophique appropriée à ses buts. Pour les atteindre, l’autrice ne décoche pas d’arguments et d’objections contre l’exploitation animale, l’alimentation carnée et le patriarcat. Une telle tactique serait vaine, car « on ne peut pas contester la mythologie d’autrui[45] » en employant naïvement la grammaire de celle-ci.
La démythologisation ne s’opère pas d’abord à coups d’arguments raisonnables et d’échanges dialectiques accommodants. Les arguments de Carol Adams accompagnent surtout la mise au jour des « moyens qu’emploie notre culture patriarcale pour autoriser notre consommation de viande[46] » en vue de démanteler les associations implicites entre le système de genres et l’alimentation carnée.
La théorie critique de La Politique sexuelle de la viande démonte ainsi les ressorts idéologiques du système produisant le patriarcat carnivore par l’étude de divers artéfacts culturels, où la publicité occupe une place centrale. Adams justifie l’importance qu’elle accorde à ce secteur par l’influence idéologique quasi propagandiste qu’il assène sur les masses. Comme elle l’écrit dans The Pornography of Meat,
Les publicités ne portent jamais uniquement sur le produit qu’elles promeuvent. Elles portent sur la façon dont notre culture est structurée, sur ce que nous croyons à propos de nous-mêmes et des autres. Les publicités incitent les gens à acheter quelque chose. En cela, elles offrent une fenêtre sur les mythes qui structurent notre monde – qui sont les « quelqu’un » dans notre culture, et qui deviennent les « quelque chose »[47] ?
Ainsi, le pari de Carol Adams vise à renverser les coordonnées culturelles patriarcales au profit d’une autre mythopoïétique, d’ordre féministe-végane.
c. Le langage de l’oppression : les concepts de référent absent et de dépeçage
« Individu », du latin individuum, corps indivisible (dérivé de dividere, diviser), est lui-même traduit du grec atomon : chose indivisible matériellement, puis objet de pensée sans parties[48].
L’abolition des frontières de l’individualité corporelle par la découpe, l’esthétisation et la décoration des viandes rendent par avance impossible l’identification d’une réalité violente que tout contribue à occulter[49].
La démythologisation du carnivorisme patriarcal que conduit Carol Adams brille particulièrement lors de sa déconstruction du langage de l’oppression. Après avoir introduit son concept de politique sexuelle de la viande comme dynamique de différenciation sexuelle fondée et sans cesse reconduite sur l’accès à la viande, l’autrice se tourne vers les codes sémantiques de cette idéologie. La présentation du concept de référent absent permettra d’éclairer par la suite celui de dépeçage, tous deux rendant manifestes certaines stratégies langagières qui cautionnent et invisibilisent des violences sur les animaux et les femmes.
Le langage a le pouvoir de révéler des choses, comme il a aussi le pouvoir d’en occulter autant. Il joue avec le spectre de l’absence pour porter à la conscience ce qui n’y était pas un moment auparavant, dissipant des choses concrètes par abstraction, subsumant le singulier sous l’universel, fragmentant les entités dans des ensembles de représentations interchangeables…
Même dans ses prestations les plus prosaïques, le langage foisonne de figures de style colorant chaque fois les choses qu’il fait apparaître, qu’il découpe, partage, libère ou omet. Pour Carol Adams, métaphores, métonymies, ellipses et euphémismes, loin de se limiter au domaine littéraire, configurent nos normes éthico-politiques et nos relations concrètes avec autrui. Les figures de style sont donc chargées de potentialités idéologiques à déchiffrer.
C’est à ce stade que Carol Adams développe son concept de référent absent (absent referent), apport majeur de son oeuvre. Provenant des études littéraires et linguistiques[50], ce concept désigne dans ces champs d’étude les mots qui, dans une situation donnée, ne renvoient pas clairement à ce à quoi ils sont censés référer. Plusieurs théories s’affrontent en linguistique pour rendre compte des mécanismes sous-jacents de ces procédés syntaxico-sémantiques dans la structure des langages. La plupart du temps, le contexte permet d’identifier le référent malgré son absence textuelle ou discursive. Seule, la phrase : « Je l’ai consulté hier, lorsqu’il m’a annoncé son départ » nous laisse dans l’obscurité quant à l’identité derrière le pronom « il », par exemple. On suppose généralement que les phrases périphériques élucideraient l’énigme (sauf si l’indétermination du sujet est voulue).
Carol Adams s’approprie le concept de référent absent pour lui conférer un sens critique et une portée politique, le rapportant au processus de désindividualisation des individus. Dans ce sillage, elle révèle la viande comme un référent absent qui permet d’oublier l’animal derrière le morceau de chair servi dans l’assiette. « Viande », « protéine », « steak », « hamburger » : myriades de métonymies qui oblitèrent l’animal sous des couches d’allusions sémantiques, symboliques et culturels. Réduction au nutriment, transposition en repas, dissipation en coutume, fragmentation en marchandises… la plupart des animaux ne sont présents dans le discours ambiant que sur le mode de l’absence, où un abîme sépare le signifié du signifiant.
Le concept de référent absent permet d’expliquer l’une des raisons pour lesquelles le meurtre et la manducation des animaux sont irrépréhensibles : simplement parce qu’il n’y a pas d’animal, seulement… un bout de viande.
Adams va plus loin. Le privilège éminemment masculin de consommer de la viande, qui est décrit dans le premier chapitre de son livre, implique celui qu’ont les hommes de consommer ce qui est comme de la viande : les animaux, bien sûr, mais aussi les femmes, désinvidualisées et sexualisées par des métaphores animalisantes.
Parmi la pléthore d’exemples à portée de main, en voici un traité par Adams pour illustrer la transposition du caractère consommable de l’animal désindividualisé à la femme par le biais de la sexualisation.
Tirée du magazine Playboar (titre parodique du célèbre Playboy), on y voit une truie en petite tenue esquisser un geste masturbatoire. La publication originale affichait le nom « Ursula Hamdress », en référence à l’actrice Ursula Andress, connue pour son rôle de Bond girl, comble du sex symbol à l’époque. Au détour d’un jeu de mots (où « Hamdress » signifie « robe de jambon »), on rapporte une femme, hissée au rang d’universel en vertu de son statut d’icône sexuelle, à un animal associé ici à la lubricité.
Outil herméneutique de la syntaxe graphique et langagière de la politique sexuelle de la viande, le concept de référent absent explique en partie comment l’idéologie de l’oppression passe inaperçue, de même que l’oppression elle-même. Selon Adams, les violences infligées aux animaux dans l’industrie de la viande disparaissent en tant que violences quand les animaux eux-mêmes disparaissent en amont des rapports de pouvoir grâce à plusieurs techniques discursives métaphoriques. La plus archétypale d’entre elles correspond à la métaphore du dépeçage (butchering), qui, dans le cas des animaux, passe de la figure de style au littéral. Émilie Dardenne résume bien le procédé :
[…] l’oppression des femmes et celle des animaux sont rendues possibles par un mécanisme d’absentement métaphorique par le langage. Par exemple, lorsque nous mangeons des nuggets, nous ne disons pas que nous mangeons tel poulet, ni même que nous mangeons du poulet. L’animal désincarné devient matière consommable. Carol Adams nous invite à prendre conscience de la portée idéologique de ces métaphores. Lorsque l’image du dépeçage est mobilisée pour évoquer la condition des femmes violentées, elle renvoie métaphoriquement à l’idée que celles-ci ne sont pas considérées comme des personnes. Pour l’autrice, le niveau d’oppression invisible est double, cependant, car le découpage littéral des animaux non humains n’est lui pas métaphorique. Il est bien réel[51].
Sournoises, les structures du référent absent ont été intériorisées par les victimes de violences sexuelles. Ayant oeuvré longtemps dans des centres venant en aide aux femmes victimes de violence conjugale, Adams se rappelle cette comparaison sans cesse proférée comme un lieu commun : « Je me sentais comme une pièce de viande. » Le référent absent s’utilise ainsi pour rendre compte d’une expérience de violence, éclipsant dans ce cas l’animal mort qui prête sa signification au contexte. Adams donne aussi l’exemple des écologistes qui dénoncent le « viol » de la nature, comparant l’environnement au corps des femmes, ces dernières devenant à leur tour référent absent.
En plus de dévoiler la dématérialisation de violences bien matérielles, Adams cherche à faire prendre conscience de l’instrumentalisation des souffrances d’autrui par les multiples usages du référent absent. Les féministes qui dénoncent à juste titre le traitement des femmes comme autant de morceaux de viande doivent, selon l’autrice, reconnaître la violence envers les animaux qu’elles estompent en l’appliquant comme métaphore. L’effacement de l’intersection des oppressions s’opère même au sein des mouvements progressistes avec des slogans comme « On n’est pas des animaux ! », « On ne mérite pas d’être traité·es comme du bétail ! », « Je ne suis pas un morceau de viande! », « Nous sommes des humains après tout! », etc.
Pour Carol Adams, le concept de référent absent doit mettre au jour les croisements des oppressions, et non pas les effacer. La théorie critique féministe végane de Carol Adams exhorte à restaurer le référent absent dans le langage ordinaire et dans le langage spécialisé de l’industrie afin de découvrir l’individu derrière le symbole.
CONCLUSION
Mise en oeuvre pour la première fois dans La Politique sexuelle de la viande, la grille d’analyse féministe végane de Carol Adams met en évidence la connexion entre le patriarcat et la consommation de viande afin de critiquer les idéologies oppressives auprès de leurs racines communes. Sans prétendre à l’exhaustivité, notre article a proposé une présentation de cette perspective originale et une exploration de quelques pistes de réflexion qu’elle ouvrit sur la déconstruction des discours de légitimation des violences sexistes et spécistes.
Parties annexes
Notes
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[1]
Nous reprenons la définition formulée sur la couverture du no 0 des Cahiers antispécistes, septembre 1991 : « Le spécisme est à l'espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe : la volonté de ne pas prendre en compte, ou de moins prendre en compte, les intérêts de certains au bénéfice d'autres, en prétextant des différences, réelles ou imaginaires, mais toujours dépourvues de lien logique avec ce qu'elles sont censées justifier. » https://www.cahiers-antispecistes.org/introduction/#nba (page consultée le 17 février 2023).
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[2]
Pour paraphraser la « Préface à l’édition vingtième anniversaire », in Carol J. Adams, La Politique sexuelle de la viande. Une théorie critique féministe végétarienne, trad. Danielle Petitclerc, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2016 [1990], p. 24-5. / « Preface to the Twentieth Anniversary edition », in Carol J. Adams, The Sexual Politics of Meat. A Feminist-Vegetarian Critical Theory, New York, Bloomsbury Academic, 2015 [1990], p. xviii (la pagination de cette édition sera indiquée entre crochets après la référence française).
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[3]
Pour alléger le texte, toute référence aux animaux renverra dorénavant aux animaux non humains.
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[4]
« Préface à l’édition originale », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 45 [xxxiv].
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[5]
Sauf indication contraire, les informations biographiques qui suivent proviennent des préfaces aux différentes éditions de La Politique sexuelle de la viande et du site web de Carol J. Adams : https://caroljadams.com/cja-bio (consulté le 8 avril 2023).
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[6]
Adams, Carol J., « Which Came First HD », vidéo publiée en juillet 2016 sur chaîne YouTube de Carol Adams : https://www.youtube.com/watch?v=iCi9sFY42K4&ab_channel=CarolAdams, à 1 minute 30 secondes (nous traduisons).
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[7]
« Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 30 [xxiii].
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[8]
Ibid., p. 36 [xxvi] (nous soulignons). Voir aussi Adams, Carol J., The Pornography of Meat, New York, Lantern Books, 2003, p. 13 (nous traduisons, l’autrice souligne) : « La question qui survient à l’esprit est donc la suivante : comment quelqu’un devient-il quelque chose ? Comment quelqu’un en vient-il à être vu comme un bien, un produit, un objet de consommation ? Comment son utilité à titre de produit pour quelqu’un d’autre devient-elle plus importante que sa valeur intrinsèque, que sa personne unique et à part entière ? La réponse est que nous ne voulons pas vraiment le savoir. »
-
[9]
Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 310 [174]. Adams réitère sa dette philosophique envers Bartky ici : « Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, ibid., p. 29 [xxi]. Cf. Bartky, Sandra Lee, « Phenomenology of Feminist Consciousness », Femininity and Domination. Studies in the Phenomenology of Oppression, New York, Routledge, 1990, p. 14-15.
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[10]
Cf. Pateman, Carole, Le contrat sexuel, trad. Charlotte Nordmann, Paris, La Découverte, 2022 [1988], p. 43 : « Dans le patriarcat moderne, la différence des sexes est présentée comme la différence naturelle par excellence. Le droit patriarcal des hommes sur les femmes est présenté comme l’expression de l’ordre de la nature. »
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[11]
Bartky, « Phenomenology of Feminist Consciousness », op. cit., p. 14 (nous traduisons) : « Tant que leur situation est appréhendée comme naturelle, inévitable et inéluctable, la conscience que les femmes ont d’elles-mêmes, aussi lucide quant à l’insulte et à l’infériorité de leur condition, n’est pas encore une conscience féministe. »
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[12]
Midgley, Mary, Animals and Why They Matter, Athens, The University of Georgia Press, 1983, p. 27. Adams la cite à deux reprises : « Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 34 [xxv] ; ibid., p. 239 [125].
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[13]
Adams, « Which Came First HD », op. cit., à 3 minutes 7 secondes (nous traduisons).
-
[14]
« Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 29 [xxi] (traduction modifiée).
-
[15]
Idée magnifiquement exprimée dans ce texte écrit par Caroline Rémy (Alias Séverine) au début du siècle dernier : « Parce que je ne suis “qu’une” femme, parce que tu n’es “qu’un” chien, parce qu’à des degrés différents sur l’échelle des êtres nous présentons des espèces inférieures au sexe masculin – si pétri de perfections ! –, le sentiment de notre mutuelle minorité a créé entre nous plus de solidarité encore, une compréhension davantage parfaite. » Séverine, Sac à tout : mémoires d’un petit chien, Paris, Félix Juven éditeur, 1903, dédicaces p. 2-3.
-
[16]
Cf. Renard, Alexia, et Virginie Simoneau-Gilbert, Que veulent les véganes ? La cause animale, de Platon au mouvement antispéciste, Montréal, Fides, 2021, pp. 46-50. Cela dit, certaines études montrent qu’il existe de nos jours un équilibre entre les genres dans le véganisme. Idem, p. 135. Sauf erreur, il n’existe pas encore de statistiques à propos de l’engagement des personnes non binaires dans la cause animale.
-
[17]
« Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 44 [xxxiii].
-
[18]
Ibid., p. 42 [xxxi].
-
[19]
Cf. https://www.ledevoir.com/societe/777232/au-quebec-des-truies-en-gestation-sont-encore-dans-des-cages-qui-les-empechent-de-bouger (page consultée le 22 juin 2023).
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[20]
Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 68 [4].
-
[21]
Adams ne fournit pas de chiffres ni de sources. Le site du gouvernement du Canada stipule que l’apport nutritionnel de référence (ANR) de protéines pour les hommes entre 19 et 30 ans correspond à 56 g. L’ANR de protéines pour les femmes du même âge qui sont enceintes ou qui allaitent correspond à 71 g. Site web : https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/saine-alimentation/apports-nutritionnels-reference/tableaux/valeurs-reference-relatives-macronutriments.html (page consultée le 8 avril 2024).
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[22]
« Préface à l’édition originale », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 49 [xxxvii].
-
[23]
Le système lui-même est fixe, mais ses frontières sont poreuses. Un homme peut être « déclassé » en femme, une femme peut être animalisée, un homme noir être « bestialisé », etc.
-
[24]
Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 302 [231] : « En percevant le néant de la viande, nous la dépouillons de sa signification phallocentrique et lui nions toute valeur patriarcale symbolique qui nécessite un référent absent. »
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[25]
Le tableau provient de Adams, The Pornography of Meat, op. cit., p. 50 (nous traduisons).
-
[26]
Héritier, Françoise, Masculin/féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 70.
-
[27]
« Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 36 [xxvii]. L’exemple de la quiche est discutable, puisqu’il évoque tout de même la consommation de protéines animales (« féminisées », dira Adams).
-
[28]
« Préface à l’édition vingtième anniversaire », in ibid., p. 26-27 [xix-xx]
-
[29]
Jacques Derrida, «“Il faut bien manger” ou le calcul du sujet. Entretien avec Jean-Luc Nancy » (1989), in Derrida, Jacques, Points de suspension. Entretiens, Paris, Galilée, 1992, p. 228.
-
[30]
Descartes, René, Correspondance avec Arnauld et Morus, trad. G. Rodis-Lewis, Paris, Vrin, 1953, p. 127.
-
[31]
Les détracteurs de l’antispécisme qui l’accusent d’être un anti-humanisme ont donc partiellement raison, mais ils ne savent généralement pas pourquoi ni en quel sens.
-
[32]
Ailleurs, Derrida écrit : « Le sacrifice carnivore est essentiel à la structure de la subjectivité, c’est-à-dire au fondement du sujet intentionnel et, sinon de la loi, du moins du droit. » Derrida, Jacques, Force de loi. Le fondement « mystique » de l’autorité, Paris, Galilée, 1994, p. 42.
-
[33]
Adams, Carol J., The Sexual Politics of Meat. A Feminist-Vegetarian Critical Theory, Cambridge, Polity Press, 1990, p. 56 (passage absent des éditions subséquentes du livre et de la traduction française). Cf. Llored, Patrick, Jacques Derrida. Politique et éthique de l’animalité, Bruxelles, Les Éditions du Sils-Maria, 2012, p. 102.
-
[34]
Adams, Carol J., « Caring About Suffering. A Feminist Exploration », in Josephine Donovan et Carol J. Adams (dir.), The Feminist Care Tradition in Animal Ethics, New York, Columbia University Press, 2007, p. 198.
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[35]
Nous soulignons. Étrangement, cette phrase est absente de l’édition française. Elle devrait se trouver à la p. 153 [63]. Au lieu de cela, on peut lire : « Le véganisme est une position éthique fondée sur la compassion pour tous les êtres. » Dans la préface à l’édition dixième anniversaire, on peut tout de même lire (p. 42) : « Qu’en est-il du véganisme, c’est-à-dire de l’abstinence de tout ingrédient d’origine animale ? Le végétarisme envisagé dans le présent ouvrage n’inclut ni produits laitiers ni oeufs. »
-
[36]
Les informations qui suivent proviennent directement de Carol Adams, qui a aimablement répondu à mes interrogations par courriel au mois de mars 2023.
-
[37]
Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 153 [60-61].
-
[38]
« Préface à l’édition dixième anniversaire », in ibid., p. 44 [xxxiii].
-
[39]
Adams, « Caring About Suffering. A Feminist Exploration », op. cit., p. 198.
-
[40]
Ibid. Cf. aussi Donovan, Josephine et Carol J. Adams, « Introduction », in Donovan et Adams, The Feminist Care Tradition in Animal Ethics, op.cit., pp. 4-6.
-
[41]
Adams, Carol J., « Ecofeminism, Anti-speciesism, and eco-activism. An interview with Carol J. Adams by Matteo Gilebbi », in Carol J. Adams, The Carol J. Adams Reader. Writings and Conversations (1995-2015), New York, Bloomsbury Academic, 2016, p. 389.
-
[42]
« Préface à l’édition vingtième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 22 [xvi].
-
[43]
Adams, Carol J., « Preface to the Bloomsbury Revelations Edition », in Carol J. Adams, Neither Man Nor Beast. Feminism and the Defense of Animals, London, Bloomsbury Academic, 2018 [1994] p. xxxi. Aussi Adams, Carol J., « Afterword », in Aph Ko and Syl Ko, Aphro-ism. Essays on Pop Culture, Feminism, and Black Veganism from Two Sisters, New York, Lantern Books, 2020 [2017], p. 139.
-
[44]
Horkeimer souligne que la théorie critique « donne une impression de partialité et d’injustice parce qu’elle va contre les habitudes de pensée en vigueur, qui contribuent à perpétuer le passé et défendent les intérêts d’un ordre périmé et partial dont elles sont les garantes ». Horkeimer, Max, Théorie traditionnelle et théorie critique, trad. C. Maillard, S. Muller, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1996 [1937], p. 52.
-
[45]
« Préface à l’édition dixième anniversaire », in Adams, La Politique sexuelle de la viande, op. cit., p. 36 [xxvii]
-
[46]
« Préface à l’édition originale », in ibid., p. 45 [xxxiv].
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[47]
Adams, The Pornography of Meat, op. cit., p. 14 ; traduction libre.
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[48]
Burgat, Florence, Liberté et inquiétude de la vie animale, Paris, Kimé, 2006, p. 57.
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[49]
Burgat, Florence, Animal, mon prochain, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 195.
-
[50]
Dans une entrevue, Adams mentionne qu’elle a croisé le concept de référent absent pour la première fois en 1987 dans l’essai de Margaret Homans Bearing the Word. Language and Female Experience in Nineteenth-Century Women's Writing. Cf. Steffen, Heather, « Vegan Feminist: An Interview with Carol J. Adams », The Minnesota Review, 2009, p. 111
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[51]
Dardenne, Émilie, Introduction aux études animales, 2e édition, Paris, Presses Universitaires de France, 2022 [2020], p. 261.