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Publié en 2017 par l’Institut d’administration publique du Canada aux Presses de l’Université d’Ottawa, ce troisième tome de l’histoire officielle du ministère des Affaires extérieures du Canada, intitulé Innovation et adaptation, 1968-1984, présente les mêmes qualités que les deux premiers volumes, parus en 1990 et 1995, et constitue une référence pour les chercheurs et tous ceux qui s’intéressent aux relations internationales du Canada.

Avec ses collègues de la Section historique du ministère, Mary Halloran et Greg Donaghy, auteur entre autres de l’ouvrage sur les relations canado-américaines pendant le mandat de Pearson, Tolerant Allies, John Hilliker poursuit son analyse méthodique de la politique étrangère canadienne, en s’intéressant cette fois à la période allant de 1968 à 1984, durant laquelle Pierre Elliott Trudeau a dirigé, presque sans interruption, les destinées du pays.

Il s’agit, sur la forme, d’un ouvrage volumineux. Aux 456 pages de texte s’ajoutent 150 pages d’annexes. Outre des organigrammes du ministère des Affaires extérieures (MAE), une trentaine de photographies des sous-ministres et des principaux hauts fonctionnaires ayant servi la diplomatie canadienne, et un index fort détaillé, on y trouve plus d’une centaine de pages consacrées aux références et notes de bas de page : cette partie offre une somme inestimable de sources et de documents d’archives, dûment référencés, qui témoignent de l’ampleur du travail mené dans les fonds du ministère, et qui font de cet ouvrage un point de départ incontournable pour les chercheurs s’intéressant à la politique étrangère de Trudeau.

Sur le fond, ce livre nous plonge dans un récit passionnant sur l’élaboration et la mise en oeuvre de la diplomatie canadienne. Le premier chapitre, intitulé « Nouveaux gars, nouvelles idées », présente les premiers mois du gouvernement Trudeau. Le jeune premier ministre, « extrêmement critique à l’égard du fond et du style de la diplomatie pearsonienne », annonça sa volonté de jeter un « regard impitoyable » sur l’OTAN et le NORAD et d’imposer de nouvelles orientations, pour améliorer les relations nord-sud, pour pallier l’exclusion de la Chine de la communauté internationale, et pour limiter la prolifération des armes nucléaires (p. 9).

Dans un contexte international dominé par la Guerre froide, mais aussi par les crises pétrolières et les débuts de la libéralisation des échanges, les chapitres qui suivent analysent, sur une base chronologique, l’évolution de la politique étrangère, traitant, entre autres, de la « troisième option » (p. 137-140) et des relations canado-américaines, des missions de la paix et des liens noués avec l’ONU, des échanges établis avec le Commonwealth et les pays du Sud. Les réactions du gouvernement Trudeau aux principaux événements qui marquent cette période, comme le Printemps de Prague, la Crise d’octobre ou la fin de la Guerre du Viet Nam sont également étudiées.

Le chapitre 7, intitulé « un changement de gouvernement, 1979-1980 », s’intéresse au court mandat du gouvernement conservateur de Joe Clark. Flora MacDonald, décrite comme « une rebelle de l’aile gauche du parti » et une « populiste d’instinct » (p. 294), est nommée à la tête du MAE, devenant la première femme à occuper la fonction.

Les deux derniers chapitres traitent du retour des Libéraux à la tête du pays, et abordent notamment le rapatriement de la constitution et l’échec de l’initiative pour la paix menée par Trudeau au début de 1984 (p. 434).

À travers cet exposé magistral de la politique étrangère du gouvernement Trudeau, ce livre nous présente également les réformes imposées au ministère des Affaires extérieures, et notamment l’annexion du Service des délégués commerciaux du Canada en 1982. Durant les années étudiées, le ministère a bénéficié d’une croissance régulière de ses ressources. En 1984, il absorbe 0,88 % du budget du gouvernement fédéral, et ses dépenses se chiffrent à quelque 784 millions de dollars. Le ministère atteint alors « des proportions inégalées » (p. 454) : les effectifs totalisent 2500 employés à l’administration centrale à Ottawa, comparativement à 1168 en 1968 ; et l’on compte 1700 fonctionnaires canadiens basés à l’étranger, épaulés par 3621 employés recrutés localement, pour gérer un réseau de 65 ambassades, 18 hauts-commissariats, 29 consulats et douze délégations auprès d’organisations internationales.

Outre cette intensification de ses activités, le MAE a transformé pendant cette période « son mode de fonctionnement et de façonnage des politiques », en adoptant notamment « une approche plus stratégique, offrant aux ministres des plans de longue haleine » pour mettre en oeuvre leurs orientations. Afin de prioriser la cohérence transgouvernementale, les décideurs du ministère – politiques et bureaucratiques – ont également dû apprendre à céder une partie de leurs pouvoirs aux autres ministères, aux gouvernements provinciaux, aux ONG, ainsi qu’à la société civile : sous la pression de Trudeau, adepte de la démocratie participative, et de Flora Macdonald, le ministère s’est assuré « de consulter de larges pans de la société canadienne sur le processus de la politique, tantôt ouvertement et formellement, tantôt à son insu, le public [ayant] son mot à dire dans cet environnement politique toujours plus complexe et participatif » (p. 456).

Ce livre, richement documenté, est le travail le plus complet réalisé sur les relations internationales du Canada pendant les années Trudeau, et il permet de jeter un éclairage nouveau sur certains aspects encore mal connus, notamment le Programme énergétique national (PEN). Il constitue également l’étude la plus complète sur l’évolution des structures et des politiques du MAE, dans une période qui ressemble encore à un âge d’or pour la diplomatie canadienne : durant les années 1990, un autre gouvernement libéral, celui de Jean Chrétien, réduira de 20 % le budget des Affaires extérieures, mettant un terme à la croissance observée sous Trudeau.