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Le 26 mai 1938, la Chambre des représentants du Congrès américain met sur pied le Special House Committee on Un-American Activities (SCUAA), également appelée « Commission Dies » en rappel à celui qui l’a présidée, Martin Dies (D-Texas)[1]. Cette commission d’enquête est, par ailleurs, le prédécesseur du House Un-American Committee (HUAC). Il faut retenir que la fondation de la Commission Dies s’inscrit dans le contexte et les tensions géopolitiques de l’époque. Plusieurs événements marquent l’année 1938 sur la scène internationale. L’expansionnisme pangermaniste d’Adolf Hitler est en plein essor. En mars, l’Allemagne nazie procède à l’Anschluss, c’est-à-dire à l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne. La crise dans les Sudètes s’intensifie alors que les Allemands de la région, menés par le leader du Parti allemand des Sudètes Konrad Henlein, prônent la fondation d’un territoire allemand autonome et son intégration au IIIe Reich. Mai 1938 marque également la visite d’Hitler à Rome qui cherche, en vain, à créer une alliance militaire entre les deux États[2]. En guise de réponse à l’expansionnisme allemand et à l’invasion de la Chine par le Japon, Roosevelt demande un renforcement de la marine en prétextant que les États-Unis pourraient avoir à se défendre sur deux continents à la fois. C’est en mai de cette année que le Congrès vote, par le Naval Act, un crédit d’un milliard de dollars et procède à la fabrication de deux nouveaux cuirassés[3]. Sur le plan intérieur, 1938 marque l’essoufflement du New Deal qui devient de plus en plus contesté par une partie des partisans démocrates qui s’opposent à ses dérives « socialistes »[4].

C’est donc dans ce contexte qu’émerge la Commission Dies. Déjà, en 1934, sous l’égide du membre de la Chambre Samuel Dickstein (D-New York), une commission qui se penche sur les activités antiaméricaines est approuvée. John McCormack (D-Massachussetts) devient son président et Dickstein, qui croit que ses origines juives pourraient nuire à la constitution de cette commission, en est le vice-président[5]. La Commission « McCormack-Dickstein[6] » se lance dans la chasse aux sympathisants nazis en menant rapidement des investigations et des audiences sur la propagande nazie et « d’autres types de propagandes » aux États-Unis[7]. Bien que prônant la neutralité et l’isolationnisme, des voix s’élèvent contre la menace nazie en sol américain. Les journaux sensationnalistes, le succès du film Confession of a Nazy Spy[8], la parution de romans comme celui de Sinclair Lewis, It Can’t Happen Here[9], augmentent ces sentiments de peur hystérique. Or, l’existence de la Commission McCormarck-Dickstein est de courte durée. Elle est remplacée par le SCUAA en 1938.

De sa création à sa dissolution en 1944, le mandat du Special House Committee on Un-American Activities consiste à se pencher sur la menace de la subversion antiaméricaine d’extrême droite et d’extrême gauche aux États-Unis. Mais tout au long de son mandat, le SCUAA s’acharne d’une part sur les dangers provenant de la gauche, et d’autre part, il mène des enquêtes contre les organisations de droite radicale dont la fréquence se révèle bien souvent irrégulière et le déroulement quelque peu désorganisé[10]. Jusqu’à présent, peu d’auteurs ont analysé le regard de cette commission d’enquête par rapport à l’extrême droite. L’historiographie sur le sujet, peu volumineuse et vieillissante, porte surtout sur l’acharnement de la Commission Dies à s’attaquer au New Deal du président Roosevelt et au communisme[11]. Le texte proposé ici a pour but d’apporter une contribution historiographique en se penchant sur le regard de la Commission Dies à l’endroit des organisations d’extrême droite de souches « étrangères » et « nativistes ». Comment la Commission perçoit-elle la menace des mouvements issus de cette droite radicale ? Quels sont les facteurs qui ont joué un rôle dans le développement des enquêtes du SCUAA ? Que nous apprend cette commission d’enquête sur la droite radicale américaine ? Nous soutenons que le SCUAA, dont les idées sont somme toute conservatrices[12], ne perçoit pas toutes les organisations extrémistes de droite de la même façon, et que c’est surtout l’influence étrangère nazie et fasciste sur celles-ci qui était perçue comme étant subversive et antiaméricaine. À ce titre, la Commission cherche principalement à démontrer l’influence du German-American Bund, organisation germano-américaine pronazie, sur d’autres mouvements extrémistes. Une recherche sur le regard de la Commission Dies sur l’extrême droite revêt une certaine importance pour plusieurs raisons, dont entre autres, qu’elle est l’une des seules instances gouvernementales de l’époque, formée par le Congrès, à dévoiler publiquement des informations sur l’extrême droite « étrangère » et nativiste aux États-Unis. Comme le souligne l’historien Francis MacDonnell :

The House Un-American Activities Committee and its Chairman Martin Dies proved to be the most important congressional commentators on the Fifth Column. Though the committee principally focused on Soviet Fifth Column activities, it was also very much involved in investigating and denouncing Nazi intrigue. Dies and his colleagues used the spy menace in order to win free publicity. The conservative members of HUAC also saw the Fifth Column problem as a way to attack the Roosevelt administration[13].

Notre hypothèse s’appuie, entre autres, sur les audiences publiques (Public Hearings) ainsi que sur les rapports rédigés par la Commission Dies et présentés devant le Congrès américain. L’utilisation de ces sources constitue un avantage en ce sens qu’elles mettent à notre disposition un bilan complet de tous les documents officiels de la Commission Dies[14]. Ces rapports sont fortement utiles pour comprendre, d’une part, le regard de la Commission Dies concernant l’extrême droite et, d’autre part, ils permettent d’observer l’évolution des enquêtes du SCUAA contre la menace subversive de la droite radicale par rapport au déroulement de la Seconde Guerre mondiale et du rôle des États-Unis dans le conflit. Il faut mentionner, par ailleurs, que cette commission d’enquête n’était pas permanente et qu’elle a dû être renouvelée à plusieurs reprises par le Congrès. Les enquêtes menées par le SCUAA contre la droite radicale se sont ainsi révélées sporadiques, à quelques occasions, et étaient considérées comme sensationnalistes. Qui plus est, les enquêtes du SCUAA contre l’extrême droite ont constitué une source d’information pour la population de l’époque et ont contribué à amplifier la peur d’une réelle menace d’une cinquième colonne nazie et fasciste au sein du peuple américain. Notre étude s’appuie également sur un rapport concernant l’extrême droite nativiste qui n’a jamais été officiellement publié par le SCUAA intitulé Report on the Axis Front Movement in the United States[15]. En raison de l’attaque de Pearl Harbor par le Japon et de l’entrée en guerre des États-Unis le 7 décembre 1941, celui-ci a été remplacé par un rapport dédié à la menace japonaise[16]. Notre recherche demeure l’une des seules à utiliser cette source qui offre pourtant un portrait intéressant de l’extrême droite nativiste américaine. Sa mise au rancart par la Commission Dies démontre son désintérêt d’enquêter sur cette droite nativiste et il semblerait, à l’époque, qu’il devenait en effet plus pertinent pour Martin Dies et ses collègues de se pencher sur d’autres types d’activisme antiaméricain que de réellement chercher à saisir les tenants de la droite nativiste. Nous nous sommes aussi basés sur les archives et les correspondances personnelles de Martin Dies (Martin Dies Papers), disponibles à la bibliothèque Sam Houston (Texas). Celles-ci offrent un regard plus subjectif de la vision de Martin Dies, notamment en ce qui a trait à la droite radicale. En plus, nous utilisons le livre de Martin Dies : The Trojan Horse in America[17]. Même si Dies s’attaque à la subversion d’extrême droite dans cet ouvrage, il y démontre autant son acharnement à explorer la menace gauchiste. Finalement, nous avons également consulté les archives des débats du Congrès (Congressional records) et des journaux de l’époque. Le New York Times, le Los Angeles Times et le Chicago Tribune, entre autres, ont donné beaucoup de publicité à la Commission Dies en lui accordant plusieurs colonnes dans leurs publications, notamment concernant les mouvements d’extrême droite[18]. Ainsi, ces sources mettent en corrélation le désir pour la Commission Dies d’obtenir de la publicité gratuite et ses enquêtes à l’égard de la droite radicale.

Dans sa thèse de doctorat, Nancy Lynn Lopez affirme que la Commission Dies a enquêté sur plus de 260 organisations d’extrême droite[19]. Il serait impossible dans ce texte d’analyser l’ensemble de ces organisations. C’est pourquoi le paradigme de l’étude de cas a été privilégié comme approche méthodologique. Nous abordons ici quatre cas particuliers afin de démontrer les différentes caractéristiques du regard de la Commission Dies sur la droite ultra-radicale. Cette recherche s’attarde d’abord aux mouvements d’extrême droite « étrangers ». Le concept d’extrême droite étrangère se définit par des organisations principalement composées d’immigrants qui font l’apologie de doctrines extrémistes provenant du Vieux Continent : le nazisme et le fascisme[20]. Deux cas ont été retenus pour étudier cet aspect. D’abord, celui du German-American Bund (GAB), principal mouvement pronazi de l’entre-deux-guerres constitué d’immigrés allemands[21], et par la suite les organisations fascistes italo-américaines et les chemises noires, calquées davantage sur le régime de Mussolini[22]. Nous analyserons ensuite le regard du SCUAA sur la droite radicale de souche américaine, dite « nativiste[23] », en tenant compte des cas du Ku Klux Klan[24] ainsi que du père Charles E. Coughlin[25] et de son mouvement, le Christian Front. Avant de faire cette analyse, nous élaborerons d’abord sur le cadre conceptuel de notre problématique de recherche afin d’apporter une définition au terme « extrême droite » et de mieux comprendre les quatre organisations extrémistes retenues dans ce texte. Nous nous consacrerons aussi à la compréhension des principaux facteurs qui ont une influence sur les enquêtes de la Commission Dies.

L’extrême droite aux États-Unis durant la Guerre : définition et groupes représentatifs

Établir une définition du terme « extrême droite » peut s’avérer a priori une tâche ardue. De surcroît, la polémique entourant le concept suscite toujours, à l’heure actuelle, l’intérêt de plusieurs chercheurs[26] alors que dans le quotidien, il est parfois utilisé de façon péjorative. Son emploi par la communauté scientifique n’est d’ailleurs pas universel. Certains chercheurs anglo-saxons adoptent plutôt les termes « droite radicale » ou « populisme de droite »[27]. Ces choix ont la possibilité d’offrir un sens plus large aux interprétations et, par conséquent, d’insérer un plus grand nombre d’organisations situées à droite de l’échiquier politique. De plus, ces appellations s’adaptent mieux à l’époque post-Seconde Guerre mondiale puisque des mouvements extrémistes subsistent dans des pays démocratiques[28]. Notons aussi que les chercheurs utilisent parfois différents vocabulaires afin d’éviter les répétitions[29]. Néanmoins, comme le souligne Cas Mudde, coéditeur de l’European Journal of Political Research et professeur à l’Université de Géorgie, malgré les divergences relatives entre les différents termes, ceux-ci sont employés par les chercheurs afin de discuter d’organisations tissant des liens idéologiques et politiques similaires telles que le nationalisme, le chauvinisme, la xénophobie, l’exclusion, le moralisme conservateur et la recherche d’un État fort[30]. Ainsi, comme le précise Pierre Milza dans son livre sur l’extrême droite en Europe après la Seconde Guerre mondiale, il n’existe pas une extrême droite, mais des extrêmes droites[31]. Selon le dictionnaire Larousse, « [o] n désigne sous cette appellation l’ensemble des mouvements qui se rattachent à l’idéologie contre-révolutionnaire et qui récusent aussi bien le libéralisme que le marxisme. Considérant comme légitime l’emploi de la violence, ils réclament un régime fort. L’antiparlementarisme et l’anticommunisme sont les deux thèmes essentiels de l’extrême droite »[32]. Kathleen Blee et Kimberly A. Creasap, reconnues pour leur recherche sur la droite radicale, rappellent à leur tour qu’il existe une différence entre les mouvements de droite conservatrice et les organisations d’extrême droite (right-wing movements)[33]. Si les mouvements de droite conservatrice s’appuient sur le patriotisme, l’entreprise privée et le capitalisme, l’ordre et les valeurs morales traditionnelles, la violence n’est pas perçue comme une stratégie fréquente à employer. Or, si ces valeurs conservatrices font certes partie de l’idéologie de l’extrême droite, les mouvements qui s’y réclament font parfois la promotion de la violence et de la supériorité raciale[34]. Nous pouvons donc conclure que les organisations d’extrême droite se caractérisent généralement par leur :

  • opposition aux dérives socialistes-marxistes et communistes ;

  • nationalisme ;

  • chauvinisme ;

  • sentiment parfois hostile aux valeurs démocratiques libérales ou parlementaristes ;

  • autoritarisme ;

  • recherche d’un chef charismatique ;

  • xénophobie ;

  • tendance raciste ou antisémite ;

  • opinion favorable à l’inégalité fondamentale des individus ;

  • adhésion à un ordre anti-égalitaire de la société ;

  • sympathie aux théories conspiratrices ;

  • assentiment aux discours populistes ;

  • apologie de la violence et du terrorisme pour arriver à leurs fins[35].

Cela dit, il faut noter qu’il existe certaines caractéristiques propres à l’extrême droite américaine. Contrairement à l’Europe, par exemple, les États-Unis ne connaissent pas le chaos des deux guerres mondiales sur leur territoire. Aucun régime autoritaire n’a pris le pouvoir depuis sa fondation. L’histoire des États-Unis est aussi liée à la création de la démocratie moderne[36]. Ensuite, outre les valeurs de droite radicale mentionnées précédemment, ajoutons que la droite radicale américaine a un fort attrait pour le fondamentalisme chrétien et éprouve une méfiance à l’égard du gouvernement fédéral et de la centralisation des pouvoirs. Notons également que l’histoire de la droite radicale aux États-Unis est intrinsèquement liée à l’importance des premier et deuxième amendements de la Constitution américaine, soit la liberté d’expression et le droit du port des armes à feu[37]. Finalement, il ne faut pas oublier qu’en dépit de ne pas avoir connu les deux guerres mondiales sur son territoire, le paysage américain a été déchiré par l’esclavagisme, la guerre de Sécession et la ségrégation raciale qui en découlera par la suite. Ces éléments constituent des pierres d’assises de la droite radicale aux États-Unis. Dans l’article Conservative and Right-Wing Movements, Blee et Creasap offrent des conclusions intéressantes sur la composition de l’extrême droite américaine :

Right-wing movements in the United States openly and virulently embrace racism, anti-semitism, and/or xenophobia and promote violence. They include long-standing racist movements such as the KKK ; white supremacist ; Neo-Nazi, and white power skinhead groups ; and racialist and violent groups of nationalists and patriots (Gallaher, 2004 ; McVeigh, 2009). Their historical orientations vary, with the KKK focused on the Confederacy of the Civil War era, neo-Nazis focused on World War II-era Nazi Germany, and nationalists/patriots focused on the 1776 American Revolution (Durham, 2007). Their locations also vary, as the KKK is generally in the South and Midwest, neo-Nazis across the country, and nationalists/patriots in the West and Southwest (Flint, 2004)[38].

Il est impératif de distinguer la droite radicale de souche américaine et les mouvements qui se réclament des idéologies issues de l’extrême droite « étrangère » de la période de l’entre-deux-guerres. Peu après la fin de la Grande Guerre et le début de la Crise économique de 1929, nous assistons un peu partout dans le monde à l’émergence de nombreux groupuscules d’extrême droite calqués sur les modèles fascistes et nazis[39]. Aux États-Unis, c’est le cas, par exemple, de deux organisations qui font l’objet de cette étude. D’abord celui du German-American Bund qui se fonde sur le nazisme hitlérien, ensuite celui du mouvement fasciste italo-américain, adepte du régime de Mussolini. Ces types d’organisations s’inspirent d’idéologies empruntées à des mouvements « étrangers ». Comme nous le verrons, le Bund germano-américain et les chemises noires italo-américaines seront perçus comme étant subversifs par la Commission Dies, notamment parce qu’elles propagent des valeurs étrangères considérées antiaméricaines.

Si des organisations américaines d’extrême droite émergent grâce à la montée du fascisme et du nazisme pendant la période de l’entre-deux-guerres, une droite radicale de souche américaine, aussi appelée « nativiste », existe bel et bien aux États-Unis, et ce, pratiquement depuis sa fondation[40]. Ce courant de droite « nativiste » se forge sur une définition de l’américanisme basée sur une volonté de préserver une société américaine blanche, anglo-saxonne et protestante (White Anglo-Saxon Protestant) à l’état pur[41]. Dans l’esprit du darwinisme social et des idéologies sur la hiérarchie des « races », cette droite radicale s’appuie sur le fait que les États-Unis ont été fondés par « l’homme blanc » aux valeurs puritaines. L’extrême droite américaine nativiste, qui se veut patriotique et nationaliste, désire préserver ultérieurement les valeurs morales du « vrai Américain » issu d’une société nouvelle pour l’époque. Le nativisme américain se veut le défenseur du conservatisme, de l’américanisme contre les valeurs étrangères et des dérives subversives, voire antiaméricaines.

Dans ce contexte, les premiers groupes de droite radicale nativistes, comme le Native American Party et le Know Nothing Party, émergent aux États-Unis au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, notamment en raison de la forte vague d’immigration irlandaise et allemande de confession catholique en Amérique[42]. Quelques années plus tard, après la guerre de Sécession et la défaite sudiste, le Ku Klux Klan voit le jour. Ces mouvements et leurs idéologies ont une influence considérable sur les différentes organisations d’extrême droite nativiste qui se forment au cours des décennies suivantes.

Comme nous l’avons mentionné, la droite radicale nativiste est patriotique et proaméricaine. Ainsi, la majorité de ces mouvements issus de la période de l’entre-deux-guerres appuient la Commission Dies puisqu’elle enquête surtout sur la subversion de gauche et les dérives communistes, ennemis de la droite ultraconservatrice. Les enquêtes du SCUAA contre l’extrême droite de souche américaine sont d’ailleurs liées à la conjoncture géopolitique particulière de l’époque ainsi qu’à la montée des « fascismes ». D’ailleurs, plusieurs mouvements de droite radicale nativiste connaissent un certain succès pendant la période précédant la Seconde Guerre mondiale. Contrairement aux mouvements d’extrême droite « étrangers », leurs idéologies de base font partie, dans un sens, de la société américaine dans laquelle il existe un certain désir de préserver l’héritage anglo-saxon aux États-Unis[43]. Et ce courant « nativiste » touche la société américaine au-delà du simple spectre de l’extrême droite puisqu’il contribuera grandement à l’implantation de diverses lois discriminatoires restreignant l’immigration aux États-Unis[44].

Le Ku Klux Klan

Le Ku Klux Klan (KKK), emblème même du nativisme américain d’extrême droite, s’inspire des mouvements de droite radicale nativiste des années 1840-1850. Fondé en 1866 à Pulaski, au Tennessee, peu après la défaite sudiste lors de la guerre de Sécession, le Ku Klux Klan se targue avant tout de s’insurger contre la récente émancipation des Noirs et l’établissement de politiques visant à favoriser leur égalité sociale, économique et politique. Faisant de la supériorité de la race blanche son outil de propagande principal, l’organisation sombre rapidement dans la violence ; elle compte près de 500 000 membres vers 1868[45]. L’adoption en 1871 de la Ku Klux Klan Act – une loi visant à condamner « tout groupe d’au moins deux personnes qui viole la Constitution des États-Unis » – rend cette première souche du Klan illégal[46].

Le début de la ségrégation raciale aux États-Unis et la Première Guerre mondiale favorisent toutefois l’émergence d’une deuxième version du Klan. Celle-ci voit le jour en 1915, soit la même année que la sortie du célèbre long-métrage The Birth of a Nation de D. W. Griffith qui fait l’apologie du Ku Klux Klan. Le mouvement klaniste reprend certes les idéologies nativistes d’une Amérique blanche pure à cent pour cent, mais la deuxième incarnation du Klan évolue en adoptant des sentiments anticommunistes, xénophobes, antisémites et anticatholiques. Le Klan est également en faveur du courant isolationniste et de la neutralité américaine dans les conflits mondiaux. Ses tentacules se répandent rapidement hors du Sud profond et atteignent maintenant le Midwest et les grandes villes côtières ; c’est l’époque de l’apogée du Klan. En 1924, « l’Empire invisible », comme il est surnommé, compte plus de cinq millions de membres[47]. Dans les années 1930, le Klan connaît un déclin. Certaines sections du KKK, principalement celles du Nord, commencent à emprunter des éléments de la doctrine nazie, notamment véhiculée par le German American Bund[48]. Alors que le monde est sur le point de sombrer dans le conflit le plus meurtrier de l’histoire, une véritable coopération entre les deux mouvements s’organise sous l’égide du Grand sorcier du Klan, James Colescott[49]. D’ailleurs, les deux organisations se rencontrent à quelques reprises dans les camps Siegfried (New York) et Nordland (New Jersey) qui appartiennent au Bund germano-américain[50]. Or, l’expansionnisme allemand, ses lois antisémites et ses pogroms – pensons à la « nuit de Cristal » en 1938 – font mauvaise presse. Les relations entre le Klan et les mouvements profascistes s’estompent pour ne pas compromettre l’unité nationale pendant la Seconde Guerre mondiale. Si James Colescott doit annoncer la dissolution officielle du Klan en 1944 pour cause d’impôts impayés, la ségrégation raciale et la lutte des droits civiques des Afro-Américains renforcent malgré tout le mouvement peu après la Seconde Guerre mondiale. À l’heure actuelle, même si son influence s’est largement affaiblie, le Ku Klux Klan existe toujours[51].

Les chemises noires fascistes italo-américaines

L’immigration italienne vers les États-Unis connaît un essor considérable à partir de 1880, notamment en raison de la famine qui sévit en Italie et des mesures répressives prises par le gouvernement italien pour contrer le socialisme sur le front intérieur. La majorité de ces immigrants, d’allégeance catholique pour la plupart, s’installent dans les grandes métropoles et les centres industriels de la côte est des États-Unis[52]. Les Italo-Américains sont plus de deux millions en 1900. Entre 1899 et 1924, 3 820 986 Italiens débarquent aux États-Unis[53]. Si certains quittent l’Italie avec l’arrivée de Mussolini au pouvoir, le taux d’immigrants italiens vers les États-Unis chute quelque peu, notamment en raison de l’Immigration Act de 1924[54]. En 1930, le bureau du recensement américain compte 5 millions d’Italo-Américains, qu’ils soient nés aux États-Unis, ou à l’étranger[55].

En octobre 1922, Mussolini et ses faisceaux italiens marchent sur Rome. L’Italie devient le premier État fasciste de l’histoire. Peu après, plusieurs groupes profascistes, arborant la chemise noire, voient le jour aux États-Unis. Leurs rangs sont constitués principalement d’Italo-Américains et comptent un certain nombre de figures italo-américaines importantes[56]. En effet, par fierté nationaliste, notamment amplifiée par les victoires politiques de Mussolini, un certain nombre d’Italo-Américains éprouvent de la sympathie pour le nouveau régime fasciste. Ajoutons également qu’une partie de ces derniers sont des immigrants récemment arrivés aux États-Unis qui vivent une période de transition entre leur pays natal et leur terre d’accueil[57]. Comme le souligne l’historien Philip Jenkins : « Mussolini’s success was greeted in these circles as a reaffirmation of national pride, the salvation of the nation from anarchy and irreligion[58]. »

Le mouvement fasciste aux États-Unis se forme sous la tutelle de la Fascist League of North America (FLNA), fondée en 1924 et coordonnée directement par le Parti fasciste en Italie. En Amérique du Nord, le fascisme rencontre un succès mitigé, mais réel. Il existe à l’époque une tolérance vis-à-vis du fascisme italo-américain de la part de la population américaine et également du gouvernement. Dans les années 1920, le fascisme italien acquiert une certaine popularité au sein de la population italienne et américaine, notamment par son discours anticommuniste et ses idéologies sociales progressistes (social progressivism). Avant son alliance avec l’Allemagne nazie et sa politique expansionniste à l’endroit de l’Éthiopie, le Parti fasciste italien est perçu comme une force pouvant nuire à l’impérialisme hitlérien[59]. Pour le président Roosevelt, il ne constitue pas à proprement parler une réelle menace. Ni le public américain ni le gouvernement fédéral n’ont été véritablement agités par la cinquième colonne italienne. Cette tendance reflète les réalités des puissances internationales de l’époque, alors que Mussolini est perçu comme un ennemi beaucoup moins puissant qu’Hitler[60]. Il faut donc retenir que les enquêtes de la Commission Dies sur le fascisme italo-américain se développent dans cette perspective. À l’instar des conclusions de l’historien Philip Jenkins : « If only for its success in avoiding purges and ostracism, Italian Fascism should perhaps be regarded as among the most successful extremist movements in American history[61]. »

En 1929, la revue américaine Harper publie un article influent qui stipule que les Italiens-Américains sont contrôlés par le régime de Mussolini[62]. C’est pourquoi l’Italie se fait, dès lors, de plus en plus discrète par rapport aux liens qu’elle entretient avec le mouvement fasciste italo-américain. Elle procède ainsi à la dissolution du FLNA en 1930 et la remplace par une organisation moins apparente. La création d’organisations fascistes aux États-Unis indignant une partie de la gauche italo-américaine, celle-ci se transforme malgré elle en mouvement antifasciste[63]. Plusieurs confrontations violentes entre groupes fascistes et antifascistes ternissent l’image des chemises noires italo-américaines[64]. Finalement, le rapprochement entre Hitler et Mussolini ainsi que le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale rendent le mouvement fasciste italo-américain de moins en moins séduisant.

Le père Coughlin et le Christian Front

D’origine canadienne et catholique, le père Charles E. Coughlin est incontestablement l’une des grandes figures de la droite radicale américaine de la période de l’entre-deux-guerres[65]. Né à Hamilton, en Ontario, Coughlin s’installe aux États-Unis, près de Détroit, dans le Michigan, où il est un personnage emblématique du fondamentalisme chrétien américain[66]. Coughlin est particulièrement actif sur la scène politique. Comme le mentionne l’historien Donald Warren, ce prêtre catholique devient un orateur très influent de la période de l’entre-deux-guerres aux États-Unis[67]. S’il appuie d’abord le président Roosevelt et le New Deal, il s’en dissociera plus tard et se radicalisera en adoptant un discours de plus en plus à droite, encré sur l’antisémitisme, l’anticommunisme et sympathisant avec les idéologies fascistes[68]. Ses diatribes envers Roosevelt et le « virage socialiste » du New Deal et la haine des Juifs deviennent flagrants. En mars 1936, Coughlin fait publier un journal, le Social Justice, qui promeut ces doctrines anticommunistes. Coughlin y défend même les violences nazies commises contre les Juifs lors de la Nuit de Cristal en 1938 et publie les Protocoles des Sages de Sion, sous forme de séries[69]. Le Social Justice fait appel, dès 1938, à la création d’un front chrétien (Christian Front) pour combattre le communisme. Par ailleurs, certains membres du Christian Front sont impliqués dans plusieurs actes de violence vis-à-vis de la communauté juive[70]. D’allégeance catholique, le mouvement « coughlinite » séduit une petite partie de la communauté irlandaise et allemande américaine.

Coughlin se fait connaître par l’entremise de ses journaux et grâce à son émission de radio. Il est d’ailleurs considéré comme l’un des pionniers de la « radio évangélique » américaine[71]. Dans les années 1930, plus de trois millions et demi d’Américains l’écoutent chaque dimanche. À son paroxysme, le mouvement qu’il a fondé en 1934, la National Union For Social Justice, compte quatre millions de membres[72]. En 1937, son journal, Social Justice, est vendu à plus de 1 250 000 exemplaires[73]. En 1939, alors que des voix s’élèvent aux États-Unis et au Vatican, Roosevelt et son administration annulent le programme radio de Coughlin. Le Christian Front est perçu comme étant violent et aussi dangereux que le German-American Bund. À la suite de l’attaque de Pearl Harbor, Coughlin, fervent isolationniste, rogne d’un complot juif pour impliquer les États-Unis dans la guerre[74]. Pourtant, la Commission Dies réagit plutôt faiblement à l’égard du père Coughlin. Or, dès 1941-1942, l’opinion publique américaine face au conflit mondial commence à basculer. Le FBI, qui reste muet au départ, finit par appréhender certains de ses membres à partir de cette date et procède à des perquisitions dans l’église de Coughlin[75]. Le mouvement coughlinite connaît alors un déclin considérable. En mai 1942, l’archevêque de Détroit demande à Coughlin de mettre un terme à ses activités non pastorales sous peine d’être défroqué[76].

Le German-American Bund

D’abord, l’Amerikadeutscher Volksbund, appelé communément le German-American Bund (Fédération germano-américaine), est un mouvement d’extrême droite pronazi constitué principalement d’immigrants allemands récemment arrivés aux États-Unis. Celui-ci demeure l’organisation d’extrême droite étrangère en sol américain la plus connue, la plus médiatisée et la plus étudiée par les historiens : « No other Nazi Fifth Column group received as much attention from the public. Nonetheless, other extremist organizations in the United States shared many of the Bund’s principles[77]. »

Le German-American Bund est fondé en 1936 après la dissolution d’une autre organisation extrémiste germano-américaine, le Friends of New Germany qui doit cesser ses activités, notamment en raison des investigations menées par la Commission McCormack-Dickstein, le prédécesseur de la Commission Dies[78]. Le Bund germano-américain est dirigé par l’immigrant allemand Fritz Kuhn[79]. En bref, le but principal du German-American Bund est de promouvoir aux États-Unis une vision favorable de l’Allemagne nazie et d’y encourager le courant isolationniste américain. À l’instar du IIIe Reich, il est également fortement antisémite et anticommuniste, critiquant, par exemple, le New Deal, ou plutôt le « Jew Deal » du président F.D.R. Roosevelt[80]. Puisqu’il évolue dans le cadre de la société américaine de l’époque, le Bund est anti-Noirs et contre la « mixité des races ». En somme, le Bund germano-américain s’en prend à tous ceux qui ne partagent pas leur vision de la destinée des États-Unis et de l’Allemagne[81].

Le German-American Bund se développe principalement dans les grandes villes cosmopolites telles que New York, Newark et Chicago. Il faut retenir qu’il existe déjà à cette époque une forte communauté germano-américaine aux États-Unis. En 1910, il y a 10 millions d’Américains de descendance allemande et de ce nombre, environ 2,3 millions sont nés à l’étranger[82]. Or, peu de Germano-Américains se sentent interpellés par les idées extrémistes de l’organisation qui compte entre 15 000 et 25 000 adhérents, incluant une Section d’Assaut (Sturmabteilungen). Lors d’une audience devant la Commission Dies, Fritz Kuhn estime que son mouvement compte de 75 000 à 100 000 adhérents. Il se rétracte plus tard lors d’une autre audience pour estimer son organisation à 25 000 membres. Pour sa part, le département de la Justice des États-Unis propose un nombre de 6500 adhérents[83]. Il faut souligner que la plupart de ses membres ne sont pas des citoyens américains de descendance allemande, mais sont plutôt recrutés parmi les 430 000 immigrants allemands récemment naturalisés qui entrent aux États-Unis entre 1919 et 1932, notamment en raison des tensions politiques et sociales qui existent en Allemagne au lendemain de la Grande Guerre[84].

L’un des faits saillants de la Fédération germano-américaine se produit en février 1939, alors qu’elle organise, en compagnie d’autres groupes extrémistes, un événement au Madison Square Garden de New York. Plus de 22 000 personnes y assistent[85]. Si certaines organisations de droite radicale s’en éloignent, le German-American Bund fraternise avec des mouvements d’extrême droite américains tels que le Ku Klux Klan, les organisations fascistes italo-américaines et les Silver Shirts de William Dudley Pelley[86]. Cette tentative de fraternisation entre le Bund et les organisations d’extrême droite dites « nativistes » est par ailleurs l’un des principaux éléments qui importunent la Commission Dies. Finalement, les difficultés internes de gestion du mouvement, l’entrée en guerre des États-Unis, les enquêtes menées par la Commission Dies et les problèmes de détournement de fonds par Fritz Kuhn entraînent la dissolution du German-Amercan Bund en 1941.

Facteurs liés aux enquêtes du SCUAA

Certains facteurs d’ordres idéologiques, politiques et contextuels ont une influence primordiale sur le regard du SCUAA face à la subversion antiaméricaine. Les tensions des années 1930 et le contexte géopolitique de la Seconde Guerre mondiale ont également un impact considérable sur l’évolution des enquêtes du SCUAA. D’abord, Martin Dies estime que la menace communiste existe depuis plus longtemps que la menace nazie :

Stalin’s group of Trojan Horse organizations is far more developed than Hitler’s. Communism is a much older system than national socialism and its strategy is proportionately more elaborate and subtle. The agents of Russian communism have been at work in the United States three times as long as the agents of German Nazism[87].

Puis, le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 devient le point culminant de la popularité de la Commission Dies[88]. Selon cette commission d’enquête, ce rapprochement entre l’Union soviétique et le IIIe Reich démontre toute l’importance d’enquêter à la fois sur les menaces nazies et les communistes[89]. L’invasion de la Pologne, le 1er septembre 1939, par l’Allemagne et l’Union soviétique illustre encore une fois la légitimité du SCUAA. Deux mois plus tard, il décide de faire publier un rapport complet sur les organisations pronazies[90]. Ensuite, la chute de la France en juin 1940 correspond à l’année de la parution du livre du président de la Commission Martin Dies : Trojan Horse in America. Si l’ouvrage porte sur la menace nazie et fasciste, il s’attarde davantage à la subversion communiste[91]. Les ambitions expansionnistes des dictatures de gauche et de droite favorisent la popularité de la Commission Dies. Cette dernière soutient que, contrairement aux pays qui ont été envahis par les puissances dictatoriales, les États-Unis ont l’avantage de posséder une commission d’enquête qui se penche sur les activités antiaméricaines : « Our work has been a type of public education whose importance cannot be exaggerated. Not a single one of countries of Europe which have been overrun by Stalin and Hitler had the protection of a committee like ours during the years that preceded its supreme crisis »[92]. L’attaque de Pearl Harbor par le Japon et l’entrée en guerre des États-Unis en 1941 modifie le regard du SCUAA vis-à-vis de la menace de l’extrême droite. Ces événements ont un impact direct sur le déroulement des enquêtes de la Commission Dies[93]. Les puissances de l’Axe constituent désormais le nouvel ennemi des États-Unis, alors que l’Union soviétique devient un allié. La Commission Dies doit se redonner une raison d’être. C’est pourquoi elle publie de nombreux documents sur les mouvements d’extrême droite entre 1941 et le début de 1942. Finalement, la popularité de la Commission Dies et la menace d’une cinquième colonne en provenance des puissances de l’Axe commencent à décliner à partir de 1942 alors que les Alliés gagnent des victoires importantes. La même année, la Commission Dies passe devant le Committee on Rules afin de savoir si elle doit être renouvelée[94]. Le SCUAA a de moins en moins sa raison d’être. L’époque du Special House Committee on un-American Activities se termine en 1944 lorsque Martin Dies décide de ne pas se représenter au Congrès. Dans ses mémoires, Martin Dies décrit à quel point la menace communiste est, selon lui, le principal ennemi des États-Unis : « While the Axis powers were our threat, in the long run Communism would become the greatest menace that ever confronted the free world »[95]. Bien que la « terreur rouge » importune davantage la Commission Dies, il n’empêche que le nazisme constitue, selon sa vision, une réelle menace subversive. Cette doctrine est perçue comme étant incompatible avec les valeurs américaines pour le SCUAA puisqu’elle était, en fait, « étrangère ».

Cela dit, les valeurs sudistes, les ambitions politiques de Martin Dies et la recherche de publicité contribuent au développement des enquêtes menées par le SCUAA, notamment sur la droite radicale. À ce titre, il est intéressant de relater les hypothèses avancées par l’historien Denis K. McDaniel qui a consacré une partie de ses recherches sur la vie de Dies[96]. Sa thèse de doctorat intitulée Martin Dies of Un-American Activities, constitue désormais le principal ouvrage de référence sur le personnage. L’hypothèse centrale développée par l’auteur se lit comme suit :

The conclusions are that he was influenced by the nativism of his father, that he had a modest formal education, that is nativism transitioned into a virulent anti-Communism which by extension led to attacks on liberals and the working class. Although he was anti-Labor, anti-Red, anti-Black, anti-New Deal and strongly nationalistic, he was not anti-Catholic or anti-Semitic. He was ambitious for higher office, especially the U.S. Senate, and he was susceptible to the attractions of money, whether obtained legally or illegally[97].

McDaniel poursuit : « His ambition and his innermost beliefs propelled him into this remarkable Un-American Activities Committee adventure, and as he went forward he blazed a trail for fame »[98]. Tout au long de son mandat, Martin Dies utilise la menace nazie et lance des enquêtes sur celles-ci pour obtenir l’appui de l’opinion publique. Dies et ses collègues utilisent aussi la menace de l’espionnage nazi en sol américain pour obtenir de la publicité gratuite, notamment à travers les médias sensationnalistes qui couvrent les enquêtes de la Commission Dies sur l’extrême droite[99].

Dans un même ordre d’idées, McDaniel démontre qu’un certain lobbying juif fait auprès de Dies et de sa commission a une influence sur les enquêtes et les audiences publiques menées contre les organisations pronazies : « American Jewish organizations may have not paid Dies directly, but they definitely paid him indirectly through substantial speech fees to encourage more extensive hearings on Nazi and Nazi-sympathizing organizations in the U.S. than the rather weak activities of such organizations warranted[100]. »

Notre hypothèse est néanmoins que c’est toutefois son caractère provisoire qui constitue le principal impact des enquêtes de la Commission Dies sur l’extrême droite. Contrairement à la HUAC, par exemple, le Special Committee on Un-American Activities n’est pas permanent. Son existence doit être prorogée chaque année devant le Congrès américain. Subséquemment, ce dernier doit trouver les moyens nécessaires pour s’octroyer l’appui des médias, de la population et du gouvernement américain afin d’éviter son abrogation. C’est en ce sens qu’il arrive que certains rapports et enquêtes sont lancés, parfois de façon sporadique, contre des organisations de droite radicale. La Commission Dies utilise, par exemple, le German-American Bund quelques fois dans cette optique. De surcroît, les journaux de l’époque s’empressent de publier les rapports de la Commission Dies sur ce mouvement[101]. Dans un même ordre d’idées, et puisque ses effectifs sont restreints, le SCUAA utilise parfois la menace de l’extrême droite pour obtenir des fonds supplémentaires auprès du Congrès :

We have devoted considerable time and effort to the investigation of Nazi and Fascist activities. We secured a mass of documentary evidence with reference to Nazi and Fascist activities and propaganda. […] In the beginning, the committee employed six investigators, but, due to diminishing funds, the committee was compelled to discharge three of the investigators. This left three investigators to do the work[102].

Finalement, il faut retenir également la recrudescence de l’immigration vers les États-Unis du début XXe siècle. De 1900 à 1914, environ 13 millions d’immigrants entrent aux États-Unis. 91,52 % de cette immigration provient de l’Europe[103]. Le caractère parfois xénophobe de la Commission Dies illustre que c’est principalement les menaces « étrangères », notamment les « ismes » (fascisme, nazisme et communisme) qui l’importunent :

American citizens have a right to believe in and advocate communism fascism, nazi-ism, or any other system of government that they approve, subject to certain restrictions and regulations which in nowise destroy principles of freedom. In this connexion, however, it must be remembered that the right to teach or advocate communism, fascism, or nazi-ism, does not extend to aliens who occupy the status of guests and can be deported under such laws as Congress may fit to enact[104].

Par ailleurs, Martin Dies lui-même possède des traits xénophobes. Cette correspondance entre Dies et George C. Morris de l’organisation patriotique nativiste Daughters of the American Revolution, à propos de l’immigration aux États-Unis en est un exemple frappant : « This is to acknowledge your letter of March 20 [1944] and to assure you that your views on immigration coincide with mine in every respect. It is because I have opposed unrestricted immigration that so many foreign stock blocs are fighting me »[105]. De toute évidence, la Commission Dies concentre ses efforts sur les menaces de l’extérieur. Les quatre cas retenus dans ce texte illustrent cette hypothèse.

La Commission Dies, le German American Bund et l’extrême droite étrangère

Le German-American Bund fait l’objet de nombreuses enquêtes de la part de la Commission Dies. Les enquêtes de cette commission contribuent même à ce que le GAB prenne un tournant plus « américain ». Par ailleurs, en 1941, alors que l’entrée en guerre des États-Unis est imminente, la SCUAA publie un rapport qui lui est entièrement consacré[106]. Il est le seul à s’attarder à un mouvement d’extrême droite en particulier.

Le GAB est considéré comme étant un mouvement subversif « étranger » antiaméricain pour la Commission Dies, et ce, à un titre similaire que le communisme. Il constitue, selon lui, la principale menace subversive d’extrême droite aux États-Unis, notamment parce qu’il possède une influence idéologique néfaste sur les autres organisations de droite radicale étrangères et nativistes américaines et qu’il tente d’établir des relations étroites avec ces dernières[107]. Ce passage tiré de l’ouvrage The Trojan Horse in America de Martin Dies relate cet aspect alors que l’auteur se réfère à une audience de Fritz Kuhn, dirigeant du GAB, devant le SCUAA :

It was established through the testimony of Fritz Kuhn that the Bund had worked sympathetically with other organizations throughout the United States and had cooperated with them. Kuhn testified that these groups included the Christian Front, the Christian Mobilizers, the Christian Crusaders, The Social Justice Society, the Silver Shirt Legion of America, the Knights of the White Camellia, and various Italian Fascist, White Russian, and Ukrainian organizations […] It was also established that the Bund has cooperated with some of these organizations and their leaders by publishing material, emanating from them, in the official organ of the Bund[108].

Les audiences publiques effectuées par le SCUAA démontrent que plusieurs organisations américaines d’extrême droite étrangères et nativistes de l’époque possèdent des idéologies communes et sympathisent ensemble[109]. S’il est vrai qu’il existe une fraternisation entre certains mouvements de droite radicale américaine, il faut aussi noter que d’autres limitent leurs contacts avec le German-American Bund, notamment parce que ses activités font l’objet d’enquêtes. À mesure que les États-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne nazie, la fraternisation avec les idéologies nazies est vue comme un geste antiaméricain[110]. Le travail de la Commission Dies porte fruit. En dévoilant au grand public le caractère nazi du GAB et par ses enquêtes sur celui-ci, la Commission Dies contribue à limiter les relations entre le GAB et d’autres mouvements d’extrême droite américains[111]. Ainsi, le but de la Commission Dies était de démontrer le caractère étranger de la menace nazie et du Bund germano-américain, tous deux considérés antiaméricains et subversifs, plutôt que s’attarder uniquement aux organisations de droite radicale de souche américaine.

D’autres éléments à propos du regard du SCUAA vis-à-vis du German-American Bund méritent d’être évoqués. Tout au long de son existence, la Commission Dies tente de démontrer, en vain, que le Bund est contrôlé par Berlin[112]. Elle souligne dans un de ses rapports : « Many passages in these documents betray the existence of a close political and ideological tie between the German-American Bund and Hitler’s movement in Germany […] »[113]. Cet élément est l’un des grands échecs de la Commission. Selon Hitler, le caractère violent du Bund nuit aux relations diplomatiques entre l’Allemagne et les États-Unis[114]. Il semblerait donc que les relations directes entre le IIIe Reich et le Bund germano-américain auraient été limitées, voire pratiquement inexistantes.

Qui plus est, la Commission Dies expose par l’entremise de ses rapports et de ses audiences des informations intéressantes sur le GAB. Par exemple, elle montre que le German-American Bund possède une section paramilitaire nommée Ordnungsdienst (OD)[115]. D’ailleurs, les membres du Bund germano-américain portent la chemise brune comme les SA (Sturmabteilung) en Allemagne[116]. Elle s’intéresse notamment aux dangers que constitue la « jeunesse hitlérienne » du GAB[117]. Selon le SCUAA, le GAB endoctrine les jeunes Germano-Américains dans des discours haineux et les pousse à devenir extrêmement critiques envers les États-Unis et son gouvernement[118]. Comme le souligne Susan Canedy dans son analyse sur le GAB, le déclin de cette organisation est en partie causé par les enquêtes menées par la Commission Dies. Par ailleurs, la Commission d’enquête s’en félicite lorsqu’en 1941 Fritz Kuhn se retrouve derrière les barreaux, notamment pour des raisons financières, et que l’organisation commence de plus en plus à s’effriter :

When we began our work, the Bund and a score of Nazi-minded American groups were laying plans for an impressive united-front federation which would be able to launch a first-rate Nazi movement in the United States […] By our exposure of these plans we smashed the Nazi movement even before it was able to get under way[119].

Tout en désirant obtenir de la publicité sensationnelle, le SCUAA a ainsi dévoilé au grand public, notamment par l’entremise des médias de masse, ce qu’était le GAB[120].

Le fascisme, les chemises noires italo-américaines et le SCUAA

Outre le nazisme, le fascisme italien est une autre forme extrémiste « étrangère » investiguée par la Commission Dies. Or, comme nous l’avons évoqué, la population et le gouvernement américain se préoccupent moins de la menace fasciste aux États-Unis. Les enquêtes du SCUAA sur la subversion fasciste italo-américaine s’inscrivent dans cette optique. Comparativement à la menace nazie, Martin Dies et sa commission d’enquête ne croient pas que le fascisme italien est « puissant aux États-Unis »[121]. Nous pouvons ainsi conclure que la Commission Dies ne perçoit pas la subversion d’extrême droite étrangère d’une manière identique. Il faut attendre l’alliance entre Mussolini et Hitler pour que cette dernière se penche véritablement sur la menace fasciste[122]. C’est alors que le SCUAA soutient que :

Mussolini’s Trojan Horse in America differs from those of Stalin and Hitler chiefly in the fact that it has received much less general attention in the regular press of the country. For the most part, it is concealed behind the barrier of the Italian language. To the extent that one Trojan Horse is more secret than another, it is also the most dangerous.

For the present at least, Mussolini is one of the Axis partners. He is also a passive partner in the contemporary rapprochement between Stalin and Hitler which bodes so much ill for democratic institutions the world over. His interference in the affairs of this country, through the now widely publicized Trojan Horse methods, is as intolerable as that of his more powerful allies[123].

Plusieurs analogies peuvent être mises en évidence entre les éléments relatés par le SCUAA sur le fascisme et le nazisme. Par exemple, la Commission Dies soutient qu’il existe des liens entre Rome et le mouvement fasciste italo-américain[124]. Elle s’intéresse notamment à la jeunesse italienne en affirmant : « This witness stated that so powerful is the influence that it exerts over our American educational system that its director is in a position to enlist numerous groups of children and bring them over to Italy each year ostensibly for their vacations, but in reality to be imbued with Fascist doctrines »[125].

Le SCUAA se penche également sur les similitudes entre la Black Shirts Legion et le Bund germano-américain. Celui-ci affirme, par exemple, qu’il existe une section américaine des chemises noires (Black Shirts Legion), « une organisation paramilitaire calquée sur le fascisme italien »[126]. Les enquêtes du SCUAA dévoilent la coopération de ce mouvement avec d’autres organisations subversives d’extrême droite américaine telles que le German-American Bund. Elles relatent notamment la présence de chemises noires dans les camps du Bund : « The July 4, 1937, celebration at Camp Siegfried marked the first appearance of Italian Black Shirts at a bund festival in the East »[127].

Si la Commission Dies divulgue des informations sur la menace fasciste italienne, il est évident que son attention se tourne davantage sur la menace nazie. L’étude du regard de cette commission spéciale d’enquête sur ces deux mouvements « étrangers » confirme qu’elle ne perçoit pas les menaces d’extrême droite d’une part égale. Cela dit, les cas de l’extrême droite « nativiste » du Ku Klux Klan et du révérend Charles E. Coughlin démontrent d’autres éléments de notre hypothèse.

Le Ku Klux Klan, l’extrême droite nativiste et le SCUAA

S’il existe plusieurs publications de la Commission Dies sur l’extrême droite « étrangère », il en est autrement pour ce qui a trait à la droite radicale nativiste. Des pressions de tous acabits sont nécessaires pour que le SCUAA enquête sur celle-ci. Nous soutenons que c’est principalement l’influence idéologique étrangère, nazie et fasciste, sur cette droite radicale nativiste qui importune le SCUAA. Dans un article qui était destiné à paraître dans la revue Liberty, Martin Dies écrit :

There are a number of groups of Old-Americans who have allowed a racial prejudice to overcome aIl other considerations and cause them to throw in their lot with the Nazis who openly advocate the substitution of Hitlerism for Democracy. The Committee admits itself opposed to the introduction from Europe of such new ideas as these[128].

À ce titre, notons que la Commission d’enquête a longtemps promis la parution d’un rapport complet sur la droite radicale de souche américaine. Or, ce rapport qui devait voir le jour en 1942 ne sera jamais finalisé et publié officiellement[129].

Le cas du Ku Klux Klan démontre à quel point la droite nativiste n’est pas une menace de première instance pour le SCUAA et ce, malgré sa popularité et son caractère violent. Ainsi, c’est surtout le rapprochement du Ku Klux Klan avec les idéologies « étrangères » nazies dans les années 1930 qui place le Klan dans la mire de la Commission Dies. Selon Wyn Craig Wade, le Ku Klux Klan ne semble pas nécessairement déranger, au départ, la Commission Dies. John Rankin, membre démocrate de la Commission issu du Sud profond (Mississippi), écrit : « After all, the Ku Klux Klan is an American institution. Our job is to investigate foreign “isms” and alien organizations »[130]. Plusieurs membres du Congrès doutent d’ailleurs de la volonté du SCUAA de se pencher sur le Klan, malgré son caractère raciste[131]. Pour éviter les imbroglios, Martin Dies tente à maintes reprises de démontrer qu’il se prononce contre les idéologies klanistes[132]. Déjà, en février 1936, il écrit dans une correspondance avec le père J.M. Kirwin :

During the time that the Ku Klux Klan was in the ascendency I publicly denounced them. […] I think that my record should cinvince [sic] anyone that I am opposed to any character of religious or racial prejudice. Everything that I say can be verified by thousands of people who heard my speeches in opposition to the Klan[133].

Pourtant, d’autres exemples mettent en relief le caractère « amical » entre la Commission Dies et le Ku Klux Klan. Prenons les audiences du 22 janvier 1942 du Grand sorcier James Colescott devant la Commission alors que, notons-le, les États-Unis participent au conflit mondial :

Chairman Dies scolded Colescott for the Klan’s anti-Catholicism and demanded to know why the Klan was so hard on the Catholic Church when it had proved itself a valiant foe of Communism. He admonished the Wizard to lead his followers “back to the original objectives of the Klan”, and Colescott enthusiastically agreed that it was a good idea. The other members of the committee were even friendlier to Colescott, especially Noah Mason and Joe Starnes. Starnes of Alabama remarked that “the Klan was just as American as the Baptist or Methodist Church, as the Lions Club or the Rotary Club”[134].

Certes, la Commission Dies procède à quelques investigations sur le Klan dès octobre 1940[135]. Toutefois, il faut attendre, d’une part, des pressions médiatiques et les critiques de certains de ses adversaires politiques. D’autre part, ses enquêtes se concentrent surtout sur le rapprochement entre le Klan et le Bund germano-américain ainsi que sur l’influence nazie sur ce mouvement. Dans un de ses rapports, le SCUAA mentionne :

There is no question of course as to the fact that the Klan is wholly indigenous to the United States. There is no evidence of foreign control or influence. But neither is there any reason to believe that should it once again rise to the power it enjoyed in the 1920’s it would not be guilty of the same excesses. Furthermore, it is the very type of organization that can readily become the center of a Fascist movement[136].

Bien que les enquêtes de la Commission Dies sur le Ku Klux Klan soient limitées, il faut retenir qu’elles ont un impact définitif sur les relations entre ce mouvement et le German-American Bund. Wyn Craig Wade écrit à ce sujet : « The intervention by the Dies Committee squelched further cooperation between the Klan and the Bund. On May 30, 1941, New Jersey Attorney General David T. Wilnetz decreed Camp Nordland “a Nazi agency” and shut it down[137]. »

À l’instar du Ku Klux Klan, d’autres protagonistes de droite radicale nativiste sont épargnés par la Commission Dies. Le cas du révérend Charles Coughlin et du mouvement activiste, le Christian Front, démontre à bien des égards le regard de la Commission Dies sur la droite religieuse.

Le père Charles Coughlin et la Commission Dies

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le père Charles E. Coughlin est l’une des grandes figures de l’extrême droite nativiste américaine de la période de l’entre-deux-guerres. La Commission Dies évite pourtant de se pencher sur son cas, entre autres en raison de l’influence politique et sociale du personnage[138]. L’historien Philip Jenkins écrit à ce sujet que les médias de l’époque ont eux aussi peu parlé des activités radicales de Coughlin et du Christian Front. Malgré ses positions antisémites et son rapprochement avec les idées nazies et fascistes, Coughlin n’a jamais fait l’objet d’enquêtes intensives comme ce fut le cas pour Fritz Kuhn, par exemple. Pourtant, un geste public de la part de la Commission Dies contre Coughlin aurait pu dissuader les catholiques à se tourner vers des organisations extrémistes[139]. Notons en parallèle que, comme c’est le cas pour le Ku Klux Klan, le journal de Coughlin, le Social Justice, appuie la Commission Dies. Par exemple, Dies y est nommé « l’homme de la semaine » en septembre 1938. Ce sont là des éléments qui ont pu contribuer à le laisser de côté.

Cette souplesse de la part de la Commission Dies face à Coughlin ne résulte pas des mêmes raisons dont celle que bénéficie le Ku Klux Klan. En dépit du fait qu’il n’apprécie pas nécessairement l’influence fasciste et nazie sur ce protagoniste, c’est surtout le pouvoir charismatique de Coughlin qui importune le SCUAA. Celui-ci souhaite donc « l’ignorer prudemment[140]. » Par ailleurs, il semble y avoir eu une réticence de la part de la Commission Dies à s’attaquer à certaines figures de la droite religieuse américaine. À l’instar de Coughlin, les pronazis antisémites Gerald B. Winrod et le révérend Gerald L. K. Smith, fondateur du America First Party et membre des Silver Shirts, n’ont pas fait l’objet d’enquêtes poussées de la part du SCUAA[141]. Dans sa biographie sur Martin Dies, William Gellerman ajoute : « The committee had gathered “aIl of the evidence that we could possibly secure” but had not brought priests or preachers to Washington for fear that […] from aIl over the country there would have arisen an outcry denouncing us as being against certain religions[142]. »

Il demeure que la Commission Dies se penche un peu plus profondément sur le cas du père Coughlin dans son rapport non publié sur la droite radicale nativiste qui, nous l’avons vu, restera dans l’oubli. Encore là, le SCUAA demeure circonspecte à son propos. C’est cependant l’influence nazie et fasciste sur le personnage qui plaçait Coughlin dans la mire de la Commission Dies :

This section of the committee’s report deals with Charles E. Coughlin solely as a political figure. With the Reverend Father Charles E. Coughlin as a priest of one of the greatest of all institutions known to man’s history, the committee is entirely unconcerned. Naturally, the man’s ecclesiastical and religious activities lie absolutely outside the scope of this committee’s investigations ; but Coughlin, the political figure, is himself alone responsible for the necessity of the committee’s taking cognizance of his political activities. It is our judgment that the evidence compels the conclusion that Charles E. Coughlin, the political figure, has been engaged in the dissemination of pro-Axis propaganda[143].

Dans un même ordre d’idées, la Commission Dies révèle que Coughlin et son journal, Social Justice, utilisent de la documentation pronazie et profasciste à des fins de propagande :

In Social Justice Magazine for December 5, 1938, Coughlin made free and copious use of this Goebbels pamphlet without any citation of his source.

[…] Coughlin lifted a large portion of his signed editorial Social Justice without crediting Goebbels.

The committee considers it a serious matter for an American political propagandist to show any disposition to go to Nazi sources for his material[144].

Nous soutenons donc que l’influence fasciste et nazie a des répercussions sur le regard du SCUAA vis-à-vis de Coughlin. Finalement, il faut retenir que la Commission Dies se penche sur l’organisation extrémiste associée à Coughlin, le Christian Front. Elle s’attarde notamment sur le Christian Mobilizers, mouvement formé par Joseph E. McWilliams lors d’un processus de radicalisation d’une partie du Christian Front[145]. Pourtant, les rapports du SCUAA ne tentent aucunement d’établir de relations entre le père Coughlin et ces deux organisations.

Conclusion

Nous avons démontré dans cet article qu’il existe des divergences notoires entre le regard de la Commission Dies sur l’extrême droite « étrangère » et « nativiste ». En somme, c’est principalement l’influence étrangère, notamment les idéologies nazies et fascistes, qui sont perçues comme étant antiaméricaines pour le SCUAA. Si le communisme demeure l’ennemi juré de la Commission Dies, des mouvements d’extrême droite étrangers sont aussi considérés comme subversifs. Les cas du German-American Bund et du mouvement fasciste italo-américain illustrent également que la Commission Dies considère la menace nazie comme étant plus redoutable que la menace fasciste. Quant à l’extrême droite « nativiste », nous soutenons que, malgré leurs discours haineux, c’est l’influence étrangère et l’emprunt de doctrines nazies et fascistes qui les rendent subversives, voire antiaméricaines aux yeux de cette commission d’enquête. De toute évidence, le SCUAA ne perçoit pas la droite radicale nativiste comme une véritable menace pour la sécurité nationale des États-Unis. C’est ainsi dire que les positions idéologiques conservatrices « nativistes » connaissent des émois au sein du SCUAA, puisque la plupart de ses membres proviennent des États du Sud.

Le cadre raciste aux États-Unis dépasse largement les coulisses de l’extrême droite. Dans l’histoire, le discours « nativiste » se retrouve notamment au sein même de la politique américaine. Pensons, par exemple, à l’exclusion des Amérindiens, aux lois Jim Crow et l’arrêt Plessy vs Ferguson qui stipule que les Afro-Américains sont séparés devant la loi, mais égaux devant Dieu. Ajoutons à ces aspects la ségrégation raciale et la lutte des droits civiques[146]. Il en est de même pour le caractère xénophobe face à la menace d’idéologies étrangères. De nombreuses lois restrictives à l’immigration ont été votées au cours de l’histoire américaine. Pensons au Chinese Exclusion Act de 1882[147], à l’Immigration Act de 1924[148] et à l’Ordre exécutif 9066 de 1942 qui fait interner des milliers de Japonais-Américains dans des camps[149]. Pensons notamment au maccarthysme et au HUAC, successeur de la Commission Dies, du temps de la Guerre froide. Comme le souligne Denis Lacorne :

Aux États-Unis, contrairement à la France, la revendication de l’égalité politique des êtres n’a jamais été tout à fait satisfaisante. D’abord, parce que les Amérindiens et les Noirs furent d’emblée exclus de la sphère de la citoyenneté ; ensuite, parce que ce pays d’accueil, en principe ouvert à tous les immigrants, n’a cessé d’être aussi le pays de l’exclusion, du racisme et de la xénophobie. D’où ce singulier paradoxe : les Allemands, les Irlandais, les Chinois, les Slavo-Latins, les Juifs, les Hispaniques furent chacun à leur tour jugés inassimilables avant d’être presque tous assimilés[150].

Bien que la situation ait évolué aujourd’hui, la xénophobie et la subversion « étrangère » demeurent omniprésentes dans la société américaine. Le décret migratoire sur l’interdiction d’entrée aux États-Unis des ressortissants de six pays, majoritairement musulmans, proposé par Donald Trump et validé par la Cour suprême des États-Unis le 26 juin 2018 en est un exemple frappant. Pourtant, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les principales attaques perpétrées sur le sol américain ont été effectuées soit par des Américains ou par des individus qui ne venaient pas d’États visés par ce décret[151]. Ainsi, au cours des dernières décennies, les États-Unis ont connu de nombreux cas d’actes terroristes commis par des fervents de l’extrême droite nativiste[152]. C’est le cas de l’attentat d’Oklahoma City de 1995, de la fusillade de Charleston commise par le suprémaciste blanc nativiste Dylan Roof survenue en juin 2015[153] et de la manifestation Unite the Right de Charlottesville d’août 2017[154].

De fait, une étude sur le regard du Special Committee on Un-American Activities vis-à-vis de l’extrême droite illustre jusqu’à quel point la menace de l’influence étrangère est un élément à considérer, d’abord dans la construction de la politique intérieure et extérieure américaine, ensuite en matière de sécurité intérieure du pays. Cette étude sur le SCUAA permet ainsi de mieux saisir le comportement du gouvernement – et du Congrès – américain face aux diverses activités extrémistes qui se sont déroulées sur le territoire des États-Unis. Il serait ainsi intéressant de comparer les dires de la Commission Dies à d’autres instances gouvernementales telles que le Department of Homeland Security. Une analyse des archives de ce département pourrait nous en dire davantage sur la perception que les autorités américaines ont sur les groupes d’extrême droite à l’heure actuelle[155].