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Avec son étude For Home and Empire, Steve Marti s’inscrit dans le courant historiographique actuel de la Première Guerre mondiale (mis en valeur lors du centenaire), à savoir une approche transnationale. Et c’est là l’un des premiers intérêts de cet ouvrage : une étude comparative de la Grande Guerre au sein de l’Empire britannique, entre les dominions du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

Cette étude concerne l’espace du front domestique et des non-combattants. Dans le cadre de la guerre totale entre 1914 et 1918, toutes les ressources nationales et impériales étaient exploitées pour soutenir les armes des combattants au front. De cet espace, le fil conducteur de l’historien est l’effort de guerre local des populations civiles. En répondant à la question « pourquoi les civils des dominions participent-ils à l’effort de guerre ? », l’historien démontre que les motivations sont fort complexes au sein des dominions lorsqu’est prise en compte leur réalité multiculturelle : population de souche, minorités culturelles, immigrants plus récents, population de couleur, Autochtones. Pour chacun de ces groupes, les raisons de leur participation à l’effort de guerre répondent, selon l’auteur, à cette même volonté de détacher leur contribution de la masse mobilisée à l’échelle impériale : le local veut demeurer visible.

Les cinq chapitres du livre décortiquent soigneusement les différentes couches composant les communautés locales au sein des dominions afin de voir comment chacune d'elles oeuvrent à l’effort de guerre autour de l’idée d’individualisation. L’approche macro-historique est riche dans cet ouvrage en délaissant la traditionnelle échelle nationale ou celle simplement locale pour pousser plus loin l’investigation en prenant en compte les éléments culturels et raciaux composant les communautés locales. Ce choix d’échelle rend compte de la complexité de l’effort de guerre au sein des dominions.

Dans le premier chapitre, Steve Marti prend l’exemple des collectes de fonds. En comparant les principales oeuvres de guerre canadiennes, australiennes et néo-zélandaises, l’historien démontre combien chaque groupe culturel au sein des communautés locales tend à garder un contrôle de ses dons afin de soutenir les leurs d’abord et avant tout. Même s’il peut y avoir au niveau de l’État ou des organisations patriotiques un désir de rationalisation des dons, les communautés locales ou les groupes culturels veulent en garder le contrôle, et ce, de la collecte à la distribution. Cet effort se voit lors de la levée d’un bataillon au niveau local. Les oeuvres de guerre qui émergent ensuite dans la communauté visent à soutenir cette unité même si, par la suite, elle est supprimée et les hommes envoyés dans des unités déjà existantes.

Le deuxième chapitre se penche sur les groupes culturels composant les sociétés des dominions, particulièrement les groupes d’origine irlandaise, écossaise et, pour le Canada, canadienne-française. Pour ces groupes, le même fil conducteur est mobilisé : faire montre de son implication au sein de l’effort de guerre, que ce soit avec la levée de bataillons spécifiques ou avec des oeuvres de guerre à financer. La question canadienne-française est intéressante avec la démonstration selon laquelle cette communauté tend à préserver son identité dans l’effort de guerre afin de bien montrer sa participation alors même qu’elle doit faire face à des attaques concernant l’enseignement de sa langue. Délaissant la question des oppositions, l’auteur démontre plutôt que la levée de bataillons canadiens-français en dehors du Québec répond à un besoin de « visibilité » au sein de l’effort de guerre, d’autant plus qu’en général, les francophones canadiens sont noyés dans des unités anglophones.

Dans le troisième chapitre, Steve Marti aborde la question plus délicate des exclusions raciales au sein de l’effort de guerre. Ici, l’historien aborde spécifiquement les Chinois et les Noirs. Même si le désir de participation à l’effort de guerre est bien présent pour ces communautés, notamment par le biais des oeuvres de guerre, leur désir d’enrôlement est freiné par des considérations raciales. Pour les recruteurs, les bataillons sont d’abord le reflet d’une mobilisation locale et seront, par la suite, des ambassadeurs au sein du tout impérial. Dans cette optique, le désir d’unité « blanche » l’emporte et ferme la porte aux volontaires noirs ou d’origine chinoise.

Pour le quatrième chapitre, Steve Marti se penche sur les diasporas présentes au sein des dominions et dont la situation peut être difficile quand les États dont ils sont issus font partie du camp ennemi. L’auteur s’intéresse plus particulièrement aux ressortissants de l’empire austro-hongrois. En délaissant la question de l’internement et de son impact pour ces communautés, il se focalise plutôt sur la façon dont ces individus ciblés tentent de faire montre de leur attachement à leur pays d’accueil en participant aux oeuvres de guerre ou en voulant lever des unités nationales pour la libération de leurs nations (Tchèques et Polonais). Concernant les diasporas issues des pays alliés (Français, Italiens), Steve Marti développe la question des efforts de collaboration entre la France, l’Italie et les dominions pour faire en sorte que les réservistes rejoignent leurs unités d’outre-mer.

Enfin, le dernier chapitre développe la question des groupes autochtones au sein de l’effort de guerre impérial. Ce que l’historien démontre est que les Autochtones voient, dans la participation à l’effort de guerre, un moyen d’obtenir une reconnaissance, voire une certaine autonomie au sein des dominions. Mais, pour les autorités, cette inclusion est plutôt un moyen de les assimiler au reste de la société en les faisant participer, comme le reste de la population, au même effort de guerre, tandis que ceux envoyés au front apprendraient la discipline au sein de l’armée.

Pour conclure, voilà une étude que nous recommandons pour la richesse du sujet abordé et surtout cette approche transnationale qui nous rappelle que des éléments que l’on observe pour le Canada se retrouvent en d’autres points du globe pour des communautés partageant ces traits culturels. L’étude est riche en détails et s’appuie sur des sources archivistiques pertinentes. En lisant la bibliographie, on peut regretter cependant l’absence d’études en français, qui existent pourtant, pour aborder la question canadienne-française.