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Le 6 juin 2019, les ministères des Anciens Combattants et de la Défense nationale et leurs hôtes français ont organisé des cérémonies pour commémorer le débarquement du 6 juin 1944. Ils en ont profité pour honorer lors d’une cérémonie subsidiaire un jeune Québécois de 16 ans, que certains estiment être le plus jeune Canadien tué au combat.

Les commémorations militaires existent depuis longtemps. Leurs fonctions sont assez complexes : elles exaltaient souvent les nationalismes (on en sait quelque chose au Québec), avec un accent empreint de gloriole militaire et de courage véritable ou présumé (qui ne se rappelle Dollard-des-Ormeaux ?), bien qu’après l’Armistice de 1918 ce fut plutôt le sacrifice des simples combattants qui prit l’importance primordiale, du moins dans des pays comme la France, la Grande-Bretagne, l’Australie ou le Canada. La réconciliation d’anciens ennemis est également un motif, certes moins récurrent, mais sur lequel on a beaucoup insisté dans certains pays – réconciliation des Sudistes avec les Nordistes aux États-Unis au début du XXe siècle (il y a de formidables séquences d’époque de cela dans le documentaire de Ken Burns), celles des combattants français et allemands à Verdun du temps du président Mitterrand et du chancelier Kohl. Aujourd’hui, c’est la pérennité du souvenir, la « mémoire » historique des chercheurs contemporains[1], qui est à l’avant-scène[2].

Dans cette évolution des fonctions, une motivation des plus prosaïques existait : les anciens combattants vieillissaient et finissaient par tous disparaître. Comme la plupart des soldats sont dans la vingtaine au moment des faits, les 75e anniversaires sont les dernières grandes cérémonies où l’on peut les rencontrer. Ce fut le cas encore récemment au cimetière de Bretteville-sur-Laize, près de Caen en Normandie, le 7 juin dernier.

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Lors d’une cérémonie subsidiaire fut donc commémorée en présence de membres de la famille la mort au combat de Gérard Doré, 16 ans. Mourir si jeune est bien sûr une tragédie, mais c’est aussi un « problème » historique, ou plutôt une série de petits problèmes historiques. En effet, un soldat aussi jeune n’aurait pas dû se trouver là pour au moins deux raisons : un, de par la loi, l’enrôlement n’est possible dans l’Armée de Terre qu’à partir de 17 ans ; deux, de par une politique administrative dont les origines remontent à la Première Guerre mondiale, et qui est remise en vigueur au début de la Seconde Guerre mondiale, des enrôlés de 17 et 18 ans ne pouvaient être affectés outre-mer, a fortiori être engagés dans une grande bataille.

La présence au front de jeunes de 16 ans, et même moins âgés, avait fait scandale en 14-18. Les mêmes raisons, l’absence de preuve d’âge et d’examen physique sérieux, ont également fait que des hommes trop vieux se sont aussi enrôlés, dont quelques septuagénaires. Les recruteurs de 14-18, et les médecins chargés de l’examen médical initial, étaient souvent peu regardants du physique des recrues, une situation qui a duré jusqu’à 1916[3].

Au début de la Seconde Guerre mondiale, la question s’est à nouveau posée dans l’Armée de Terre canadienne, parce que celle-ci ne requérait toujours pas, contrairement à l’Aviation royale du Canada, que les jeunes recrues produisent un extrait de baptême. (La Marine est un cas un peu particulier, car elle pouvait enrôler depuis toujours des « boys » de 14 ans pour remplir des tâches auxiliaires, une pratique qui existe encore en 1939.) L’Armée de Terre ne demandait une preuve d’âge que si un officier du recrutement ou du régiment, ou un médecin lors du premier examen médical ou le psychologue lors de la première entrevue de classement professionnel, soupçonnait une fraude de la part de l’enrôlé. Quelques jeunes délurés qui pouvaient passer pour un peu plus âgés sont ainsi arrivés à s’enrôler en mentant lors de la déclaration de leur date de naissance.

D’emblée, il faut comprendre une chose : tous ces « trop jeunes » sont des volontaires, dont certains ont de fortes motivations pour partir du foyer parental. Aucun conscrit ne peut bien sûr se retrouver dans cette situation, car les conscrits sont appelés dans leur vingtième année, par conséquent à 19 ans.

Un cas illustre la procédure, ou plutôt son ratage. La Loi sur la Milice prévoyait donc qu’une recrue ne pouvait s’enrôler avant 17 ans révolus. En outre, depuis novembre 1939, la politique de l’Armée de Terre était de ne pas déployer outre-mer des hommes de moins de 19 ans, et pour ceux qui avaient été déployés par erreur en ce début de la guerre, de les retenir en camp d’entraînement jusqu’à cet âge. Le dossier du jeune Gaston Chicoine illustre un cas plus général que celui de Doré, même s’il finit lui aussi tragiquement.

Si on se fie aux nombreuses lettres de sa mère, il semble que Gaston Chicoine ait fui la pauvreté en s’enrôlant à seulement à 18 ans en septembre 1940, en donnant comme date de naissance 1921 au lieu de 1923. Il était le plus jeune de deux fils (l’autre beaucoup plus vieux) d’un fermier invalide de Barachois en Gaspésie. Lorsque la mère s’inquiète en juillet 1941 d’être sans nouvelles (donc Gaston n’écrit pas) et qu’elle soupçonne que son fils sera déployé outre-mer avec la Force « C », la brigade canadienne que l’on envoie à Hong Kong, elle écrit au sous-ministre Desrosiers pour demander que son fils reste au Canada, puisqu’il n’aura 19 ans qu’en février 1942. Il semble donc que madame Chicoine connaissait les règles sur l’âge. Mais, avec cette lettre, elle n’a pas fourni de preuve d’âge, ce qui retarde la procédure, d’autant que Gaston est né à Montréal et qu’il faut attendre la réponse de la paroisse métropolitaine. Le certificat de baptême arrive à Ottawa dans les derniers jours d’août 1941. Le 1er septembre, le ministère transmet la requête au District militaire no 5 (QG à Québec), car le bataillon de Chicoine, les Royal Rifles of Canada, est un régiment anglophone de la ville de Québec qui recrutait beaucoup en Gaspésie (les Chicoine sont bilingues et écrivent dans les deux langues au ministère). Le 12 septembre, le commandant du régiment, le lieutenant-colonel W. J. Home, accuse réception et informe le district que le soldat Chicoine restera au dépôt en cas de déploiement outre-mer[4]. Le 11 octobre, donc un mois plus tard, la décision est prise d’envoyer la Force « C » à Hong Kong[5]. Étrangement, Chicoine est du contingent, comme si Home ignorait la directive du Quartier général d’Ottawa en pleine connaissance de cause. D’ailleurs, Chicoine n’est pas le plus jeune, car un autre jeune appartenant au même bataillon, Ken Cambon (qui a survécu à la bataille et aux camps japonais), n’avait que 17 ans à l’automne 1941. On est donc dans un cas assez peu ordinaire de désobéissance du commandant du bataillon[6].

Au contraire de l’attitude adoptée par le lieutenant-colonel Home, autant que j’aie pu le constater dans les dossiers consultés depuis une vingtaine d’années, les recruteurs, les officiers des camps de recrues, les officiers des districts d’origine et ceux des régiments où les recrues étaient affectées après l’entraînement de base suivaient la politique qu’on peut résumer ainsi : âge légal pour s’enrôler, 17 ans, pour se porter volontaire outre-mer (c’est-à-dire intégrer l’active), 18 ans, âge d’un déploiement outre-mer, 19 ans[7].

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Il est impossible de savoir leur nombre aujourd’hui – il faudrait ouvrir des centaines de milliers de dossiers, la plupart toujours fermés au chercheur, car seuls les dossiers des décédés entre 1939 et 1947 (année de la fin administrative de la guerre pour le Canada) nous sont accessibles. Cependant, en interrogeant le moteur de recherche de la Commonwealth War Graves Commission (la Commission des tombes de guerre du Commonwealth britannique), on trouve seize sépultures de jeunes Canadiens de 16 ans enregistrées : sept étaient membres de l’Armée de Terre, un de la RCAF (un fraudeur qui a dû falsifier des documents) et huit membres de la Marine marchande, celle-ci n’était pas soumise aux lois et règlements des services armés. J’ai en outre trouvé par hasard un huitième jeune pour l’Armée de Terre. On peut donc estimer par règle de trois[8] qu’au moins 240 jeunes sous l’âge légal de 17 ans se sont enrôlés dans l’Armée de Terre en 39-45. Au moins huit sont morts, pas tous au front cependant, car des huit, seuls trois semblent avoir été tués au combat, tous en Europe du Nord-Ouest : Stanley James Colquhoun, des Calgary Highlanders, tué le 23 octobre 1944 et inhumé à Bergen-op-Zoom aux Pays-Bas, les deux autres reposant dans le même cimetière de Normandie, Bretteville-sur-Laize : Roy F. Taylor, aussi des Calgary Highlanders, tué le 1er août 1944, et Gérard Doré, des Fusiliers Mont-Royal, tué lui le 23 juillet précédent.

Trois ans après Chicoine, comment expliquer la présence de Doré et de Taylor en Normandie ?

Le cas de Taylor est simple. Il venait d’une famille de parents divorcés en 1934, alors que Taylor, né le 11 mai 1928, n’avait que six ans. Il est élevé par son grand-père. Il travaille dans une boulangerie comme aide à tout faire, mais il espère trouver du travail comme opérateur radio après la guerre. Il s’enrôle d’abord dans la réserve le 9 octobre 1942, en donnant comme date de naissance le 9 mai 1925, puis, trois semaines plus tard, il passe à la force d’active (ses membres peuvent être déployés outre-mer) en déclarant être un étudiant célibataire né le 11 mai 1924. Il ment les deux fois sur sa naissance, avec un mensonge différent (!), pour finalement retrancher quatre ans à son âge réel, ce qui n’est pas rien pour un jeune. Cependant, physiquement, il peut donner le change, car il fait 5 pieds 10 pouces et pèse environ 150 livres, donc plutôt grand pour l’époque, avec un poids proportionné. Le premier psychologue à l’examiner en juillet 1943 le trouve costaud, bien adapté à l’Armée et recommande qu’il passe sous-officier. Donc un jeune plutôt ambitieux, mature physiquement et psychologiquement. Contrairement au cas Chicoine, on ne trouve aucune trace dans son dossier que la mère ou le grand-père soient intervenus pour se plaindre d’un enrôlement illégal. Il n’y a pas d’enquête administrative et pas de preuve d’âge au dossier[9]. Taylor s’est donc enrôlé à 14 ans et 5 mois et a été tué à 16 ans et 2½ mois.

Le cas de Doré est à bien des égards plus intéressant. Gérard Doré serait né (comme pour Taylor, il n’y a pas de certificat de naissance dans son dossier militaire) le 29 août 1927, bien qu’il ait déclaré à l’officier-recruteur de Québec qu’il fut plutôt né en 1924. Ni cet officier-recruteur, ni le médecin qui a examiné le volontaire le 7 avril 1943 (à l’âge de 15 ans, 7 mois et 9 jours), ni aucun des neuf Army Examiners (psychologues chargés de recommander l’affectation à un métier militaire après le test « M » et des entrevues avec le soldat), qui l’ont interviewé par la suite au long de dix rencontres avec Doré, ne l’ont trouvé juvénile. On peut donc penser qu’il pouvait passer pour un jeune de 19 ans, comme il le prétendait. Du reste, les psychologues le jugeaient mature et avaient remarqué comme pour Taylor qu’il serait propre à devenir sous-officier rapidement du fait de son éducation (9e année), de son bilinguisme, de sa petite expérience de travail (commis de bureau à l’Alcan, Arvida, où il tapait 70 mots/minute) et de son enthousiasme (il a déclaré vouloir une affectation au front, pas dans un bureau).

En mentant et en ayant l’air ni trop jeune ni irresponsable, Doré était parvenu à suivre la filière normale d’une recrue (dans son cas Lauzon, Sherbrooke, Valcartier, Borden, Valcartier) si ce n’est qu’il avait d’abord demandé l’artillerie, ensuite les blindés d’où, son anglais étant jugé insuffisant, il fut transféré finalement à l’infanterie. Parcours régulier aussi en camp de renfort en Angleterre, où il arrive le 7 mai 1944 pour être affecté au No 6 C.I.R.U., avant de passer aux Fusiliers Mont-Royal le 1er juin 1944. Il débarque en France avec ce régiment de la 2e Division d’infanterie le 8 juillet 1944. Il est tué le 23 juillet suivant près de Verrières en Normandie.

Ce sera tardivement – les parents ont déjà écrit quatre fois au ministère pour le règlement de la succession militaire, Gérard Doré est donc déjà décédé – que le père spécifie, dans une lettre du 8 avril 1945, l’âge véritable de Gérard au décès, à savoir 16 ans et 11 mois. Il ajoute que « j’avais bien commencé des démarches pour le faire sortir de l’armée, mais je ne croyais pas qu’on l’enverrait si vite au feu, à cet âge, malgré qu’il était très courageux et qu’il voulait absolument aller défendre la patrie car il s’est enrôlé à notre insu, pensant pouvoir aider pareille [c.-à-d. contribuer financièrement à soutenir la famille paternelle – sept des dix enfants vivaient encore à la maison], mais il n’a pas eu de chance ». Or, il n’y a aucune trace au dossier d’une telle démarche avant le décès, alors qu’elles sont scrupuleusement indiquées dans les dossiers de soldats sous l’âge légal, comme pour le cas Chicoine. On l’a vu, dans ces circonstances, les services de l’adjudant général demandaient aux parents de faire suivre un certificat de naissance ou de baptême, ce qui n’est pas le cas pour Doré. Il semble donc que le père a menti. Fait à noter, le fils versait une part de solde non au père ou à la mère, comme c’était généralement le cas, mais à sa soeur Rita, 18 ans au décès de Gérard, la plus proche de lui dans la fratrie Doré, alors que celle-ci résidait encore chez les parents. Par ailleurs, le fils a inscrit sa mère comme légataire universelle. Les relations père-fils n’étaient peut-être pas des meilleures.

Du reste, cette lettre, comme la très grande majorité des lettres paraissant aux dossiers du personnel militaire décédé en 1939-1945, aborde aussi les questions financières découlant de la succession militaire. Il est peu surprenant que des échanges sur les finances comprennent des requêtes pour l’obtention de pensions, pensions qui toutefois ne relèvent pas du ministère de la Défense, mais de celui des Anciens Combattants, et donc ne trouvent que rarement leurs réponses dans les dossiers consultables. Autant que je le sache, en ce qui concerne les parents d’un jeune soldat, la réponse est généralement négative, car la pension est conditionnelle à l’état de dépendance financière, ce qui n’est pas le cas de la plupart des parents de soldats[10].

Les parents de Gérard Doré ne sont pas en situation de dépendance au sens de la Loi sur les pensions, mais le cas de la mère du soldat Chicoine est différent. Il était donc le plus jeune de deux fils, de dix-huit ans le cadet. On peut penser qu’il vivait avec son père et sa mère, âgés respectivement de 74 et 56 ans au moment du décès de Gaston. Selon les dires de madame Chicoine et de son mari, celui-ci était incapable de travailler, ce qui en faisait des parents dépendants admissibles à une pension, mais on ne trouve pas de décision à ce sujet dans le dossier personnel du soldat, pour la raison que j’ai indiquée.

Au-delà de ces considérations prosaïques, madame Chicoine, comme d’autres mères dans la même situation, mêle difficultés financières et désarroi de la perte d’un fils. Dans sa lettre du 16 août 1942 au responsable des liaisons avec les prisonniers de guerre, elle s’exprime ainsi :

Barachois, août 16/42

a/s M. Lieutenant Colonel Clarke

Messieur

Reçu votre lettre hier au soir nous informant des prisonniers de hong Kong. C’est avec regrets que je vous demande de me donné ou nouvelle juste de mon cher fils E30495 Rfmn Chicoine Gaston Roy Rifles of Canada « C » Force s’il est mort ou bien vivant car je suis bien décourage mon coeur est bien malade voila 7 longs mois qu’on attend et rien nous arrive de quoi cela depend. Si Mon cher fils Gaston est mort. J’espère que vous allé continué a me donné une pension car vous comprenez qu’il était mon seul soutien et si par malheur qu’il serait mort et que vous me donnerait pas de pension je ne sais pas quoi que je ferait car je suis Agée de 53-ans et je ne suis pas en bonne santé et depuis mon fils chérie a été a Hong Kong tous cela ma rendu a un point que je ne comprend pas quoi je vas t-il faire s’il est mort, mais j’espère qu’à la fin les nouvelles qui est à venir que sa soit des bonne nouvelles J’espère que Dieu me donne la force de suporté sa qui vas venir, mais j’ai peur de moi-même si je reçoit la mort de mon cher fils adoré moi C’est mon coeur qui est malade je ne suis pas bien forte. Bien Mr Clarke a prepos du paquet que j’avais envoyer mon fils Cherie est il été envoyer a Hong Kong, si non serait assez bon de me le retourné J’avais envoyer cela au moins d’avril si c’est pas été envoyer a hong Kong. C’est bien de valeur que ces pauvres enfants a été si loin. Je vas arrêter ici. En vous demandant de me repond tous de suite et repondez mes question que je vous demande. Je suis tous a vous

Mme Jeanne Chicoine

 Mère de Gaston Chicoine
 Mon seul soutien que j’avais
 Que Dieu le benie
 Reponse s’il vous plait
 Ne tardez pas trop.

vous comprenez que je suis bien pauvre sont vieux père a bien de la peine aussi s’il est mort moi j’aimerait autant de mourire tous de suite la vie serait rien a moi[11].

Le fusilier (rifleman en anglais abrégé Rfmn dans la lettre) Gaston Chicoine a été fait prisonnier en décembre 1941. Il décède des mauvais traitements japonais, de sous-alimentation et de soins insuffisants pour traiter une tuberculose, qui l’emporte finalement le 9 février 1943[12].

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Gérard Doré a donc pu s’enrôler malgré ses 16 ans parce que l’Armée de Terre de l’époque ne requérait pas de preuve de naissance à l’enrôlement, parce qu’il pouvait passer pour plus vieux psychologiquement et sans doute physiquement (il faisait 5 pieds 9 pouces et pesait 140 livres) et que ses parents ne se sont pas souciés de le faire revenir même quand ils ont su qu’il était outre-mer.

J’ai mentionné le dossier découvert au hasard d’un autre jeune soldat, S.J. Colquhoun (K54772). Ce dossier correspond à la norme, c’est-à-dire que lorsque l’Armée apprend l’enrôlement illégal d’un jeune homme, elle entreprend les procédures pour le rapatrier ou le licencier. Brièvement, l’histoire du Private Colquhoun est la suivante : Stanley James Colquhoun s’est enrôlé le 30 août 1943. Il ment sur son âge en déclarant qu’il est né le 22 juillet 1925 alors qu’en réalité il est plutôt né le 13 octobre 1927 selon le certificat de naissance porté au dossier durant l’enquête sur son âge. Grand et mince (6 pieds 1¼ pouce et 158 livres), il a paru « immature » au premier psychologue qui l’a interrogé le 26 août 1943. Le certificat avait été envoyé au sous-ministre (Armée) à la suite d’une lettre de la mère du 26 septembre 1944 dans laquelle celle-ci informait le ministère de l’âge véritable de Colquhoun (16 ans 10 mois à la date de la lettre). Il s’était enrôlé sans sa permission un an auparavant (il avait donc 15 ans et 10 mois à l’enrôlement). Elle demande qu’il soit retiré du service actif jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge réglementaire. La démarche maternelle avait été déclenchée par un télégramme du 24 septembre l’informant d’une blessure reçue au combat par Colquhoun deux jours auparavant.

S’ensuivent des échanges de lettres, télégrammes et télex entre la mère à Vancouver, les quartiers généraux d’Ottawa, de Londres et du 21e Groupe d’armées en France, finalement avec l’unité en Hollande, entre les 3 et 26 octobre, aux fins de procéder au changement d’âge dans les documents et de rapatrier le jeune homme, dont on pense à Ottawa, Londres et Vancouver qu’il est alors en convalescence en Grande-Bretagne. Malheureusement, sa blessure est légère. Il a reçu son congé de l’hôpital de campagne dès le 28 septembre et a rejoint l’unité, les Calgary Highlanders. Il est tué le 23 octobre 1944 et a été ultérieurement inhumé au cimetière militaire canadien de Bergen-op-Zoom (Pays-Bas). Lorsque la nouvelle du décès parvient au Quartier général canadien à Londres, une enquête administrative est déclenchée pour comprendre pourquoi l’unité ne l’a pas retiré de la ligne dès le télex du 12 octobre faisant état de la requête de la mère. L’unité explique que si elle a reçu une lettre datée du 28 octobre confirmant un télex du 12, celui-ci ne lui est pas parvenu, du moins n’as pas été enregistré dans le journal des communications. C’est évidemment malheureux, mais ce cas illustre bien la célérité avec laquelle procédaient habituellement les quartiers généraux d’Ottawa et Londres. On peut au moins en conclure que si le père de Doré avait réagi comme la mère de Colquhoun, des traces figureraient au dossier de Doré[13].

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Revenons aux commémorations pour conclure. Contrairement aux autres soldats juvéniles, Doré fait figure d’exception, car (outre la pierre tombale standard) il a un monument à son nom en face du stationnement du cimetière de Bretteville-sur-Laize. Une feuille d’érable moulée en béton y porte une plaque avec l’inscription suivante : « GERARD DORE, ENGAGE VOLONTAIRE à 15 ans, BATAILLON des FUSILIERS de MONT_ROYAL – R.C.I.C., CANADA, MORT le 23 juillet 1944 à 16 ans à VERRIERES ». On n’affirme pas qu’il fût le plus jeune Canadian tué au combat, mais plusieurs personnes avec qui l’auteur a eu l’occasion de parler de Doré ont l’impression que c’est effectivement le cas ; d’ailleurs, c’est le sens implicite de la cérémonie spéciale du 7 juin 2019.

En l’absence de certificat de naissance au dossier, Gérard Doré est présumé être âgé de 16 ans et 11 mois à son décès en Normandie ; et en l’absence de recherches systématiques dans les dossiers des jeunes soldats, il est également présumé être le plus jeune soldat canadien tué au combat. Mais ce n’est pas sûr. L’enquête pourrait continuer.