Corps de l’article

Après son difficile et exténuant mandat à la Maison-Blanche (1929-1933), Herbert Hoover, né en 1874 en Iowa de parents de confession quaker et ingénieur de formation, est demeuré fort actif sur la scène publique américaine. Qu’il suffise de mentionner qu’au début de la Seconde Guerre mondiale, l’ex-chef de l’exécutif, connu antérieurement pour ses efforts humanitaires déployés sur le Vieux Continent, a dirigé des organismes visant à prêter main-forte aux populations civiles de Pologne et de Finlande. De plus, en 1947, à la demande du président Harry Truman, puis en 1953, cette fois à la requête de son successeur Dwight Eisenhower, Hoover a présidé des commissions visant à examiner les manières d’améliorer l’efficacité de la branche exécutive du gouvernement fédéral. En fait, l’ex-secrétaire au Commerce de Warren Harding et de Calvin Coolidge, jusqu’à son décès en octobre 1964 à l’âge vénérable de 90 ans[2], a mené une vie publique bien remplie.

Fait à signaler, cet ardent détracteur du New Deal[3] n’a pas été indifférent non plus aux multiples dossiers de politique étrangère du début de la guerre froide. Ainsi, durant l’ère Truman, Hoover, favorable initialement à l’ONU et au plan Marshall, s’est opposé énergiquement à l’envoi de troupes américaines en Europe sous l’égide de l’OTAN et n’a pas manqué de stigmatiser la conduite du président démocrate pendant le conflit coréen. Endossant en 1952 la controversée candidature du sénateur Robert Taft (Ohio) en vue de l’investiture du Parti républicain, Hoover, convaincu du caractère éminemment stratégique de l’Asie sur le plan de la sécurité nationale, a essuyé maintes critiques à cette époque pour ses diverses prises de position en politique étrangère, certains de ses opposants le qualifiant sans ambages d’isolationniste[4].

Cet article, reposant entre autres sur un dépouillement des archives du 31e président des États-Unis effectué à sa Bibliothèque de West Branch (Iowa), vise à faire le point sur son attitude en matière de politique étrangère durant l’ère Truman. Plus spécifiquement, il entend répondre à des interrogations telles : comment s’exprime et s’explique l’internationalisme[5] modéré de Hoover jusque vers 1949 ? À quels facteurs doit-on attribuer sa « conversion » à l’isolationnisme après coup ? De quelle manière la nation américaine réagit-elle alors à son discours anti-interventionniste ? Le natif de l’Iowa apparaît-il en ces années comme un membre influent de la communauté isolationniste américaine ?

À notre avis, l’intérêt d’un tel article réside d’abord et avant tout dans son caractère pertinent : les spécialistes de l’isolationnisme américain en temps de guerre froide (Ted Galen Carpenter[6], Justus Doenecke[7], Selig Adler[8], Norman Graebner[9], etc.), à titre d’exemple, tendent tous à reconnaître la contribution non négligeable de Hoover dans le déclenchement, au début des années 1950, d’un important débat de politique étrangère (Great Debate) aux États-Unis traduisant la montée incoercible d’un sentiment néoisolationniste[10]. L’historienne Joan Hoff, pour sa part, postule que son réquisitoire de politique étrangère à cette époque connaîtra des récurrences certaines « in the 1960s among the “New Left” and again in the 1990s among the “New Right”[11]. » De surcroît, dans le contexte politique ayant cours actuellement aux États-Unis, marqué entre autres par la persistance d’une rhétorique « America First » affichée par le titulaire de la Maison-Blanche et les vives dénonciations proférées par ce dernier et d’autres caciques du Grand Old Party à l’endroit d’organisations internationales telle l’ONU[12], un tel article offre il va sans dire une résonance particulière. Celui-ci, incidemment, revêt en outre un caractère original dans la mesure où les publications en français sur le 31e président n’abondent pas : à vrai dire, hormis quelques références à Hoover dans des monographies telle celle de Jean Heffer (La Grande Dépression : les États-Unis en crise, 1929-1933, 1991), Denise Artaud (L’Amérique en crise : Roosevelt et le New Deal, 1987) et Yves-Henri Nouailhat (Les États-Unis : l’avènement d’une puissance mondiale, 1898-1933, 1973), celui-ci semble avoir été largement ignoré des historiens francophones. Qui plus est, si la situation apparaît différente du côté de l’historiographie anglophone, force est de constater que le traitement réservé spécifiquement au comportement postprésidentiel de Hoover s’avère souvent sommaire[13].

Cela dit, ce texte, à la fois chronologique et thématique du point de vue de sa structure, comporte deux parties. La première, plus longue, vise essentiellement à rendre compte de l’attitude plutôt singulière de Hoover en matière de politique étrangère durant l’ère Truman. La seconde, plus interprétative, entend cerner les motivations profondes à la base de son comportement louvoyant et dégager l’impact de son discours.

Vers un ton réquisitorial

Herbert Hoover n’est pas indifférent, c’est le moins qu’on puisse affirmer, aux questions de politique étrangère confrontant la nation américaine au début de la guerre froide. Un examen attentif de son comportement d’avant-1950, dans l’ensemble, tend à révéler un soutien, quoique parfois tiède, à l’endroit de la politique internationaliste et d’endiguement du communisme déployée par l’administration Truman. Dès la fin 1949, cependant, tout laisse croire que ledit soutien s’effrite et fait vite place à un discours vitriolique.

La position initiale émerge dès juillet 1945 lorsque Hoover préconise ouvertement la ratification par le Sénat américain de la Charte des Nations Unies, qualifiant cette dernière de « probably as good as could be obtained under the existing emotions, the present governments, the conflicting ideals and ambitions in the world[14]. » Néanmoins, il ne manque pas de relever quelques omissions dans ladite Charte, notamment un ferme engagement en matière de désarmement, une définition claire de la notion d’agression, de même qu’une déclaration explicite des droits des nations et des peuples[15]. Il considère également que le droit de veto accordé à chacun des membres permanents du Conseil de sécurité est de nature à miner les éventuelles tentatives onusiennes pour contrer les agressions militaires de par le monde[16]. Déplorant l’usage de l’arme atomique contre le Japon[17], le natif de l’Iowa réitère toutefois pleinement sa foi dans l’organisation internationale en 1946 lorsqu’il déclare que « [w] e should devote ourselves to cooperation in the U.N. to maintain peace[18] ».

De plus, Hoover, bien que critique face aux opérations menées par la United Nations Relief and Rehabilitation Agency (UNRRA)[19], s’avère alors plutôt en faveur de l’aide étrangère. Ainsi, dans une allocution intitulée « Postwar Loans by Our Government » prononcée à Chicago en septembre 1945, l’ancien chef de l’Exécutif, qui avait exprimé quelques mois auparavant le désir d’être nommé sénateur de Californie[20], souligne d’entrée de jeu : « Let me say at the outset that I favor such financial assistance[21]. » Hoover conclut ladite allocution par cette exhortation dépourvue d’équivoque : « we must help[22] ». À son auditoire, il rappelle cependant l’importance d’agir avec discernement : « We should limit our help to what our taxpayers can afford ; we should consider our own employment situation ; we should limit our aid to the minimum necessary[23]. » Dans cette optique, l’ancien chef de l’Exécutif, réceptif au Greek-Turkish Aid Program (doctrine Truman) [24], endosse le plan Marshall (European Recovery Program), confiant au début 1948 au sénateur républicain Arthur Vandenberg (Michigan), président de la commission sénatoriale sur les relations extérieures, que les États-Unis doivent rapidement consentir une aide au continent européen, et ce, pour trois raisons principales :

First, the spiritual character of the American people has always led them […] to prevent hunger and cold to the full extent of their surplus […]. Second, while the defeat of Communism in Western Europe is of vital importance to the preservation of moral and spiritual values for which we stand, it is also of vital importance to us that the economic and political unity of Western Europe should be stimulated. Third, the project builds for peace in the world[25].

Hoover relève toutefois quelques dangers potentiels au programme mis sur pied par le secrétaire d’État George Marshall, comme l’attestent ces propos : « On the American side, dangers are that the volume of exports and finance proposed may accelerate an already serious inflation ; that it further delays our recuperation from the war ; that it drains our natural resources and continues excessive taxation[26]. » Ces éléments, à n’en point douter, peuvent expliquer pourquoi l’ex-président, particulièrement préoccupé par le redressement économique de l’Allemagne[27], fait valoir que la durée de l’European Recovery Program ne doit pas excéder 15 mois (plutôt que les 48 réclamés initialement par le secrétaire d’État de Truman)[28].

Par ailleurs, concernant des questions majeures de l’année 1949 tels le Point Four Program[29] et surtout le pacte de l’Atlantique Nord[30], Hoover, persuadé que la prompte reconnaissance de l’État d’Israël de 1948 de Truman repose largement sur des considérations électorales et qu’une confrontation avec l’URSS au sujet de l’épineux dossier berlinois doit être évitée à tout prix[31], demeure apparemment coi[32]. Un tel mutisme, selon toute vraisemblance, prend en partie sa source dans le fait que sa commission sur l’organisation de la branche exécutive du gouvernement fédéral, « one of the most arduous tasks of his life[33]», l’occupe alors considérablement[34].

Toujours est-il qu’à partir du début 1950 environ, Herbert Hoover, ardent partisan de la Chine nationaliste de Tchang Kaï Chek[35], apparaît définitivement moins entiché par la politique internationaliste et les mesures d’endiguement mises de l’avant par le gouvernement Truman. Qu’il suffise de dire que le natif de l’Iowa, dès avril de la même année, exprime d’abord sa profonde insatisfaction face à l’ONU en y allant d’une proposition pour reconstituer l’organisation internationale sans l’Union soviétique et ses pays satellites[36]. Une telle proposition, incidemment, suscite maintes discussions au pays de l’Oncle Sam[37]. Avec l’éclatement de la guerre de Corée en juin, Hoover, appuyant la réaction initiale de la Maison-Blanche pour prêter main-forte au peuple sud-coréen[38], poursuit ses objurgations à l’endroit de l’ONU. Il s’insurge particulièrement contre l’aide restreinte fournie par les autres pays membres de l’ONU dans le conflit et souligne que l’organisation internationale « was not functioning effectively as an instrument against communist aggression[39] ». L’ancien chef de l’Exécutif en profite pour ajouter que le fonctionnement de l’ONU « would be even less effective if Communist China were added to the Security Council[40] ».

Surtout, Hoover attire l’attention pour son fameux discours radiophonique du 20 décembre 1950 diffusé sur les ondes du réseau Mutual Broadcasting System. En fait, à l’instar d’une allocution prononcée quelques jours auparavant par l’ex-ambassadeur Joseph Kennedy[41], le laïus de l’ancien président contribue au déclenchement du Great Debate[42], cette vive controverse de politique étrangère dominant la scène publique américaine jusqu’en avril 1951, représentant « the last hurrah of the noninterventionists of 1939-41[43] », et qui illustre la fragilité du consensus internationaliste d’après-guerre. À l’occasion dudit discours, écouté de plusieurs millions d’Américains, Hoover, entre autres choses, s’en prend à la volonté du gouvernement Truman d’offrir une résistance à l’expansion du communisme par l’entremise de guerres terrestres menées en Europe et en Asie. Une telle stratégie, à son avis, « would slaughter millions of Americans and “end in the exhaustion of this Gibraltar of Western Civilization”[44] ». Irrité en outre par le maigre support militaire européen dans le conflit coréen et l’inertie des mêmes alliés du Vieux Continent à vouloir contribuer significativement à la force défensive de l’OTAN[45], Hoover, qui concède la victoire aux communistes en Corée, réclame à cor et à cri une approche « Forteresse Amérique » (Fortress America) privilégiant le recours à la seule puissance aérienne et navale des États-Unis pour protéger leurs intérêts dans l’Atlantique et dans le Pacifique[46].

Comme on le devine, un tel discours, par lequel Hoover entend miser « on the unpopularity of the Korean War to reverse American overseas policy[47] », génère une vive réaction aux États-Unis. Ainsi, des revues telles Time et Newsweek ne manquent pas de réprouver l’allocution en question : la première déplore que « [i]solationism had come to life again[48] », alors que la seconde, par l’intermédiaire de son commentateur Ernest Lindley, invoque une diversité de motifs : « It is a policy of passive defense on a line drawn outside the Continent of Eurasia. It would surrender Western Europe and the Middle East to the Communists. It would repudiate the concept of collective security[49]. » Même son de cloche du président Truman pour qui l’endossement des idées de Hoover et Kennedy ne signifierait rien de moins qu’un retour aux politiques isolationnistes de l’entre-deux-guerres[50]. Quant à lui, le sénateur républicain Wayne Morse (Oregon) y voit des retombées pernicieuses pour l’OTAN : « One of the things that concern me about some of the assumptions in the Hoover speech […] is the great danger that psychologically it will be looked upon by many in Europe as an invitation to surrender Europe to communism […]. I fear that there are many people in Europe who will look upon the speech as a weakening of the North Atlantic Pact[51]. » Des journaux comme le New York Times, le Washington Star, le Boston Herald et le Lowell Sun réprimandent également l’allocution du 20 décembre[52]. Au dire du Atlanta Constitution et de son respecté rédacteur Ralph McGill, « the former President’s policy of “withdrawing nationally to an ivory tower over which he could hang armor plate […] is national suicide” ». Ce n’est pas tout : un sondage Gallup de janvier 1951 révèle que « 55 % of the American people answered “Send overseas” to the question “Do you think the United States should keep all of her troops over here and defend only North and South America, or do you think we should send more troops to Europe to be ready to help fight communism there ? ”, compared to 35 % who responded “Keep here” [53] ». Bien sûr, la position de l’ex-chef de l’Exécutif n’est pas de nature à réjouir la presse européenne. Le London Daily Telegraph, à titre d’exemple, s’insurge de ce que Hoover préconise délibérément « a course which would make America “an isolated and ultimately indefensible free society in an enslaved and hostile world” [54] ».

Cela dit, il appert que la majorité des journaux américains réagissent favorablement au discours du natif de l’Iowa. En fait, Hoover, qui a mandaté une agence de presse de lui fournir un portrait exhaustif des réactions éditoriales à son allocution[55], affirme que 68 % des quotidiens à s’être prononcés sur la question ont donné un appui ferme à celle-ci comparativement à un maigre 24 % à avoir exprimé une nette opposition[56]. Le discours du 20 décembre est encensé notamment du Chicago Tribune comme en fait foi cet extrait d’un éditorial : « Mr. Hoover’s speech sought to rally common sense against hysteria. The people are with him. If Congress does not adopt his ideas, it will be because some Democrats put loyalty to Truman and [Secretary of State Dean] Acheson above loyalty to their country[57]. » Les réactions dithyrambiques s’observent aussi du côté de Capitol Hill : des parlementaires tels John Rankin (Mississippi), Clare Hoffman (Michigan), Edward Jenison (Illinois) et Paul Shafer (Michigan), pour ne nommer que ces quelques membres de la Chambre des représentants, disent pleinement approuver le laïus de Hoover[58]. Même chose pour des sénateurs républicains du Mid-Ouest tels Hugh Butler (Nebraska), Kenneth Wherry (Nebraska) et William Langer (Dakota du Nord). De dire par exemple le premier : « Hoover’s masterful address […] was a welcome breath of fresh air[59]. » De confier Butler à un électeur : « As Mr. Hoover said, it is perfectly obvious that we cannot defend every country in the world, particularly those which will not mobilize to defend themselves[60]. » Tout aussi dépourvus d’équivoque sont les propos du second : « I agree enthusiastically with Mr. Hoover’s statement that it would be a futile dissipation of American resources in manpower, materials and money to expend them further in the absence of tangible evidence of effective defense assistance from the other Free Nations[61]. » Quant à Langer, il qualifie l’intervention de Hoover du 20 décembre d’ « admirable speech[62] » et, à un électeur, il déclare sans détour « that the proposals of [the] former President […] should be followed[63] ». De manière similaire, un examen de la correspondance de décembre 1950 de l’ancien chef de l’Exécutif révèle qu’il reçoit alors les éloges d’une myriade de personnalités. C’est notamment le cas de Bruce Barton, dirigeant d’une agence de publicité et ex-représentant isolationniste de New York, qui lui fait savoir que son allocution « will make American history, and will be remembered as one of the greatest of your many contributions to the nation[64] », alors que le journaliste Felix Morley le félicite chaudement pour son « great speech[65] ». Bonner Fellers, membre influent du Republican National Committee qui a servi comme conseiller du général Douglas MacArthur aux Philippines durant les années 1930, en est un autre qui ne tarit pas d’éloges envers les idées de Hoover comme en témoigne cet extrait d’une lettre du 27 décembre :

Your December 20 speech was magnificent. It reflected deep conviction ; it was aggressive – convincing. Except among administration leftists and a few others who are well meaning but ignorant of the facts, your speech made a terrific impact on the American people. It will serve to unify us – especially will it solidify opposition in the Congress against the ruinous Truman program. The administration program to fight Communism is so fatuous that it could well have been conceived in Moscow. It is so costly that even without war, it will destroy our economy and sovietize the government[66].

Il appert en outre que les idées de Hoover suscitent une sympathie non négligeable au sein de la population à en croire les sénateurs internationalistes de l’État de New York Irving Ives (républicain) et Herbert Lehman (démocrate) : ces derniers rapportent que les lettres reçues immédiatement après le fameux discours, dans une proportion de plus de 90 %, expriment des opinions en faveur du point de vue de l’ex-président[67].

Naturellement, durant le Great Debate, Hoover, sidéré par les coûts d’entretien faramineux d’une division de l’armée américaine[68], ne manque pas une occasion de revenir sur des éléments-clés de son discours de décembre. D’affirmer l’ancien chef de l’Exécutif, un ardent partisan de la Résolution Wherry[69], au cours d’une allocution radiophonique du début février 1951 :

[The Western] Hemisphere can be defended from Communist armies come what will. It is still surrounded with a great moat. To transport such invading armies either 3,000 miles across the Atlantic or 6,000 miles across the Pacific would require transport ships and naval protection which the Russians do not possess and could not build or seize […]. If we have a proper naval and air strength, we could sink them in mid-ocean […]. Communist armies can no more get to Washington than any allied armies can get to Moscow […]. I suggest that air power and the navy is the alternative to sending American land divisions to Europe. With our gigantic productive capacity and within our economic strength we can build and sustain overwhelming air and sea forces held on our home ground ready in case of attack […]. The whole Korean tragedy is developing proof that the way to punish aggressors is from the air and sea and not by land armies. It would be infinitely less costly in dead and disaster[70].

Convaincu que le Japon, Formose et les Philippines représentent « vital links in our national security[71] », Hoover, qui estime que le Congrès doit absolument recouvrer ses prérogatives constitutionnelles en matière de déclaration de guerre[72], donne libre cours à son ressentiment vis-à-vis des alliés européens dans une déposition effectuée quelques semaines plus tard devant les commissions sénatoriales sur les relations extérieures et les forces armées :

It must be acknowledged that the will to preparedness of the European Atlantic Pact nations (outside of Britain) has been most discouraging […]. Under Article III of [the 1949 Atlantic] Pact, each member agreed to develop its own armed forces to resist attack. So far as is known, despite our supplies of resources, hardly a “battle worthy” division has been created by any of the Continental European members in these two years. There has been some evidence of more action, but it does not represent a burst of speed. These European North Atlantic Pact nations, which today have less than 15 battle worthy divisions available, did, in both World War I and World War II, place 170 such divisions in the field in sixty days[73].

L’intérêt d’Herbert Hoover pour la politique étrangère de son pays, on le devine, ne s’amenuise nullement après le dénouement du Great Debate au printemps 1951. Les derniers mois de la présidence Truman, à vrai dire, voient un certain nombre d’interventions de sa part. Dans un discours de la fin janvier 1952, par exemple, il rappelle que « Western European nations are contributing less than 10 % of the total military expenditures of the North Atlantic Pact Nations » et insiste sur la nécessité qu’ont les États-Unis de défendre « this final Gibraltar of freedom – that is the Western Hemisphere[74] ». Au cours de la même allocution, louangée entre autres par l’ancien sous-secrétaire d’État William Castle[75] et du respecté sénateur de l’Ohio Robert Taft[76], Hoover vitupère aussi contre le congédiement du général MacArthur[77] et se montre toujours amer envers l’ONU : « Our relations to the United Nations Charter should be revised. It must not be allowed to dominate the internal sovereignty of our Government. Our Courts have already made decisions that the Charter overrides our domestic laws[78]. » Finalement, avec la venue de la campagne présidentielle de 1952, l’ex-chef de l’Exécutif donne son appui enthousiaste à la candidature de Robert Taft, « probably the most influential Republican in Congress[79] », et dont les vues isolationnistes en politique étrangère ne font alors aucun doute[80]. De faire valoir Hoover à l’occasion de la convention du Grand Old Party : « Senator Taft has long proved his forthrightness, integrity and absolute devotion to public interest, and he has had long experience in government. His leadership in the Senate has provided the Republican Party with a fighting opposition to the currents of collectivism in the country. This convention meets not only to nominate a candidate but to save America[81] ». Dans les circonstances, la nomination au premier tour d’Eisenhower n’est pas vraiment de nature à lui plaire[82].

Palinodies et impact de Hoover : le point

Ayant complété notre bref portrait de l’attitude de Hoover en matière de politique étrangère durant l’ère Truman, il convient maintenant d’examiner plus en profondeur, tel que mentionné en introduction, sa position qui peut sembler ambivalente à première vue. Pourquoi s’avère-t-il réceptif au credo internationaliste avant 1950 ? Comment s’explique le comportement foncièrement isolationniste de Hoover pendant la période 1950-1952 ? Doit-on se contenter des arguments invoqués dans ses allocutions publiques pour la pleine compréhension de sa conduite plutôt conservatrice concernant les affaires étrangères ? Apparaît-il comme un membre influent de la communauté isolationniste américaine d’après-guerre ?

La position somme toute internationaliste[83] de Hoover avant 1950 surprend assez peu si l’on prend en considération certains de ses antécédents. Qu’il suffise de mentionner que celui-ci, qui a effectué maints séjours à l’étranger (Australie, Chine, Russie, etc.) en tant qu’ingénieur minier[84], a supervisé divers programmes d’assistance économique des Alliés à l’époque de la Première Guerre mondiale et s’est même retrouvé à la tête de la U.S. Food Administration, un organisme fédéral créé en 1917 visant entre autres à accroître la production de céréales et de viande dont dépendaient alors grandement les Européens pour leur subsistance[85]. Il convient en outre d’ajouter que « l’humanitariste » Hoover, partisan de l’adhésion de son pays à la Société des Nations et la World Court[86], a préconisé pendant sa présidence un esprit de coopération internationale dans le but d’abaisser les barrières douanières[87]. Dans les circonstances, que celui-ci soit plutôt bien disposé envers l’ONU et l’aide étrangère au commencement de la guerre froide n’a donc rien de vraiment surprenant.

L’effritement de la rhétorique internationaliste de Hoover, nettement perceptible à partir du début 1950, revêt également un caractère compréhensible, encore que l’ancien chef de l’Exécutif, initialement un opposant à la participation des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale « on the grounds that it was out of the American sphere of interest[88] », refuse alors catégoriquement l’étiquette d’isolationniste. Plutôt sceptique face aux insinuations du sénateur Joseph McCarthy concernant la soi-disant « infiltration » du département d’État par les communistes[89], Hoover déclare notamment à l’occasion du Great Debate : « I am not advocating isolationism […]. I have proposed no retreat, no withdrawal. I have proposed no repudiation of treaties or obligations. Rather, I have proposed that the pledges to the Congress and the American people be kept[90]. »

Mais que faut-il entendre par isolationnisme ? Bien que cette notion ne soit pas simple à définir[91] et parfois associée à des concepts tels ceux d’unilatéralisme et de pacifisme[92], elle est souvent employée, spécialement à cette époque, « to indicate a policy of abstaining from an active role in international affairs[93] ».

Cela dit, la propension isolationniste de Hoover durant l’ère Truman est certainement alimentée par le fait que celui-ci, abonné au bulletin conservateur Human Events[94], compte alors parmi son vaste réseau de connaissances des personnalités résolument anti-interventionnistes telles Harry Elmer Barnes, Bonner Fellers, Joseph Kennedy, Bruce Barton, Felix Morley et celui que l’historien Justus Donecke n’hésite pas à qualifier de « close friend[95] » : Robert Taft[96]. Il apparaît plausible en outre de postuler que les croyances religieuses de l’ex-président, instillées largement et strictement par sa mère, « an ordained Quaker minister[97] », ont aussi contribué un tant soit peu à modeler son comportement en matière de politique étrangère. C’est du moins ce que fait valoir l’historienne Joan Hoff pour la période de l’entre-deux-guerres : « Drawing on his early Quaker training, Hoover dealt with U.S. foreign relations by relying on the power of negotiation rather than use of force, especially in Central America and the Caribbean, and by his support of arms limitation[98]. » Que le quakerisme professé durant son enfance a pu également façonner sa diatribe croissante contre l’internationalisme et l’interventionnisme durant l’ère Truman s’avère probablement une piste d’explication admissible. Parmi les dogmes intangibles de la foi quaker, en effet, figurent le pacifisme[99] et son corollaire : le refus de porter les armes. Comment dès lors réconcilier de telles composantes fondamentales du quakerisme avec une politique étrangère américaine susceptible de générer, surtout à partir de 1949 avec la militarisation de l’endiguement et la création de l’OTAN, des interventions armées à l’échelle planétaire ? Quoi qu’il en soit, l’attachement indéfectible de l’ancien chef de l’Exécutif à sa foi ne semble nullement altéré en ce début de guerre froide comme en témoigne la seule remarque de 1949 du représentant républicain John Sanborn (Idaho) à l’effet que « [Hoover] never lost the Quaker imprint[100] ».

Il ne faut pas perdre de vue non plus que la critique de Hoover face à la politique étrangère de son pays coïncide avec l’érosion progressive, dès la fin 1949, du « consensus bipartite » (bipartisanship), c’est-à-dire cette forme de collaboration tacite d’après-guerre prévalant notamment au Congrès entre démocrates et républicains relativement aux dossiers-clés de politique étrangère et qui avait permis à des mesures comme la doctrine Truman, le plan Marshall et le pacte de l’Atlantique Nord de voir le jour[101]. Indépendamment des raisons pouvant expliquer ce déclin du bipartisanship[102], il va de soi qu’un tel élément contextuel est de nature à inciter Hoover à joindre ses collègues républicains (tant ceux du Congrès que ceux oeuvrant à l’extérieur de celui-ci) dans leur dénonciation de la politique étrangère de Truman. Parmi lesdits collègues républicains de Capitol Hill, incidemment, figure entre autres le sénateur Forrest Donnell (Missouri) dont l’attitude en matière de politique étrangère rappelle quelque peu celle du natif de l’Iowa : avant de dénigrer vertement la politique étrangère de Truman en 1949-1950, le parlementaire du Missouri s’est fait connaître pour son soutien à l’ONU, la doctrine Truman et le plan Marshall…[103]

Par ailleurs, compte tenu des fréquentes admonestations de Hoover vis-à-vis des alliés européens dans le contexte de l’épisode coréen et du débat à survenir concomitamment sur le Vieux Continent en rapport avec le projet de création d’une Communauté européenne de défense (CED), il est tentant d’avancer que son approche « Forteresse Amérique » ait pu être dictée en partie par une volonté de sa part de faire pression sur les Européens afin que ces derniers acquiescent promptement à une forme tangible de réarmement, notamment celui de la République fédérale d’Allemagne (RFA). C’est du moins ce que semblent suggérer certains observateurs de l’époque, dont Raymond Daniell, correspondant du New York Times à Londres. De dire par exemple celui-ci en lien avec le fameux discours de Hoover de décembre 1950 : « Over here, on the side of the world that can be most easily overrun by the Soviet Army [,] these words take on an ominous meaning […]. Just when Europe has been asked to agree to a dangerous proposal, namely arming the Germans, the elder statesman of the Republican Party advocates publicly a policy of withdrawal from Europe[104]. »

* * *

En terminant, il peut s’avérer légitime, dans ce contexte de propagation de la doctrine internationaliste inhérent aux années Truman, de chercher à minimiser l’influence de Hoover en matière de politique étrangère, et ce, même si Henry Wallace, ex-vice-président de Franklin Roosevelt, prétendait en 1947 que « it is Hoover’s thinking which guides our foreign policy[105] ». Il ne faut pas perdre de vue cependant que l’ancien titulaire de la Maison-Blanche, qui élit domicile à New York après le décès de son épouse en 1944[106], apparaît alors comme une figure on ne peut plus respectée au sein des milieux conservateurs comme en font foi les multiples références laudatives à son nom en ces années. Pour le sénateur Kenneth Wherry, incidemment, « [t]he counsel and admonitions of the only living former President command the attention of our people, because his is a voice of experience in the highest public office in the land[107] ». Une telle situation surprend d’autant moins que Hoover, entre autres par l’entremise de ses discours radiophoniques et télévisés dans lesquels sa rhétorique isolationniste est éloquemment distillée, parvient souvent à joindre un vaste auditoire. Selon la revue Newsweek, en fait, ses idées de politique étrangère suscitent un attrait évident : « Hoover […] spoke not only for a big section of the Republican Party but for many citizens who thought America’s foreign policy was wasting lives and treasure recklessly[108]». De sa fameuse allocution de décembre 1950, le commentateur Raymond Moley du même périodique en vient même à affirmer : « he was speaking the minds of millions of Americans[109] ». Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’étonner de ce que Hoover – dépeint au Congrès en ces années comme « our only living ex-President » et « the greatest living American[110] » – prenne une part active aux conventions républicaines de 1948 et 1952[111]. Bien que celle de 1952 n’épouse pas sa position pro-Taft et que la population américaine tende à cette époque à désapprouver la stratégie de primauté du théâtre asiatique[112], il apparaît plausible de croire que le dénouement du Great Debate au printemps 1951 ne représente nullement une défaite aux yeux de cette figure de proue du Grand Old Party. L’issue de ce débat-clé de politique étrangère, à vrai dire, survient au début avril lorsque la chambre haute du Congrès donne son assentiment à un amendement du sénateur démocrate John McClellan (Arkansas) approuvant l’envoi en Europe occidentale des quatre divisions américaines réclamées par Truman (voir note 69), mais tout en affirmant « that no more troops should be sent without explicit congressional consent[113] ». Si les archives de Hoover fournissent peu d’indications sur la nature de sa réaction spécifique en regard du dénouement du Great Debate[114], nous savons en revanche qu’un quotidien isolationniste tel le Washington Times-Herald interprète alors l’aboutissement d’avril 1951 comme « a victory for a “nationalistic foreign policy” ».

Il serait intéressant éventuellement de se pencher sur l’attitude de l’ancien président des États-Unis vis-à-vis de la politique étrangère du gouvernement Eisenhower et d’examiner en particulier sa réaction face à l’approche de défense nationale New Look mise de l’avant dès 1953[115] et à la défaite du fameux Amendement Bricker en 1954[116].