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La conscription est un mystère presque complet. On pense savoir qu’un peuple fut opprimé parce que certains furent contraints de servir l’impérialisme, qui avait besoin de chair à canon. Un beau mythe, comme tous les peuples en ont besoin. Mais mythe à part, la conscription c’est d’abord les conscrits. Voici l’histoire de l’un d’entre eux.

L’on sait que la conscription fut introduite relativement tôt durant la Seconde Guerre mondiale, dans les jours de panique qui suivent la chute de la France. Le gouvernement de Paul Reynaud démissionne le 17 juin et peu après Pétain prend le pouvoir. Presque aussitôt, le 21 juin 1940, le gouvernement canadien impose l’entraînement obligatoire aux hommes de classes d’âge à être désignées, et possiblement le service militaire obligatoire pour une proportion d’entre eux, mais seulement en territoire canadien. Auparavant, il fallait dresser la liste de ceux qui étaient susceptibles d’être appelés, une liste extraite de la liste de la main-d’oeuvre compilée lors d’un recensement spécial tenu la troisième semaine d’août 1940. Fin septembre, des convocations pour entraînement obligatoire parviennent au premier groupe de conscrits, des jeunes gens de plus ou moins vingt ans. L’entraînement ne dure alors que quatre semaines, durée portée ultérieurement à quatre mois[1].

Par un amendement de juillet 1942 à la Loi de juin 1940, amendement adopté après que le gouvernement King ait obtenu par plébiscite (mai 1942) la permission de se délier de sa promesse de ne pas envoyer outre-mer des conscrits, toutes les provinces ayant voté en faveur sauf le Québec (il ne faudrait pas l’oublier), il devint possible d’envoyer des conscrits sur tous les champs de bataille du monde. Le gouvernement a cependant attendu et ce fut seulement par un décret du 23 novembre 1944 que fut donnée l’autorisation aux forces armées de sélectionner et d’envoyer outre-mer jusqu’à 16 000 conscrits.

Moins de 13 000 firent effectivement la traversée jusqu’en Angleterre, où les conscrits sélectionnés, comme tous les renforts, recevaient un complément d’entraînement, et de là pouvaient joindre des unités engagées soit en Allemagne (pour quelques-uns) soit en Hollande (pour la plupart). Au total, pas même 9 700 conscrits débarquèrent sur le continent et moins de 2 500 furent incorporés aux effectifs des unités combattantes avant la suspension des hostilités[2]. À cette date tardive de la guerre, les opérations avaient ralenti dans le secteur nord de l’Europe de l’Ouest où l’Armée canadienne opérait. Quelques conscrits, les premiers arrivés, ont peut-être combattu lors de la bataille du franchissement du Rhin, la dernière grande bataille à laquelle la 1re Armée canadienne a participé, mais tous les autres n’ont servi qu’en Hollande à un moment où les Allemands se savaient battus, alors qu’il n’y avait plus que des opérations mineures, comme des patrouilles, du déminage ou le « nettoyage », voire du secours aux Hollandais souffrant du froid et de la faim. Plusieurs conscrits ne se sont même pas rendus en Hollande, arrêtés dans leurs mouvements quelque part le long de la ligne logistique au moment où un armistice général fut décrété le 8 mai, le 7 en fait pour les Alliés occidentaux (le 4 en Hollande), et encore plus tôt dans des secteurs où des trêves locales régnaient[3]. Les pertes de conscrits furent donc très faibles, officiellement 69 morts, 232 blessés et 13 prisonniers de guerre[4].

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Jean-Paul, fils de Willie Bourgeois, résidant de Kénogami, numéro d’appelé F106626, matricule de l’Armée de terre E600748, est incorporé le 5 octobre 1942. Né le 19 août 1922, il vient d’avoir vingt ans et déclare comme métier qu’il est « commis ». La plupart des conscrits sont incorporés à 19, 20, 21 et 22 ans, la tendance à long terme étant la vingtième année[5]. Ils accomplissent leur entraînement obligatoire comme prévu par la Loi sur la mobilisation des ressources nationales de 1940. Jean-Paul Bourgeois reçoit sa première affectation tout près, au Camp C.A. (B.) T.C. no 51 de Chicoutimi, où il suit l’entraînement de base – C.A. (B.) T.C. veut dire « Canadian Army (Basic) Training Camp », un type de camps qui se trouvait un peu partout sur le territoire. Son entraînement de base dure alors huit pleines semaines. Il est ensuite affecté au camp d’entraînement avancé de son premier métier militaire, l’infanterie, dans son cas la grande base de Valcartier, non loin de Québec. Là aussi, il y reste deux mois[6].

Il fait ensuite partie de presque 100 000 conscrits qui forment l’Armée de réserve au Canada sans compter les conscrits qui passèrent au service général, un peu plus de 70 000 hommes[7]. Il semble s’être assez bien fait à ces premiers mois de vie militaire, car il peut suivre un cours de ski en mars 1943, puis un cours de servant (no 3) de mortier le mois suivant. Entre les deux cours, il a bénéficié d’une permission de treize jours, que les bonnes liaisons ferroviaires du temps lui ont peut-être permis de prendre dans sa famille. Sa solde initiale de 1,30 $ par jour avait été augmentée à 1,40 $ à la fin de l’entraînement avancé en février (solde d’un soldat entraîné), et à 1,50 $ en avril (solde après six mois de service continu). C’est la solde standard des simples soldats de l’Armée de Terre durant la Seconde Guerre mondiale, 45 $ par mois de trente jours, car un soldat est payé tous les jours.

Vient le premier déploiement, qui est précédé d’une permission accordée automatiquement, dans le cas de Jean-Paul, du 15 au 23 juillet 1943. Pendant ses permissions, le soldat recevait un supplément de 0,50 $ par jour comme prime de séjour. Il quitte le Québec pour… le Labrador. Il est à l’étranger, car Terre-Neuve et Labrador sont alors des colonies britanniques, occupées il est vrai par les forces armées des États-Unis et du Canada. Il arrive à Gander le 1er août 1943, pour un long séjour de onze mois. Il rentre ensuite au Canada, obtient vingt jours de permission d’après-déploiement (toujours avec 0,50 $/jour de supplément), puis se rend successivement aux grandes bases de Shelburne (Nouvelle-Écosse) et de Sussex (près de Saint John, Nouveau-Brunswick) avant de rentrer en sol québécois à la mi-octobre 1944 pour être affecté au Régiment de Châteauguay. Cela pourrait passer pour une meilleure affectation, si ce n’était que fait alors rage le débat sur l’envoi de conscrits outre-mer[8].

Son déploiement, d’abord au Labrador et ensuite en Europe, a eu une conséquence positive pour la famille restée derrière. En tant que conscrit sans personne à charge, il n’était pas soutien de famille et n’avait au sens de l’Armée aucune responsabilité financière à l’égard de ses proches, pas plus que l’Armée d’ailleurs, qui dans d’autres cas versait des allocations aux épouses et aux enfants, ou aux parents ou frères et soeurs si ceux-ci ne pouvaient gagner leur vie par eux-mêmes. Mais même si la dépendance financière n’existait pas, l’Armée forçait ses membres à verser une mensualité retenue sur la solde, soit parce qu’elle jugeait qu’il fallait assurer la tranquillité d’esprit du soldat loin de chez lui quant à la sécurité financière de ses proches, soit qu’elle voulait ainsi assurer que cette somme allait être économisée par des proches prévoyants. Cela ne prive pas le soldat vraiment, car en sus de la solde, lorsqu’il est déployé il a droit à une prime de vie chère de 1,25 $ par jour (tarif de la fin de la guerre). C’est bien cela qui est inscrit dans les documents financiers au dossier Bourgeois. Comme la majorité des simples soldats, le payeur de l’Armée émettait un chèque mensuel de 20 $ à l’ordre, dans le cas de Jean-Paul, de sa mère[9]. Le versement est interrompu fin avril 1945, après le décès, le ministère créditant les comptes des proches désignés à la fin du mois complet du décès, peu importe le quantième.

Les états de service révèlent aussi les problèmes disciplinaires. Jean-Paul Bourgeois n’a commis que deux infractions à la discipline militaire, la première le 26-27 janvier 1943, une absence sans permission d’une journée. Ce genre d’infraction était extrêmement fréquent. La peine infligée au terme de la procédure sommaire utilisée dans ces cas (bref passage devant le commandant de l’unité, qui a pouvoir de condamner pour les infractions mineures jusqu’à un maximum de 30 jours de retenue de solde et/ou de confinement aux quartiers) est d’une semaine de retenue de solde. Il s’absente à nouveau sans permission du fait qu’il manque le couvre-feu de 22 h le 3 octobre 1944. De surcroît, lorsqu’il est rentré dans les lignes à minuit quinze le matin du 4, il est en état d’ébriété. Par procédure sommaire, on lui inflige à nouveau une suspension de solde de sept jours, plus le confinement aux quartiers pour la même durée. Somme toute rien de très grave. Il n’est pas mêlé aux manifestations de conscrits du 24 novembre 1944 ou des semaines suivantes[10]. De toute façon, il s’embarque pour l’Angleterre le 10 janvier 1945, y débarquant le 17. Il est, comme tous les renforts, conscrits ou pas, envoyé pour un séjour de mise à jour et de perfectionnement de l’entraînement dans un Canadian Infantry Training Center[11], le C.I.T.R. no 9.

À la fin de ce perfectionnent, Jean-Paul Bourgeois devient un Fusilier Mont-Royal (FMR), l’unité dans laquelle il est versé comme renfort le 8 mars 1945, dans la compagnie « C ». Il n’y a rien d’autre de notable dans les états de service avant la blessure mortelle au visage et au front reçue le 29 avril 1945, blessure causée par un obus explosif (HE). Le journal de guerre des Fusiliers Mont-Royal est muet sur les circonstances exactes des pertes subies le 29 avril, mais on sait par une liste des pertes des FMR depuis le débarquement de 1944, liste préparée en juin 1945, que sept FMR sont morts ce jour-là dans la dernière opération de la guerre du régiment, une petite bataille visant à nettoyer les approches de la ville d’Oldenburg. Tristement, cette journée fut la dernière de la guerre pour laquelle le régiment a enregistré des morts au combat[12].

Après un délai inhabituellement long de cinq jours, délai peut-être dû au fait que Jean-Paul Bourgeois n’est pas mort sur le coup, son proche parent désigné, le père, est informé par télégramme que son fils est « officiellement porté mort[13] ». L’inventaire des menus objets laissés par le fils comporte en plus des habituels disques d’identité, un livre de prières, un Nouveau Testament, deux rosaires, deux statuettes religieuses, sept médailles « souvenir » et une médaille religieuse, un médaillon avec photo, une carte de la Commission d’assurance-chômage, une paire de lunettes avec son étui et quelques autres petits objets sans valeur monétaire, comme un peigne et un ouvre-bouteille. Jean-Paul était peut-être très religieux, ou sa famille lui faisait parvenir des objets le rappelant à l’exercice du culte – il est évidemment catholique romain.

La succession militaire réunit, après les parties « régimentaire » et parfois médicale du dossier, le gros des pièces restantes. Dans le cas du soldat Bourgeois, l’affaire est simple : il a laissé un testament en faveur du père (sans testament, c’est la loi provinciale des successions qui s’appliquerait). Toutes les valeurs de la succession militaire, sauf la prime de démobilisation, sont versées au légataire universel, ici une petite somme composée du reliquat de solde et du remboursement de l’achat d’un bon de la victoire à tempérament, seulement 31,78 $. La prime de démobilisation, selon la loi de 1944 qui la régule, est versée au (x) bénéficiaire (s) désigné (s) de la délégation de solde (en l’absence, au (x) légataire (s) tels que déterminé (s) par le Bureau des dépendants[14]), dans ce cas-ci la mère, madame Léo Vignault Bourgeois – elle se désigne ainsi –, et au seul frère du défunt, Lionel, 21 ans. Là encore, le montant est dérisoire, 56,47 $, Jean-Paul n’ayant pas servi longtemps outre-mer, la caractéristique qui fait augmenter la prime.

Les ayants droit recevront aussi les montants prévus aux deux assurances vie souscrites par Jean-Paul, la Société des Artisans canadiens-français et la Metropolitan Life Insurance Company, auxquelles le directeur des archives du ministère de la Défense fait parvenir un certificat de décès officiel (le ministère a le pouvoir d’officier d’état civil[15]).

Il y a quelques autres pièces au dossier, dans une quatrième partie pourrait-on dire, le début de ce qui aurait été un dossier d’ancien combattant. Comme Jean-Paul n’a pas survécu, et comme sa famille n’était pas dépendante de son revenu avant l’enrôlement, ni ne l’est devenue durant son service dans l’Armée (son père, 52 ans, est le gagne-pain), et qu’en conséquence il n’y a pas de pension versée à une personne à charge, cette partie ne compte que quelques pièces ; mais originales et intéressantes.

Les pièces de la succession militaire ne sont donc pas les dernières entrées au dossier ; ce qui est le cas pour presque tous les militaires canadiens inhumés dans un cimetière hollandais, civil ou militaire. Le cas hollandais est à cet égard singulier, car si l’on trouve des tombes entretenues en France, en Angleterre et ailleurs (la plupart des corps sont concentrés dans de grands cimetières militaires après la fin de la guerre, mais il reste des sépultures dispersées ici ou là), par des individus ou des associations locales, il semble que seuls les citoyens hollandais aient systématiquement « adopté » une sépulture afin de l’entretenir (ce qui n’est plus nécessaire après la concentration, la Commonwealth War Graves Commission s’en chargeant), de la fleurir à intervalle plus ou moins régulier pour commémorer le soldat y enterré. Je ne sais rien de bien précis sur cette initiative des Hollandais, quelle organisation pouvait la chapeauter – elle semble vraiment trop systématique pour n’être pas dirigée ou semi-dirigée par une autorité (église, école ou municipalité ?) –, mais elle est remarquable.

L’histoire des commémorations des Canadiens par les Hollandais a déjà été étudiée. Dans son étude de cas, Andrew Horrall expose toutes sortes de gestes commémoratifs canado-hollandais, dont le geste « spontané » de fleurir les tombes, avec une photo à l’appui, deux jeunes Hollandaises fleurissant des tombes temporaires le 5 mai 1946. Il parle d’initiatives locales, municipales, comme l’assiette commémorative donnée à King le 12 novembre 1947, principal objet de son article. Il ne dit cependant rien des relations épistolaires qui m’occupent ici. Selon Horrall, la commémoration par les Hollandais de leur libération par les Alliés serait en partie liée à l’insécurité générale consécutive à la guerre froide. Mais était-ce le cas en 1945, 1946, 1947, ou même au début de 1948, dates des lettres qu’on trouve dans les dossiers du personnel militaire ? Il me semble que le geste est antérieur à l’insécurité psychologique dont fait état Horrall, qu’il est simplement une forme de gratitude, soit spontanée, soit organisée[16].

Horrall soutient aussi que le premier temps de la commémoration était anonyme[17], par exemple le fait de remercier les soldats canadiens au coin des rues avant le retour de ceux-ci au Canada. Ce ne fut certainement pas toujours le cas, car la relation épistolaire était nécessairement, dès le départ, une relation un à un, le nom du soldat canadien ayant été relevé sur sa croix ou sa pierre tombale. Chaque fois donc, le Hollandais responsable entrait en contact avec une famille canadienne d’un soldat dûment identifié. Il ou elle, car ce sont généralement des Hollandaises qui écrivaient, n’a évidemment pas l’adresse des proches parents au Canada, d’où le rôle d’intermédiaire vital du ministère de la Défense. Vital aussi parce que la correspondance en provenance de Hollande est très généralement en néerlandais.

Ainsi, mademoiselle W. vanDijk de Deventer (sur l’Ijssel, ouest des Pays-Bas), écrit ceci le 1er mars 1948 :

Je crois que vous serez étonné de recevoir une lettre de Hollande. La raison est que je désire vous parler de J.P. Bourgeois. Est-il votre époux, votre fils ou un frère ?

Il fut un des héros canadiens qui a libéré les Pays-Bas (Hollande) de l’ennemi allemand et nous lui en sommes très reconnaissants ainsi qu’à tous les soldats canadiens.

J’habite à Deventer, ville à proximité de Holten. Il y a là un grand cimetière abritant des sépultures canadiennes. J’ai adopté dans Holten (Holtenberg) la tombe de J.P. Bourgeois, tombé le 29 avril 1945, inhumé dans la fosse 3, rang B, lot 11.

Parfois, je visite la sépulture et y dépose des fleurs. Le jour de Noël, la fleuriste a transplanté à cet endroit une petite branche de sapin vert avec des fleurs blanches et au printemps de belles hyacinthes y fleuriront.

J’espère que vous serez heureuse de savoir que l’on prend soin de la sépulture. Quand vous voudrez bien, je vous enverrai une photographie du cimetière.

Avec mes sincères amitiés, votre bien dévouée,

Melle W. vanDijk[18]

La traduction est évidemment au centre de la relation, puisque mademoiselle vanDijk écrit dans sa langue maternelle et que les Bourgeois écrivent en français. Les lettres sont donc traduites du néerlandais à l’anglais puis au français dans un sens, puis la réponse dans l’autre sens. Malheureusement, la plupart du temps, contrairement aux Bourgeois, du moins dans les dossiers que j’ai pu lire, la famille québécoise ne se manifeste pas, c’est-à-dire ne répond pas du tout à l’initiative de la bonne âme hollandaise. Les familles anglophones me semblent plus désireuses d’entretenir la relation. Il faudrait enquêter plus sérieusement là-dessus pour en être certain. Quoi qu’il en soit, la famille Bourgeois répond, et même si l’échange ne dure pas, les Bourgeois s’épanchent dans deux longues lettres.

Ils écrivirent deux fois. Le 15 mars 1948, monsieur et madame Wellie Bourgeois envoient deux pleines pages d’une écriture menue, bien lisible, élégante et presque sans faute à mademoiselle vanDijk :

La plus grande joie qui nous a été donné de recevoir depuis la mort de notre fils Jean-Paul, est votre lettre Mademoiselle. Vous ne pouvez pas savoir l’étendue du bonheur pour des parents de connaître enfin où reposent les restes mortels d’un fils adoré et d’apprendre qu’une âme charitable nous remplace pour prier sur son tombeau.

Les parents demandent dans cette lettre si mademoiselle vanDijk a connu leur fils, chose improbable, ainsi que la photo du cimetière proposée par la Hollandaise. Comme le ministère se chargeait de fournir les informations précises localisant la tombe, ainsi qu’une photo de la croix ou du monument qui s’y trouvait, il semble que les Bourgeois n’avaient pas encore reçu ces pièces en mars 1948.

Dans la seconde et dernière lettre, de la même écriture, mais de trois pages, datée du 7 juin 1948, en réponse à une seconde lettre de mademoiselle vanDijk (qui n’est pas au dossier) accompagnée de la photo de la tombe, avec sa croix de bois temporaire, les Bourgeois veulent « faire plus ample connaissance ». Ils présentent leur petit-fils de neuf mois, le neveu de Jean-Paul (« il vous sourit ») et accompagnent la lettre d’un cadeau non décrit, mais qui semble un accessoire vestimentaire confectionné maison. Il double le remerciement : « notre sacrifice a été fait généreusement d’abord et doublement depuis que nous connaissons par vous, tout le coeur et la reconnaissance du brave peuple hollandais ».

Le ton amical, familier, surprend, effraie peut-être la correspondante hollandaise. Il se peut aussi que la traduction ralentisse par trop l’échange et lasse les correspondants, à moins qu’ils finissent par ressentir le désir de passer à autre chose. De fait, rares sont les cas où on trouve des lettres de ce type après 1947, année où le ministère de la Défense ferme ses dossiers de la Seconde Guerre mondiale, ce qui ne laisse que le ministère des Anciens combattants pour gérer un souvenir à caractère nominatif. À moins que ce ne soit un effet « archives », les dossiers des anciens combattants demeurant fermés à ce jour (il serait surprenant de ne pas y trouver ce genre d’échange), alors que ceux que le ministère de la Défense avait sur les soldats décédés entre 1939 et 1947 sont ouverts depuis 1997.

Il y aurait donc eu 69 conscrits de 1944-1945 tués au front selon Stacey (Granatstein, Hitsman et les autres reproduisent ce résultat). On ne se sait pas comment Stacey a obtenu le chiffre, sa note dans La campagne de la victoire étant sibylline : « Statistique des Archives des services de guerre (M.A.A.C.)[19] », donc du ministère des Affaires des Anciens Combattants, probablement un décompte obtenu avec la technologie mécanographique de l’époque. Jean-Paul Bourgeois est l’un d’eux ; il serait intéressant de trouver les autres, de savoir s’ils étaient vraiment 69, comment ils sont morts, et qu’elle était la proportion de Canadiens français ou de Québécois.

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Les 22 et 23 octobre se tient un colloque d’étudiants avancés de l’UQAM, de l’Université de Montréal et de l’Université McGill sur le thème de la « spécificité de la violence des militaires » du fait que les militaires entretiendraient un rapport particulier avec la violence, physique, verbale, psychologique et symbolique, et que la violence serait consubstantielle de leur état. Les organisateurs inscrivent leur démarche au croisement de deux historiographies, la nouvelle histoire militaire et l’histoire de la violence[20]. L’initiative n’est pas sans rappeler les colloques d’histoire militaire qu’organisaient l’UQAM et l’Association québécoise d’histoire politique dans les années 1990 et 2000. Souhaitons bonne chance aux organisateurs, messieurs Philipp Portelance et Nicolas Handfield.