Dossier : La représentation en Nouvelle-FranceArticles

Représenter le roi en Nouvelle-France. D’une difficulté à un échec ?[Notice]

  • Yann Lignereux

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  • Yann Lignereux
    Professeur d’histoire moderne, Université de Nantes

Analysant la politique des présents français offerts aux chefs amérindiens dans le cadre de la réalisation et de l’entretien de la Pax Gallica au Canada, Gilles Havard a pu parler d’une « diplomatie d’apparat » commune à l’une et à l’autre rive de l’Atlantique. Poursuivant son analyse, il écrit qu’ « Onontio [il s’agit du nom donné par les Amérindiens au gouverneur général du Canada] et ses agents réinvestissent en Nouvelle-France les méthodes de politique spectacle de la royauté destinées à impressionner les sujets ou bien les autres cours d’Europe ». Ce qui se joue dans l’ancienne France – les modalités de l’institution et de la poursuite du consentement à l’obéissance politique, autrement dit la gouvernementabilité moderne – trouve dans la nouvelle un champ d’expériences similaires, une continuité de formes et de normes, tout en investissant celui des pratiques autochtones définissant les régimes de sociabilité politique et d’échanges entre les différentes nations de l’est du continent nord-américain. Peut-être parce qu’il est là moins établi dans des fondements à la légitimité incontestable, peut-être parce que, en somme, il y est fondamentalement suspendu, le pouvoir français en Nouvelle-France est tenu à un renoncement à son exercice véritable au risque de mettre en doute sa puissance sur l’espace de souveraineté qu’il revendique et d’ébranler la foi politique en une autorité qui n’est jamais, finalement, que la somme des consentements que les populations amérindiennes – mais peut-être aussi coloniales françaises – veulent bien lui accorder. Face à cette configuration d’un impouvoir substantiel s’impose, avec la même intensité que le constat de son évidente vulnérabilité, le recours à une « logique d’éclat » (Gilles Havard) et à ce que je nommerai une politique des apparitions pour conjurer le soupçon de son inexistence. Autrement dit, la politique royale au Canada serait moins l’affaire du remplissage d’un prétendu vide politique, territorial, religieux et culturel amérindien selon le point de vue européen ne reconnaissant dans le Nouveau Monde que les marques du manque – une ambition qui ne peut être que déçue au regard de l’insuffisance des moyens mobilisables à cette fin –, moins donc le comblement de lacunes plurielles que la mise à distance de l’évidence du vide. C’est-à-dire une politique de conjuration des spectres de l’impuissance et d’occultation d’un régime de pouvoir toujours en défaut voire défaillant, par le spectacle et la montre – pour reprendre le vocabulaire de l’époque – des fantasmes de la puissance d’une part et le recouvrement des béances de la force par des simulacres pleins de l’autorité d’autre part. Une dynamique américaine qui serait à l’image, précisément, d’un régime politique français dans lequel lui-même, selon la formulation provocante de Louis Marin, le roi n’aurait jamais été « vraiment roi, c’est-à-dire monarque, que dans ses images ». Parmi de nombreux exemples de cette politique de substitution à la réalité du pouvoir des effets de la puissance, on peut citer la lettre adressée par le roi le 10 avril 1684 au gouverneur général La Barre, dans laquelle il explique que ne pouvant réellement vaincre les Iroquois, il fallait leur donner « la crainte » de ses soldats « sans en venir à aucun acte d’hostilité contre eux ». Dix ans plus tôt, remontant le Saint-Laurent à l’été 1673 pour gagner le lac Ontario et établir sur ses rives un fort, le comte de Frontenac, quelque temps seulement après son arrivée à Québec en tant que gouverneur général du Canada pour y représenter Louis XIV, désira montrer la puissance de son autorité en se faisant accompagner de bateaux dans lesquels avaient été embarqués six canons qu’il avait fait « barbouiller de rouge et …

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