Dossier : Francofugies et francopétiesArticles

Statut de la francophonie de l’Ouest canadien : d’une francopétie avortée à une francopétie contrariée[Notice]

  • Frédéric Boily et
  • Carol Léonard

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  • Frédéric Boily
    Professeur titulaire, science politique, Faculté Saint-Jean, Université de l’Alberta

  • Carol Léonard
    Professeur agrégé, éducation, Faculté Saint-Jean, Université de l’Alberta

Il n’est pas simple de brosser un tableau du statut du français et de la francophonie dans l’Ouest canadien au cours des trois derniers siècles. Il y a certes des réponses convenues qui insisteront, non sans raison, sur la marginalité de la langue et sur la fragilité des communautés francophones hors Québec, spécialement dans des provinces comme la Saskatchewan ou encore l’Alberta et la Colombie-Britannique. Mais pour qui veut dépasser les constats par trop pessimistes faisant état d’une disparition, souvent annoncée, des francophonies hors Québec, il s’agit pourtant d’un exercice plus difficile qu’il n’y paraît au premier regard. D’une part, parce qu’on peut se demander si cette fragilité a toujours été présente et si oui avec la même intensité, c’est-à-dire traversant les décennies de manière intemporelle et sous la même forme. Encore là, d’aucuns répondront facilement à de telles interrogations en insistant sur la fragilité de la francophonie, ce qui est bien entendu exact, mais qui, en même temps, ne rend pas nécessairement justice à l’ensemble de la situation ni aux évolutions historiques. On peut penser que, comme toute situation historique, il y a eu des modulations, selon les époques. D’autre part, à partir du bilan d’aujourd’hui, nous nous proposons de réexaminer la place de la francophonie à la lumière de la notion de la légitimité de la langue française et de la communauté francophone albertaine dans l’univers politique de l’Ouest. Il s’agira ici d’examiner cette fragilité de la langue française en fonction d’un déficit de légitimité. Nous proposons donc, en guise de réponse à la fois un parcours historique et un cheminement réflexif centrés tous deux sur l’évolution des éléments constitutifs de l’attractivité d’une langue et d’une culture que sont le nombre, le statut et le pouvoir au fil des trois derniers siècles en Alberta et en Saskatchewan. Évidemment, notre texte embrasse large et, dans ces conditions, nous ne pourrons entrer dans les détails historiques à l’aide d’une périodisation plus fine, mais nous tenons à identifier quelques événements en ajoutant à notre réflexion une certaine périodisation. En ce sens, notre objectif consiste à établir une vue générale de la place des francophones dans l’espace social et politique de l’Alberta. Dans un premier temps, nous montrerons que, bien qu’il ait connu son Âge d’or à la fin du XVIIIe siècle, le français maintint une certaine force centripète jusque dans les décennies 1880-1890. C’est d’ailleurs ce dont témoigne encore aujourd’hui la toponymie, vestige et témoin de cette époque qui nous permet, jusqu’à un certain point, d’affirmer que le français jouissait d’un statut encore enviable. Grâce à la toponymie, il s’agira ici d’insister sur l’importance relative de la langue française dans l’espace public de l’époque. À la fin de cette section, nous serons alors amenés à brosser un état des lieux de l’importance de la francophonie albertaine qui a perdu son pouvoir d’attraction ou sa francopétie. Nous verrons aussi que les prédictions quant à la disparition des francophones hors Québec restent encore aujourd’hui prématurées. Mais force est de reconnaître que la langue française et par-delà la francophonie ont été reléguées à l’arrière-plan de la dynamique politique et sociale de la société albertaine. C’est précisément pourquoi notre réflexion se terminera avec l’examen d’une notion en particulier et qui est celle de la légitimité de l’expérience francophone en Alberta. Nous verrons alors que la francophonie albertaine se situe dans un univers politique, celui de l’Alberta, où des forces centrifuges ont fait en sorte qu’elle se retrouve en périphérie de l’espace politique et social. Cet examen du statut de la francophonie albertaine à partir de la notion de légitimité permet en …

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