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La présence du Québec au Japon : enjeux autour de la première représentation de la province en Asie[Notice]

  • Miho Matsunuma

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  • Miho Matsunuma
    Maître de conférences à l’Université de Gunma (Japon)
    Chercheuse associée au Centre d’histoire de l’Asie contemporaine de l’Université de Paris I

En septembre 1973, le gouvernement du Québec a inauguré la Maison du Québec à Tokyo. Elle est la première représentation de la province en Asie et sera élevée au rang de délégation en 1981 et de délégation générale en 1992. Aujourd’hui, c’est la seule délégation du Québec en Asie, ses représentations en Chine, en Corée et en Inde restant toujours au niveau de bureau ou d’antenne. Cet élargissement géographique s’est inscrit dans le développement des relations internationales du Québec depuis le début des années soixante : dans la foulée de la Révolution tranquille, le gouvernement de la province s’est activé en tentant de se faire reconnaître comme nation à l’échelle internationale, et parallèlement il a mis sur pied un ministère qui se charge de ses relations extérieures. L’objectif du Québec d’ouvrir une représentation à Tokyo était avant tout de profiter de la croissance spectaculaire du Japon, qui avait parfaitement montré sa réussite lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964 puis de l’Exposition universelle à Osaka en 1970. Le pays émergeait désormais comme une grande puissance économique. Dans sa démarche d’établir une relation gouvernementale avec le Japon, le Québec s’est intéressé au marché et aux capitaux de ce géant économique. Nos connaissances sur l’histoire des rapports entre le Québec et le Japon sont très limitées. Dans le cadre de ses travaux sur l’histoire de ces relations, Richard Leclerc a fait publier les seules études dont nous disposons sur l’histoire de l’ouverture de la représentation du Québec à Tokyo. L’auteur a mis l’accent sur la sécularisation de ces relations à partir des années soixante, qui étaient jusqu’à cette époque presque exclusivement occupées par des religieux, en insistant sur le caractère économique de cette démarche. Le développement économique est souvent l’un des objectifs majeurs de l’activité internationale des gouvernements non souverains. Certains auteurs travaillant sur la paradiplomatie avancent au contraire que les liens d’ordre économique dans des relations internationales ne revêtent pas un caractère fondamental et constitutif puisqu’ils ne remettent pas en cause la souveraineté de l’État. Certes, les relations internationales du Québec, qui se caractérisent par son ambition de se faire reconnaître comme nation, se distinguent d’innombrables collectivités non étatiques qui ont des relations avec des pays étrangers. Pourtant notre objection n’est pas de cet ordre. Si la dimension économique nous semble effectivement très présente, la dimension politique et symbolique ne peut être ignorée. La relecture des sources, en particulier les archives ministérielles du Québec, et leur croisement raisonné avec un témoignage oral de première importance — puisqu’il s’agit d’un acteur direct de l’époque, à savoir le premier représentant du Québec à Tokyo — nous permettent d’élargir l’analyse. Notre projet sera de retracer dans l’ordre chronologique l’ouverture de la représentation du Québec à Tokyo et de montrer que dans ce processus la dimension politique était associée au tropisme économique : comme nous le verrons au cours de cet article, la préoccupation nationale n’a jamais été absente chez les acteurs québécois impliqués dans la concrétisation du projet. Nous voudrions également mettre en lumière la difficulté particulière que les Québécois ont connue dans cette rencontre avec un « Nouveau Monde ». Nous essayerons de situer cet événement dans le contexte plus global du développement de la politique extérieure du Québec, dont la structure ministérielle subit à la même époque un changement significatif. Cela nous permettra d’insister sur l’articulation entre, d’un côté, l’ambition des acteurs québécois qui s’y sont engagés directement et, de l’autre côté, la ligne directive du gouvernement provincial dont le parti au pouvoir change au cours de ce processus. Lors de l’Exposition universelle de Montréal en 1967, …

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