Dossier : Le projet du bilinguisme canadien : histoire, utopie et réalisationArticles

Une utopie réalisée ? Manifestations juridiques du projet de bilinguisme canadien[Notice]

  • Pierre Foucher

…plus d’informations

  • Pierre Foucher
    Professeur, Faculté de droit, Université d’Ottawa
    Directeur, Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l’Université d’Ottawa

Du point de vue du droit, l’égalité juridique entre les langues française et anglaise proclamée dans la Constitution canadienne relève d’un idéal que d’aucuns pourraient qualifier d’utopie. Non seulement ne suffit-il pas de le dire dans un texte juridique, mais l’effectivité de ce droit à l’égalité linguistique reste à démontrer. Dans le présent texte, cependant, on adoptera une posture dite positiviste : le droit en tant qu’acte normatif se suffit à lui-même et s’analyse selon ses paramètres internes. Certes, il s’inspire de l’histoire, de la sociologie, de la philosophie et de la science politique pour encadrer l’interprétation de ses termes ; mais ultimement, l’expression du droit par le législateur d’abord, par le tribunal ensuite, opère comme un système normatif complet. En droit linguistique, d’ailleurs, il ne semble pas exister de droits implicites. Un droit linguistique doit être exprimé dans une loi pour exister. La réalisation du droit dans la société relève de l’effectivité plutôt que de l’expression juridique. Le présent texte entend relater comment le droit s’est saisi de l’usage des langues au Canada. La périodisation choisie s’explique par le grand impact qu’a eu l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Canada en 1969, précédée de quelques mois par la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. L’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés et la multiplication des litiges judiciaires entourant son interprétation représentent aussi des jalons importants permettant de mesurer si l’utopie du bilinguisme s’est traduite par des textes juridiques adéquats. L’attention sera portée sur les lois, les textes constitutionnels et les décisions judiciaires ayant approfondi la notion de droits linguistiques. Le texte s’inspire des thèses de Michel Bock ou Marcel Martel autour de la naissance puis de l’effritement de la notion de « nation canadienne-française » ainsi que des travaux récents sur les États généraux du Canada français de 1967, les conceptions du Canada à l’oeuvre lors de la conférence de Québec de 1864 ou le nouvel ordre constitutionnel créé par la Loi constitutionnelle de 1982 pour vérifier comment celle-ci s’est manifestée dans le droit, en particulier les droits linguistiques, dans la Constitution surtout, mais aussi dans les lois. Alors que la thèse de la dualité linguistique canadienne, en vogue jusqu’aux États généraux de 1967, n’avait encore trouvé aucun réel écho dans les lois ou la jurisprudence, elle a connu ses heures de gloire dans la période 1985-2000 pour ensuite faire place au fédéralisme et à la reconnaissance de droits limités territorialement et substantivement. Cependant, la prolifération des lois linguistiques dans les deux dernières décennies montre que le droit s’est saisi des langues. D’autre part, en matière d’instruction dans la langue de la minorité, les droits constitutionnels récents ont eu un impact majeur sur la dualité linguistique canadienne. Les rapports entre le droit et la langue étaient instrumentalisés jusqu’à la fin du XXe siècle. Il ne s’agissait pas de conférer directement des droits à des locuteurs, mais de prescrire l’usage des langues dans telle ou telle circonstance. Par exemple, une loi anglaise de 1731 imposait l’usage de l’anglais devant les tribunaux britanniques, pour lutter contre le charabia incompréhensible que représentait le « lawfrench » et rendre la justice accessible au peuple. Ni l’Acte de capitulation de Montréal de 1760 qui consacre la défaite française en Amérique, ni la Proclamation royale de 1763 par laquelle le Roi d’Angleterre assume sa compétence constitutionnelle sur le nouveau territoire conquis, ne contiennent de clauses linguistiques. Les institutions se mettent spontanément à fonctionner dans la langue de l’administration : en français pendant le régime français, en anglais pendant le régime anglais. Lorsque l’Acte de …

Parties annexes