Hors-dossierRecensions

Marie Grégoire, Éric Montigny et Youri Rivest, Le coeur des Québécois. L’évolution du Québec de 1976 à aujourd’hui, Québec, Presses de l’Université Laval, 2016, 231 p.[Notice]

  • Christian Jaouich

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  • Christian Jaouich
    Département des sciences historiques, Université Laval

Basé sur un échantillonnage de 1000 répondants, le sondage avait deux objectifs principaux : d’une part, évaluer les représentations de la population québécoise à l’égard de l’année 1976 comparativement à l’année 2016, et d’autre part, sonder la population sur différents enjeux politiques et sociaux tels que la gestion du système de santé, la souveraineté du Québec et l’atteinte de l’équilibre budgétaire. En utilisant ce sondage comme source principale, les auteurs ont tenté de démontrer que la société québécoise avait évolué entre 1976 et 2016 et, dans un second temps, ils ont voulu identifier quelles étaient les caractéristiques politiques, sociales, économiques et idéologiques de cette évolution pour ainsi déterminer « les initiatives qui feront le Québec de demain ». Divisée en quatre parties, la démonstration est articulée autour de la mutation qui, selon les auteurs, s’est exercée dans le spectre politique québécois où l’opposition fédéraliste-souverainiste, alors dominante, s’est érodée au profit du binôme idéologique gauche-droite. Dès l’introduction, le lecteur peut constater de nombreux problèmes méthodologiques qui ne semblent pas avoir été pris en compte, ni même mentionnés, par les auteurs du livre. D’abord, ils définissent l’année 1976 comme étant un moment décisif de la politique québécoise ; en effet, les auteurs martèlent que l’année 1976 serait perçue, dans l’imaginaire collectif, comme celle de l’émancipation de la société québécoise puisque c’est à ce moment que la notion vague et fortement hétérogène de « Québécois » a définitivement remplacé son ancêtre conceptuel de « Canadien français ». Contrairement à ce que les auteurs affirment dans leur livre, nous croyons plutôt que l’année 1976 a été un moment décisif pour une seule génération, soit celle des « baby-boomers », et non pas pour la société québécoise dans sa totalité, car cette « société québécoise » ne peut être considérée comme une entité homogène et monolithique possédant les mêmes référents sociaux, historiques et politiques. Le postulat présenté par les auteurs pourrait très bien s’appliquer à l’élection de Jean Lesage en 1960, à l’Exposition universelle de 1967, aux soulèvements de 1968, à l’échec de l’Accord du lac Meech et au référendum de 1995 ou bien, pour la génération Y, au printemps 2012, car tous ces événements ont activement participé, à différents degrés, à la politisation de certains groupes sociaux de la société québécoise. Il est selon nous impossible d’utiliser 1976 comme assise temporelle pour ensuite fonder un discours sur l’évolution de la société québécoise, car le système de représentation des auteurs leur permettant de conceptualiser a posteriori l’année 1976 est construit sur une perception subjective et idéalisée – ce que les auteurs tentent de nier – de 1976. Nous croyons en effet que le seul fait de catégoriser 1976 comme « quasi mythique » dès la première phrase du livre est en soi un acte d’idéalisation. Une précision s’impose cependant. Il est tout à fait normal que 1976 occupe une place importante dans le « coeur » et l’esprit des auteurs et de certains répondants, mais la rigueur académique exige et impose un effort de distanciation entre l’analyse d’un fait social et notre perception subjective du fait social en question. On ne peut cependant nier l’importance de l’année 1976 et l’élection du gouvernement de René Lévesque dans l’histoire politique du Québec, mais l’utiliser comme point de départ pour démontrer l’évolution de la société québécoise semble à notre avis discutable. Le deuxième problème se trouve dans la « source » utilisée par les auteurs. Fonder une étude scientifique sur un sondage mené auprès de 1000 répondants est, selon nous, une importante lacune méthodologique. Les événements des dernières années ont montré à quel point les sondages sont dorénavant …