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Jonathan Livernois, La Révolution dans l’ordre. Une histoire du duplessisme, Montréal, Boréal, 2018, 248 p.[Notice]

  • Sarah-Émilie Plante

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  • Sarah-Émilie Plante
    Université du Québec à Montréal

Depuis sa disparition survenue en septembre 1959, historien-ne-s, journalistes et essayistes se sont emparés de la figure de Maurice Duplessis. Cet examen s’est fait sous toutes les coutures, s’attardant tantôt à l’homme, au politicien redoutable, ou à une époque entière dont il est dorénavant indissociable. L’impressionnante littérature consacrée au premier ministre aura emprunté plusieurs chemins et subi sa juste part d’influence des grandes tendances de l’historiographie québécoise. Au cours des quinze dernières années, les études duplessistes ont reçu une belle part d’attention de spécialistes chevronnés, tout comme elles ont suscité l’intérêt des jeunes chercheurs. Après les ouvrages audacieux de réinterprétation du duplessisme des années 1980 et 1990 et les études s’intéressant à la société québécoise de la « Grande noirceur », pourrait-on croire que tout a été dit sur les années Duplessis ? L’ouvrage se déploie en quatre chapitres thématiques. Le premier chapitre présente les repères chronologiques d’usage sur Maurice Duplessis et la naissance de l’Union nationale : naissance dans une famille de notables de Trois-Rivières, entrée dans l’arène politique, et bien sûr, l’éclatante performance du jeune député au Comité des comptes publics alors qu’il tourne au ridicule le gouvernement Taschereau, jusqu’à l’accession au pouvoir en 1936. Le bilan du premier gouvernement Duplessis est éloquent sur la profondeur du changement de garde qui s’est fait à Québec. En effet, le nouveau gouvernement se démarque par la prépondérance rurale du cabinet ministériel. Au chapitre social, il est question de la censure des idées avec l’instauration de la loi du cadenas ou le rapprochement avec l’Église catholique. D’autres législations sont des indicateurs des intérêts défendus par le gouvernement. Le généreux crédit agricole montre que le gouvernement entend soutenir la classe agricole, et l’Office des salaires raisonnables coupe l’herbe sous le pied des syndicats. D’autres mesures révèlent la conception toute libérale de l’ordre social du premier gouvernement alors que sévit la crise économique. Le deuxième chapitre, « Comment raconte-t-on Duplessis ? », est consacré à l’épineuse question de la mémoire du Duplessis, celui qui retourne au pouvoir en 1944 et qui s’y accroche jusqu’à son décès en 1959. L’auteur réussit à offrir un tour d’horizon très maîtrisé de la littérature duplessiste. En effet, Jonathan Livernois fait montre d’une connaissance fine de l’historiographie, allant chercher les apports des ouvrages devenus classiques tout comme ceux des recherches plus récentes. Le premier temps de l’interprétation est celui de Duplessis comme « retardateur » de la modernité québécoise, jusqu’à la « libération » de 1960. Fernand Dumont a fait ressortir très tôt que Duplessis, politicien typique du début du siècle, avait une posture et un discours devenus décalés dans le Québec d’après-guerre. C’est la première version du récit, celle donnée par les anciens opposants du régime, de Pierre Elliott Trudeau et du collectif sur la grève de l’amiante. Cette période des années 1960 et 1970 a aussi vu paraître les incontournables biographies élogieuses, celles de Conrad Black et de Robert Rumilly, qui défendent le caractère moderne du long gouvernement Duplessis. Au cours des années 1980 et 1990, les approches structuralistes font valoir que la stabilité du régime est possible grâce à l’appui du monde rural et de la petite bourgeoisie. C’est entre autres ce que fait Gérard Boismenu, tandis que les sociologues Gilles Bourque, Jules Duchastel et Jacques Beauchemin mettent en lumière le caractère libéral du régime. Ces thèses concourent à souligner la normalité du Québec duplessiste dans le contexte nord-américain ; indirectement, elles adoucissent les angles durs de la Grande noirceur. Notamment, comme l’écrit Livernois, en considérant la situation économique moyenne peu enviable des Québécois sous Duplessis, jusqu’à quel point le …