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Louis-Antoine Dessaulles, Paris illuminé : le sombre exil. Lettres 1878-1895. Texte établi avec introduction et notes par Georges Aubin et Yvan Lamonde, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 262 p.[Notice]

  • Gilles Laporte

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  • Gilles Laporte
    Cégep du Vieux-Montréal

Louis-Antoine Dessaulles (1818-1895) joue un rôle essentiel dans l’oeuvre d’Yvan Lamonde qui lui consacre d’ailleurs de nombreux autres écrits. Depuis plusieurs années et au fil des essais, l’historien des idées défriche et balise un axe épistémologique consistant à prouver l’existence depuis deux siècles d’une tradition intellectuelle ininterrompue conjuguant libéralisme, anticléricalisme, républicanisme et nationalisme. Dans cette quête, nul doute que le parcours de Dessaulles apparaît particulièrement précieux. Fils du seigneur de Saint-Hyacinthe, neveu de Papineau qu’il idolâtre, le jeune papineauiste se campe ensuite en pur rouge, fidèle au programme libéral de 1854, soutenant jusqu’au bout l’Institut canadien contre Mgr Bourget et portant haut et fier la part républicaine et anticléricale de l’héritage patriote, convaincu que libéralisme et nationalisme demeurent compatibles. Tandis que Parent se laisse séduire par La Fontaine, qu’Honoré Beaugrand est trop entiché d’américanisme, que Dorion pêche par opportunisme, qu’Arthur Buies manque décidément de courage et que Wilfrid Laurier est bien trop modéré, Dessaulles offre en somme la trajectoire rêvée pour un historien désireux de prouver que le libéralisme politique traverse bel et bien l’histoire moderne du Québec, quitte à surnager durant le long épisode clérico-nationaliste, jusqu’à ce qu’advienne l’élan d’émancipation tous azimuts incarné par la Révolution tranquille. Si Dessaulles est souvent sommairement décrit comme un martyr du cléricalisme ultramontain, force est cependant d’admettre – et les auteurs Lamonde et Aubin n’en font pas mystère – que c’est d’abord et avant tout à lui seul que le seigneur de Saint-Hyacinthe doit ses déboires financiers et d’être forcé à l’exil en 1875. Intellectuel fougueux à la plume acérée, l’homme se double d’un dépensier impénitent épris de luxe, courant sans cesse d’une chimère à l’autre. Dessaulles se pique notamment de sciences et de techniques et imagine toutes sortes d’inventions, d’un chemin de fer à Saint-Hyacinthe en passant par son spiritomètre censé mesurer le taux d’alcool dans les spiritueux. Résultat, il se couvre littéralement de dettes, hypothéquant sa seigneurie jusqu’au dernier chelin. Entre 1843 et 1866, il fait face à pas moins de 57 procès pour dettes devant la Cour supérieure de Montréal, des procès qu’il perd généralement. Alors au faîte de sa carrière politique, maire de sa ville natale et greffier à Ottawa, Dessaulles doit donc fuir en août 1875 afin d’échapper à ses créanciers. Sans doute ignore-t-il alors qu’il ne reverra jamais plus sa famille ni sa patrie. Parti par New York, il débarque à Anvers en octobre puis séjourne deux ans en Belgique, surtout à Gand. En mars 1878, il s’installe à Paris où il finit par se fixer à l’hôtel de la Côte d’Or, au 8 rue des Martyrs, et où il passe ensuite 17 longues années, jusqu’à sa mort en 1895. Durant son exil parisien, Dessaulles adresse 554 lettres, dont 512 à sa fille Caroline, les autres à d’autres membres de la famille. Caroline Dessaulles-Beique est la fille unique du couple formé par Dessaulles et son épouse Zéphirine Thompson. En avril 1875, la jeune fille épouse l’avocat Frédéric-Ligoré Béique, également abonné aux cercles rouges. Sans la moindre source de revenus durant son exil, c’est aux traites que lui verse régulièrement son gendre que Louis-Antoine Dessaulles doit sa subsistance. Les lettres de Dessaulles s’adressent donc autant à sa fille affectionnée qu’à sa seule et unique source de revenus. Lamonde et Aubin ont choisi de reproduire 48 de ces lettres. Quatre thèmes traversent surtout ces lettres à sa fille. Le premier tient carrément aux problèmes de subsistance de l’exilé qui peine à trouver de quoi manger, se vêtir ou se loger. Dessaulles ne nous épargne aucun détail sur ce plan. …