Dossier : Duplessis et duplessisme : nouveaux regardsRegards croisés

Alexandre Dumas, L’Église et la politique québécoise, de Taschereau à Duplessis, Montréal/Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2019, 337 p.[Notice]

  • Pierre B. Berthelot

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  • Pierre B. Berthelot
    Historien

Depuis une vingtaine d’années au Québec, on observe un véritable foisonnement dans le champ de recherche du « para-duplessisme ». Surnommé ainsi par l’historien Xavier Gélinas, ce domaine englobe tous les travaux portant sur des figures, des groupes ou des phénomènes contemporains à Maurice Duplessis et à son régime, et qui, tout en s’en rapprochant, évitent de s’y confondre ou, du moins, de s’y limiter. Dans cet essai basé sur sa thèse de doctorat, l’historien Alexandre Dumas offre une nouvelle contribution très pertinente en se penchant sur l’une des plus vieilles croyances sur le Québec d’avant 1960 : est-ce que l’Union nationale et l’Église catholique ont réellement formé une sorte de sainte alliance conservatrice de 1944 à 1960, dans le but de maintenir le couvercle sur la marmite du progrès social et économique du Québec, face à un Parti libéral trop réformiste, trop technocratique et trop progressiste ? Cette croyance, profondément enracinée dans les mémoires, avait d’ailleurs fait dire à l’un des professeurs d’Alexandre Dumas que « pour lui, l’alliance entre l’Église et l’Union nationale était aussi certaine que le théorème de Pythagore ». Fort heureusement pour nous (et pour Pythagore), Dumas jette un regard posé et lucide sur cette question, en s’appuyant sur un remarquable travail de recherche, faisant appel à des fonds d’archives de plus d’une dizaine de diocèses et à la correspondance d’une douzaine de politiciens. L’essai se divise en dix chapitres, dont l’essentiel porte sur trois décennies cruciales dans l’histoire politique du Québec – de 1930 à 1960. Les relations entre l’Église et l’État ont été longtemps interprétées à la manière d’une union de nature personnelle – entre un premier ministre et un évêque – donnant l’image d’un mariage entre les deux plus grandes institutions dans l’histoire du Québec. Cette façon de caractériser les relations entre l’Église et l’État les réduisant à une relation personnelle entre deux individus a longtemps alimenté l’image d’un passé reposant sur deux blocs monolithiques – l’un libéral et laïque, l’autre clérico-nationaliste. Pourtant, il est insensé de croire sérieusement que les dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui composaient le clergé du Québec n’avaient qu’une seule idée sur la politique, l’économie ou les questions sociales, ou de croire que le refus d’un évêque devant un certain projet de loi signifiait le rejet en bloc de tout un programme ou parti politique. Tout au long de son exposé, Alexandre Dumas nous rappelle la distinction entre l’épiscopat et les prêtres, entre les mandements des évêques et leurs pensées intimes, et entre la place de la religion dans la sphère publique et la pratique de la foi (c’est-à-dire la ferveur religieuse). Il souligne également la différence de responsabilités entre les évêques et les membres du clergé (avec l’incidence sur leur devoir de réserve, et qui n’a jamais été au bénéfice d’un seul et même parti, à chaque élection). Si ces nuances peuvent être bien présentes à l’esprit des chercheurs contemporains, elle n’a pas toujours été exprimée de manière aussi claire que dans cet essai. L’essai suit chronologiquement les événements de la fin du régime de Taschereau jusqu’à la victoire des libéraux en 1960. On retrouve bien sûr les principales figures épiscopales – Mgr Villeneuve de Québec et Mgr Gauthier de Montréal – et les premiers ministres du Québec – Louis-Alexandre Taschereau, Adélard Godbout et Maurice Duplessis. Évitant soigneusement de réduire les relations entre Église et État aux échanges entre l’épiscopat et les premiers ministres, cet essai fait revivre aussi de nombreux membres du clergé – des enseignants, des syndicalistes, et de simples prêtres militants – se frottant à des …

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