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La République du Congo, communément appelée Congo-Brazzaville en référence à sa capitale politique et administrative[1], est une ancienne colonie française d’Afrique centrale devenue indépendante le 15 août 1960. Située à cheval sur l’équateur en s’étirant sur 1 200 km du nord au sud, elle possède une superficie de 342 000 km² et abrite un peu plus de 5 millions d’âmes[2] (dont plus de la moitié est concentrée dans ses deux plus grandes villes, Brazzaville et Pointe-Noire), ce qui en fait un territoire sous-peuplé (14 habitants/km²). Le pays dispose sur l’océan Atlantique d’une façade longue de 170 km et partage ses frontières avec cinq États : le Cameroun et la République centrafricaine au nord, la République démocratique du Congo (ou Congo-Kinshasa, ex-Zaïre) à l’est, l’enclave angolaise de Cabinda au sud et le Gabon à l’ouest[3]. À l’instar de ses voisins, le Congo-Brazzaville présente le profil d’un État rentier dont l’économie dépend largement de la production des matières premières, principalement le pétrole qui représente près des deux tiers du PIB, 90 % des exportations et 75 % des recettes budgétaires[4].

Le Congo-Brazzaville appartient à l’aire culturelle bantoue dont les limites vont grosso modo des confins du Nigéria et du Cameroun, au nord, à l’Afrique australe, au sud. Il se caractérise par une forte marqueterie ethnolinguistique ; on y dénombrerait, en effet, pas moins de quatre-vingts ethnies réparties entre huit et douze grands groupes[5]. Une ligne de démarcation imaginaire, calquée approximativement sur la limite des aires d’influence des parlers lingala et kongo-kituba, permet cependant de distinguer localement les « nordistes » et les « sudistes[6] ». Ce clivage ethnorégional tenace est à l’origine des convulsions politiques auxquelles le pays est en proie de manière cyclique depuis les premières heures de son indépendance : coups d’État militaires, règlements de comptes politiques sanglants, pogroms, conflits armés[7]. Un des épisodes les plus marquants de ce cycle infernal est la guerre civile de 1997-2002, qui voit émerger à la tête de la rébellion des « ninjas nsilulu », établie dans la région méridionale du Pool, le personnage de Frédéric Bintsamou, dit « pasteur Ntumi[8] ».

Le pasteur Ntumi et sa milice des « ninjas nsilulu » se sont révélés au monde au cours de la guerre civile qui a ensanglanté le Congo-Brazzaville de 1997 à 2002. Après une période de relatif effacement consécutif à son entrée au gouvernement en 2009, ce personnage aussi imprévisible que controversé s’est à nouveau illustré en réactivant les poches de sédition dans son fief de la région du Pool à la suite de la réélection contestée du président Denis Sassou Nguesso en 2016. Je suis originaire du Gabon voisin, et ce récit dévoile les circonstances de la mission de médiation qui m’a conduit à une rencontre inédite avec le « seigneur de guerre » congolais.

Aux origines de la rébellion du Pool

Le département du Pool est l’une des dix régions administratives qui composent la République du Congo. Sa superficie est de 33 955 km² pour une population estimée en 2020 à près de 530 000 habitants[9]. Le Pool présente une contiguïté territoriale avec le district autonome de Brazzaville, ce qui lui confère une position stratégique en tant qu’arrière-pays nourricier de la capitale et point nodal de son système de ravitaillement par voie terrestre (chemin de fer, route), mais l’expose aux effets dévastateurs des conflagrations qui éclatent fréquemment dans cette ville depuis les débuts de la décennie 1990. Région-foyer et bastion politique de la communauté Kongo-Lari, le Pool est ainsi devenu le sanctuaire des miliciens « ninjas nsilulus » dont la création remonte à la Première Guerre civile qui ensanglante Brazzaville entre 1993 et 1994[10].

À l’époque, en effet, l’exacerbation des dissensions entre le camp présidentiel et l’opposition débouche sur des violences armées impliquant des milices privées à base ethnique ou régionale entretenues par les partis politiques. L’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) de Pascal Lissouba, élu chef de l’État en 1992, mobilise les milices « cocoyes » et « zoulous » originaires du triangle régional Niari-Bouenza-Lekoumou (ou NIBOLEK), au sud du pays, tandis que le Parti congolais du travail (PCT), ancien parti unique soutenant l’ex-président Denis Sassou Nguesso[11], s’appuie sur les « cobras » issus des groupes ethniques du nord, et le Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI) de Bernard Kolelas, maire de Brazzaville, entretient les « ninjas » appartenant à la communauté Kongo-Lari établie dans le Pool. Le bilan humain de cette flambée de violence est peu précis ; on évoque la mort de deux mille personnes et le déplacement à l’intérieur du pays de cent mille autres. Le conflit se conclut sans vainqueur déclaré, mais sur un schéma qui s’apparente à un marché de dupes ; la formation d’un gouvernement d’union nationale puis l’intégration dans la Force publique de près de 3 000 miliciens, recommandées par les leaders des partis politiques dans le cadre du « Pacte pour la paix » conclu en décembre 1995, ne sont, en effet, suivies ni du désarmement ni de la dissolution effective des factions ethnopartisanes[12]. Ce compromis précaire établit une sorte d’« équilibre de la terreur » dans la capitale, chaque camp continuant de fourbir ses armes dans la perspective de l’élection présidentielle prévue en octobre 1997[13].

Celle-ci n’aura pas lieu, car de nouvelles hostilités éclatent au mois de juin, impliquant cette fois-ci plus activement des acteurs étrangers. En effet, prenant prétexte des tergiversations du chef de l’État à remettre en jeu son mandat arrivé à expiration, et d’une tentative d’encerclement de la résidence privée de leur leader par les forces gouvernementales, les « cobras » se lancent à l’assaut du pouvoir présidentiel. Au terme de quatre mois de combats acharnés dans la capitale, qui se soldent par dix mille morts au bas mot[14], les partisans de Denis Sassou Nguesso, appuyés par l’aviation militaire angolaise, parviennent à en chasser les milices « cocoyes » et « ninjas » qui se sont coalisées pour la circonstance[15]. Ces dernières se replient dans leurs bases arrières respectives du NIBOLEK et du Pool, d’où elles mènent des opérations de guérilla contre le nouveau pouvoir incarné par le général Denis Sassou Nguesso qui s’est autoproclamé chef de l’État en 1999, à l’issue de sa victoire militaire dans la capitale.

Les prémices de la mission de médiation

C’est dans ce contexte que, le 9 avril 2001, j’ai l’occasion de rencontrer le pasteur Ntumi, chef spirituel et politique de la rébellion des « ninjas nsilulu ». L’origine de cette aventure incroyable remonte à quelques semaines plus tôt à Libreville, capitale du Gabon, lorsque j’accepte la proposition d’une mission à l’étranger que me fait, sans plus de précision, un proche exerçant de hautes fonctions au ministère de l’Intérieur. Je demeure dans l’expectative pendant plusieurs jours, jusqu’à ce soir du 2 avril où je reçois l’appel téléphonique d’un responsable des services de sécurité gabonais m’annonçant mon départ pour Brazzaville dans le cadre d’une mission de médiation. Le lendemain, je suis acheminé par avion dans l’ancienne métropole de l’Afrique équatoriale française, en compagnie d’un représentant du Conseil national de sécurité. Nous y séjournons pendant près d’une semaine, logés et nourris aux frais de la princesse dans un respectable hôtel du centre-ville, sans toutefois connaître dans le détail la feuille de route de notre mission.

Je mets à profit ce moment pour prendre le pouls d’une capitale qui aura été, en moins d’une décennie, l’enjeu et le théâtre de deux conflagrations. Si la réhabilitation des édifices et des équipements publics apparaît encore partielle dans le quartier administratif et des affaires du centre-ville, les traces matérielles de la guerre sont peu visibles dans les quartiers populaires à nouveau investis par les populations chassées lors des combats. De jour comme de nuit, l’agglomération est quadrillée par un impressionnant dispositif des forces de l’ordre, ce qui garantit un niveau de sécurité publique appréciable. L’ouverture des principaux marchés municipaux et des débits de boissons « sélects » (les nganda) atteste de l’effectivité de la reprise de la vie économique et sociale dans la ville. Au point qu’un soir de week-end, mon coéquipier et moi risquons séparément une escapade sans nos sempiternels accompagnateurs congolais.

Le retour manifeste à la normale est cependant loin de signifier l’effacement de tous les stigmates de la guerre civile. L’ambiance populaire ostensiblement joyeuse dans la partie nord de la ville, fief des partisans du général-président et des miliciens « cobras », contraste avec l’atmosphère morne des quartiers sud, berceau des « ninjas nsilulu » en débandade dans les maquis du Pool. Je découvre ainsi une des facettes du clivage ethnorégional à l’origine de l’instabilité politique du Congo-Brazzaville : le nord de la capitale accueille principalement les communautés ethniques originaires des régions septentrionales du pays et usant du lingala comme langue véhiculaire, tandis que sa partie sud abrite essentiellement les populations originaires du Pool, qui s’obstinent généralement à parler leur dialecte (le lari). Difficile alors d’imaginer une réconciliation dans un tel contexte de ségrégation, d’autant que le cycle infernal des guerres des milices n’a fait qu’exacerber la méfiance interethnique[16].

Voyage en zone insurgée

Alors que l’oisiveté nous gagne, notre séjour prend soudain une tournure palpitante le 8 avril. Ce jour-là, en effet, mon partenaire et moi sommes informés par les services congolais d’une mission devant nous conduire dans le district de Vindza, quartier général du pasteur Ntumi et des rebelles « ninjas nsilulus » situé à plus d’une centaine de kilomètres de la capitale. Les problèmes mécaniques de l’aéronef affrété par l’armée, associés à des conditions atmosphériques peu rassurantes, nous dissuadent cependant de prendre les airs. La perspective de me déplacer en zone insurgée me plonge dans une grande anxiété.

Le lendemain, 9 avril, nous recevons des instructions plus précises : notre voyage dans le Pool a pour but de concrétiser un projet antérieur de rencontre à Libreville entre le président gabonais Omar Bongo, médiateur reconnu par tous les protagonistes de la crise congolaise, et le pasteur Ntumi, président du Conseil national de la résistance (CNR). Si les ennuis mécaniques et les caprices de la météo survenus la veille ne sont plus qu’un souvenir, nous tardons néanmoins à décoller. La raison de ce contretemps est pour le moins surréaliste : nous devons embarquer en compagnie des éléments du pasteur Ntumi venus en toute quiétude à Brazzaville s’approvisionner en marchandises diverses. Plus tard, en fin de matinée, l’arrivée d’un groupe d’individus trimballant des colis provoque un remue-ménage dans la petite salle d’attente de l’aérogare de la base militaire de Maya-Maya où nous piaffons depuis plusieurs heures. Ce sont les fameux « ninjas ». Ils sont reconnaissables à leurs célèbres dreadlocks et au morceau de tissu de couleur violet qu’ils arborent comme écharpe, brassard ou bandeau. Je note une certaine familiarité entre ces maquisards et nos accompagnateurs qui nous les désignent comme des « frères d’armes » passés à la rébellion. J’ai du mal à comprendre ces accommodements des autorités congolaises avec les insurgés.

C’est finalement peu avant midi que nous prenons place à bord d’un hélicoptère dépareillé aux commandes duquel s’installent deux Blancs s’entretenant dans une langue qui me semble être d’origine slave. Le trajet s’effectue dans un bruit assourdissant provoqué par le rotor des pales, décourageant toute conversation entre passagers. Nous survolons en rase-mottes un territoire désert, n’offrant à voir qu’un paysage monotone de savane et de forêt marqué par endroits par le tracé d’une piste en terre ou le sillon d’un cours d’eau paisible. Nous atteignons le district de Vindza en moins d’une demi-heure. Vu du ciel, l’endroit forme une grosse trouée de couleur ocre dans la broussaille. De ce qui a probablement été une bourgade animée avant la guerre, nous n’apercevons que quelques bâtisses d’où sortent pêle-mêle des gens visiblement intrigués par la présence d’un hélicoptère de l’armée. Celui-ci se pose sans difficulté sur ce qui ressemble à un terrain de football à l’abandon aussitôt investi par des hommes en armes et quelques badauds se tenant à bonne distance. Les quatre partisans du pasteur Ntumi embarqués à Brazzaville en sortent les premiers. Les deux officiers accompagnateurs, mon coéquipier et moi leur emboîtons le pas, laissant seuls les deux pilotes veiller sur leur engin. Un caméraman et un photographe commis par le comité d’accueil immortalisent notre débarquement pendant que d’autres « ninjas », au regard dur, nous soumettent à une fouille tatillonne. Après quoi, nous sommes conduits vers une cabane située à proximité de la piste d’atterrissage où nous attendons d’être reçus par le chef rebelle.

Enfants-soldats, exaltations collectives

Là, pour la première fois, surgit la dure réalité de la guerre civile congolaise. Il y a autour de nous des hommes, des femmes et des enfants dont la détresse manifeste aurait fait fondre un coeur d’airain. Je suis personnellement frappé par l’extrême jeunesse des forces rebelles et la précarité de leurs conditions de vie dans ce camp. Le récit des enfants-soldats est si émouvant que j’en ai la gorge nouée. Des « ninjas » à peine plus âgés tentent de m’impressionner en menaçant d’introduire la guerre au Gabon, mon pays, dont ils accusent les autorités de « double jeu » dans le conflit qui déchire le leur[17]. D’autres me réclament discrètement de l’argent.

C’est sur ces entrefaites que mon partenaire et moi sommes enfin conviés à rencontrer le pasteur Ntumi et son état-major. Sous bonne escorte, nous empruntons au pas de charge un sentier jalonné de hautes herbes qui nous mène sur une grande place où trône une maison en dur ceinte par une clôture faite de branchages. Aux alentours comme à l’intérieur de la parcelle se tient une foule importante manifestement ameutée pour la circonstance. Elle hurle des incantations en dialecte local pendant de longues minutes tandis que nous sommes tenus en respect devant le portillon. Ce n’est qu’une fois cette hystérie collective retombée, et après une nouvelle inspection de nos bagages, que l’on nous autorise à franchir la barrière.

Installés côte à côte par le protocole, mon coéquipier et moi faisons face à un siège inoccupé dont nous sépare une table basse ornée d’un pot de fleurs naturelles à l’assortiment quelconque. Dans un coin de cette cour au sol nu et poussiéreux, environ une cinquantaine de miliciens portant arme en bandoulière monte la garde tandis que la population civile, assise vaille que vaille ou se tenant debout autour de nous, complète le décorum. Au fil des minutes, l’assistance se mure dans un silence étrange, ne laissant échapper des apartés, qui se sont formés ici et là, que des chuchotements. Incapable d’affronter le regard de la foule, j’imagine néanmoins la nuée de paires d’yeux braqués sur mon coéquipier et moi. Ce curieux face-à-face, avec nous dans le rôle des bêtes curieuses, m’indispose. Je crois percevoir le même embarras chez mon partenaire dont l’exposition prolongée au soleil cuisant de l’après-midi laisse échapper de sa forte corpulence un torrent de sueur.

Comme pour faire écho à sa réputation de personnage imprévisible[18], c’est de manière inattendue que celui que ses partisans appellent en signe de dévotion « Tata Ntumi » (papa Ntumi en français) fait son apparition parmi nous. Encadrée par un cordon sécuritaire zélé, cette irruption déclenche une nouvelle séquence d’exaltation collective. Je profite de la cohue pour le dévisager. C’est un individu d’apparence juvénile[19], à la silhouette frêle et au teint assez sombre. Avec sa tenue vestimentaire négligée, sa barbichette hirsute et sa chevelure crépue laissée en bataille, il a plutôt l’air d’un inoffensif déjanté. Alors qu’il s’installe sur le siège laissé vacant devant mon partenaire et moi, je décèle sur son visage et dans sa gestuelle des signes apparents d’épuisement. Connaissant la ferveur religieuse qui anime cet adepte du prophétisme guerrier et ses partisans[20], j’y vois les effets de longues séances de prières et de jeûne destinées à s’attirer la bonne grâce divine dans un conflit où la victoire militaire des « ninjas » n’est plus que fiction.

Le pasteur Ntumi lors d’une visite à Goma-Tsé-Tsé (Pool) durant la guerre.

Source : AFP/MondeAfrique

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Obsession complotiste

Le calme revient lorsqu’un membre éminent de l’entourage du pasteur Ntumi réclame le silence à l’assistance et déclenche la palabre en feignant de s’interroger sur la raison de notre visite. En tant que chef de délégation, mon partenaire me commande de prendre des notes tandis qu’il endosse le rôle de porte-parole. Devant une assemblée tout ouïe, il explique sans trémolos que nous sommes mandatés pour évaluer la portée de l’accord de cessation des hostilités conclu le 29 décembre 1999 et pour transmettre au pasteur Ntumi l’invitation du médiateur à le rencontrer au Gabon, ce déplacement en terrain neutre devant permettre de mener plus sereinement les discussions relatives au « dialogue national sans exclusif » réclamé par l’opposition congolaise. La suite de son propos est inédite, dans la mesure où je prends connaissance du plan d’acheminement du chef rebelle séance tenante. Ainsi, nous repartirions sans délai de Vindza en direction de la localité gabonaise de Franceville, proche de la frontière, à bord de l’hélicoptère de l’armée congolaise, puis poursuivrions le voyage jusqu’à Libreville dans un avion affrété par le gouvernement gabonais. Cette proposition suscite une vive désapprobation de nos hôtes, les uns redoutant le « vide » que créerait le départ précipité de leur « protecteur », les autres subodorant un « coup tordu » visant, ni plus ni moins, à l’éliminer physiquement.

La réponse du pasteur Ntumi révèle en creux cette obsession complotiste. D’une voix calme, il nous expose les raisons de son basculement dans les méandres de la politique, puis égrène une litanie de griefs à l’encontre du pouvoir installé à Brazzaville, donnant par moments à son propos les accents d’un discours formaté. Ainsi justifie-t-il son engagement dans la guerre aux côtés des miliciens « ninjas » comme un acte de résistance face à ce qu’il qualifie de « génocide » des populations du Pool. Comme pour nous prouver son attachement à la paix, il rappelle sa vocation d’« homme de Dieu » dont la vie antérieure était entièrement dédiée à la protection des laissés-pour-compte. En revanche, il émet des réserves quant à la sincérité des intentions pacifistes du gouvernement dont il perçoit, à travers l’imposition d’un système de ravitaillement limité du district de Vindza et le renforcement du dispositif militaire dans les localités environnantes de Mayama et de Kimba, la volonté de réduire le dernier bastion de la résistance. Arguant l’absence de garantie de sécurité pour sa personne et ses hommes, il décline l’invitation à se rendre au Gabon, préférant y déléguer son vice-président. Celui-ci est chargé de porter deux principales revendications auprès du médiateur : l’intégration dans la force publique de 1 500 partisans du pasteur Ntumi et une meilleure représentativité de son mouvement dans le cadre du dialogue national. En dépit des efforts de persuasion déployés par mon coéquipier, l’homme se montre inflexible, à la grande joie de ses partisans.

Au terme de trois heures d’escale, alors que le soleil commence à décliner dans sa course, nous quittons Vindza en compagnie de dix représentants de la rébellion. À Libreville, peu avant la tombée de la nuit, notre mission s’achève en eau de boudin. Manifestement contrariée par cette énième rebuffade du pasteur Ntumi, la presse officielle, pourtant présente à notre descente d’avion, renonce à en faire ses choux gras. Le rapport de mission que j’adresse une semaine plus tard à mes mandataires demeure sans suite. Les négociations avec la délégation du CNR n’apportent pas plus de succès à la médiation du président Omar Bongo dont l’impartialité dans la crise congolaise, au demeurant, paraît plus que jamais sujette à caution[21].

Post-scriptum

Au terme de douze années passées dans le maquis, le pasteur Ntumi décide de regagner la capitale Brazzaville en décembre 2009. Sa désignation comme « délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre » – après qu’en 2007 son mouvement se soit mué en Conseil national républicain – scelle la réconciliation avec le régime de Denis Sassou Nguesso[22]. En 2016, toutefois, les tensions se font jour à nouveau entre les deux hommes après que l’ancien chef rebelle a désapprouvé la révision de la Constitution entérinant la non-limitation du mandat présidentiel puis dénoncé la réélection du général-président. Un accès de violence oppose alors les forces gouvernementales et les « ninjas nsilulu », laissant planer le spectre d’une nouvelle guerre civile[23]. Aux exactions imputées aux miliciens font écho les représailles des forces gouvernementales dans le département du Pool[24]. Cette nouvelle flambée de violence connaît son épilogue à la fin de 2017, lorsque les deux parties signent un accord prévoyant la cessation des attaques des « ninjas nsilulu » contre les convois ferroviaires ravitaillant la capitale et le désarmement des insurgés[25]. En contrepartie, les autorités lèvent les poursuites judiciaires à l’encontre du pasteur Ntumi et réhabilitent son parti politique[26], sans toutefois parvenir à le convaincre de retourner de sitôt à la vie civile. Or il semble que, en dépit du Programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (PDDR) et de la controverse qu’il suscite de plus en plus dans le Pool[27], l’homme ait « su garder une certaine capacité de nuisance[28] ». Sa présence prolongée dans le maquis a donc de quoi alimenter la crainte du retour des « vieux démons » de la dramaturgie congolaise. Le projet de succession dynastique de père à fils que semblent nourrir les partisans du président Denis Sassou Nguesso[29] – aujourd’hui âgé de 77 ans et cumulant plus de trois décennies de règne – pourrait constituer un facteur déclencheur de ce nouvel épisode tragique.