Hors-dossierNote de lecture

Lucia Ferretti et François Rocher (dir.), Les enjeux d’un Québec laïque. La loi 21 en perspective, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 300 p. [LP]Leila Celis, Dia Dabby, Dominique Leydet et Vincent Romani (dir.), Modération ou extrémisme ? Regards critiques sur la loi 21, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 257 p. [RC][Notice]

  • Kiyonobu Date

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  • Kiyonobu Date
    Professeur associé à l’Université de Tokyo

Le débat sur la laïcité, notamment autour des signes religieux, est un enjeu central au Québec depuis des années. Si la crise des accommodements raisonnables a surgi en 2006 avec le débat au sujet du kirpan, c’est plutôt le voile islamique qui en est arrivé à occuper une place prépondérante dans l’espace public. La commission Bouchard-Taylor a posé des balises claires concernant le port des signes religieux par les agents de l’État. Elle a aussi proposé qu’une enseignante ne porte pas de burqa ou de niqab en classe, afin d’assurer la communication avec les élèves. Or, cette recommandation n’a pas été retenue par le Parti libéral du Québec, qui avait pourtant mandaté cette commission ; elle n’a pas plu davantage au Parti québécois. Depuis lors, c’est autour des signes religieux dissimulant le visage et le port du voile par les fonctionnaires que le débat n’a cessé d’occuper l’actualité. Lors du projet de loi 94 en 2010, les partisans d’une laïcité ouverte ont publié le « Manifeste pour un Québec pluraliste » (Le Devoir, 3 février 2010) ; tandis que les signataires de la « Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste » (Le Devoir, 16 mars 2010) ont fait appel à l’établissement juridique de la laïcité de l’État. Dans la foulée du projet de loi 60, déposé en 2013 par le PQ et intitulé « Charte de la laïcité », Daniel Baril et Yvan Lamonde, signataires d’ailleurs de la Déclaration de 2010, ont proposé leurs propres recommandations dans leur ouvrage Pour une reconnaissance de la laïcité au Québec (Presse de l’Université Laval, 2013) ; alors que Sébastien Lévesque, promoteur d’une société tolérante et inclusive, a dirigé le livre intitulé Penser la laïcité québécoise : Fondements et défense d’une laïcité ouverte au Québec (Presses de l’Université Laval, 2014). En 2017, le PLQ a fait adopter le projet de loi 62 sur la neutralité de l’État, qui prévoit que les services publics doivent être donnés et reçus à visage découvert. Il s’agissait de la première loi en Amérique du Nord ayant pour but d’encadrer le port des signes religieux, mais elle a été suspendue en raison de l’absence de modalités d’application concrètes. Dans ce contexte, la Coalition Avenir Québec (CAQ) a fait passer, le 16 juin 2019, le projet de loi 21, qui interdit le port des signes religieux par les personnes en position d’autorité, notamment le foulard des enseignantes musulmanes. Cette mesure pourrait paraître comme modérée par rapport à la loi de la laïcité scolaire en France adoptée en 2004, qui interdit le port du voile aux élèves, mais elle pourrait aussi être perçue comme excessive dans le contexte nord-américain, où la primauté est donnée à la liberté de religion. La loi 21 met ainsi en lumière une position originale du Québec qui invite à l’interprétation. C’est ainsi que les universitaires s’affrontent de nouveau autour de cette loi. Le livre dirigé par Lucia Ferretti et François Rocher fournit des arguments en appui à la loi en regroupant 12 auteurs de plusieurs disciplines, tandis que celui dirigé par Leila Celis, Dia Dabby, Dominique Leydet et Vincent Romani réunit 15 essais de disciplines différentes qui mettent en cause les choix politiques du gouvernement de la CAQ. Comme le sous-titre de chaque livre le suggère, celles et ceux qui participent au premier recueil (désormais LP) essayent de mettre cette loi en perspective dans l’espace et le temps plutôt que d’en faire le simple éloge, alors que les auteurs et autrices du second recueil (désormais RC) s’opposent à cette loi en y portant leurs regards critiques. Cette recension a pour but …