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Le laboratoire de Montréal qui a participé au Projet Manhattan est une histoire mal connue. C’est également une histoire difficile à connaître compte tenu des recherches ultrasecrètes qui y étaient menées. Les auteurs de ce livre, anciens étudiants de l’Université de Montréal, ont découvert l’existence de ce mystérieux laboratoire par l’entremise de Pierre Demers, professeur de physique nucléaire qui a lui-même participé au projet. Ils s’efforcent dans ce livre de jeter un peu de lumière sur cette courte expérience (1942-1945).

On découvre rapidement que cette expérience relève moins de l’histoire de Montréal que de celle des relations internationales. Même si ce laboratoire est hébergé dans une bâtisse louée par l’Université de Montréal, il est davantage connecté aux collaborations difficiles entre les pays alliés qui ont investi dans le laboratoire. Jaloux de leurs secrets et méfiants les uns envers les autres, ils ont compliqué la tâche des chercheurs réputés qui se sont rendus à Montréal. Issus de différentes nationalités, plusieurs avaient fui le régime nazi. Dirigé au début par Hans Halban, un physicien juif d’origine autrichienne, le laboratoire est largement coupé de la ville. Souvent munis d’un pistolet, ses scientifiques travaillent dans des installations étroitement surveillées par la GRC. Parmi eux, on retrouve même un espion soviétique, Alan Nunn May… On aurait aimé en apprendre plus sur leur séjour à Montréal et sur le choc culturel qu’ils ont pu y vivre. Les auteurs passent en effet rapidement sur cet aspect, y voyant surtout l’occasion d’ajouter quelques anecdotes au récit. C’est bien là ce qui fait la force et la faiblesse du livre : une mine d’informations nouvelles, mais traitées de façon événementielle et parfois anecdotique.

Le lecteur doit s’armer de patience avant d’en arriver au laboratoire. Le premier chapitre introduit le lecteur à l’histoire de l’énergie atomique, de Marie Curie à Ernest Rutherford – père de la physique nucléaire qui enseigna neuf ans à l’Université McGill – jusqu’aux chercheurs en fission nucléaire. Cette galerie de portraits scientifiques d’une cinquantaine de pages est malheureusement peu connectée, sinon par la thématique, au reste du livre. Le deuxième chapitre aborde pendant quelques pages le laboratoire de Montréal, mais bifurque de nouveau vers l’histoire de la recherche ayant mené à la bombe atomique en Europe et aux États-Unis. Il faut attendre la page 107 pour découvrir que Montréal a été choisie comme ville hôte du laboratoire pour ses compétences techniques, son espace accessible, les liens entre McGill et d’autres universités américaines, ainsi que pour la proximité d’une centrale hydroélectrique imposante pour l’époque (Beauharnois). Or, puisqu’il est bien difficile de savoir ce qui se passait dans ce laboratoire, les auteurs tissent une toile contextuelle autour de leur objet en privilégiant les dimensions politique, militaire et, bien sûr, scientifique. Les rencontres de dirigeants internationaux dans la province, comme lors de la Conférence de Québec, qui mena à l’accord britannico-américain, permettent aux auteurs de pallier l’absence d’informations sur le laboratoire de Montréal comme tel et d’illustrer la part qu’il a jouée à un moment clé dans l’évolution des relations internationales. À partir du milieu de l’ouvrage, les auteurs quittent une autre fois le laboratoire pour effectuer une histoire-bilan du développement de l’énergie nucléaire et de la course à l’armement en Occident durant la deuxième moitié du XXe siècle. Le troisième chapitre, qui constitue une autre galerie de portraits, porte sur « Les artisans du laboratoire de Montréal ».

Les auteurs cherchent d’abord à raconter une histoire qui intéressera notamment les amateurs d’histoire militaire et d’histoire des technologies. Ils font un effort louable pour contextualiser les enjeux scientifiques et politiques entourant le développement de l’énergie atomique. On peut cependant déplorer la faible utilisation des notes en bas de page et l’absence de référence pour plusieurs sources ou citations, ce qui mine le caractère scientifique du livre. Cela est d’autant plus dommage que les auteurs ont fait un véritable travail de recherche dans les archives pour raconter leur histoire. On termine le livre avec l’impression qu’il s’agit d’une première étape de classement des données qui aurait mérité une seconde étape afin de nouer les fils patiemment réunis et de les transformer en filons interprétatifs.