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Au pouvoir de 2003 à 2012, le premier ministre Jean Charest a mené une politique de relations internationales ambitieuse. Gopinath Jeyabalaratnam et Stéphane Paquin soulignent ainsi « un paradoxe » en notant que c’est

sous la direction d’un premier ministre résolument fédéraliste que la politique internationale du gouvernement québécois a été la plus dynamique. […] Non seulement l’ordre du jour international du Québec s’est-il considérablement bonifié […], mais en plus le gouvernement du Québec a été très souvent en opposition avec la position du gouvernement du Canada pour des questions internationales d’importance[1].

Si son bilan en politique intérieure témoigne de plusieurs échecs, comme la crise étudiante de 2012, le premier ministre Charest s’est distingué dans le domaine des relations internationales. S’appuyant sur sa formule « de ce qui est de compétence québécoise chez nous est de compétence québécoise partout », il a défendu la présence du Québec aux forums internationaux, à l’UNESCO ou encore aux conférences sur le climat. Malgré les frictions avec le gouvernement conservateur de Stephen Harper, Charest n’a pas hésité à demander le soutien de la fonction publique et des services diplomatiques canadiens pour qu’ils travaillent en appui aux actions du gouvernement du Québec[2].

Très actif en matière d’environnement et de lutte aux changements climatiques, comme en témoigne l’adhésion du Québec en 2008 à la Western Climate Initiative[3], Jean Charest a défini une nouvelle politique à l’égard des États-Unis et mené de nombreuses missions économiques pour développer des échanges commerciaux avec divers pays, dont la Chine et la Russie.

La France a également occupé une place centrale dans la politique de relations internationales du gouvernement Charest. Fort de ses liens « directs et privilégiés » avec l’Hexagone, noués dans les années 1960 à l’initiative du général de Gaulle, le Québec a bénéficié à plusieurs occasions du soutien de la diplomatie française[4]. En 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing définissait aux côtés de René Lévesque la politique de « non-ingérence, non-indifférence », signifiant la reconnaissance par la France de l’indépendance du Québec advenant une victoire au référendum sur la souveraineté. Les deux gouvernements instauraient également le principe des rencontres alternées des premiers ministres. Après de longues années d’un bras de fer opposant René Lévesque à Pierre Trudeau, le Québec prenait part, grâce au soutien du président François Mitterrand, au premier Sommet de la Francophonie à Paris en 1986[5]. Les deux gouvernements ont également développé depuis 1965 une active politique de coopération bilatérale. D’abord centrés sur l’éducation, la culture et la langue, les échanges se sont élargis par la suite à tous les domaines d’activité[6].

En dépit de cet héritage, la fin des années 1980 semble marquer un essoufflement de la relation franco-québécoise, attribuable, en premier lieu, au manque d’intérêt que manifeste Robert Bourassa pour l’Hexagone[7]. Dans un contexte économique difficile, les budgets attribués à la coopération sont considérablement réduits. Malgré la relance des relations diplomatiques sous le gouvernement de Jacques Parizeau, qui a vu l’engagement du président Chirac en 1995 à reconnaître l’indépendance du Québec, plusieurs observateurs notent que l’échec référendaire et le renouvellement de la classe politique dans l’Hexagone ont fragilisé la relation franco-québécoise[8].

Si les gouvernements de Lucien Bouchard et de Bernard Landry jouent avec la France un rôle de premier plan dans l’adoption par l’UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, on assiste toutefois à un renversement de tendance au sein du ministère des Relations internationales (MRI), puisqu’en 2002, la part du budget consacrée à la France est supplantée, pour la première fois de l’histoire du MRI, par celle octroyée aux États-Unis[9].

Élu en 2003, le premier ministre Charest a travaillé avec succès à relancer les relations avec l’Hexagone. Comme nous allons le démontrer, le chef libéral non seulement a préservé le dispositif politique et institutionnel établi depuis les années 1960 avec la France, mais a contribué à l’intensification de cette coopération binationale. Le gouvernement Charest a également bénéficié du soutien de l’Hexagone face à Ottawa, notamment lors des préparatifs de la Conférence de Copenhague sur le climat en 2009.

En s’intéressant aux rapports politiques et diplomatiques entre la France et le Québec, dans le cadre notamment des rencontres alternées des premiers ministres, cet article a pour objet l’analyse de l’évolution des relations franco-québécoises entre 2003 et 2012 afin de dresser un bilan de cette période et d’identifier les principaux legs du gouvernement Charest.

Après une première partie consacrée à la présidence de Jacques Chirac, au cours de laquelle Charest profite notamment de l’appui du premier ministre Jean-Pierre Raffarin pour réaliser une mission économique franco- québécoise au Mexique en 2004, cet article analyse l’évolution des relations franco-québécoises sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui débute en 2007. Malgré la remise en cause par celui-ci de la politique de « non-ingérence, non-indifférence », la coopération bilatérale se poursuit au même rythme. Cette période, marquée notamment par les fêtes du 400e anniversaire du Québec, permet la signature, en 2008, de l’Entente Québec-France sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et la relance, à l’initiative notamment de Jean Charest, des négociations pour l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Par ailleurs, les deux gouvernements adoptent des positions communes dans plusieurs domaines, tels que l’environnement, au point où la France appuie en 2009 les revendications du Québec pour siéger à la Conférence de Copenhague, alors qu’Ottawa s’y oppose.

L’approfondissement des relations bilatérales sous Jean-Pierre Raffarin

En février 2003, Jean Charest effectue une visite dans l’Hexagone afin, notamment, d’observer certains programmes de santé, thème qui va devenir, quelques semaines plus tard, son slogan de campagne sous la formule « Ma priorité, c’est la santé[10] ! ». Pendant son séjour, Charest rencontre plusieurs dirigeants français et s’entretient avec un ami du Québec, le premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Nommé à Matignon un an plus tôt par le président Jacques Chirac, le chef du gouvernement français connaît particulièrement bien le Québec pour y être venu à une quinzaine de reprises à titre de président du Conseil régional de Poitou-Charentes[11]. Particulièrement active au sein de la coopération franco-québécoise, développant notamment des échanges avec l’Estrie, la région Poitou-Charentes a signé un Plan d’action avec la Délégation générale du Québec[12]. En 2001, Raffarin, alors président de l’Association des régions de France, était à Québec pour présider, avec le premier ministre Bernard Landry, les premiers Ateliers de la coopération décentralisée entre la France et le Québec[13].

Porté au pouvoir le 14 avril 2003, Jean Charest reçoit quelques semaines plus tard Raffarin dans le cadre des visites alternées des premiers ministres français et québécois[14]. Invité à prendre la parole à Québec lors du Salon Futurallia, « le Carrefour mondial des PME », une initiative née en Poitou en 1989, Raffarin exprime sa volonté de « poursuivre une coopération forte » entre les deux gouvernements, déclarant notamment que le Québec peut « compter sur la fidélité, sur la loyauté de la France. Nous sommes engagés dans un partenariat ancien, fondamental, structurant, mais non pas nostalgique[15] ». Pour sa part, Charest affirme : « c’est avec fierté et enthousiasme que mon gouvernement s’inscrira dans la poursuite et l’épanouissement de la relation bilatérale France-Québec[16] ». Au terme de cette visite chaleureuse, au cours de laquelle Raffarin est décoré officier de l’Ordre national du Québec, les deux premiers ministres signent un procès-verbal ambitieux, dénommé une « Nouvelle alliance franco-québécoise ». Le texte affirme leur volonté de renforcer les échanges économiques, scientifiques et techniques. Divers axes de travail sont adoptés, comme la réforme de l’État, avec la création d’un Comité franco-québécois sur la modernisation de l’État, la diversité culturelle, la santé et la jeunesse[17]. Si le séjour du premier ministre Raffarin est un succès, sa préparation en coulisses a donné lieu à un accroc diplomatique. Dans un ouvrage récent, Politique étrangère du Québec. Entre mythe et réalité, Jean-François Payette nous apprend qu’un incident protocolaire a retenu l’attention des premiers ministres québécois et français. Présent aux côtés de Raffarin, Pierre-André Wilzer, alors ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, raconte l’événement :

Dès la descente de l’avion, Jean CHAREST (sic) te prenait à part ainsi que moi, pour nous dire qu’il avait été fort contrarié par un incident protocolaire dans la préparation de ton séjour au Québec : une fuite, d’origine française – en clair notre Ambassade… − s’était produite à Ottawa concernant des éléments de ton programme au Québec et des Officiels du Gouvernement fédéral en avaient profité pour faire des remarques aux responsables québécois sur le détail de ce programme.

Jean CHAREST avait dit que cette entorse aux règles établies de longue date dans les relations directes entre le Gouvernement québécois et le Gouvernement français était inacceptable pour lui et qu’il souhaitait que rien ne soit changé à cet égard par rapport aux usages convenus.

Quelques heures plus tard, Raffarin rédige un télégramme diplomatique destiné au ministère des Affaires étrangères et aux postes diplomatiques concernés pour rappeler les principes du dispositif particulier des relations franco-québécoises. Il écrit :

Je souhaite que nous gardions des relations telles qu’elles ont été structurées par des années et des années d’histoire. Cela signifie quatre points principaux :

  • les visites alternées des Premiers Ministres ;

  • les visites directes de ministres consacrées au travail opérationnel ;

  • le Consul général de France à Québec et le Délégué général du Québec à Paris sont les animateurs du partenariat ;

  • le Consulat général de France à Québec dispose d’un budget propre de coopération.

On ne change pas une vieille tradition de coopération.

Soyons clairs, il ne faut pas hiérarchiser la relation franco-québécoise[18].

Cet accroc au protocole révèle la volonté, tant de Jean Charest que de Jean-Pierre Raffarin, de préserver le fonctionnement et le dispositif des relations franco-québécoises. La rencontre suivante, en mai 2004, va confirmer leur intention de dynamiser la coopération entre les deux gouvernements. Reçu dans l’Hexagone dans le cadre des rencontres alternées des premiers ministres, Charest rencontre le président Chirac et le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, Abdou Diouf, pour défendre notamment la candidature de Québec comme ville hôte du Sommet de la Francophonie de 2008. Charest s’entretient également avec le président du Sénat Christian Poncelet, le président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré, et le maire de Paris Bertrand Delanoë[19]. Lors de sa réunion à Matignon avec Raffarin, les orientations fixées l’année précédente sont confirmées. La création d’un Fonds franco-québécois pour la coopération décentralisée est annoncée, ainsi que la tenue, en 2005, d’un Forum franco-québécois sur le vieillissement et la santé[20].

La mission économique franco-québécoise au Mexique et la poursuite des relations sous Dominique de Villepin

Au terme du séjour de Charest, les deux gouvernements confirment l’organisation d’une mission économique franco-québécoise au Mexique[21]. Cette initiative, sans précédent, a été proposée par Raffarin lors de sa visite au Québec en 2003. Si l’Asie a été envisagée, c’est finalement le Mexique qui est choisi, à la demande des autorités québécoises[22]. Le 17 novembre 2004, Jean Charest et Jean-Pierre Raffarin, entourés de leur ministre de la Culture Line Beauchamp et Renaud Donnedieu de Vabre, entament un séjour de deux journées au Mexique, conduisant une délégation de plus d’une centaine de chefs d’entreprises français et québécois. Lors de cette tournée, Charest s’entretient avec plusieurs dirigeants mexicains et est reçu par le président Vicente Fox. Cette rencontre avec le chef d’État mexicain ne manque pas de soulever une polémique à Ottawa et au sein du Parti libéral du Canada : le premier ministre Paul Martin et le ministre des Affaires étrangères Pierre Pettigrew doivent intervenir pour rassurer une partie de leurs députés[23].

À la suite de l’échec du référendum pour l’adoption de la constitution européenne, le président Chirac procède en mai 2005 à la nomination de Dominique de Villepin à la tête du gouvernement pour succéder à Raffarin. Réagissant à cette annonce, Louise Beaudoin note que le nouveau premier ministre, « contrairement à Jean-Pierre Raffarin […] n’a aucun “passé québécois” » et qu’il est nécessaire de « l’intéresser durablement à l’avenir de cette relation comme nous avons réussi à le faire avec la plupart de ses prédécesseurs[24] ».

Attendu au Québec en novembre pour la 15e rencontre alternée des premiers ministres, de Villepin doit annuler son voyage en raison des émeutes qui secouent les banlieues parisiennes[25]. C’est finalement en juillet 2006 que Jean Charest rencontre son homologue. En Europe, dans le cadre d’une mission économique, Charest est reçu à l’Élysée par le président Chirac. À l’issue de leur entretien, le président français affirme que les festivités liées au 400e anniversaire de Québec constituent une « formidable occasion de rapprochement pour la jeunesse de nos deux nations[26] ».

À Matignon, Charest et de Villepin échangent sur la coopération, l’environnement et les préparatifs du Sommet de la Francophonie de Bucarest dans le but d’inciter de nouveaux pays à ratifier la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles[27]. Au terme de ces discussions menées sur un ton chaleureux, Charest déclare que « la France fait partie de l’identité québécoise et même canadienne. […] Les relations que nous avons sont des relations uniques. Je ne connais aucun modèle, aucun exemple ailleurs sur la planète de deux nations, de deux peuples qui entretiennent des relations aussi fécondes que celles qui existent entre le peuple québécois et le peuple français[28] ». Pour sa part, de Villepin indique qu’il compte se rendre au Québec dans les prochains mois[29]. En novembre, il déléguera toutefois le ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, lequel signera deux accords avec le ministre de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, Jean-Marc Fournier, pour accroître la présence de la littérature québécoise dans le programme de l’Agrégation de lettres modernes et implanter un programme pilote d’échanges d’instituteurs sous l’égide de l’organisme Éducation internationale du Québec et du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres[30].

Les relations franco-québécoises se poursuivent au même rythme l’année suivante. En février 2007, Charest se rend à Paris pour participer notamment à la Conférence pour une gouvernance écologique mondiale « Citoyens de la terre[31] ». Il rencontre le président Chirac et Nicolas Sarkozy, encore ministre de l’Intérieur. Il s’entretient avec Jean-Pierre Raffarin, nommé à la tête du Comité français du 400e, et Alain Juppé, ancien premier ministre et maire de Bordeaux, ville jumelée à celle de Québec. Sa visite lui permet également d’échanger avec Laurence Parisot, présidente du MEDEF International[32].

En juillet 2007, le premier ministre Charest effectue un nouveau déplacement dans l’Hexagone. Il est reçu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy, victorieux de l’élection présidentielle, et rencontre le nouveau premier ministre, François Fillon, ainsi que le ministre des Affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner[33]. Outre des discussions sur les préparations du Sommet de la Francophonie de 2008 et les fêtes du 400e anniversaire de Québec, Charest aborde la question d’un partenariat économique Canada-Union européenne pour profiter du fait que la France va assurer la présidence de l’Europe en 2008 et que Sarkozy peut « jouer un rôle clé dans la conclusion d’un accord transatlantique[34] ». Enfin, à l’instar des négociations entamées avec l’Ontario et le reste des provinces canadiennes, le premier ministre Charest propose l’ouverture de discussions pour faciliter la reconnaissance des compétences professionnelles entre la France et le Québec. Des négociations entre une vingtaine d’ordres professionnels débuteront en janvier 2008, ouvrant la voie aux premiers arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) à la base de l’entente qui sera signée à Québec le 17 octobre par Nicolas Sarkozy et Jean Charest.

Le 8 octobre 2007, Raffarin, entouré d’Alain Juppé et du ministre Bernard Kouchner, dévoile la contribution de la France, estimée à 12 millions de dollars[35], pour le 400e de Québec. Une délégation du Québec, composée notamment de Monique Gagnon-Tremblay, ministre des Relations internationales, et de Philippe Couillard, ministre de la Santé et de la région de la Capitale-Nationale, est présente pour l’occasion[36].

Nicolas Sarkozy et « l’amitié franco-canadienne »

L’année 2008 et les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de Québec ont donné lieu à plusieurs événements importants avec, en point d’orgue, la visite du président Sarkozy à Québec. À plusieurs occasions, celui-ci précise sa vision de la relation franco-canadienne et surtout son appui à l’unité canadienne suscitant, chaque fois, la polémique.

Le 8 mai 2008, Sarkozy, entouré du premier ministre Fillon et des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, dirige une cérémonie au cimetière militaire canadien de Beny-Reviers en Normandie[37]. Il déclare à la gouverneure générale Michaëlle Jean : « Vous savez que nous, on est très proches du Québec, mais je vais vous le dire, on aime beaucoup le Canada aussi. On n’oppose pas nos deux amitiés et nos deux fidélités. On les rassemble pour que chacun comprenne que ce que nous avons en commun, on va le tourner vers l’avenir pour que l’avenir du Canada et de la France soit l’avenir de deux pays pas simplement alliés mais deux pays amis[38] ».

Quelques heures plus tard, Michaëlle Jean est à La Rochelle aux côtés de Philippe Couillard, du maire Régis Labeaume et du grand chef huron-wendat Max Gros-Louis pour assister au départ d’une flotte de 48 voiliers en route vers Québec dans le cadre de la Grande Traversée organisée pour remémorer le parcours de Samuel de Champlain[39]. Cette journée, dirigée par Raffarin et par celle qui lui a succédé à la tête de la région Poitou-Charentes, Ségolène Royal, connaît un immense succès populaire, avec une foule entre 50 000 et 80 000 personnes[40].

Dans le même temps, à Québec, les propos de Sarkozy et sa « vibrante déclaration d’amour au Canada[41] », selon la formule d’un journaliste du Devoir, provoquent des remous. Outre la cheffe de l’opposition officielle Pauline Marois, qui regrette l’absence de Charest à La Rochelle, le chef de l’Action démocratique du Québec (ADQ) Mario Dumont s’inquiète du changement de ton du président français et de la « situation inconfortable » du premier ministre, placé « dans l’ombre du gouvernement fédéral et de la gouverneure générale du Canada[42] ».

Une semaine plus tard, Charest effectue un voyage de quatre jours en France. Il participe d’abord aux cérémonies organisées par la ville de Bordeaux en compagnie d’Alain Juppé et de Jean-Pierre Raffarin, et visite le village de Brouage, lieu de naissance de Samuel de Champlain[43]. À Paris, Charest s’entretient avec le maire Delanoë sur la participation de la ville aux célébrations de Québec[44]. Le 19 mai, il est reçu par Sarkozy pour parler du Sommet de la Francophonie prévu à Québec et des préparatifs de l’Entente sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. Interrogé sur les déclarations de Sarkozy du 8 mai, Charest affirme avoir « eu une bonne discussion sur le sujet avec le président français, qualifiant la relation entre le Québec et la France de directe » et ajoutant : « pas pour un seul instant ai-je le sentiment que cette relation sera diminuée. Elle va continuer d’être une relation familiale, c’est filial, cette relation entre nous[45] ».

Plusieurs événements sont organisés dans les semaines qui suivent. Un deuxième Salon Futurallia, après celui de 2003, se tient à Québec, rassemblant plus d’un millier de PME, principalement québécoises et françaises[46]. Le 5 juin, l’exposition « Le Louvre à Québec - Les arts et la vie » ouvre ses portes au Musée national des beaux-arts. Le succès de cette exposition est immédiat, obligeant les responsables du musée à prolonger les heures d’ouverture au public[47]. Le Musée de la civilisation accueille pour sa part l’exposition « Regards sur la diversité culturelle » organisée en collaboration avec le musée du quai Branly et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Parmi les autres réalisations françaises figurent les aménagements réalisés dans l’Espace 400e, ainsi que la construction du Centre de la francophonie des Amériques à l’entrée du Musée de l’Amérique française.

Le 3 juillet, Fillon arrive à Québec pour une visite de deux jours dans le cadre de la 15e rencontre alternée des premiers ministres. Un programme de travail dans le cadre de la coopération est adopté, portant sur trois thématiques, à savoir la construction d’un nouvel espace d’échanges et d’innovation, le développement responsable pour les générations futures et l’approfondissement des partenariats entre les deux gouvernements sur les grands enjeux de société[48]. La rencontre permet également d’officialiser la création du Conseil franco-québécois de coopération universitaire (CFQCU) afin de promouvoir et de soutenir la coopération universitaire franco-québécoise en matière d’enseignement et de recherche[49].

Le voyage de Sarkozy au Québec et la signature de l’Entente sur la reconnaissance mutuelle des compétences professionnelles

En octobre 2008, la Vieille Capitale est l’hôte du 12e Sommet de la Francophonie. À cette occasion, le président Nicolas Sarkozy effectue une visite éclair – 26 heures – au Québec[50]. Sarkozy, accompagné par le président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso, commence sa journée par un déjeuner de travail avec le premier ministre Harper pour échanger sur le partenariat entre le Canada et l’Union européenne et sur les conséquences de la crise économique mondiale[51].

À l’issue de ce Sommet Canada-Union européenne, Sarkozy déclare, devant le premier ministre Harper : « J’ai toujours été un ami du Canada. Parce que le Canada a toujours été un allié de la France, qu’il est membre du G8. Et franchement, s’il y a quelqu’un qui vient me dire que le monde a besoin aujourd’hui d’une division supplémentaire, c’est qu’on ne fait pas la même lecture du monde[52] ».

Questionné par les journalistes à savoir si sa visite éclair à Québec est le « présage [d’] une relation France-Québec moins privilégiée » et qu’il faut « y voir là l’influence de [son] ami Paul Desmarais », Sarkozy répond :

Je ne vois pas au nom de quoi une preuve d’amour pour le Québec, fraternelle, familiale devrait se nourrir d’une preuve de défiance à l’endroit du Canada. […] L’idée que je me fais de la France, c’est un pays qui rassemble et non pas qui divise. C’est un pays qui apaise en étant suffisamment généreux pour dire aux Québécois francophones qui sont de notre famille et pour dire à l’ensemble des autres Canadiens qui sont nos alliés, qu’ils sont nos amis[53].

En après-midi, Sarkozy rejoint le premier ministre Charest à l’Assemblée nationale. Dans son discours, le premier d’un président français dans cette enceinte[54], Sarkozy adopte un ton chaleureux et élogieux pour le Québec, dont il vante la modernité et « le parcours exemplaire accompli » depuis la Révolution tranquille, « la rapidité stupéfiante avec laquelle les Québécois ont su adapter leur société, moderniser [leur] économie, bâtir une identité nationale fondée sur une langue commune et un projet commun[55] ».

Considérant la relation franco-québécoise comme « mature, entre partenaires égaux qui ont décidé de faire un chemin ensemble », Sarkozy reprend l’expression du général de Gaulle pour faire la seule allusion à l’amitié franco-canadienne : « J’ai bien aimé l’image du rameau, mais je sais que le rameau est devenu un arbre. Et cette fidélité qu’il y a entre nous, elle est sur un pied d’égalité, et nous n’avons pas à exclure qui que ce soit. Notre relation est cohérente avec la place que la France occupe au sein de l’Union européenne, vous ne nous demandez pas de choisir Québec ou Union européenne, et notre relation est cohérente avec l’amitié qui lie la France et le Canada[56] ».

Le président continue : La « relation [franco-québécoise] est fraternelle, familiale, légitime, sans ambiguïté entre Français et Québécois [et] son approfondissement s’impose », appelant au renforcement de la coopération bilatérale dans les domaines de l’économie, des hautes technologies, de l’environnement, de la santé et de la culture.

Au terme de son discours, Sarkozy laisse de côté ses notes et s’amuse de la franchise de la presse : « Dans le fond [s’interrogent les journalistes], il veut être ami avec le Canada, est-ce qu’il sera capable d’aimer le Québec ? Ah ! quelle question », se demande le président, avant de décliner : « j’aime votre hospitalité. J’aime votre gentillesse. J’aime votre amour de la vie, vous qui n’avez survécu en tant que peuple qu’en comptant sur votre courage et votre intelligence. […] J’aime cette terre qui fait aimer le français à tous les peuples du monde ». Se tournant vers ses hôtes, Sarkozy conclut : « Vous êtes le visage du peuple québécois qu’aiment tant les Français. Alors, vive l’amitié entre le Canada et la France, et vive la fraternité entre le peuple français et le peuple québécois[57] ! ». Le premier ministre Charest affirme pour sa part que « les Français et les Québécois sont unis par le temps, par le coeur et par le sang », grâce à une relation « directe, privilégiée et unique[58] ».

Après ce discours, Jean Charest et Nicolas Sarkozy procèdent à la signature de l’Entente Québec-France de reconnaissance mutuelle des compétences professionnelles[59]. Négocié en un temps record, cet accord, le premier signé entre un premier ministre et un président de la République, établit une procédure commune pour la reconnaissance effective des qualifications entre les métiers et les ordres professionnels français et québécois sous le contrôle d’un Comité bilatéral créé pour l’occasion et composé de cinq représentants de la France et de cinq représentants du Québec, l’un d’entre eux ayant un rang ministériel. Après la conclusion des premiers arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) en 2009, pour les architectes, les avocats, les médecins et les pharmaciens notamment, les accords de ce type se multiplient, le Consulat de France à Québec estimant à cet égard que l’entente franco-québécoise est « unique par sa teneur et son ampleur », sans « guère d’équivalent au niveau international » en dehors de l’Union européenne[60].

Si les propos tenus à l’Assemblée nationale sont chaleureux et témoignent d’une indéniable sympathie à l’égard du Québec, les déclarations de Sarkozy sur l’inutile division du monde provoquent la colère des dirigeants des partis souverainistes. Regrettant cette intrusion dans le débat constitutionnel canadien, Pauline Marois et Gilles Duceppe déplorent « que jamais un chef d’État étranger n’a autant manqué de respect aux plus de deux millions de Québécois qui se sont prononcés pour la souveraineté ». L’ancien premier ministre Parizeau qualifie les déclarations de Sarkozy « d’énormités » et écrit : « Je ne me souviens pas d’avoir jamais vu un chef d’État dire ça pendant tous les débats sur la souveraineté du Québec. Même Bill Clinton, avant le référendum, n’avait pas été jusque-là[61] ».

La polémique se poursuit en février 2009, lors de la visite officielle de Charest dans l’Hexagone. À l’Élysée, le premier ministre reçoit des mains du président Sarkozy les insignes de commandeur de l’ordre de la Légion d’honneur[62]. Au cours de cette cérémonie, Sarkozy réitère la position qu’il avait tenue cinq mois plus tôt à Québec, en durcissant le ton. Après avoir déclaré que « la politique de non-ingérence et non-indifférence, qui a été la règle pendant des années, honnêtement, c’est pas trop mon truc », il associe, sans le nommer, le projet souverainiste à du « sectarisme » : « dans l’essence de la Francophonie, dans les valeurs universelles que nous portons au Québec comme en France, il y a le refus du sectarisme, le refus de la division, le refus de l’enfermement sur soi-même, le refus de cette obligation de définir son identité par opposition féroce à l’autre[63] ».

Interrogé le lendemain, Charest affirmera ne pas juger utile d’ « entretenir une polémique avec le président de la République française ». Il prendra néanmoins ses distances avec les propos de Sarkozy en réhabilitant la formule de la « non-ingérence, non-indifférence » : il s’agit de la seule « politique possible pour la France […] si jamais il devait y avoir un autre référendum », déclare-t-il, ajoutant avoir du respect pour « ceux qui défendent l’idée de souveraineté, et à l’inverse on s’attend à ce qu’ils manifestent le même respect pour ceux qui ne sont pas du même avis[64] ».

À Matignon, Charest s’entretient avec François Fillon sur le projet de libre-échange entre le Canada et l’Europe, et sur l’avancée des discussions sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. Le premier ministre est ensuite invité au Sénat pour échanger avec les associations parlementaires d’amitié France-Québec, et il prononce un discours devant la Chambre de commerce et d’industrie de Paris pour inaugurer le Salon de l’entrepreneur, dont le Québec est l’invité d’honneur[65].

L’appui de la France pour la Conférence sur le climat de Copenhague

Si les propos du président Sarkozy confirment un changement de ton et une volonté affichée de faire la promotion de l’unité canadienne, il n’en reste pas moins que le gouvernement Charest va pouvoir compter sur le soutien du premier ministre François Fillon dans le bras de fer engagé avec Ottawa au sujet de la participation du Québec aux conférences sur l’environnement. En effet, si le premier ministre Harper a manifesté des gestes d’ouverture à l’égard du Québec, en reconnaissant l’existence d’une nation québécoise au sein du Canada et en permettant l’inclusion d’un fonctionnaire québécois dans la délégation canadienne à l’UNESCO, celui-ci s’oppose farouchement en 2006 à la participation des provinces à la Conférence de Nairobi sur le climat[66]. En 2009, dans les mois précédant la Conférence de Copenhague sur le climat, Harper réitère ainsi son refus que le Québec ou d’autres entités, comme la Californie, soient reconnus comme des interlocuteurs de premier plan lors de cette rencontre[67].

Face à l’impasse imposée par le gouvernement fédéral, Charest bénéficie du soutien diplomatique de la France. Le 1er juillet 2009, le premier ministre est reçu à Matignon par Fillon, lequel déclare : « Le Québec a une très grande expérience en matière environnementale et de lutte contre le réchauffement climatique. Nous pensons que cette expérience du Québec doit être utile à la communauté internationale et qu’elle doit pouvoir se faire entendre dans le cadre de la négociation de Copenhague[68] ».

L’élargissement de l’Entente sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et la promotion du Plan Nord

Dans les mois suivants, les travaux sur la reconnaissance des qualifications professionnelles s’imposent comme la priorité du premier ministre Charest. En janvier 2010, ce dernier fixe un calendrier ambitieux pour arriver à la signature d’une centaine d’arrangements avant novembre, date de la prochaine rencontre alternée des premiers ministres[69].

À la fin juin, Charest effectue une mission dans l’Hexagone. Il est reçu par Sarkozy et procède avec François Fillon à la signature de trois nouveaux arrangements de reconnaissance mutuelle s’ajoutant à la cinquantaine déjà conclus entre les ordres professionnels et les corps de métiers français et québécois. Désirant rappeler l’importance de ce dossier, Charest affirme que « si on veut arriver au bout de notre projet, il faut continuer à mettre beaucoup de pression, s’assurer que, au plan politique et au plus haut niveau politique, tout le monde sache que ce projet-là doit se réaliser[70] ».

Les discussions avec Fillon portent également sur les négociations du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne afin, notamment, de préparer le sommet prévu du 14 au 16 juillet au Canada. Le contexte des négociations avait désormais changé puisque Bruxelles exigeait la participation des provinces canadiennes, du fait que la rencontre allait traiter de l’ouverture de leurs marchés publics[71].

De retour à Paris en novembre 2010 pour participer à la 16e rencontre alternée des premiers ministres, Jean Charest retrouve François Fillon. Après des discussions sur la préparation du 50e anniversaire de la Délégation du Québec à Paris, ils signent dix nouveaux arrangements et sept engagements en matière de reconnaissance des acquis professionnels. Voulant faire de ces accords un modèle, Fillon affirme : « Il faut maintenant qu’Européens et Canadiens regardent ce que nous, Français et Québécois, avons fait pour l’étendre à l’ensemble de l’Union européenne et du Canada[72] ». Les deux gouvernements s’entendent aussi pour demander une exemption en matière de culture dans les accords commerciaux : « Nous voulons que l’entente Canada-Europe, déclare Charest, soit très claire sur la capacité des États à soutenir leur secteur culturel ». En appui à son homologue, Fillon conclut : « Nous défendons l’exception culturelle avec la même force et nous allons la défendre dans le cadre de la négociation entre l’Union européenne et le Canada[73] ».

Une autre priorité de Charest est la promotion du Plan Nord, visant à développer des ressources économiques dans le Grand Nord québécois. Alors que Fillon avait fait valoir la possibilité d’un déplacement au Québec au cours de l’été 2011, il doit annuler son séjour, faute d’avoir « réussi à arrêter des dates qui march [ent] pour lui et pour nous[74] », justifiera Jean Charest. En septembre, le ministre de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique, Éric Besson, effectue une visite officielle et se rend dans la région de la Baie James, accompagné par 14 représentants de grandes entreprises, telles Vinci, Veolia, Alstom, EDF et GDF-Suez[75].

Le 3 octobre 2011, Jean Charest entame un voyage de quatre jours à Paris. Célébrant le 50e anniversaire de la Délégation générale avec plus de 400 personnes, Charest rend hommage aux pionniers des relations franco-québécoises, comme Paul Gérin-Lajoie. Au cours de ce séjour, le premier ministre Fillon affirme que

l’ampleur de nos liens actuels est une force qui ne demande qu’à s’accroître. Elle repose naturellement sur les Français qui vivent au Québec et sur les Québécois qui vivent en France. Ces échanges sont pour nos deux sociétés un atout qu’il faut consolider en favorisant l’établissement d’un espace transatlantique de mobilité de la main-d’oeuvre […]. C’est ainsi, il existe, entre les Québécois et les Français, des liens charnels, des liens existentiels. Chacun de nos deux peuples se sent intimement concerné par le destin de l’autre[76].

Plusieurs rencontres sont consacrées à la promotion du Plan Nord. Le 5 octobre, Charest et Fillon annoncent une série d’initiatives dans les domaines des énergies renouvelables, notamment les énergies marines, de la gestion durable des mines et des forêts et de la recherche scientifique. Une unité de recherche est constituée entre le Centre d’études nordiques de l’Université Laval et le Centre national de recherche scientifique de France, pour se consacrer à la recherche nordique, particulièrement en ce qui a trait au fonctionnement des géosystèmes et des écosystèmes. Outre la volonté d’établir des maillages entre les entreprises, il est prévu de faire la promotion du tourisme durable et de la culture nordique québécoise en France[77]. Charest se rend également au siège de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour présenter le Plan Nord aux ambassadeurs des pays membres et aux hauts fonctionnaires de l’organisation. Enfin, Charest et Abdou Diouf annoncent la tenue dans la Vieille-Capitale d’un grand Forum international sur la langue française qui sera organisé pendant le Festival d’été de Québec de 2012.

En mars 2012, Jean Charest effectue sa dernière visite dans l’Hexagone. En raison de la campagne présidentielle, aucun rendez-vous politique n’est fixé à l’agenda[78]. La priorité de ce séjour est la rencontre avec Abdou Diouf afin de préparer le Forum mondial de la langue française ainsi que le 14e Sommet de la Francophonie, prévu en octobre 2012 à Kinshasa[79].

Conclusion

Très actif en matière de relations internationales, le premier ministre Jean Charest a, pendant presque une décennie à la tête du gouvernement québécois, contribué à resserrer les liens politiques et la coopération avec la France. À ce titre, constate l’ancien ministre des Relations internationales, Sylvain Simard, Charest « s’est inscrit dans la lignée de tous les grands premiers ministres du Québec : il a approfondi cette relation, et je pense, là-dessus, que nous pouvons en être fiers[80] ».

Il faut dire que le chef du gouvernement libéral n’a pas ménagé ses efforts : à travers les rencontres alternées des premiers ministres et ses différents séjours et missions en Europe, Charest a multiplié les voyages dans l’Hexagone, quinze au total, faisant de la France sa première destination à l’étranger. Si l’on ajoute à cela la vingtaine de visites ministérielles par année et l’ensemble des activités liées aux célébrations du 400e anniversaire de Québec, cette période a indubitablement marqué un raffermissement des liens politiques avec la France, tout en donnant des résultats plutôt probants.

Au cours des premières années, Jean Charest et Jean-Pierre Raffarin ont formé un tandem particulièrement dynamique. En 2003, les deux hommes profitent de l’incident protocolaire qui entoure la visite du premier ministre français pour affirmer leur volonté de préserver le dispositif particulier des relations franco-québécoises. Sous leur gouverne, les échanges bilatéraux s’intensifient : aux initiatives amorcées sous le gouvernement de Bernard Landry, comme la régionalisation de la coopération, se greffent de nouveaux projets. En 2004, l’organisation d’une mission économique commune au Mexique constitue un précédent pour le premier ministre Charest qui est reçu par la présidence mexicaine, provoquant un malaise à Ottawa.

L’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 aurait pu marquer un tournant. Comme nous l’avons démontré, les relations franco-québécoises se poursuivent au même rythme et, pendant que le président français livre ses critiques les plus virulentes à l’égard du projet de souveraineté, le premier ministre Fillon soutient la participation du Québec au Sommet de Copenhague.

Parmi les principaux legs de cette période figure l’Entente sur la reconnaissance mutuelle des qualifications. Depuis 2008, près d’une centaine d’arrangements de reconnaissance mutuelle (ARM) sont entrés en vigueur. Plus de 5000 personnes – dans 90 % des cas, des Français qui reçoivent leur permis de travail au Québec – ont ainsi pu se prévaloir de ces ententes pour accéder plus facilement à l’exercice de leur métier ou profession outre-Atlantique. Parmi elles, plus de mille infirmières et infirmiers sont venus de l’Hexagone pour s’installer au Québec entre 2008 et 2015. Le rythme s’est même accéléré au cours des dernières années, puisque la moitié des 800 permis délivrés par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) à des diplômés hors Québec en 2021 s’adresse à des Français[81]. Alors que l’embauche de personnel infirmier, dans un système de santé malmené par la pandémie, fait aujourd’hui partie des priorités du gouvernement québécois, cet exemple démontre l’intérêt de la coopération bilatérale.

À l’initiative de Jean Charest, les deux gouvernements ont également joué un rôle de pionnier dans les discussions pour la conclusion d’un accord entre le Canada et l’Union européenne, la plus importante négociation commerciale depuis la signature de l’ALENA par Brian Mulroney. Fidèles à leur engagement en matière de promotion de la diversité des expressions culturelles, la France et le Québec ont défendu l’intégration de clauses préservant la capacité des États à soutenir leur secteur culturel au sein de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne.

Certes, ce bilan comporte des zones d’ombre. Après la mission économique franco-québécoise au Mexique, les gouvernements ont affirmé à plusieurs occasions, notamment lors de la rencontre entre Charest et de Villepin en 2006, leur volonté de réitérer l’expérience, dans des pays d’Europe de l’Est. Cette mission n’a jamais eu lieu. Les budgets consacrés à la coopération bilatérale n’ont pas bénéficié de réinvestissements conséquents. En 2011, l’ancienne ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin, regrettait « que le Québec ne soit jamais parvenu à convaincre la France de vraiment défendre le statut du français dans le monde[82] ». Malgré ces limites, il convient toutefois de conclure que le premier ministre Charest a contribué à intensifier les relations avec la France et à étoffer le dispositif de la coopération bilatérale.

Face au gouvernement fédéral de Stephen Harper, Jean Charest, un fédéraliste convaincu – au point de se lancer en mars 2022 dans la course à la chefferie du Parti conservateur du Canada –, n’a pas hésité à faire entendre une voix discordante sur la scène internationale pour défendre les intérêts du Québec. Et comme le démontrent la mission conjointe au Mexique en 2004 et la prise de position de Fillon avant le Sommet de Copenhague, l’Hexagone a soutenu les prétentions internationales du gouvernement québécois.

Comme on peut le constater, les critiques de Nicolas Sarkozy à l’encontre du projet souverainiste – critiques motivées tant sur le plan personnel par son amitié pour la famille Desmarais que sur le plan politique par la volonté de ne pas s’aliéner inutilement l’opinion publique canadienne – n’ont finalement pas porté ombrage aux relations franco-québécoises. Son successeur à l’Élysée, le socialiste François Hollande, reprendra rapidement à son compte la politique de non-ingérence et de non-indifférence à l’égard du Québec. En octobre 2012, lors d’une rencontre avec la première ministre Pauline Marois, Hollande déclarait ainsi : « Ça fait 30 ans que cette formule existe. Elle a été portée par tous les gouvernements successivement. Cette formule prévaut encore aujourd’hui[83] ».

En mars 2015, François Hollande prenait officiellement position pour soutenir la présence du Québec aux travaux de la COP 21, organisée en novembre à Paris. À l’occasion d’un entretien avec le premier ministre Philippe Couillard, à l’Élysée, il affirma que le Québec, fort de sa politique originale et « très avant-gardiste » en matière de transition énergétique, devait pouvoir « s’exprimer [et] faire entendre sa voix » lors de la COP 21, concluant que « tout ce que dira le Québec ira dans le sens des intérêts de la France et du monde[84] ». Le soutien affiché par le président français démontre encore une fois que les liens tissés avec la France depuis 60 ans demeurent le plus solide appui au rayonnement du Québec sur la scène internationale.