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Dire que les mémoires présidentiels de Barack Obama, cet homme symbole d’espoir et de renouveau pour toute une génération de jeunes et de moins jeunes aux États-Unis (et à travers le monde), étaient très attendus ne suffit pas pour rendre justice à l’importance que revêt la publication de ce qui doit être le premier tome de deux volumes prévus. Ce premier opus de près de 850 pages, qui retrace ses premiers pas dans le « political solar system of Washington[1] » jusqu’à une rencontre au Kentucky avec l’escouade d’élite (SEAL team) qui a abattu Oussama bin Laden en 2011 (un bien curieux point de rupture, il convient de le noter), débute par une préface rédigée en août 2020 dans laquelle l’ex-président aborde sans grande surprise la situation de la pandémie de la COVID-19. En plus de réitérer sa confiance envers le peuple américain et sa démocratie à l’aube d’une élection qu’il juge déterminante pour le futur du pays de l’Oncle Sam, il est évidemment conscient que celle-ci attirera tous les regards : « Le monde observe donc l’Amérique – la seule grande puissance de l’Histoire à être constituée de personnes venues des quatre coins de la planète, comprenant toutes les races, religions et pratiques culturelles – pour voir si notre expérience en matière de démocratie peut fonctionner » (p. 14). Force est de constater que les souhaits d’Obama, malgré les événements « historiques » (dans tout sauf le sens galvaudé du mot) regrettables ayant eu lieu au Capitole en janvier 2021, ont finalement été exaucés par l’accession à la fonction de chef de l’exécutif de celui qu’il nomme simplement « Joe » tout au long de son récit, son ancien vice-président et fidèle acolyte Joseph Robinette Biden.

Connu pour ses talents d’orateur hors pair qui ont fait revivre le slogan « Change » (un mot-clé emprunté à d’autres locataires antérieurs de la Maison-Blanche tels que Jimmy Carter ou Bill Clinton[2], notamment) et qui ont galvanisé des foules monstres lors de ses populaires rallyes électoraux, la plume de l’ex-président américain se veut tout aussi impressionnante que ses discours, avec un vocabulaire vivant et une fluidité remarquable, le tout malgré l’obstacle de la traduction brillamment menée par Pierre Demarty, Charles Recoursé et Nicolas Richard, qui a comme principale qualité d’éviter de dénaturer ou édulcorer les propos tenus. D’ailleurs, bien que ses mémoires se veulent d’abord et avant tout un retour sur son parcours politique l’ayant mené à être le premier Afro-Américain à occuper la plus haute fonction exécutive aux États-Unis, curieusement, ce sont les divers questionnements sur ses propres motivations qui jalonnent son récit et les descriptions des rares moments passés en famille durant sa présidence qui volent la vedette ; sa relation de partenaires politiques inséparables avec Hillary Clinton, les souvenirs nostalgiques avec ses deux filles Malia et Sasha, la difficulté de voir sa propre mère, Ann Dunham, décédée en 1995, être terrassée par l’insidieuse maladie qu’est le cancer, la célèbre « bromance » avec Joe, et bien évidemment sa relation fusionnelle avec la première dame des États-Unis, Michelle Obama, « l’amour et la femme de sa vie » (voir la dédicace). Une véritable introspection de l’homme est menée dans cet ouvrage où le regard critique envers sa propre carrière et son ambition, qu’il qualifie de « suspecte », a de quoi surprendre.

En contraste avec les mémoires d’un personnage comme Richard Nixon qui étaient particulièrement acerbes, les mémoires d’Obama n’écorchent que très peu les consciences et les personnages ; autrement dit, aucune révélation nucléaire n’est au rendez-vous. Adepte du « politically correct » durant ses deux mandats présidentiels, une tendance qui a donné naissance à l’expression « faire un Obama » de la part des journalistes et commentateurs politiques américains, il poursuit dans la même lignée en abordant des sujets en cherchant constamment à ne pas déplaire et à explorer toutes les interprétations possibles pour un sujet donné. Si les politologues ou le grand public raffolent respectivement des mémoires comme ceux de Nixon, incendiaires, ou ceux d’Obama, empreints d’humanité, les historien.ne.s restent bien souvent en appétit alors que la recette traditionnelle de ces autobiographies demeure essentiellement toujours la même : des « faux pas » bien souvent à demi avoués et des informations souvent circonstancielles qui ne contribuent que très peu à une meilleure compréhension des événements ou des jalons importants d’un mandat présidentiel. Ce n’est qu’au fil des années que les historien.ne.s arrivent à en apprendre plus au gré de la mise en disponibilité des documents officiels, un processus particulièrement bien ficelé qui vise notamment à assurer la pérennité de la sécurité nationale du pays de l’Oncle Sam.

Cette tendance à vouloir s’élever au-dessus des débats et de donner le bénéfice du doute à toutes celles et tous ceux qui ont pu être en désaccord avec ses actions et ses politiques durant son séjour à la Maison-Blanche n’est rien de moins que déroutante. À titre d’exemple, comment peut-il pardonner à l’opposition républicaine d’avoir totalement écarté les projets de loi au Congrès à cause du simple fait qu’ils étaient associés à lui ? Comment des attaques des Républicains, qui étaient concentrées au départ sur le fameux Affordable Care Act (mieux connu sous le nom d’Obamacare) et qui ont été réorientées sur sa personne vertement démonisée par l’aile droite affiliée au Tea Party du Parti républicain, n’ont-elles pu susciter qu’une réaction toute en retenue et dépourvue d’émotion de la part de l’ancien président démocrate ? Pire encore : la question des incidents à caractère racial. Ayant pourtant fait l’objet de virulentes attaques de la part des Républicains qui l’accusaient de ne pas être un « vrai Américain[3] », ce qui a ultimement mené à la publication de son certificat de naissance dans les médias américains, Barack Obama commente divers incidents raciaux avec une désinvolture notable. À preuve, et pour n’en nommer qu’un seul, l’incident impliquant l’historien, professeur et grand spécialiste noir des African-American Studies de l’Université Harvard Henry Louis Gates Jr, arrêté par un policier blanc le 16 juillet 2009 pour avoir, selon les témoins locaux, tenté d’entrer par effraction dans ce qui s’avérait être son propre domicile, une arrestation qui a engendré une polémique nationale sur la notion de profilage racial. La désinvolture de l’ancien président démocrate s’observe par sa volonté d’affirmer qu’il s’agissait d’un événement qui a simplement dégénéré et qu’autant le policier avait exagéré en procédant à l’arrestation de Gates, autant ce dernier avait réagi de façon démesurée à l’arrivée des forces de l’ordre à son domicile. Encore une fois, le langage « politically correct » d’Obama refait surface, comme s’il était désormais conscient, une décennie après les événements relatés, que la personne qui lira son ouvrage risque d’être piquée au vif par une éventuelle prise de position plus virulente de sa part. Peut-être est-ce parce que les paroles acerbes[4] qu’il avait prononcées le 22 juillet 2009 après avoir été informé par les sondages internes réalisés pour le compte de la Maison-Blanche – comme il le confirme dans ses mémoires – que l’histoire du Pr Gates avait provoqué la plus grande chute des appuis chez les électeurs américains blancs durant ses deux mandats présidentiels.

Nonobstant ces éléments qui font assurément réagir tout observateur aguerri de l’arène politique américaine, la lecture des mémoires d’Obama propose un voyage intéressant à travers la vie de cet homme qui a su redonner de l’espoir au peuple américain après la crise financière de 2008. C’est justement pour cette dose d’humanité et pour les anecdotes personnelles relatées par l’ancien président américain que l’ouvrage revêt un intérêt certain. Toutefois, il est encore trop tôt pour définir la place que prendront ces mémoires dans l’historiographie des chefs de l’exécutif américains ; la publication du deuxième tome, prévue pour 2022, aura tôt fait de nous donner de plus amples éléments de réponse…