Hors-dossierRecensions

Mary Anne Poutanen, Une histoire sociale de la prostitution. Montréal, 1800-1850, Traduit de l’anglais par Hélène Paré, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2020, 496 p.[Notice]

  • Julie Francoeur

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  • Julie Francoeur
    Candidate au doctorat en histoire, Université Laval

Malgré quelques publications sur les femmes de lettres ou sur la sociabilité de certaines figures bourgeoises emblématiques comme Julie Bruneau- Papineau, l’histoire des femmes au Québec manque cruellement d’études sur les milieux populaires ou sur les femmes marginalisées au début du XIXe siècle. Cette traduction par Hélène Paré de Beyond Brutal Passions : Prostitution in Early Nineteenth-Century Montreal, étude tirée de la thèse de doctorat de l’autrice, Mary Anne Poutanen, parue en 2020, contribue à combler ce silence historiographique. L’approche sociale mettant l’accent sur les expériences quotidiennes des présumées prostituées est privilégiée par l’autrice pour traiter de l’histoire du commerce sexuel. Poutanen espère détacher son étude des tendances historiographiques assez dominantes jusqu’à présent dans l’histoire de la prostitution, développant pour leur part l’analyse des valeurs bourgeoises à l’origine de la construction idéologique du phénomène et de la conception politique de la répression de la prostitution. Poutanen s’intéresse aux femmes qui ont pratiqué la prostitution comme métier ou à l’occasion – selon leurs besoins économiques –, à leurs modèles de sociabilité, à leur place dans le tissu humain urbain, à leurs recours juridiques, à leurs résistances face à l’imposition d’un certain modèle sexuel et à leur place dans les archives, entre autres. L’autrice insiste sur le fait que les femmes au coeur de cette étude ont prétendument pratiqué le commerce sexuel à un moment ou un autre de leur vie. Le fait qu’elles aient été identifiées comme « prostituées » dans les archives judiciaires du XIXe siècle ne veut pas dire qu’elles s’identifient elles-mêmes comme telles ni qu’elles ont véritablement pratiqué ce métier de manière permanente ou temporaire. Nous apporterons aussi cette nuance dans ce compte rendu en les désignant comme « prétendues prostituées ». Dans cette étude qui allie analyses qualitatives et quantitatives – de nombreux tableaux statistiques facilitent la présentation d’importantes données sociodémographiques – plusieurs exemples illustrent l’expérience individuelle des femmes ayant pratiqué différentes formes de prostitution. Cette perspective permet d’insister sur l’agentivité de ces femmes – soit leur pouvoir d’action – et témoigne d’une rigoureuse recherche en archives. Il est en effet très difficile de suivre des femmes de classes populaires à la trace et de relever leurs expériences quotidiennes. Pour ce faire, Poutanen s’est entre autres appuyée sur plusieurs types de documents judiciaires montréalais produits entre 1810 et 1842 (Cour des sessions trimestrielles de la paix, Cour des petites sessions et Tribunal de la police), les registres de police, les rapports du coroner, les recensements, les registres paroissiaux et les journaux de l’époque. Afin de reconstituer le parcours de vie des présumées travailleuses du sexe sur lesquelles l’autrice s’est penchée, la prise en compte des limites de ces types de documents est omniprésente dans son analyse (contextes, objectifs, rapports de genre et de pouvoir dans la production de ceux-ci). L’ouvrage est séparé en deux grandes parties, la première explorant les lieux de travail des présumées prostituées montréalaises entre 1800 et 1850 et la deuxième portant sur les modes de régulation formelles et informelles de la prostitution à cette époque. La première partie, intitulée « Les prostituées, tenancières et tenanciers de bordel et leurs lieux de travail », comporte trois chapitres analysant la géographie urbaine de la prostitution. Les lieux de prostitution s’inscrivent dans l’espace urbain plus général, mais sont surtout concentrés dans certains quartiers, sans être circonscrits dans des espaces isolés. Le fait que la prostitution de rue et en maison s’intègre dans le tissu urbain amène inévitablement des relations de voisinage de plus en plus conflictuelles au milieu du XIXe siècle à cause de la densification de la population montréalaise. Les bordels …