Résumés
Résumé
Bien que le système français de tenure seigneuriale au Québec ait mérité une attention toute particulière des historiens, l'histoire de la tenure anglaise de « franc et commun socage », introduite en 1774 et qui règne même aujourd'hui dans la zone dite des Cantons de l'Est, n'est pas moins singulière. Est-ce que dans l'Acte de Québec, après avoir établi à l'article 8 l'ancien droit français, on a voulu introduire tout le système anglais du droit des biens lorsqu'on a mentionné, à son article 9, que la concession des terres pourrait se faire selon la tenure anglaise ? Ou au contraire a-t-on voulu tout simplement exclure lapplication des incidents de la tenure française en faisant appel à l'équivalent anglais d'une tenure libre ? L'Acte constitutionnel de 1971 n'a pas résolu cette question, confiant cependant à la législature locale le soin d'adapter la tenure anglaise dans sa « nature » et dans ses « conséquences » aux conditions locales.
Les autorités britanniques ont, semble-t-il, opté pour la première interprétation, puisqu'en 1825 une loi impériale édictait que le droit anglais des biens s’appliqueraient dans les cantons. La réaction locale, sous la forme de législation, en 1829, révèle l'équivoque ressentie par la population locale: après avoir validé pour le passé les transactions accomplies selon les formes françaises, la loi de 1829 établit pro futuro la validité des transactions immobilières selon les règles anglaises ou les formes françaises. Ce mélange de règles de fond et de forme anglaises et françaises — une véritable coexistence de systèmes juridiques sur un même territoire — semble avoir semé la confusion chez les justiciables et les hommes de loi durant les 25 années suivantes. Même dans le cas où la loi anglaise de 1825 a établi le droit anglais pour l'avenir, a-t-elle voulu déclarer aussi que le droit anglais existait dans le territoire québécois depuis 1774 ? Voilà une thèse qui pourrait se défendre d'après le sens grammatical de cette loi ainsi que celle de 1829.
On semblait indécis au Québec sur cette question avant les décisions célèbres des années 1850 dans les arrêts Stuart v. Bowman et Wilcox v. Ce dernier a décidé enfin que le droit anglais des biens n'a pas pu être introduit dans les cantons avant 1825 et que toute interprétation contraire frise l'absurdité. Le jugement du juge en chef Lafontaine, aussi acceptable qu'il soit sur le plan politique, ne semble pas toutefois s'accorder avec le sens littéral des lois en question. Mais enfin que pouvait-on faire ? Une loi de 1857 de l'Assemblée législative a finalement opté pour l'application de lois canadiennes dans tout le territoire québécois et cette solution, après l'abolition de la tenure française en 1854, semble avoir été acceptée par ces mêmes milieux qui, dans les années précédentes, ont été agités par la question. L'uniformité de notre droit commun ayant été établie sur le sol québécois, la perspective d'une codification à la française s'ouvrait et devint réalité, comme on le sait, quelques années plus tard.