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Le droit français a récemment connu une réforme à la fois attendue dans son principe et précipitée dans sa mise en oeuvre : la Loi no 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite loi J21[1], prévoit depuis le 1er janvier 2017 une nouvelle forme de divorce, excluant tout recours au juge. Il faut préciser que cette loi date du 18 novembre 2016, mais que le décret d’application n’est paru que le 28 décembre[2], soit seulement trois jours avant l’entrée en vigueur de cette dernière ! Une circulaire[3] devait encore apporter diverses précisions, postérieurement, le 26 janvier 2017… Une telle rapidité a été justifiée par la récurrence du débat et des propositions en la matière, et plus généralement en faveur d’une déjudiciarisation de la matière civile[4]. Recentrer le juge sur ses missions essentielles, sur le coeur de son métier, supposerait en effet de le décharger des affaires ne présentant pas le caractère d’un conflit, qu’il serait légitime à trancher. Lorsque les époux sont d’accord, tant sur le principe du divorce que sur ses effets, l’intervention d’un magistrat peut ainsi sembler inutile, voire intrusive. La déjudiciarisation s’appuie ici sur la contractualisation[5], à savoir la « tendance du droit à accorder une portée accrue aux accords entre époux[6] » ou, plus largement, au sein d’une famille. Et, de fait, « [l]a contractualisation des liens de couple est une tendance lourde de l’évolution législative récente. Elle correspond à une aspiration des individus à plus de liberté dans la définition et l’organisation de leurs relations familiales[7] ». L’irruption du pacte civil de solidarité (pacs[8]) dans le paysage juridique français, en 1999, a contribué à ce développement dans le champ personnel, avec l’appui du Conseil constitutionnel, qui a confirmé sa nature de « contrat spécifique[9] ». Autre exemple de déjudiciarisation, celle du changement de régime matrimonial — assortie d’exceptions — depuis la Loi no 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités[10]. La pratique souligne également le développement des conventions de concubinage et des plans parentaux[11]. Cependant, cette déjudiciarisation prend un sens particulier lorsqu’elle s’applique à la séparation d’un couple : conclure un pacs ou un contrat de mariage ou encore décider ensemble de changer de régime matrimonial, constituent des situations bien différentes de l’hypothèse d’une séparation, aussi consensuelle puisse-t-elle apparaître. Or, le caractère privé de la rupture signait précisément la frontière entre mariage et autres formes de couple ; l’irruption du divorce extrajudiciaire dans le droit français marque ainsi une évolution remarquable, une réforme qui mérite une réflexion plus globale sur le sens à donner à cette contractualisation des ruptures familiales.

Il faut souligner la transition que constitue souvent la technique de l’homologation, entre judiciarisation et contractualisation. Définie comme une « [a]pprobation judiciaire à laquelle la loi subordonne certains actes et qui, supposant du juge un contrôle de légalité et souvent un contrôle d’opportunité, confère à l’acte homologué la force exécutoire d’une décision de justice[12] », l’homologation relève de la juridiction gracieuse. Rappelons que la matière gracieuse se caractérise par deux éléments : l’absence de litige et la nécessité d’un contrôle judiciaire (article 25 du Code de procédure civile). Du point de vue de la politique judiciaire, l’homologation présente l’avantage d’alléger la tâche du magistrat. Elle offre aussi un avantage financier pour les parties, puisque la représentation par avocat ne sera pas systématiquement obligatoire, comme le prévoit l’article 1139 du Code de procédure civile en matière familiale hors divorce judiciaire[13]. L’homologation, contrairement à un simple enregistrement (notamment par une autorité administrative ou encore par le notaire, comme dans le nouveau divorce par consentement mutuel), procure l’avantage de maintenir un contrôle, même restreint, du juge. Dans chaque hypothèse, la loi vient encadrer et graduer ce contrôle, confiant une mission particulière au juge, une double mission. Le juge doit, dans un premier temps, apprécier le libre consentement des parties à la convention ; le législateur a en effet considéré que ce libre consentement, présumé en droit des contrats, devait être spécialement protégé en matière familiale, ainsi soupçonnée de pouvoir receler une inégalité dans le rapport de force entre les parties. Dans un second temps, le juge vérifie que la convention respecte un intérêt spécifique : intérêt de l’enfant dans les conventions parentales, intérêt des enfants et de l’un des époux dans l’ancien divorce par consentement mutuel[14], intérêt de la famille dans le changement de régime matrimonial. L’exemple du changement de régime matrimonial[15] est particulièrement intéressant, en ce qu’il constitue une illustration pertinente du mouvement de contractualisation : on est passé de l’immutabilité du régime matrimonial à sa mutabilité sous contrôle du juge (en 1965), puis avec un contrôle du juge limité à des cas particuliers (en 2006)[16].

Or, la jurisprudence a montré les risques du passage de l’homologation à la contractualisation. Dans un arrêt de la 1re Chambre civile de la Cour de cassation en date du 29 mai 2013[17], les conjoints, sans enfants mineurs, avaient modifié leur régime dans un sens exclusivement favorable à l’épouse : cette dernière a demandé le divorce presque immédiatement après… Le mari pouvait-il contester en justice le changement de régime matrimonial, en faisant valoir que ledit changement ne respectait pas l’intérêt de la famille ? La Cour de cassation a répondu par la négative : dans la mesure où l’homologation n’est plus obligatoire, les seuls juges de cet intérêt, que le changement de régime doit toujours, en vertu de la loi, respecter, sont désormais les époux eux-mêmes. Ne restent donc que les voies contractuelles de droit commun, parmi lesquelles la haute juridiction ne cite d’ailleurs que la fraude ou le dol[18]. Jean Hauser soulignait alors à juste titre cette « conventionnalisation rampante de la justice remise entre les mains du plus fort[19] ».

En conséquence, la contractualisation est-elle une fausse bonne idée ? La question mérite réflexion. Elle apparaît certainement comme un objectif en phase avec les aspirations contemporaines, aussi bien des individus que de la collectivité (partie 1). Pour autant, ses effets restent difficiles à juguler (partie 2), le doute persistant sur l’adaptation du modèle contractuel au droit de la famille, spécialement en cas de séparation du couple : la désunion affective s’accompagnera souvent d’une opposition des volontés individuelles.

1 Un objectif en phase avec les aspirations contemporaines

Nous nous interrogerons dans notre texte sur la légitimité de ce mouvement de réforme qui prend comme vecteur la contractualisation de situations jusqu’alors largement placées sous le contrôle du juge. D’un point de vue philosophique, la figure du contrat évoque celle de la liberté individuelle, qui permet à la fois l’autodétermination des individus et l’individualisation des solutions (1.1). Cette liberté remet les individus en situation d’assumer la responsabilité de leur séparation, de ses conséquences, et de jeter ainsi les bases d’une relation pacifiée (1.2). Le bénéfice sociétal attendu, qui découle de ces objectifs individuels à court et à long terme, réside dans la rationalisation d’une part importante du contentieux civil[20] : déjudiciariser devrait permettre un gain de temps pour chacun, au-delà des individus directement visés, et qu’une économie de fonds publics (1.3).

1.1 L’autodétermination et l’individualisation

Le contrat permet aux individus de s’affranchir d’un cadre légal conçu de façon générale et relativement figée ; la première vertu de la contractualisation est ainsi l’individualisation des situations. Le modèle contractuel met en évidence l’autonomie de chacun, voire son existence, au sein même du couple ou de la famille. En cela, il découle à l’évidence de l’évolution de la place de la femme[21] et, dans une moindre mesure, de l’enfant.

Les individus adhèrent globalement à cette nouvelle orientation, qui les libère au moins en partie du regard de l’État sur leur organisation familiale. En témoigne le succès inattendu du pacs : conçu particulièrement pour accorder aux couples de même sexe un statut protecteur, avant que la loi leur ouvre l’accès au mariage[22], il s’est rapidement taillé un franc succès auprès des couples hétérosexuels[23]. L’une des raisons est précisément la facilité de rupture du pacs, qui se révèle d’ailleurs majoritairement décidée d’un commun accord[24]. Les couples mariés optent aussi en majorité pour le divorce par consentement mutuel, même avant la réforme récente.

La privatisation du divorce par consentement mutuel — au sens de l’exclusion du juge, donc de l’État, du processus — se situe dans le prolongement d’un mouvement déjà ancien de libéralisation du divorce, placé sous le signe de la contractualisation.

En droit commun, le contrat peut se trouver résolu d’un commun accord[25]. Il peut l’être également de façon unilatérale lorsque ce contrat est à durée indéterminée[26], comme c’est le cas des relations de couple : soit en prévoyant un délai raisonnable, soit pour venir sanctionner une inexécution suffisamment grave[27]. Autre possibilité, la résolution judiciaire pour inexécution, qui requiert l’intervention et l’appréciation du juge[28].

Le rétablissement, dès la Loi no 14-485 du 27 juill. 1884 sur le divorce, dite loi Naquet[29], du divorce pour faute (divorce-sanction) correspond déjà à une résolution judiciaire pour inexécution, puisque le juge doit, comme en matière contractuelle, caractériser la gravité des atteintes aux obligations des parties pour apprécier leur impact sur le maintien ou non de la relation : comme en droit des contrats, toute faute n’est pas automatiquement cause de divorce[30].

Les réformes plus récentes sont venues renforcer ce rapprochement du régime des contrats, y compris avec la résiliation unilatérale du contrat à durée indéterminée, libéralisée entre époux par la Loi no 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce[31]. Ne reste plus, pour résilier unilatéralement un mariage, qu’une condition de délai très abrégée : le divorce peut être prononcé à la demande unilatérale de l’un des époux, sans qu’il ait à formuler le moindre reproche à l’autre, sur le seul constat d’une vie séparée depuis deux ans[32]. Ainsi, aucun époux ne peut aujourd’hui contraindre l’autre à rester dans le lien matrimonial : la loi du 26 mai 2004 a supprimé la clause de dureté de l’ancien divorce pour rupture de la vie commune, dernier bastion du dogme de l’indissolubilité du mariage ; les entraves indirectes à ce cas de divorce ont également disparu, notamment le maintien du devoir de secours.

Enfin, le divorce par consentement mutuel se rapproche toujours davantage du mutuus dissensus d’un contrat : avant la loi J21, même si le recours au juge restait obligatoire, son intervention était déjà allégée, puisqu’il ne décidait pas lui-même du sort de l’union ni des conséquences de la désunion, sur lesquels les parties devaient s’être entendues pour présenter leur demande. Il pouvait certes refuser l’homologation de cette convention, si elle se révélait contraire à l’intérêt des enfants ou de l’un des époux[33], mais son pouvoir s’arrêtait là ; il n’était pas compétent pour apprécier les raisons de cette désunion ni l’opportunité du prononcé du divorce. Dans ces conditions, l’indisponibilité de l’union matrimoniale, interdisant aux époux de s’entendre sur la désunion, subissait déjà une attaque importante[34].

Dorénavant, les époux qui sont parvenus à un accord tant sur le principe du divorce que sur ses effets échappent à l’emprise du juge et divorcent par une convention contresignée par leurs avocats respectifs, puis déposée au rang des minutes d’un notaire[35]. Le juge est donc totalement absent du processus, avec une exception notable et sur laquelle il nous faudra revenir : l’hypothèse dans laquelle l’un des enfants du couple demanderait à être entendu par le juge[36].

Cette autodétermination dans la séparation et ses conséquences était déjà la règle dans les couples non mariés, qu’ils soient concubins ou même pacsés, et constituait d’ailleurs une différence fondamentale par rapport au mariage. L’élargissement aux couples mariés signe ainsi une évolution considérable, faisant basculer la nature même du mariage. Pour autant, la voie judiciaire n’est jamais fermée, puisque le conflit peut toujours surgir. La contractualisation a également pour objet d’éviter ces litiges ultérieurs, en contribuant à pacifier la relation à plus long terme.

1.2 La pacification des relations

La négociation peut sembler préférable à une décision imposée par l’autorité publique ; la coopération, plus pertinente que la coercition. En tant qu’accord de volontés, le contrat présente également l’avantage d’engager ses auteurs dans la relation telle qu’ils l’ont choisie, et l’on espère ainsi leur meilleure adhésion aux obligations qui en découlent, donc une pacification de la relation[37].

Dans la mesure où les époux ont, jusqu’à récemment, toujours dû passer devant le juge pour divorcer, la question d’une intervention subsidiaire de celui-ci dans la séparation ne s’était jusqu’alors posée que dans les couples de concubins ou de partenaires pacsés. Or, dans ces situations, les questions financières sont numériquement moins importantes, car il n’existe pas de communauté à partager[38] ni de prestation compensatoire[39] à attribuer. Le contentieux porte donc majoritairement sur la situation des enfants : modalités d’exercice de l’autorité parentale — notamment la résidence des enfants — et contribution à leur entretien et à leur éducation[40]. Ces points délicats peuvent influer considérablement sur le bien-être des parents et surtout des enfants : le résultat (lieu de résidence, moyens de subsistance) ou le processus lui-même peut se révéler dévastateur lorsqu’il se transforme en conflit parental aigu et durable. L’accord entre les parents représente à la fois un moyen et une fin : une façon de rétablir le dialogue, afin de continuer à élever sereinement les enfants communs.

Le législateur a pris conscience de l’enjeu et a mis en place des mécanismes pour pacifier les relations familiales. La Loi no 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale[41], qui a généralisé le principe de la coparentalité, a ainsi prévu que les parents pourront organiser les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, y compris les aspects financiers, dans une convention judiciairement homologuée[42]. Le juge n’opère donc ici qu’un contrôle restreint, mais son intervention a pour intérêt de rendre la convention exécutoire. La nature particulière de l’homologation, qui appartient à la matière gracieuse, vient limiter strictement la marge d’action du juge. En effet, il ne peut ni modifier ni compléter l’accord parental : il n’a le choix qu’entre l’homologation « en bloc » ou le refus total d’homologation. Une étude[43] a permis de montrer que le juge aux affaires familiales homologue le plus souvent la convention que lui soumettent les parents. Le magistrat considère généralement que son intervention doit rester subsidiaire, la volonté commune des parents devant primer, en leur qualité de premiers responsables de l’éducation de l’enfant. Par ailleurs, les situations dans lesquelles le consentement d’un parent serait forcé sont difficiles à déceler, d’autant que le juge aux affaires familiales a de moins en moins de temps à consacrer à chaque dossier…

Des plans parentaux extrajudiciaires existent également. Les raisons indiquées par les parents interrogés, pour ne pas recourir au juge, correspondent aux aspirations contemporaines que nous avons dégagées : sortir de l’idée de conflit, permettre l’individualisation et l’évolutivité de la solution, éviter de se soumettre à la décision d’un tiers puisqu’un accord existe. Cependant, l’absence d’homologation ne permet pas de leur donner cette force exécutoire ; tout au plus le plan parental sera-t-il pris en considération par le magistrat, parmi d’autres critères, en cas de conflit porté devant lui[44].

Comment s’insère, dans ce tableau, le nouveau divorce par consentement mutuel extrajudiciaire ? Il fait clairement apparaître une contradiction logique : des époux peuvent désormais divorcer et prévoir dans leur convention les modalités d’exercice de l’autorité parentale sur leurs enfants communs, sans contrôle judiciaire, ladite convention étant exécutoire. D’un autre côté, des parents non mariés (ex-concubins, ex-pacsés) ne peuvent pas se passer de l’homologation judiciaire pour obtenir la même force exécutoire. Quel paradoxe ! Le rapport précité sur les plans parentaux extrajudiciaires, rendu avant la réforme du divorce, préconisait notamment de prévoir un enregistrement desdits accords, qui permette d’accéder à cette force exécutoire[45].

Si l’accord entre les parents, et plus largement au sein de la famille, est évidemment souhaitable et source de pacification de la relation à long terme, il faut aussi souligner ses avantages sur un plan plus large, en fait d’intérêt général. L’exposé des motifs du projet de loi ayant abouti à la loi J21 est très clair sur ce point : « Donner les moyens aux citoyens d’être plus actifs dans la résolution de leurs conflits, c’est favoriser des modes de règlement des conflits reposant sur l’accord de chacun, qui permettent une solution durable, rapide et à moindre coût tout en assurant la sécurité juridique[46]. » Ces objectifs de rapidité et d’économie forment alors la troisième aspiration contemporaine satisfaite par la contractualisation de la séparation.

1.3 La rapidité et l’économie

Les réformes récentes ont été précédées de critiques portant sur la judiciarisation exagérée de la société française, justice désormais considérée comme « un bien de consommation courante[47] ». L’engorgement des tribunaux français est une réalité, qui a des répercussions sur tous : conditions de travail des magistrats et plus largement des membres du personnel judiciaire, allongement des délais d’audiencement qui porte préjudice aux justiciables, risque de baisse de qualité des décisions rendues, etc. Il ne faut surtout pas fermer pudiquement les yeux sur les questions budgétaires…[48] L’exposé des motifs du projet de loi J21 l’exprimait de cette façon : « Les situations les plus simples doivent pouvoir trouver des modes de résolution adaptés, rapides et peu coûteux, pour permettre au juge de consacrer le temps nécessaire aux situations humaines difficiles et aux dossiers techniques complexes[49]. »

Déjudiciariser une partie de la matière civile[50] semble ainsi devenu inévitable. Or, le lien entre contractualisation et déjudiciarisation n’est certes pas exclusif, mais il s’avère fondamental. Lorsque les pouvoirs publics décident de « recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles[51] », donc de leur ôter une partie du contentieux, ils le confient le plus souvent aux parties elles-mêmes. Avec la création du divorce sans juge, c’est potentiellement la moitié des divorces qui sont désormais épargnés aux magistrats : ils pourront dès lors se consacrer aux vrais litiges familiaux, ceux dans lesquels ils sont susceptibles d’apporter une véritable « valeur ajoutée » : divorces contentieux et désaccords parentaux notamment.

Nous souhaiterions cependant apporter deux nuances à ce constat optimiste. Première réserve : si les divorces par consentement mutuel représentent plus de la moitié des situations, ils n’ont jamais occupé le magistrat pour une durée mathématiquement équivalente : ce cas de divorce avait déjà été largement simplifié, notamment il ne nécessitait qu’une seule comparution — pas d’audience de conciliation, à la différence des autres cas de divorce ; le travail était déjà presque entièrement accompli : il est évident qu’une homologation judiciaire ne demandait pas le même investissement qu’un divorce contentieux. Le gain de temps doit donc être relativisé du côté des magistrats. Il doit l’être également du côté des justiciables, car ces derniers devront se montrer plus attentifs et précautionneux, et leurs avocats avec eux, dans la rédaction de cette convention ; soulignons d’ailleurs que les époux ne peuvent plus faire avocat commun, ce qui participera sans doute d’une augmentation du temps passé à négocier et à rédiger la convention.

Cet aspect nous amène à notre seconde réserve : la baisse des coûts est sans doute une réalité en matière de frais de justice (personnel judiciaire, occupation des locaux, etc.). Cependant, elle a pour contrepartie une hausse des coûts pour les justiciables : deux avocats au lieu d’un[52], les honoraires du notaire[53], etc., ce divorce par consentement mutuel leur coûtera potentiellement plus cher.

Allons plus loin. Avec un certain retard, la France s’intéresse aux modes alternatifs de règlement des litiges, en particulier la médiation[54]. L’article 373-2-10 du Code civil issu de la loi du 4 mars 2002 dispose ceci : « À l’effet de faciliter la recherche par les parents d’un exercice consensuel de l’autorité parentale, le juge peut leur proposer une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder[55]. » Le constat n’est cependant pas très optimiste, la médiation familiale peinant à entrer dans les moeurs, même si la pratique fonde des espoirs sur cette technique de résolution des conflits. Plusieurs raisons sont mises en avant : par exemple, défaut de visibilité, confusion entre médiation familiale et thérapie de couple, nécessité d’obtenir l’accord des deux parties[56]. Des expériences de médiation obligatoire ont été menées[57] ; le recul peut sembler encore insuffisant pour en tirer des conclusions éclairées mais en ce domaine, comme en d’autres[58], l’évolution des mentalités pourrait passer par une phase de contrainte légale.

Surtout, faut-il chercher à tout prix à économiser ? Ne devrait-on pas plutôt investir dans cet accompagnement à la contractualisation ? « Le souci de désengorger la justice ne justifie pas n’importe quel abandon. Le fait qu’elle ne fonctionne pas de manière optimale n’est en aucune manière une raison suffisante pour supprimer son intervention, mais justifierait plutôt que l’on lui donne les moyens d’un bon fonctionnement[59]. » L’expérience québécoise, notamment, suggère que la gratuité d’un certain nombre de séances de médiation, renforcée par le constat que la phase contentieuse s’en trouve allégée, y compris financièrement, est déterminante dans l’adhésion des justiciables à ce mode de règlement de leur conflit[60].

Cet accompagnement nous semble d’autant plus important que les effets de la contractualisation sur la matière familiale, en particulier dans le contexte sensible de la séparation du couple, risquent de surprendre à moyen terme. Déjudiciariser le divorce par consentement mutuel, en s’appuyant sur la volonté des parties et leur droit à l’autodétermination, constitue une réforme trop ambitieuse au regard de la précipitation dans laquelle elle s’est déroulée et des moyens proposés en contrepartie de ce dessaisissement du juge. Tel l’arbre qui cache la forêt, le contrat risque bien d’avoir masqué plusieurs effets de cette réforme qui se révéleront ardus à maîtriser.

2 Des effets difficiles à juguler

On peut comprendre le souhait, à la fois des pouvoirs publics et des justiciables, de limiter l’intervention — l’intrusion ? — du juge dans les rapports familiaux ; pour autant, la contractualisation parfaite (dans le sens où elle se suffit à elle-même) n’est pas la panacée que le réformateur suggère. La majeure partie de la doctrine française ainsi que de nombreux praticiens s’inquiètent des répercussions d’une telle évolution. Nous développerons ici trois volets principaux : la résistance de la figure du contrat devant les spécificités du droit familial (2.1) ; le déficit de protection des justiciables les plus vulnérables (2.2) ; et la difficile intégration de ces « contrats familiaux » dans le champ du droit international privé (2.3).

2.1 Une contractualisation contre-nature du droit familial

La contractualisation du droit familial, en particulier de la séparation et de ses conséquences, ne doit pas être confondue, indiquent certaines personnes, avec la déjudiciarisation : la contractualisation suppose tout de même une soumission résiduelle des parties à la loi, donc un contrôle — même seulement éventuel — du juge, car qui dit contrat, dit droit des contrats. La contractualisation n’est donc pas équivalente à une déjudiciarisation[61] : elle conduit plutôt à envisager différemment l’intervention du juge, autrement dit le partage des rôles entre individus privés et État.

Faut-il pour autant s’en réjouir ? Cela n’est pas certain, car l’acclimatation de la matière familiale au droit des contrats n’apparaît pas évidente. Remarquons de prime abord que les sanctions contractuelles peuvent sembler délicates à appliquer à la matière familiale : annuler une convention de divorce, plusieurs années après sa conclusion, réserve probablement de bien mauvaises surprises, tant aux justiciables qu’aux praticiens. Il serait pourtant naïf de penser que des demandes dans ce sens n’arriveront jamais sur le bureau du juge. Certes, la suppression de l’homologation ôte au magistrat son pouvoir d’appréciation de l’opportunité de la convention, en particulier au regard de l’intérêt de la famille, de l’enfant ou de chacun des époux ; la Cour de cassation l’avait déjà affirmé à propos du changement de régime matrimonial[62]. Cependant, il reste encore tous les fondements de nullité du droit des contrats et en particulier les vices du consentement.

Le contentieux de l’exécution ne sera pas en reste. Or, le principe de la force obligatoire entraîne en droit commun celui de l’intangibilité du contrat, qui a toujours conduit la Cour de cassation à refuser d’accorder au juge le pouvoir de réviser le contrat pour imprévision. L’Ordonnance no 2016-131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations revient sur cette question, tout en encadrant strictement le pouvoir d’intervention du juge[63]. Outil de prévision, le contrat ne peut être que de manière exceptionnelle complété ou remanié par le juge. À l’inverse, en matière familiale et spécialement s’agissant de l’exercice de l’autorité parentale, l’imprévisibilité constitue le postulat : ce qui est certain, au moment où les modalités sont décidées, c’est que la situation évoluera et conduira à rendre nécessaires des modifications. Les décisions relatives à l’autorité parentale peuvent toujours être remises en cause, en cas de changement de circonstances. La remarque vaut aussi pour la fixation de la contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant. Cet état de fait est partiellement pris en considération par le droit, qui concède un aménagement au principe de l’autorité de la chose jugée ; l’article 373-2-13 du Code civil dispose ainsi ce qui suit : « Les dispositions contenues dans la convention homologuée […] ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public[64]. » Cela signifie que le juge peut réviser la convention, mais également que les parties ne peuvent, même d’un commun accord, la modifier sans nouvelle soumission à son contrôle. Cette emprise du juge sur le contenu du contrat familial, dérogatoire au droit commun, fournit une illustration opportune de la difficulté d’adapter l’outil contractuel à la matière familiale. Pourtant, rien de tel n’est prévu s’agissant de la convention de divorce, alors qu’elle comporte, bien souvent, des dispositions relatives à l’exercice de l’autorité parentale et à la contribution à l’entretien. Le droit de l’autorité parentale devra-t-il être considéré comme un ensemble de règles spéciales, dérogeant à la règle générale, c’est-à-dire au droit commun des contrats ? Comment des modifications pourront-elles être apportées : par voie contractuelle ? par la voie de l’homologation ? sur demande unilatérale au juge ? Et selon quel(s) critère(s) ? Le législateur de 2016 aurait été bien inspiré d’envisager ces questions, qui ne manqueront pas de se poser a posteriori, ce qui se révèle toujours bien plus compliqué à gérer.

2.2 Un déficit de protection

Le droit commun du contrat ne saurait par ailleurs suffire à compenser le dessaisissement initial du juge, dans un certain nombre de situations. Le réformateur français en a d’ailleurs — mais seulement partiellement — tenu compte. Ainsi, le divorce par consentement mutuel n’est pas ouvert lorsqu’un des époux est placé sous un régime de protection : sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle[65] ; il ne peut en effet y avoir de divorce contractuel par représentation ou sous assistance. Cependant, c’était déjà le cas avant la réforme ![66] De même qu’il n’est pas possible, sous protection judiciaire, d’accepter le principe du divorce, nul majeur protégé ne peut consentir à divorcer, même avec l’assistance du curateur. L’action en divorce reste cependant ouverte, en demande comme en défense, par assistance ou par représentation selon la situation, pour les cas de divorce pour altération définitive du lien conjugal et de divorce pour faute[67]. La décision de divorcer peut donc être prise avec assistance ou même par représentation, mais pas d’un commun accord avec l’autre époux… A fortiori n’est-il pas concevable de contractualiser le principe de la séparation et ses conséquences dans cette situation.

Il paraît alors difficile de comprendre que le divorce contractuel reste ouvert dans le contexte des violences intrafamiliales : l’existence d’une mesure de protection n’est pas une exception prévue par la loi, alors même que cette situation se révèle de nature à empêcher toute rencontre obligatoire avec un médiateur[68]. Certes, chacun des époux est assisté d’un avocat, qui a vocation à défendre les intérêts de son client. Bien entendu, le droit des contrats prévoit un cas d’annulation de la convention en cas de violence. Toutefois, il n’en reste pas moins que le législateur aurait été bien inspiré d’introduire une présomption de déséquilibre dans la relation, interdisant de donner force à un consentement dont on peut légitimement douter de l’intégrité.

Même en dehors d’une vulnérabilité consacrée par une mesure de protection judiciaire, l’abandon du divorce aux seules volontés des parties peut déranger. Il nous semble devoir distinguer deux questions, soit la désunion elle-même et ses conséquences. S’il paraît anachronique de maintenir un contrôle étroit de la décision de désunion, dans la mesure où les conjoints ne sont plus désormais enfermés dans le mariage[69], ce contrôle a pu sembler légitime quant aux conséquences de la séparation, pour éviter toute spoliation du plus faible des deux. Il faut bien admettre que le droit commun des contrats a fait la démonstration de son incapacité à réguler les rapports de parties d’inégale puissance ; le droit du travail, de la consommation, de la concurrence se sont développés sur ce constat que « le contrat peut être un instrument d’oppression des faibles par les forts[70] ». Peut-on, sans naïveté, admettre le postulat selon lequel l’égalité réelle, et non pas seulement formelle, régnerait au sein des familles ? À notre avis, la suppression du contrôle judiciaire a priori paraît remettre en question la nature même du mariage et en particulier son caractère fondamentalement protecteur de chacun des époux, notamment par comparaison avec les autres formes de couple : la distinction entre pacs et mariage, spécialement, s’en trouve manifestement réduite et appelle à s’interroger sur l’opportunité du maintien de cette diversité des statuts proposés aux couples.

La contractualisation « parfaite », sans homologation, est encore plus difficile à admettre lorsque l’intérêt d’un tiers est directement visé, surtout quand il est question d’un mineur. On notera d’ailleurs que le changement de régime matrimonial suppose pour le moment une homologation judiciaire lorsqu’un des époux a un enfant mineur[71]. Un tel contrôle devrait d’autant plus s’imposer au moment où sont en jeu des questions touchant à l’exercice de l’autorité parentale et aux droits alimentaires de l’enfant : l’autorité parentale est un ensemble de droits mais aussi et surtout de devoirs envers l’enfant, les décisions qui en découlent devant toujours être dirigées vers l’intérêt de celui-ci[72]. De plus, l’indisponibilité de l’autorité parentale vient limiter la liberté contractuelle des parents : ainsi, un parent ne peut totalement abandonner ses droits ni les transférer à autrui, les conventions parentales ne pouvant qu’aménager les relations avec l’enfant[73]. De la même façon, la convention ne peut prévoir valablement de renonciation à aliments. La règle devrait être la même dans la convention de divorce, mais encore faut-il que les parties et leurs avocats en tiennent compte : sans contrôle du juge, comment s’assurer du respect de cet ordre public ?

Droit-fonction, l’autorité parentale teinte les rapports et les règles juridiques d’une coloration originale. La déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel aurait dû se heurter à cet obstacle lorsque le couple a un enfant mineur commun. Bien entendu, si les parents n’étaient pas mariés et ont trouvé un accord concernant le sort des enfants au moment de la séparation, aucun contrôle judiciaire n’est prévu ; la déjudiciarisation s’inscrit ici dans un mouvement d’harmonisation des règles relatives à l’autorité parentale, quel que soit le statut marital. Cependant, cette harmonisation aurait pu se faire dans l’autre sens, pour offrir davantage de protection à l’enfant mineur au moment critique de la séparation de ses parents[74]. L’étude du droit comparé conduit à observer que les systèmes juridiques qui admettent ce divorce contractuel prévoient des règles particulières en présence d’enfants mineurs : le juge est maintenu (Espagne), le ministère public doit contrôler la convention (Portugal, Italie) ou une médiation préalable est obligatoire (Norvège)[75]. L’amendement au projet de loi J21, en insérant le divorce contractuel, y compris en présence d’un enfant, avait provoqué une levée de boucliers bien compréhensible et deux solutions intermédiaires avaient été proposées : ne déjudiciariser qu’en l’absence d’enfant mineur commun[76] ou ne déjudiciariser que pour les effets du divorce concernant le couple, l’homologation judiciaire demeurant obligatoire pour les questions touchant à l’enfant mineur[77]. Les critiques n’ont toutefois pas été entendues par les députés, qui se sont retranchés derrière la possibilité pour l’enfant mineur de demander son audition au juge, et ainsi de faire basculer le divorce initialement contractuel de ses parents, dans le champ du judiciaire. Pourtant, ce n’est pas à l’enfant, en demandant son audition, de porter le poids d’un changement de procédure[78] ; il y a même un risque supplémentaire d’instrumentalisation de l’enfant[79] et, globalement, son intérêt ne semble guère respecté ici. En réalité, une telle disposition, d’ailleurs presque unanimement critiquée, s’explique par des raisons purement utilitaristes : la nécessité pour la France de respecter ses engagements internationaux…

2.3 Une prise en considération partielle — partiale ? — du droit international privé

De nombreuses voix se sont élevées après l’introduction du divorce contractuel extrajudiciaire dans le projet de loi J21, pour souligner ce déficit de protection, spécialement concernant l’enfant mineur du couple. Au-delà des raisons d’opportunité, qui risquaient bien de rester négligées, l’argument espéré péremptoire semblait celui de la soumission au droit international[80] et en particulier à la Convention internationale des droits de l’enfant. Cette dernière garantissant le droit de l’enfant d’être entendu dans toute procédure qui le concerne, un divorce extrajudiciaire semblait devoir être exclu en présence d’au moins un enfant mineur. Le projet a été seulement assorti d’une obligation pour les parents d’informer leur enfant de cette possibilité d’audition, à condition qu’ils le considèrent comme suffisamment discernant, et d’une éventualité de basculement vers un divorce judiciaire, dans l’hypothèse où le mineur déciderait de se saisir de cette opportunité. Le Conseil constitutionnel a considéré que la Convention de New York) était ainsi respectée[81] et la réforme a été validée. Cette disposition, largement critiquée comme ne respectant que formellement l’intérêt de l’enfant, a donc été ajoutée pour satisfaire aux engagements internationaux de la France. Pourtant, le respect de ces engagements n’est pas ce qui caractérise la loi ayant institué le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire. Qu’on en juge plutôt à l’aune des trois problématiques traditionnelles du droit international privé : compétence internationale, loi applicable, effets à l’étranger.

Remarquons d’emblée que la loi J21 n’a prévu aucune limitation à la compétence du notaire, ce qu’a ensuite précisé la circulaire du 26 janvier 2017[82] : il jouit donc d’une compétence universelle, ce qui a pu légitimement conduire à se demander si la France avait vocation à devenir le nouveau Las Vegas du divorce…[83] Et ce, au mépris de l’esprit, sinon de la lettre, de trois règlements européens qui encadrent la compétence internationale des juridictions des États membres, en la matière[84]. Aucun lien avec le territoire français n’est donc nécessaire pour divorcer en France, ni la nationalité, ni la résidence des époux, ni même d’ailleurs la territorialité de leurs avocats respectifs. Seul le notaire doit exercer en France, la convention pouvant d’ailleurs être conclue dans une langue étrangère ![85]

Cet état de fait est d’autant plus illogique que la loi applicable à un tel divorce ne sera pas nécessairement la loi française : contrairement à ce qu’avait pu penser le gouvernement français, le Règlement européen Rome III[86] — qui prévoit la faculté de choisir la loi applicable au divorce — n’est pas applicable aux divorces privés, prononcés sans contrôle d’une autorité publique[87]. Il faut donc se rabattre sur l’article 309 du Code civil, qui ne permet pas de choisir la loi compétente : la loi française ne sera applicable que si les deux époux sont soit de nationalité française, soit résidents français.

Enfin, qu’en est-il de la circulation de la convention de divorce française ? Ses effets seront-ils reconnus et exécutoires dans d’autres États ? En dehors de l’espace judiciaire européen, l’exequatur devra être demandé et il sera immanquablement refusé dans certains pays qui ne voudront pas considérer un divorce contractuel comme respectant leurs conceptions fondamentales, ce qui a déjà été le cas en Algérie[88] et au Maroc[89]. Il sera alors impossible de faire rectifier les actes d’état civil à l’étranger, et tout aussi impossible de divorcer — cette fois-ci judiciairement — à nouveau en France, pour remédier à la difficulté. Il en ira de même pour faire reconnaître les autres effets du divorce par les juridictions étrangères, notamment en matière de prestation compensatoire, d’obligations alimentaires ou de modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Des problèmes identiques se poseront d’ailleurs au sein de l’espace judiciaire européen, cependant de façon moins générale, alors même que des outils ont été spécialement élaborés pour y remédier et garantir cette facilité de circulation. Le Règlement Bruxelles II bis prévoit certes que « les accords entre parties exécutoires dans l’État membre d’origine sont reconnus et rendus exécutoires dans les mêmes conditions que des décisions [judiciaires][90] ». Cependant, il n’est applicable qu’aux questions relevant du principe du divorce et des aspects relatifs à l’autorité parentale[91] et la prestation compensatoire, en particulier, n’y est pas visée. De plus, pour les aspects de la décision (ici de l’« accord exécutoire ») relatifs à l’autorité parentale, une condition est posée par le Règlement Bruxelles II bis (article 23 b) : le droit interne doit prévoir la possibilité d’audition de l’enfant, ce qui n’est pas le cas dans le divorce contractuel français, exclusif précisément de toute audition de l’enfant.

Dès lors, chaque pays se prononcera au regard de ses règles propres de droit international privé et de sa conception de l’ordre public international, pour déterminer s’il reconnaît et confère l’exequatur à certaines des dispositions prévues par les parties dans les divorces contractuels français, en particulier celles qui sont relatives à l’autorité parentale et à la prestation compensatoire. La doctrine française conseille ainsi presque unanimement aux avocats d’éviter le divorce contractuel en présence d’un élément d’extranéité, cette dernière qui, de plus, peut survenir postérieurement au divorce, par exemple en cas de remariage ou de déménagement à caractère international.

On le voit, le législateur français, dans sa hâte de faire aboutir sa réforme, n’a envisagé les problématiques de droit international privé que de façon extrêmement limitée. Il expose ainsi non seulement ses ressortissants, mais encore des justiciables étrangers qui seraient séduits par la liberté apparemment conférée par ce divorce contractuel, à bien des déconvenues. Le juge a été libéré d’un fardeau numériquement élevé, pourtant relativement simple et peu chronophage — l’homologation de la convention de divorce —, au risque de devoir régler inversement un contentieux plus rare mais autrement plus complexe et hasardeux : celui de l’après-convention, tant en droit interne qu’en droit international privé. On peut, comme Alexandre Boiché, se déclarer « sidéré par l’absence de réflexion européenne et internationale qui a accompagné l’adoption de ce nouveau divorce[92] ». La raison de cette précipitation réside probablement dans les échéances législatives, mais il est consternant[93] d’avoir ainsi bâclé une réforme qui mettait en jeu des aspirations sociétales si importantes. Légitime dans l’intention, cette réforme ne l’est pas dans sa mise en oeuvre.