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Si l’on s’en tient à l’article L231-1 du Code des procédures civiles d’exécution, « [t]out créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d’argent, dont son débiteur est titulaire[1] ». Les propriétés intellectuelles étant des droits incorporels, elles devraient pouvoir être sans difficulté l’objet de saisies aux fins de vente. Pourtant, les saisies des droits de propriété intellectuelle sont assez rares dans la réalité[2]. Elles donnent le sentiment d’être plutôt boudées par les professionnels de l’exécution forcée. Il est alors intéressant de s’interroger sur les raisons de ce désintérêt. L’une d’entre elles pourrait être le relatif silence du Code des procédures civiles d’exécution à leur égard[3]. Les saisies des propriétés intellectuelles font partie des saisies n’ayant pas été intégrées, en 2012, dans le tout nouveau Code des procédures civiles d’exécution. Présenté comme une compilation du droit existant[4], ce code n’a pas intégré pour autant plusieurs voies d’exécution qui portent principalement — et ce n’est peut-être pas là un hasard ! — sur des objets immatériels, comme les rémunérations du travail, les fonds de commerce, les licences accordées par l’État pour les taxis et les débits de boissons[5]. Ce choix opéré par les auteurs du Code des procédures civiles d’exécution est d’autant plus étonnant que la plupart de ces saisies étaient déjà réglementées par des textes spéciaux. C’était le cas, par exemple, de la saisie des rémunérations du travail, que l’on doit encore aller chercher dans le Code du travail, de la saisie de fonds de commerce, exclusivement abordée dans le Code de commerce, et des saisies de propriétés industrielles, mentionnées dans le Code de la propriété intellectuelle.

Le relatif ostracisme de ce « presque encore flambant neuf » code des procédures civiles d’exécution induit une question liée à la problématique pour qui nous occupe : l’immatérialité complique-t-elle la réalisation forcée ?

Le mode de réalisation forcée le plus commun étant celui de la saisie, nous allons tenter de répondre à travers cette voie d’exécution. La saisie est définie comme la « [m]ise d’un bien sous main de justice[6] ». L’image même de la main de la justice laisse soupçonner la difficulté de l’exercice. Même si cette main reste d’ordre symbolique, et se trouve de ce fait immatérielle, on devine qu’elle doit avoir plus de mal à s’emparer d’un bien immatériel que d’un bien matériel. L’examen des solutions retenues par le droit positif révèle que la difficulté a été surmontée en matière de saisies de créances, de parts sociales et de valeurs mobilières ; mieux encore dans le cas des saisies de créances, la dématérialisation des actes de procédure d’exécution va jusqu’à accroître leur efficacité (partie 1). C’est donc sur un autre terrain que doivent être recherchées les causes du relatif désintérêt des praticiens français à l’égard des saisies des droits de propriété intellectuelle. Ce désintérêt nous amène à pressentir des difficultés propres à la nature des droits liés à la propriété intellectuelle (partie 2).

1 L’immatérialité de l’objet de la saisie : une difficulté surmontée

L’évolution de l’exécution forcée en droit romain et en ancien droit français est révélatrice du problème et des solutions imaginées pour le surmonter (1.1). Si l’on examine l’état actuel du droit français, on découvre qu’il repose sur la mise en place, à partir de quelques modèles, de solutions pragmatiques pour régler la difficulté née du caractère immatériel de l’objet saisi (1.2).

1.1 Les enseignements du passé

L’évolution du droit romain de l’exécution forcée éclaire le problème soulevé par l’immatérialité de l’objet de la saisie. Ainsi, l’exécution forcée imposait, dans un premier temps, une saisie portant sur l’ensemble du patrimoine[7]. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’a été admise la possibilité de saisir seulement certains des biens[8]. Le fait que la saisie des créances n’a été autorisée que dans un troisième temps et avec une certaine frilosité révèle les obstacles théoriques que les juristes romains ont rencontrés pour résoudre la difficulté née de l’immatérialité de l’objet de la saisie.

Initialement, la saisie passait par l’envoi en possession des biens saisis, lequel conférait aux créanciers d’abord la détention des biens du débiteur, puis le pouvoir de les faire vendre[9]. La détention étant matérielle, on comprend que le régime de la saisie avait été imaginé sur le modèle des choses corporelles[10]. Ce n’est que lorsque le gage a été étendu aux créances que s’est posée la question de la saisie des biens immatériels. Cette extension a imposé la mise en place de voies d’exécution permettant la saisie des créances gagées[11]. Deux procédés semblent alors avoir été utilisés. Dans le premier, le créancier vendait la créance comme il aurait vendu un objet corporel. La vente s’opérait au moyen d’un mandat in rem suam et elle conférait une action utile à l’acheteur. Le second procédé permettait au préteur de conférer l’action utile au créancier. Ce modèle aurait été le plus courant. En dehors du gage, lorsque l’idée d’une possible exécution d’une sentence sur un bien déterminé s’est imposée comme une solution de rechange plus douce à la saisie de l’ensemble des biens du débiteur[12], le pignus in causa judicati captum qui la permettait ne s’étendait pas initialement aux saisies de créances[13]. Lorsqu’elles ont été tardivement admises, elles ne pouvaient porter que sur les créances qui n’étaient sujettes à aucune contestation, et après qu’avaient été discutés les meubles et les immeubles du débiteur[14]. On devine à travers ces réserves que l’immatérialité, moins répandue à l’époque que dans notre monde contemporain, était perçue comme compliquant à la fois l’évaluation de l’objet de la saisie et sa mise en oeuvre.

Cette condition de la discussion préalable des meubles et des immeubles a perduré dans l’ancien droit français jusqu’au xvie siècle[15]. Il n’est pas impossible que la dématérialisation progressive de la monnaie, grâce à un usage répandu de la lettre de change, à la naissance de l’escompte et au développement de la monnaie fiduciaire, ait contribué à une banalisation des créances en tant qu’objet de droit et, en conséquence, à la disparition du caractère subsidiaire des saisies de créances[16].

Au fil des siècles, la saisie de créance a donc, en quelque sorte, fini par entrer dans une relative normalité, trouvant une expression technique cohérente à travers la signification de la saisie au débiteur et au tiers saisi. Cette technique particulière de la saisie de créance est présentée par Pothier dans son traité de procédure civile[17]. Il y distingue le « simple arrêt », consistant en « un acte judiciaire, par lequel un créancier, pour sa sûreté, met sous la main de justice les choses appartenant à son débiteur pour l’empêcher d’en disposer[18] », et la « saisie-arrêt » (de créance), qui a pour effet « de faire vider, au débiteur arrêté, les mains en celles de l’arrêtant[19] ». La procédure de la saisie-arrêt est alors la suivante : à la requête du créancier saisissant, le sergent signifie au tiers saisi qu’il lui est fait défense de payer à d’autres[20].

Reposant sur une double notification de la saisie au débiteur et à un tiers, la technique juridique retenue révèle ce qui peut apparaître comme la spécificité des saisies de biens incorporels, à savoir le rôle clé de la notification de la saisie aux tiers visés. C’est en effet parce qu’une emprise matérielle du bien n’est pas traditionnellement possible pour assurer d’abord l’opposabilité de la saisie, puis le transfert forcé du droit, qu’il a fallu rechercher d’autres moyens de parvenir à ces résultats.

L’intérêt de la saisie de créance est donc d’avoir ouvert la voie à d’autres saisies de droits incorporels en offrant une solution à la question de l’opposabilité de la saisie.

1.2 Le rôle des modèles

Le cas de la saisie de créance est intéressant en raison de sa relative simplicité. L’opposabilité ne concerne qu’une personne, le débiteur du débiteur, autrement dit le tiers saisi qu’il faut simplement empêcher de payer sa dette entre les mains de son débiteur initial. Il suffit donc d’en faire un des destinataires de l’acte de saisie, le débiteur initial étant l’autre destinataire. C’est encore le modèle des saisies contemporaines de créances, qu’il s’agisse de la saisie-attribution ou de la saisie des rémunérations du travail. Étonnamment, l’immatérialité de l’objet saisi a cessé d’être un handicap pour, dans une société de plus en plus immatérielle, devenir un atout. Le développement de la justice en ligne (e-justice) permet, dans certaines hypothèses comme celle de la saisie des comptes bancaires, de réaliser la saisie au moyen d’actes de procédure dématérialisés. Cette dématérialisation qui porte sur une créance par nature immatérielle offre ainsi un gain de temps, d’argent et d’efficacité. La procédure de saisie peut alors se réaliser entièrement par clics de souris, et ce, de l’acte de saisie au paiement du créancier !

Les choses sont-elles aussi simples et aussi attrayantes pour les autres saisies de biens immatériels ?

Dans un pays de droit civil, donc de droit écrit, il paraît naturel d’examiner les textes. Il est alors un brin surprenant de constater que le Code des procédures civiles d’exécution, destiné à être la bible des agents de l’exécution forcée, reste extrêmement laconique sur la saisie aux fins de vente des droits incorporels.

Le titre III de la partie législative est consacré à la saisie des droits incorporels et compte trois chapitres et deux articles seulement.

Le chapitre 1, intitulé « Dispositions générales », est composé du seul article L231-1 cité précédemment, tandis que le chapitre 2, ayant pour titre « Les opérations de saisies[21] », est vide !

Le chapitre 3 qui porte sur les opérations de vente pose le principe suivant : « Seuls sont admis à faire valoir leurs droits sur le prix de la vente les créanciers saisissants ou opposants qui se sont manifestés avant la vente[22]. »

Il y a ainsi trois chapitres pour seulement deux articles mais, il est vrai, tous deux riches d’enseignement, que ce soit celui qui pose le principe du caractère saisissable des droits incorporels ou celui qui précise que ce type de saisie reste régi par le principe traditionnel en vertu duquel plusieurs créanciers peuvent se joindre à une procédure en cours dans le but de concourir sur le prix de vente. Cette précision est, en effet, essentielle, car cette solution est expressément écartée depuis la réforme de 1991 dans le régime de droit commun de la saisie des créances.

De manière surprenante, le silence du chapitre 2, soit « Les opérations de saisies », n’est pas compensé par son équivalent dans la partie réglementaire. Certes, celle-ci est prolixe, mais elle ne traite en réalité, sous l’intitulé « Général », que de la saisie des droits d’associés et des valeurs mobilières.

Un constat s’impose ici : le Code consacré aux procédures civiles d’exécution ne livre aucune information détaillée sur les autres saisies de droits incorporels. Tout au plus peut-on y trouver une indication dans l’unique article du chapitre 1, « Dispositions générales », de la partie réglementaire qui énonce ceci : « Sauf dispositions contraires, la saisie des droits incorporels est régie par le présent titre dans la mesure où leur spécificité n’y met pas obstacle[23]. » Il n’y a donc dans ce code qu’un modèle, soit celui du régime élaboré pour les droits d’associés et les valeurs mobilières, lequel s’applique par défaut.

L’intérêt de ce modèle n’est cependant pas négligeable en ce sens qu’il offre une piste intéressante en fait d’opposabilité. La procédure impose de rechercher le tiers qui assure la « garde » du droit pour lui notifier la saisie, ce qui assurera l’opposabilité de la réalisation forcée. C’est, par exemple, cette précieuse indication qui a permis aux huissiers de justice de mettre en place la procédure de saisie des licences de débits de boissons alors qu’aucun texte ne l’évoquait[24]. L’acte de saisie est adressé à la mairie du lieu d’exploitation de la licence, laquelle doit être informée de tous les transferts de licence. C’est aussi ce modèle de double signification au titulaire du droit et à son gestionnaire que retient le Code de la propriété intellectuelle en matière de brevet et de marque et qui figure dans les règlements européens relatifs à ces propriétés intellectuelles.

Nous nous écarterons quelque peu de l’objet de notre exposé, l’immatériel, mais il nous paraît intéressant d’observer ici que la question de l’opposabilité se trouve au coeur de la saisie immobilière à travers la publication de l’acte de saisie, puis de la vente judiciaire au registre de la publicité foncière. Elle révèle que la saisie porte sur le droit qui, en lui-même, est toujours incorporel. Il nous paraît tout aussi révélateur de constater que la saisie des biens mobiliers corporels, dont l’efficacité était initialement assurée par le transfert de la détention du bien, ne repose plus en droit contemporain sur un dessaisissement systématique du débiteur. Tout au contraire, le bien saisi est généralement laissé à la garde de la personne qui le détenait au moment de la saisie et qui est fréquemment le débiteur lui-même. Seule l’interdiction d’en disposer protège le créancier saisissant, laquelle, il est vrai, est renforcée par la menace de sanction pénale. L’opposabilité de la saisie aux tiers autres que le débiteur et le tiers détenteur n’interviendra qu’au moment de l’enlèvement en vue de la vente, ce qui laissera alors deviner que le poids de la règle « en fait de meubles possession vaut titre ». Ce détour par la saisie des biens corporels nous renvoie au rôle clé de l’opposabilité, déjà mis en valeur par l’examen des saisies de créances.

On l’a donc compris, la difficulté liée au caractère immatériel de l’objet saisi peut être aisément surmontée dès qu’il existe un moyen de garantir l’opposabilité des saisies réalisées. C’est d’ailleurs la formule retenue en France par le Code de la propriété intellectuelle pour les propriétés industrielles, mais seulement pour celles-ci. En effet, le droit français opère une distinction entre la réalisation forcée des propriétés industrielles et celle de la propriété littéraire et artistique.

Les propriétés industrielles reposant sur la délivrance d’un titre par un office[25], ce dernier assure l’opposabilité aux tiers de la titularité des droits. C’est donc lui qui est, avec le saisi, le destinataire de l’acte de saisie. Ce sera toujours lui qui permettra la publicité du transfert forcé de propriété, assurant là encore son opposabilité aux tiers. Le droit d’auteur naissant du seul fait de la création, donc sans dépôt obligatoire, le droit français ne mentionne pas sa saisie directe, mais il organise la saisie des rémunérations générées par celui-ci, selon un modèle connu, soit celui de la cession de créance. À ce moment-là, un constat s’impose alors même que le Code de la propriété intellectuelle fournit des indications certes un peu lacunaires, mais a priori suffisantes pour en permettre la mise en oeuvre : les saisies aux fins de réalisation forcée des droits de propriété intellectuelle sont rares dans en France, ce qui suggère en conséquence de rechercher au-delà du seul caractère immatériel les raisons de la frilosité des professionnels à leur égard.

2 Les difficultés propres aux propriétés intellectuelles

Un rapide examen des solutions retenues par le Code de la propriété intellectuelle laisse apparaître un décalage entre les saisies des droits de propriétés industrielles expressément mentionnées par les textes et le cas particulier du droit d’auteur qui paraît ne pas pouvoir être directement l’objet d’une réalisation forcée, le créancier de l’auteur devant se contenter de saisir les revenus produits par l’exploitation de l’oeuvre. En outre, si la possibilité de saisir des droits de propriété industrielle est prévue précisément tant par le droit français que par le droit européen, l’examen de certaines dispositions de ce dernier laisse deviner la possibilité de situations délicates liées à la nature particulière de la marque. Il est d’ailleurs intéressant d’observer qu’autant le Code de la propriété intellectuelle aborde expressément la question de la saisie des brevets, autant celle de la marque est à peine mentionnée. Cette hétérogénéité peut être le reflet d’un certain manque de rigueur dans la rédaction des textes, tout comme elle peut traduire des différences de nature entre les divers types de propriétés intellectuelles. C’est la raison pour laquelle nous nous proposons d’ôter le capuchon gris du concept générique de propriété intellectuelle pour aborder la question de la réalisation forcée, en examinant séparément la saisie des droits d’auteur (2.1), des brevets (2.2) et des marques (2.3).

2.1 La saisie des droits d’auteur

Concernant le droit d’auteur, le Code de la propriété intellectuelle mentionne seulement « la saisie des produits d’exploitation ». Il ne s’agit plus alors de saisir le droit de propriété intellectuelle, mais les revenus qu’il procure… La saisie du droit d’auteur n’est donc, a priori, pas possible[26], mais celle « des droits » d’auteur l’est[27]. La distinction s’avère de taille et peut se justifier par deux types d’arguments. Le premier tient à la nature duale du droit d’auteur qui confère à son titulaire des prérogatives extrapatrimoniales, dites de droit moral, et des prérogatives patrimoniales. Or, les premières sont inaliénables, ce dont il faut déduire qu’elles sont insaisissables. Le droit d’auteur ne peut donc être saisi dans la globalité. Peut-on imaginer une saisie des seules prérogatives patrimoniales ? Dans la mesure où celles-ci sont cessibles, une réponse positive est concevable certes, sous réserve bien sûr que le nouveau titulaire exploite dans le respect des prérogatives de droit moral[28]. Cependant, cette condition risque de soulever quelques difficultés, notamment sous l’angle du droit de divulgation[29]. Selon l’article L121-2 du Code de la propriété intellectuelle, « [l]’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre […] il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci[30] ». Faut-il en déduire que la divulgation, qui est la première des prérogatives de droit moral, s’exercera mode d’exploitation par mode d’exploitation ou plutôt en une seule fois à l’occasion de la première divulgation de l’oeuvre au public ? Dans le premier cas, celui qui aurait acquis les prérogatives patrimoniales à la suite d’une cession forcée ne pourrait que poursuivre les modes d’exploitation déjà autorisés par l’auteur. Des interrogations peuvent aussi exister sur la manière dont devraient se concilier la cession forcée et le droit de repentir de l’auteur. On comprend que la situation du cessionnaire ne serait pas toujours très simple.

Cette première difficulté ne suffit pas, à elle seule, à justifier la position du Code de la propriété intellectuelle : il existe, en effet, un autre argument expliquant que ce code limite la saisissabilité aux seuls revenus produits par l’exploitation de l’oeuvre. C’est la difficulté à assurer l’opposabilité de la saisie du droit. Or, nous avons vu précédemment qu’elle était essentielle. Le droit d’auteur naissant, à la différence des propriétés industrielles, du seul fait de la création, il ne donne lieu à aucun enregistrement. Faute d’un organisme recensant les monopoles et leurs titulaires, la saisie sera difficilement opposable aux tiers, et cela, d’autant plus qu’il n’est pas toujours facile pour ces derniers de savoir qui est titulaire du droit. Certes, il existe une présomption de titularité posée par l’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle et en vertu de laquelle « [l]a qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée[31] », mais elle vise la qualité d’auteur dans son ensemble (prérogatives extrapatrimoniales et patrimoniales confondues). En outre, la divulgation sous le nom de l’auteur se présente aussi dans la plupart des cas comme le moyen d’assurer le droit à la paternité qui constitue une autre prérogative de droit moral. En outre, certaines prérogatives patrimoniales peuvent avoir été cédées à un exploitant sans qu’aucune formalité n’assure l’opposabilité aux tiers de ce transfert, ce qui marque une nouvelle différence entre les prérogatives patrimoniales et les prérogatives extrapatrimoniales.

Les fils, vus de l’extérieur, sont décidemment bien emmêlés. Les entrelacs des prérogatives patrimoniales et extrapatrimoniales compliquent singulièrement la réalisation forcée du droit d’auteur. C’est pourquoi, en optant pour la saisie des revenus générés par l’exploitation du droit d’auteur, le législateur a choisi la voie la plus raisonnable. Le chapitre du Code de la propriété intellectuelle intitulé « Saisie des produits d’exploitation[32] » impose une autorisation du président de tribunal de grande instance, mais il renvoie pour les quotités saisissables à la saisie des rémunérations du travail, démontrant par là même, si besoin était, le lien particulièrement fort qui unit l’oeuvre littéraire et artistique à son auteur[33]. Se pose alors la question de savoir si ces revenus peuvent être saisis par le droit commun de la saisie des créances ou si le saisissant a l’obligation de passer par la procédure spéciale du Code de la propriété intellectuelle. La raison commande de retenir la seconde solution, non seulement en application de la formule lex specialis, mais parce qu’il est évident que, en choisissant de privilégier une saisie sur autorisation du président du tribunal de grande instance, le législateur a entendu réserver la connaissance de ce contentieux au juge naturel de la propriété intellectuelle. Voilà une solution sage, s’il en est, tant la question du calcul des droits d’auteur peut être complexe, notamment lorsque ces sommes résultent d’un processus de gestion collective, lesquels sont, les spécialistes le savent, l’avenir du droit d’auteur[34]. La situation se révèle très différente du côté du brevet.

2.2 La saisie des brevets

En vertu de l’article L613-21 du Code de la propriété intellectuelle, « [l]a saisie d’un brevet est effectuée par acte extra-judiciaire signifié au propriétaire du brevet, à l’Institut national de la propriété industrielle ainsi qu’aux personnes possédant des droits sur le brevet ; elle rend inopposable au créancier saisissant toute modification ultérieure des droits attachés au brevet[35] ». Le Code de la propriété intellectuelle prévoit donc expressément la saisie du brevet.

Non seulement le principe est posé, mais le mode d’emploi est fourni. La saisie repose sur un acte de saisie signifié au titulaire du brevet, à l’office national chargé de leur gestion et à toute personne possédant des droits sur le brevet.

Nous trouvons ici la solution à la difficulté examinée dans la première partie de notre texte. En subordonnant la naissance du droit à la délivrance du titre par un office qui, par la suite, sera le récipiendaire des formalités de publicité auxquelles doivent donner lieu les opérations susceptibles d’influer sur la titularité du droit, le Code de la propriété intellectuelle offre l’outil idéal pour assurer l’opposabilité de la saisie aux tiers. La situation est finalement très proche de celle de la saisie immobilière dont l’efficacité repose sur l’inscription de la saisie au registre de la publicité foncière.

Le Code de la propriété intellectuelle ajoute que, « [à] peine de nullité de la saisie, le créancier saisissant doit, dans le délai prescrit, se pourvoir devant le tribunal, en validité de la saisie et aux fins de mise en vente du brevet[36] ». L’article R613-51 précise que ce délai est de 15 jours à compter de la date de la signification de la saisie prévue par l’alinéa premier dudit article.

Si l’on compare le système retenu avec le droit commun des saisies mobilières, on observe une différence quant au contrôle judiciaire. Celui-ci est, en droit commun, un contrôle a posteriori, alors que dans le cas de la saisie de brevet le tribunal doit être saisi préalablement à la vente. Si cette solution paraît étonnante pour les juristes français, elle ne le sera pas dans d’autres pays qui subordonnent la réalisation forcée d’un bien à une autorisation judiciaire préalable.

Sous cette réserve, la saisie de brevet ne paraît pas soulever de difficultés insurmontables dans la mesure où le Code des procédures civiles d’exécution, en offrant un modèle, permet de combler les lacunes du Code de la propriété intellectuelle. Toutefois, cette articulation possible entre le droit spécial et le droit commun laisse pendantes certaines questions, notamment celle de savoir s’il convient de laisser au débiteur saisi la possibilité de bénéficier d’un délai pour vendre son brevet à l’amiable. Depuis la Loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, toutes les saisies mobilières aux fins de vente offrent au débiteur, sous réserve de l’acceptation par le créancier saisissant du prix proposé, la possibilité de vendre son bien à l’amiable durant le mois qui suit l’acte de saisie. Le droit spécial du Code de la propriété intellectuelle, antérieur à la réforme des voies d’exécution, ne mentionne pas cette possibilité. L’admettre reviendrait à faire de cette possibilité un principe général des actes de procédure d’exécution mobilière[37], ce qui serait parfaitement dans l’esprit des voies d’exécution modernes[38].

S’il existe encore quelques incertitudes marginales sur la procédure à suivre pour saisir et faire vendre un brevet, l’état du droit est nettement moins balisé du côté des marques.

2.3 La saisie des marques

La partie législative du Code de la propriété intellectuelle n’indique aucune procédure de saisie. Ce n’est que dans la partie réglementaire de ce code qu’une telle possibilité apparaît avec l’article R714-4 : celui-ci affirme de manière générale que « [l]es actes modifiant la propriété d’une marque ou la jouissance des droits qui lui sont attachés, tels que cession, concession d’un droit d’exploitation, constitution ou cession d’un droit de gage ou renonciation à ce droit, saisie, validation et mainlevée de saisie, sont inscrits à la demande de l’une des parties à l’acte ou, s’il n’est pas partie à l’acte, du titulaire du dépôt au jour de la demande d’inscription[39] ».

On observe que, à la différence des dispositions relatives à la saisie de brevet, le Code de la propriété intellectuelle ne fournit aucune autre indication sur la procédure à suivre pour saisir une marque. Faut-il procéder par analogie avec le brevet ou, au contraire, imaginer une procédure fondée sur le modèle de la saisie des valeurs mobilières et de droits d’associés proposé par le Code des procédures civiles d’exécution[40] ? La question s’est posée devant les tribunaux, notamment pour la saisie conservatoire de marque. Non seulement le principe d’une telle saisie a été admis[41], mais le modèle retenu a été celui du droit commun du Code des procédures civiles d’exécution[42], lequel implique la rédaction d’un cahier des charges et impose de laisser au débiteur un mois pour procéder à une cession amiable de sa marque[43]. L’inscription au registre de gestion de la marque apparaîtra alors comme le moyen d’assurer l’opposabilité des différentes étapes de la procédure[44].

Pourtant, les choses sont peut-être moins simples qu’il n’y paraît. Le droit de propriété intellectuelle porte sur un signe distinctif qui a pour finalité d’établir un lien entre une entreprise et ses produits ou ses services. En tant que valeur protégée par le droit, la marque constitue un bien de l’entreprise, approprié, en droit français, par un enregistrement. Cette appropriation privative ne doit pas masquer que la marque poursuit une finalité bien particulière.

Parce qu’elle est un signe distinctif, la marque a aussi une fonction de protection du public. C’est la raison pour laquelle, par exemple, elle ne doit pas être de nature à induire celui-ci en erreur sur la qualité ou toute autre caractéristique essentielle des produits ou des services marqués. Cela explique, par exemple, que le Règlement 207/2009 sur la marque européenne, tout en présentant la marque comme objet d’un droit de propriété, précise en son article 17 (4) que

[s]’il résulte de façon manifeste des pièces établissant le transfert qu’en raison de celui-ci la marque communautaire sera propre à induire le public en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée, l’Office refuse d’enregistrer le transfert, à moins que l’ayant cause n’accepte de limiter l’enregistrement de la marque communautaire à des produits ou à des services pour lesquels elle ne sera pas trompeuse[45].

On devine alors le risque : la vente forcée de la marque peut créer une situation de nature à induire le public en erreur. Imaginons que la marque soit rachetée par un concurrent avec l’objectif d’induire le public en erreur sur l’origine des produits. Même si une disposition analogue à celle du Règlement européen n’existe pas en droit interne et donc si, a priori, l’office visé ne peut pas s’opposer à l’enregistrement du transfert, le problème existe. Le nouveau titulaire serait alors exposé à une action en déchéance de sa marque, ce qui, en pratique, devrait inciter les acquéreurs éventuels à la prudence et à ne se porter acquéreurs que des marques qu’ils pourront licitement utiliser ! Ce sont d’ailleurs les risques inhérents aux opérations de vente qui expliquent que les praticiens limitent le plus souvent leur action à des saisies conservatoires de marque en jouant alors sur l’aspect comminatoire de cette forme de saisie[46].

L’hétérogénéité des difficultés soulevées par la réalisation forcée des différents types de propriétés intellectuelles souligne que l’uniforme capuchon gris du droit peine à masquer la diversité des biens immatériels. Leur examen à la lumière des actes de procédure civile d’exécution laisse percevoir que, si des modèles communs peuvent être imaginés à partir de celui de la saisie de créance, et donc du rôle clé de l’opposabilité, ils ne doivent pas ignorer pour autant les spécificités des différentes propriétés intellectuelles qui, sous une dénomination commune, cachent, en réalité, des monopoles bien disparates !