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À titre de régulateurs sociaux, les tribunaux jouent un rôle crucial en vue du maintien de la paix publique. Ils sont essentiels à toute société ordonnée. Ainsi, sans surprise, lorsque le Nouveau-Brunswick a été établi en 1784, la commission établissant l’autorité du gouverneur lui attribuait expressément ceci :

[Full] power and authority with the advice and consent of Our said Council to Erect Constitute and Establish such and so many Courts of Judicature and public Justice within our said Province as you and they shall think fit and necessary for the Hearing and Determining of all Causes as well Criminal as Civil according to Law and Equity and for awarding Execution thereupon […] And we do hereby authorize and Impower you to constitute and appoint Judges and in cases requisite Commissioners of Oyer and Terminer, Justices of Peace and other necessary Officers and Ministers in our said Province for the better administration of Justice and putting the Laws in Execution[1].

Les articles 7 et 30 des instructions exigeaient des candidats à la fonction de juge ou de juge de paix qu’ils soient « Men of good Life, well affected to our Government, and of abilities suitable to their Employments[2] » que le gouverneur pouvait nommer seulement avec le consentement d’au moins trois des membres du Conseil[3]. Quelques autres dispositions traitaient de la destitution des juges, de leur impartialité et du caractère public des ordonnances rendues[4]. Des geôles devaient en plus être érigées aussitôt que possible[5]. Rien n’était dit de la langue devant servir à rendre la justice.

La commission et les instructions n’établissaient aucun tribunal comme tel, sauf pour le Conseil qui, en plus de ses fonctions administratives, devait aussi agir comme cour d’appel dans les causes civiles impliquant un montant supérieur à 300 £[6]. En effet, les juges de la Cour supérieure y siégeaient généralement[7], occupant ainsi des fonctions exécutives en plus des fonctions judiciaires. Cependant, ceux qui avaient présidé en première instance ne pouvaient pas participer au jugement du Conseil, sauf pour expliquer les motifs de la décision contestée. À l’époque, les ministres étaient nommés à vie et ne dépendaient pas des activités à la Chambre d’assemblée ; en ce sens, les juges n’étaient pas différents. C’est seulement avec la séparation des conseils exécutif et législatif en 1832, puis l’avènement du gouvernement responsable à la décennie suivante, que le principe de l’indépendance de la magistrature a commencé à prendre la forme connue aujourd’hui. Jusqu’à ce moment-là, la magistrature était pratiquement inséparable du gouvernement colonial. Même dans les comtés, les juges de paix et la Cour des sessions combinaient des responsabilités administratives et judiciaires. Il peut être assez difficile de départager les unes des autres dans un contexte comme celui-ci.

Cette variété de fonctions illustre la complexité de traiter de la pratique linguistique ayant pu régner dans les diverses instances judiciaires à l’échelle de la province. D’un point de vue légal, la situation y a été uniforme partout, c’est-à-dire un unilinguisme anglais, mais des pratiques différentes au sein des comtés peuvent s’être développées au fil du temps[8]. Sans donner un statut officiel au français, elles peuvent avoir contribué à rendre la justice plus accessible à la minorité. Les lois érigeant les sessions de comté étaient silencieuses quant à la langue de la procédure administrative et judiciaire, mais le français n’y était vraisemblablement pas très fréquent puisque les juges de paix qui pouvaient s’exprimer dans cette langue étaient généralement sous-représentés[9]. Par contre, à la Cour supérieure, l’état du droit et de la pratique a été constant jusqu’en 1967, peu importe que les juges aient siégé dans les circuits ou en appel.

L’objet du présent texte est de décrire l’histoire du droit concernant la langue de l’administration de la justice au Nouveau-Brunswick, surtout à la Cour supérieure. Il est possible d’observer une progression constante depuis 1967. Le législateur a affiché une ouverture graduelle envers la minorité linguistique en permettant un usage du français toujours plus étendu devant les tribunaux. Pour assurer une meilleure évaluation à ce sujet, la portée des protections est aussi abordée. Une transformation philosophique importante est notable relativement à l’approche législative appliquée en la matière, où le législateur est passé d’une interdiction totale à une liberté de choix généralisée. Nous commençons notre article par l’étude du statut du français avant 1967, pour nous arrêter ensuite aux différentes étapes de son évolution jusqu’à l’état actuel du droit. Nous traiterons aussi des trois exceptions à la liberté de choix ainsi que de la publication dans les deux langues officielles des prononcés judiciaires. Des faits nouveaux prometteurs se sont produits en relativement peu de temps pour l’administration de la justice au Nouveau-Brunswick et elle ne ressemble plus à ce qu’elle était jadis. Notre texte offre ainsi une perspective globale et historique de la situation du français devant les tribunaux de la province. Cependant, nous avons choisi de nous pencher sur l’état du droit, ce qui signifie que nous n’abordons pas la pratique pouvant avoir existé sur le terrain.

1 Le statut légal du français avant 1967

Les francophones ont été impliqués dans des poursuites judiciaires au Nouveau-Brunswick bien avant 1967[10]. Il suffit de penser aux instances entourant les événements de la crise scolaire de 1871 à 1875[11] et à celles liées aux émeutes de Caraquet[12]. Par la suite, il y a eu aussi le litige concernant la portée des obligations par rapport au soutien des démunis acadiens de la paroisse de Moncton[13]. Cependant, aucune information transpirant de ces diverses causes ne laisse croire que la langue française y ait été employée. En fait, d’autres sources révèlent des condamnations à l’échafaud de membres de la minorité linguistique pour des crimes dont la sentence leur a été traduite seulement des heures plus tard[14]. À une époque, pour certaines infractions, les inculpés ne pouvaient pas être représentés par avocat[15], même s’ils le voulaient, ce qui avait tendance à amplifier le désavantage des non-anglophones. Malgré ces difficultés, la question du droit d’employer le français dans la procédure ne paraît pas avoir été soulevée devant les tribunaux jusqu’au tournant des années 60, bien que cet enjeu ait été mentionné brièvement à l’Assemblée législative au cours des débats au sujet de la Confédération[16].

Le statut juridique du français s’est éclairci dans le contexte d’une cause impliquant des inculpés originaires de la province de Québec. Se trouvant devant la Cour de circuit pour répondre à des accusations de cambriolage d’une banque dans la cité de Saint John, la preuve principale consistait en des échanges verbaux en français entre les accusés au moment de leur incarcération. Lorsque l’agent ayant entendu ces conversations a commencé à les consigner en anglais, l’avocat des défendeurs s’est opposé en alléguant une obligation de les produire dans la langue originale. Le juge du procès ayant tranché l’objection par la négative, la question a été soumise à la Division des appels. Sans aborder l’enjeu de la langue de la procédure, la Division des appels expliquait néanmoins les deux seules circonstances où les services d’interprétation étaient requis. Le premier cas concernait le témoin ne pouvant pas relater sa preuve en anglais ; le second, l’accusé incapable de comprendre la langue employée devant le tribunal. Autrement, il n’y avait aucune obligation de reproduire les conversations dans leur version originale, même si, implicitement, la capacité linguistique du témoin était essentielle à la crédibilité de sa preuve[17]. Le banc confirmait le prononcé du juge de première instance[18].

Une cause entendue quelques années plus tard portait sur l’application aux poursuites criminelles d’une nouvelle disposition législative devant permettre l’usage de langues autres que l’anglais. En retraçant l’histoire du droit sur le sujet, la Division des appels explique le statut légal du français devant les tribunaux de la province avant 1967 :

It is unnecessary on this application to determine either the validity of s. 23C or its effect on civil proceedings, but it is indisputable that until the enactment of the section, English was the only language for the conduct of proceedings in the courts of New Brunswick […] The status of English as the official language of our courts rests on English statute law which became part of the law of the province when it was established. The provincial courts have always regarded the English common law and those statutes in amendment of the common law enacted prior to the Restoration of 1660, if applicable to the colonial conditions of the province, as forming part of the law of the Province[19].

Ainsi, c’est par l’entremise de la doctrine de la réception du droit anglais sans aucune considération pour la situation existant dans la colonie qu’une seule langue a été imposée devant les tribunaux jusqu’à ce moment-là. Dans ces circonstances, même s’il était parlé par le tiers de la population, le français était mis sur le même pied que toutes les langues étrangères pour être limité aux témoins et aux accusés ne pouvant s’exprimer en anglais. Cependant, ce statut légal n’était pas fixé dans la Constitution et il pouvait être modifié par une simple loi[20].

2 L’article 23C de la Loi sur la preuve (1967)

À l’ouverture de la session législative de 1967, le lieutenant-gouverneur a annoncé l’intention du gouvernement d’établir un bureau de traduction devant servir à la production des documents publics dans les langues française et anglaise. Un engagement était en plus offert : mettre le service d’interprétation à la disposition de l’Assemblée législative si la proposition était acceptée à l’unanimité. Lorsque le premier ministre a présenté sa résolution à cet effet, le chef de l’opposition en a profité pour en déposer une en vue de reconnaître un statut officiel à la langue française dans la province. S’adressant à la Chambre sur sa motion, le 30 mars, ce dernier la justifiait principalement en invoquant l’administration de la justice :

Monsieur l’Orateur, brièvement, ce qui nous concerne, surtout en parlant de cette motion, c’est que dans nos cours de [justice] la langue française n’est pas admise. Regardons, si nous voulons, le sort d’un citoyen de cette province qui ne parle pas l’anglais. Il se présente en cour et doit faire traduire son plaidoyer. Tout ce qui se passe dans nos cours de [justice] se passe dans une langue qu’il ne comprend pas.

Monsieur l’Orateur, c’est une injustice que nous ne pouvons tolérer davantage. J’ai vu des cas où non seulement l’accusé était de langue française et qu’il ne comprenait pas l’anglais, mais j’ai vu des cas où le juge était français, où les membres du jury ne comprenaient pas l’anglais et où les deux avocats étaient de langue française, et en dépit de ce fait, toutes les procédures avaient lieu en anglais. Nous croyons qu’il s’agit là d’une injustice envers nos pauvres citoyens de langue française[21].

Bien que cette motion ait été défaite, le procureur général a offert, pour éviter la répétition des événements décrits par ces commentaires, d’élargir le choix linguistique dans les poursuites judiciaires[22]. Cependant, son intention à ce moment-là se limitait au seul droit de témoigner en français et d’obtenir une transcription de la preuve dans sa version originale.

Peu après ces échanges en chambre, une modification à la Loi sur la preuve[23] a été proposée, ce qui a mené à l’article 23C entré en vigueur le 19 mai 1967. Son libellé était néanmoins plus généreux que les commentaires du procureur général l’avaient laissé entendre à l’origine. Cet article visait davantage que les seuls témoignages : « Dans toute procédure devant une cour de la province, si une partie le demande et que toutes les parties à l’action ou aux procédures et leurs conseils ont une connaissance suffisante d’une langue quelconque, le juge peut ordonner que les procédures soient menées et les témoignages rendus et reçus dans cette langue[24]. » Deux aspects de cet article sont dignes de mention. D’abord, aucune langue spécifique n’y est mentionnée ; ainsi, la disposition pouvait potentiellement s’appliquer dans une variété de situations. Ensuite, le droit n’était pas automatique. Il fallait d’abord le revendiquer et il pouvait être accordé seulement dans des circonstances restreintes, c’est-à-dire lorsque toutes les parties, leurs avocats et le juge possédaient « une connaissance suffisante » de la langue en question. Le législateur semblait viser précisément le scénario décrit en chambre le 30 mars 1967 par le chef de l’opposition, même si la mesure ne touchait pas précisément la minorité francophone.

L’interprétation de l’article 23C a été abordée peu après son adoption. À peine un an plus tard, une demande présentée dans le contexte d’une procédure criminelle cherchait à obtenir un procès en français. La Division des appels devait décider si la disposition était applicable, c’est-à-dire à titre de règle incorporée en vertu d’une loi fédérale ou en soi comme relevant de l’administration de la justice, une compétence provinciale. Bien que l’article 23C ait été inclus dans la Loi sur la preuve, la formation le qualifiait de règle de procédure et non de preuve[25]. Par conséquent, il n’était pas incorporé au droit fédéral en vertu de sa Loi sur la preuve. Ensuite, puisque cet article concernait la procédure, il a été déclaré inapplicable aux instances criminelles, car la matière a été réservée exclusivement au Parlement du Canada[26]. Dans ces circonstances, l’article 23C a été limité aux seules instances civiles. Néanmoins, sans le dire expressément, la Cour suprême du Canada paraît avoir divergé d’opinion sur cette question spécifique[27].

En pratique, l’article 23C s’est révélé d’une utilité restreinte pour les francophones. La magistrature et le Barreau comptaient plusieurs membres de la minorité linguistique[28], mais il fallait encore réunir toutes les conditions essentielles à la conduite d’une procédure exclusivement en français. Son libellé ne permettait pas, à première vue, des procès bilingues. Si l’une des parties ou son avocat n’avait pas une connaissance suffisante de la langue, le juge ne pouvait pas invoquer la disposition et l’anglais devait être employé par défaut. Ainsi, des obstacles majeurs à l’emploi du français ont persisté devant les tribunaux, et cela est illustré par une cause en particulier : l’affaire Blanchard[29], impliquant deux parties francophones et des événements survenus au campus de l’Université de Moncton, a donné lieu en 1970 à une demande pour le déroulement du procès dans la langue de la minorité. Le juge présidant l’audience a simplement statué ceci : « Such is not yet possible in this Province, but substantial progress has been made to that end and, in the interval, simultaneous translation facilities were made available for this trial by the Department of Justice from Fredericton[30]. » La source de l’impossibilité n’est pas clairement expliquée[31]. Le juge Barry faisait probablement référence à ses propres déficiences linguistiques ou à celles du personnel d’appoint comme les sténographes, car les avocats paraissaient compétents en français. Néanmoins, sans avoir fait une différence dans ce cas précis, l’article 23C offrait quand même l’avantage théorique d’avoir brisé le monopole de l’anglais dans l’administration de la justice. Le législateur affichait ainsi une première ouverture vers des langues autres que celle de la majorité.

3 L’article 14 de la Loi sur les langues officielles (1969)

La fin des années 60 correspond aussi à la production en plusieurs volumes de la version définitive du rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Dans ses travaux, la deuxième recommandation concernait le Nouveau-Brunswick et l’adoption d’un régime linguistique[32]. Cela a conduit à l’adoption de la Loi sur les langues officielles (LLO) en 1969[33]. Parmi tous les sujets abordés, il y a l’administration de la justice. À ce titre, le législateur s’est inspiré directement de l’article 23C de la Loi sur la preuve adopté en 1967 en élargissant le droit davantage. L’article 14 de la nouvelle loi énonçait ceci :

  • (1) Sous réserve de l’article 16, dans toute procédure devant un tribunal, toute personne qui comparaît ou témoigne peut être entendue dans la langue officielle de son choix et ne doit être, en fait, nullement défavorisée en raison de son choix.

  • (2) Sous réserve du paragraphe (1),

    • a) lorsqu’une partie le demande ; et

    • b) que le tribunal convient qu’on peut efficacement procéder ainsi ;

le tribunal peut ordonner que les séances se tiennent uniquement ou partiellement dans l’une des langues officielles[34].

À première vue, la protection de l’article 14 de la LLO 1969 ne s’étendait pas aux plaidoiries écrites et aux actes de procédure, mais se limitait plutôt aux échanges oraux avec le tribunal[35]. Sous réserve du droit conféré au premier paragraphe, les conditions de l’article 23C étaient essentiellement reprises au deuxième, bien qu’elles n’aient plus abordé expressément la compétence linguistique des parties et de leurs avocats. Le tribunal devait encore décider si l’instance ou une partie de celle-ci pouvait procéder efficacement dans la langue demandée. De surcroît, l’article 16 mentionné en note liminaire du premier paragraphe y ajoutait d’autres restrictions importantes :

  • Lorsque

    • a) le nombre des personnes en cause le justifie ;

    • b) l’esprit de la présente loi l’exige ; ou

    • c) si l’on juge qu’il est nécessaire de le faire pour assurer la bonne application de la présente loi ;

le lieutenant-gouverneur en conseil peut édicter des règlements précisant l’application des articles 9, 10 et 11 et du paragraphe (1) de l’article 14[36].

Potentiellement, selon les premier et troisième alinéas de cet article, le droit d’être entendu dans la langue officielle de son choix pouvait être limité en fonction du « nombre de personnes en cause » ou d’autres règles jugées nécessaires à la « bonne application » de la loi. La portée de ce pouvoir réglementaire pouvait être considérable.

L’article 14 a été proclamé en vigueur à partir de 1972 et, trois ans plus tard, les restrictions imposées à l’article 16 précité ont été modifiées substantiellement. D’abord, le pouvoir réglementaire a été scindé en deux, avec un premier paragraphe répétant essentiellement celui reproduit ci-dessus mais en retirant la référence à l’article 14. Un second lui était ensuite ajouté dans les termes suivants : « Le lieutenant-gouverneur en conseil peut établir des règlements régissant les procédures engagées devant tout tribunal, y compris les règlements relatifs aux notifications qu’il estime nécessaires pour permettre au tribunal d’exercer toute fonction ou pouvoir qui lui est conféré ou imposé par l’article 13[37]. » L’article 14 de la LLO 1969 est devenu l’article 13 dans la version révisée de 1973, d’où la référence se trouvant dans ce passage. La disposition a conféré un pouvoir réglementaire limité à la procédure judiciaire, contrairement à la version précédente concernant le pouvoir de réglementer « l’application […] du paragraphe (1) de l’article 14 », notamment en fonction du « nombre de personnes en cause[38] ». En 1976, deux règlements ont été adoptés sous l’autorité du nouvel article 16 (2). Le premier concernait l’admissibilité en preuve et la valeur probante de documents traduits[39] ; le second, les préavis nécessaires à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge en vertu de l’article 14 (2) dans les instances pour infraction à une loi provinciale[40]. Le droit de comparaître et de témoigner dans l’une des langues officielles ne pouvait plus être restreint par le lieutenant-gouverneur en conseil, mais la disposition est demeurée silencieuse quant à la langue des actes de procédure.

Cela dit, comme pour l’article 23C de la Loi sur la preuve, l’efficacité de l’article 14 de la LLO 1969 semble avoir été assez limitée sans aucune mesure additionnelle permettant la tenue de procès dans la langue de la minorité. Par exemple, à la fin des années 70, de 0,3 à 3,8 p. 100 des audiences se déroulaient en français[41]. Les lois en format bilingue ont été accessibles seulement à partir de 1974[42], alors que les règles de procédure ne l’ont pas été avant 1982[43]. Le Barreau comptait plusieurs avocats francophones, mais la plupart avaient été formés en anglais[44]. Par conséquent, permettre l’usage d’une langue autre que celle de la majorité devant les tribunaux n’a pas entraîné une modification substantielle de la coutume à cet égard.

4 La liberté de choix

En 1867, les Pères de la Confédération s’étaient entendus sur des obligations linguistiques pour les autorités fédérales et québécoises. Parmi les organes publics visés, il y avait notamment les tribunaux. Plus précisément, l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 dispose ce qui suit : « dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux du Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou l’autre de ces langues [française et anglaise][45] ». L’obligation était ensuite étendue au Manitoba en réponse à l’opposition à son admission dans la Confédération en 1870[46]. Même si le Nouveau-Brunswick en a été exclu, la proposition n’a pas manqué d’y soulever des préoccupations auprès de la majorité linguistique[47]. Certains craignaient l’introduction du français devant les tribunaux de la province par l’intermédiaire des responsabilités fédérales. À la fin des années 70, les tribunaux ne s’étaient pas encore prononcés extensivement sur cette disposition, mais il semble clair qu’elle ne concernait pas les tribunaux provinciaux exclus même lorsqu’ils appliquaient des lois fédérales[48]. D’un autre côté, la disposition ne se limitait pas aux seules cours supérieures et elle accordait une liberté de choix aux participants à la procédure[49]. Autrement, la portée précise de l’obligation pesant sur les autorités n’avait pas été définie.

Par comparaison avec la protection constitutionnelle applicable au fédéral, au Québec puis au Manitoba, malgré la modification à la LLO 1969 effectuée en 1975, le droit d’employer la langue française ou anglaise au Nouveau-Brunswick demeurait soumis à des réserves importantes. En principe, son premier paragraphe accordait une liberté de choix à « toute personne qui comparaît ou témoigne », mais le paragraphe 2 de l’article 16 pouvait le restreindre dans certains cas en permettant au juge de décider la langue de la procédure. Ce sujet allait faire l’objet de commentaires en chambre lorsque les députés ont été appelés à considérer l’enchâssement d’obligations linguistiques dans la Constitution, en 1981. Plus particulièrement, dans son discours inaugural du 31 mars, le premier ministre expliquait ceci :

Il y a un autre point que je voudrais souligner. Dans la résolution déposée devant le Parlement canadien, il y a essentiellement un cas où nous allons au-delà des dispositions de la Loi sur les langues officielles ; il s’agit du paragraphe 19 (2), où nous stipulons : « Chacun a le droit d’employer la langue officielle de son choix dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent. »

Il s’agit là d’un élargissement des droits des francophones et des anglophones de la province, pour autant que la Loi sur les langues officielles soit concernée. Nous avons adopté cette position parce que nous voulions aller aussi loin que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique l’a fait en 1867, en stipulant les droits des personnes devant les tribunaux, et le paragraphe 19 (1) de la résolution qui deviendra la Constitution du Canada stipule que pour autant que le gouvernement fédéral soit concerné, quiconque peut s’exprimer en anglais ou en français dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent. Ce sont là les faits, pour ce qui est du gouvernement du Canada. C’est le maximum exigé de la province du Manitoba et de la province de Québec, et j’ai cru que nous ne pouvions faire moins que viser cet objectif[50].

Au moment où ce débat avait lieu, une autre décision de la Cour suprême du Canada reconnaissait l’importance des règles de pratique bilingue pour assurer aux justiciables un accès égal aux tribunaux[51]. Le projet de modification à la Constitution obtenait l’assentiment unanime de l’Assemblée législative le 14 avril 1981 et devenait l’article 19 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés[52] un an plus tard, soit le 17 avril 1982. Il protège maintenant le droit de chacun « d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les actes de procédure qui en découlent ».

À la lumière du propos précité, il n’est pas surprenant de voir une modification apportée à la LLO 1969 peu après l’adoption de la Charte. La partie de l’article 14 de la LLO 1969 reprenant l’article 23C de la Loi sur la preuve et permettant aux juges de fixer une langue pour la procédure, a été abrogée[53]. Une autre disposition y a ajouté le droit d’un inculpé de choisir la langue de son procès. Donc, en matière pénale, le pouvoir du juge était transformé en droit pour un accusé. Selon un article du professeur Bastarache paru en 1983 (avant son accession à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick et à la Cour suprême du Canada), « [probablement] que la mesure ait été adoptée suite au récit de nombreux cas de prévenus ayant fait l’objet de remarques désobligeantes dans la Cour provinciale, la demande d’un procès français faite par un accusé bilingue étant considérée comme déraisonnable et insultante par certains juges et procureurs[54] ». Cela a sûrement été un facteur pertinent, mais, selon l’avis exprimé par le ministre de la Justice en chambre le 16 juin 1982, la démarche était surtout justifiée par l’article 19 (2) de la Charte. Il affirmait alors, par rapport au droit d’un accusé de procéder dans l’une ou l’autre des langues officielles, que « la Charte stipule que cela doit se faire dans les causes civiles. La loi actuelle permet toutefois au juge de décider dans quelle langue se déroulera le procès, ce qui va à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Charte[55]. » Le dernier vestige de 1967 disparaissait ainsi et le législateur instaurait définitivement un régime de droit basé sur la liberté de choix. Néanmoins, rien n’était encore dit des documents produits dans le contexte d’une procédure.

De plus, un point n’était pas clair : dans quelle mesure une personne pouvait-elle s’attendre d’être comprise dans sa langue par le tribunal ? La question a été tranchée par la Cour suprême du Canada seulement en 1986[56]. L’une des causes concernait le Nouveau-Brunswick et l’article 19 (2) de la Charte. La cour appliquait alors la liberté de choix aux juges rendant justice au nom de Sa Majesté, en plus de tous les autres participants au processus judiciaire. Par conséquent, la Constitution ne protégeait pas le droit d’un individu d’être entendu dans sa langue par le tribunal[57]. Cependant, la cause n’a pas été complètement perdue pour les appelants, car, concernant l’article 14 (1) de la LLO 1969, la Cour suprême du Canada l’interprétait comme conférant le droit aux justiciables d’être compris dans leur langue par la magistrature[58], mais sans dire si la communication pouvait s’effectuer à l’aide de l’interprétation simultanée ou consécutive. Afin d’éviter toute confusion à cet égard, une modification a été adoptée à l’automne 1990. Celle-ci a précisé que les échanges entre le tribunal et le justiciable doivent se faire directement « sans avoir besoin de traduction ». Le nouveau paragraphe disposait ceci : « 13 (1.2) Sous réserve du paragraphe (1), une personne qui est partie à des procédures devant un tribunal a droit d’être entendue par un tribunal qui comprend, sans avoir besoin de traduction, la langue officielle dans laquelle la personne a l’intention de procéder[59]. » Pour assurer une pleine atteinte de cet objectif, le législateur ajoutait en plus deux dispositions conférant un pouvoir spécial de nommer aux différents tribunaux, si nécessaire, des personnes pouvant comprendre la langue des parties. Par ces articles, le législateur a accordé préséance à la liberté de choix des parties plutôt qu’à celle des juges et des autres officiers de la cour. Évidemment, cela n’élimine pas le droit constitutionnel des magistrats d’employer leur langue en présidant les audiences, mais le caractère institutionnel de la protection impose aux autorités le devoir d’assigner aux causes des officiers qui acceptent de s’exprimer selon le choix des parties[60]. Tout commentaire de leur part ayant pour effet de décourager l’emploi d’une langue a été déclaré inacceptable[61]. La liberté de choix et le droit d’être compris directement ont été maintenus dans la révision de 2002, outre qu’ils concernaient précisément les actes de procédure pour la première fois[62].

Les dispositions précitées établissent clairement le droit d’une partie à des poursuites judiciaires de choisir la langue française ou anglaise selon sa préférence[63]. À cet égard, la Cour suprême du Canada a reconnu l’importance des règles de pratique pour permettre un accès effectif à la justice[64]. En plus du fait de fournir les formulaires servant à entamer les poursuites, ces règles définissent souvent la terminologie propre à la pratique du droit et à la communication avec l’organe judiciaire. Leur disponibilité dans une seule langue limite ainsi l’accès dans les autres. Au Nouveau-Brunswick, la première version bilingue des règles de pratique est entrée en vigueur le 1er juin 1982[65]. En addition à leur format bilingue, plusieurs dispositions régissent les échanges entre les parties et servent à faciliter le respect de la liberté de choix décrite ci-dessus. Néanmoins, il faut préciser qu’elles ne renferment pas l’ensemble des règles applicables en matière de procédure. D’autres se trouvent dans des instruments comme les Règles de la Cour des successions[66] et le règlement sur les Formules réglementaires — Loi sur les propriétaires et locataires[67], pour ne nommer que ces deux-là.

En principe, le choix de langue d’une partie se fait au moment de la production du premier acte de procédure. Celui-ci doit habituellement indiquer la langue officielle que la partie entend employer[68] mais sans empêcher un changement par la suite[69]. Cette exigence a pour objet d’aviser les parties opposées de leur préférence linguistique respective pour déterminer le besoin d’un service d’interprétation. À cette fin, la règle 4.08 (3) exige que des avis types soient produits en format bilingue (à défaut de quoi le vice risque de devoir être corrigé[70]), mais autrement les documents sont produits dans la langue choisie par la partie sans obligation d’en fournir une traduction. La langue indiquée dans l’acte de procédure sert aussi à informer le greffe de la cour pour permettre l’affectation d’un juge apte à suivre le déroulement de la cause. La procédure à suivre dans le cas des requêtes et des motions étant moins élaborée, une disposition précise a été prévue concernant le déroulement de ces audiences. Le 1er juillet 1985, la règle 39.05 est entrée en vigueur :

  • Langue des procédures

  • (1) La partie qui, à l’occasion d’une motion ou demande, entend utiliser une langue officielle autre que celle qu’une autre partie entend utiliser ou présenter la preuve dans une langue officielle autre que celle dans laquelle une autre partie entend présenter sa preuve doit en aviser le greffier au moins 7 jours avant l’audience.

  • (2) Le greffier qui a été avisé conformément au paragraphe (1), doit veiller à ce qu’un interprète soit présent à l’audience[71].

Cette règle ne mentionne pas laquelle des parties doit aviser le greffier, ni ne prévoit une obligation pour les parties de s’aviser mutuellement de leur choix linguistique. Néanmoins, en principe, avec le dépôt d’un mémoire écrit conformément à la règle 38.06.1 en vigueur depuis le 1er septembre 1986[72], la langue d’une partie devrait être connue de l’autre, mais aucune exigence du genre n’existe dans le cas d’une motion. Dans la mesure où l’objet de la règle 39.05 est l’indication de la préférence linguistique d’une partie, elle peut seulement viser la partie intimée, sur qui repose alors l’obligation d’aviser le greffier en conséquence[73].

Dans le contexte d’une action, lorsque les parties choisissent une langue différente, les règles prévoient un service d’interprétation à différentes étapes de la procédure. Concernant l’interrogatoire au préalable, la règle 33.06 (3) énonce ceci :

S’il est prévu que l’interrogatoire se déroulera dans une langue officielle autre que celle que comprend le témoin, la partie interrogeante doit en aviser le greffier de la circonscription judiciaire où aura lieu l’interrogatoire. Sans frais pour les parties, le greffier doit alors nommer un interprète qui doit jurer de traduire fidèlement le serment que prêtera l’interrogé, aussi bien que les questions qui lui seront posées et ses réponses[74].

Le même droit existe concernant les langues non officielles, sauf que le service est alors aux frais de la partie interrogeant le témoin[75] au lieu de l’État. Des mesures similaires sont prévues pour le procès dont le certificat de mise en état doit indiquer la langue des parties et le besoin d’un service d’interprétation, le cas échéant[76]. Celui-ci doit encore être confirmé au moins quatre jours avant l’audience[77]. Étant donné que le juge doit comprendre les parties directement sans l’assistance d’un interprète, ce service est au seul bénéfice de ces dernières ou au bénéfice des témoins. Lorsqu’il est rendu nécessaire pour un témoin ne parlant aucune des langues officielles, le service est alors aux frais de la partie le convoquant[78]. Ainsi, le silence de la LLO 1969 quant à la langue des actes de procédure n’a pas empêché le lieutenant-gouverneur en conseil d’adopter des règlements à cet effet, en plus d’autres au sujet des avis nécessaires à l’exercice du droit d’être entendu par le tribunal sans l’assistance d’un interprète. Toutes ces mesures facilitent l’objectif de la liberté de choix, autant dans la production de documents que pour le déroulement d’un procès.

5 Les exceptions à la liberté de choix

Selon l’état du droit avant 1967, un justiciable n’avait aucune liberté de choisir la langue à employer dans le cas de poursuites judiciaires. La modification à la Loi sur la preuve élargissait les possibilités mais seulement dans des conditions assez restreintes. Toutefois, après l’exercice du pouvoir judiciaire, plus aucune liberté de choix n’existait, ce qui limitait les parties à la seule langue imposée par le tribunal. L’article 14 de la LLO 1969 avait étendu davantage la liberté des parties mais la cour gardait aussi l’autorité de fixer la langue de certains aspects de la procédure. Ce pouvoir est seulement disparu avec la proclamation en vigueur de l’article 19 (2) de la Charte et une modification correspondante à l’article 14 de la LLO 1969. Il faut noter que l’imposition d’une langue pour le déroulement de la procédure n’a pas été perçue défavorablement de tous. Ainsi, le Groupe d’étude sur les langues officielles a formulé, dans son rapport rendu en 1982, une préférence pour n’« avoir dans la majorité des cas qu’une seule langue des actes de procédure[79] ». Critiquant la liberté de choix à la base de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’article 19 (2) de la Charte, il exprimait l’avis que « [l]e prix de la justice et la qualité des services offerts devraient avoir la priorité sur des principes généraux qui ne peuvent être mis en application de façon efficace dans la pratique[80] ». La base de l’objection visait le risque d’un recours trop fréquent au service d’interprétation, ce qui aurait ralenti la procédure[81].

En dernière analyse, le législateur a accepté le concept de liberté de choix, tel qu’il apparaît à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 : cependant, avec cette nouvelle philosophie, un autre genre de restrictions à la liberté de choix a fait son apparition à partir de 1982. L’imposition d’une langue pour la procédure ne dépend plus du pouvoir judiciaire ni de la compétence linguistique des parties ou de leurs avocats, mais de l’identité de certains participants à l’instance. Généralement, les autorités publiques et des acteurs privés agissant pour le compte de tiers ont vu leur liberté de choix restreinte par la langue d’autres personnes.

5.1 Le poursuivant dans la procédure pénale

En 1982, alors que le législateur adoptait une modification à la LLO 1969 afin d’y rendre les droits linguistiques en matière d’administration de la justice conformes aux nouvelles obligations de la Charte, une autre modification allait permettre à un inculpé de choisir la langue de son procès. Le paragraphe suivant était alors ajouté à l’article 13 : « (1.1) Sous réserve du paragraphe (1), une personne accusée d’une infraction à une loi ou à un règlement de la province, ou à un arrêté municipal, a droit au déroulement des procédures dans la langue officielle de son choix, et elle doit être informée de ce droit par le juge qui préside au procès avant d’enregistrer son plaidoyer[82]. » Auparavant, un règlement de 1976 s’était arrêté aux audiences pour infraction aux lois provinciales, mais il s’inscrivait dans la philosophie régnant alors, étant tributaire du pouvoir judiciaire de fixer la langue de la procédure. Sauf une telle ordonnance, la Couronne demeurait libre de procéder dans la langue de son choix. Maintenant, selon la disposition de 1982, le seul rôle des juges est d’aviser les personnes accusées de leur droit à un procès dans leur langue.

L’expression « déroulement des procédures » fait référence à toutes les instances où l’accusé est en contact avec le tribunal et non seulement à la conduite du procès[83]. En particulier, la première comparution est aussi visée, d’où l’obligation pour le juge d’aviser l’inculpé « avant d’enregistrer son plaidoyer[84] ». La Couronne provinciale ou la municipalité poursuivante doit donc procéder dans la langue choisie par la partie défenderesse. Cela dit, la nouvelle approche ne signifie pas que toutes les communications doivent être dans la langue de la personne occupant le banc des accusés. Par exemple, les témoins gardent le droit constitutionnel de présenter leur preuve écrite ou orale dans la langue de leur choix[85]. Par contre, pour compenser la situation concernant la preuve documentaire, le Règlement sur la traduction de documents[86] de 1985, reprenant essentiellement le règlement précédent (de 1976)[87], permet le recours à une traduction dans « une procédure découlant d’une infraction à toute loi ou tout règlement de la province ou à tout arrêté municipal[88] ». Celle-ci fait alors foi « comme l’original et a la même valeur probante[89] ». Cette mesure facilite donc le déroulement des poursuites dans la langue choisie par l’accusé. Au même effet, depuis 2002, une partie ou un témoin peut exiger la présence d’un service d’interprétation au procès pour comprendre la preuve orale pouvant y être consignée. Cependant, les exigences linguistiques n’imposent pas une obligation de traduire tous les documents divulgués en préparation du procès[90].

Au Nouveau-Brunswick, les infractions aux lois provinciales et aux arrêtés municipaux sont poursuivies devant la Cour provinciale. La procédure diffère de celle des cours supérieures. La disposition précitée impose déjà au juge du procès l’obligation d’aviser la personne accusée de son droit au déroulement de la procédure dans la langue officielle de son choix, mais d’autres moyens pour faciliter sa mise en oeuvre ont été formulés en 1987 dans la nouvelle Loi sur la procédure applicable aux infractions provinciales[91]. Il y est prévu, entre autres, le droit pour l’inculpé d’obtenir une traduction de l’acte d’accusation lorsqu’il n’est pas rédigé dans la langue du procès. Autrement, la situation est demeurée inchangée depuis 1982 et cette garantie linguistique a été reprise dans la révision de 2002[92], de sorte que les personnes inculpées en vertu de lois provinciales ou d’arrêtés municipaux gardent le contrôle sur la langue de leur procès. La jurisprudence récente reconnaît en plus le rôle important joué par les policiers dans la mise en oeuvre de ces droits[93].

5.2 Les assureurs

Les activités des assureurs se déroulent dans une sphère particulière. En vertu du droit de la subrogation et de l’obligation de défense, ils sont habituellement impliqués dans les poursuites judiciaires au nom de leurs assurés dont la responsabilité est engagée[94]. Pour cette raison, le Groupe d’étude sur les langues officielles recommandait une modification à la Loi sur les assurances « de façon à ce que la compagnie d’assurance ne puisse pas faire échec au droit de son assuré de demander un procès dans sa langue au motif que la compagnie est désormais elle-même partie à l’action, par subrogation, et libre de demander un procès dans une autre langue[95] ». Le législateur a pris plusieurs années avant d’y réagir, mais une cause de 1986 a donné finalement une valeur quantifiable à la suggestion de 1982. Dans l’affaire Cormier[96], un service d’interprétation était demandé au seul bénéfice de l’avocat anglophone retenu par l’assureur dans une procédure menée entièrement en français.

Dans le contexte de cette affaire, la Cour du Banc de la Reine a accordé le service d’interprétation demandé, mais la cause a permis de sensibiliser le gouvernement au caractère incongru de la situation. Peu après, une modification à la Loi sur les assurances a été proposée. L’article 20.2 y était alors ajouté :

(1) Nul assureur faisant affaires dans la province ne peut retenir les services d’un avocat pour agir au nom d’un assuré, sauf si l’assuré a indiqué à l’assureur la langue officielle qu’il désire que l’avocat agissant en son nom utilise.

(2) Lorsqu’un assureur doit ou désire retenir les services d’un avocat pour agir au nom d’un assuré, l’assureur doit, après que l’assuré a indiqué la langue officielle qu’il désire que l’avocat agissant en son nom utilise, retenir les services d’un avocat qui utilise la langue officielle ainsi indiquée.

(3) L’assureur qui enfreint le paragraphe (1) ou qui fait défaut de se conformer au paragraphe (2) commet une infraction[97].

Une cause entendue depuis a permis de clarifier la portée de cet article. L’avocat retenu par un assureur dans une affaire menée en français y avait demandé la permission de procéder en anglais lors de l’interrogatoire au préalable. Même si les assurés y avaient consenti, l’autre partie s’y était opposée. Dans son ordonnance, le juge de la Cour du Banc de la Reine a rejeté la requête : si l’avocat n’est pas suffisamment habile pour agir en français, il ne lui convient pas de demander aux assurés de renoncer à leur droit, car, au départ, l’assureur ne devrait pas retenir ses services[98]. Par conséquent, entre la liberté de choix des assureurs et des assurés, celle du client est favorisée, ce qui limite du même coup celle du fournisseur du service. Au même effet, en 1999, la Cour du Banc de la Reine a imposé une obligation à la province du Nouveau-Brunswick de désigner un avocat apte à communiquer dans la langue des enfants pour les représenter dans une procédure en vue de leur retrait du foyer familial[99].

Contrairement aux entités publiques provinciales visées à la fois dans les articles 16 (2) et 20 (2) de la Charte comme à l’article 19 (2), les assureurs sont des parties privées bénéficiant des droits constitutionnels. En principe, ils peuvent aussi revendiquer le droit d’employer la langue de leur choix devant les tribunaux. Les dispositions précitées de la Loi sur les assurances pourraient potentiellement être contestées, mais une considération du contexte de leur adoption et une interprétation téléologique de l’article 16 (3) de la Charte suffiraient possiblement à les sauvegarder[100]. À la lumière des affaires Cormier[101] et Gagnon[102], il semble s’agir d’un cas relativement clair de mesures pour « favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais[103] ». À tout le moins, la restriction pourrait être justifiable en vertu de l’article premier de la Charte[104].

5.3 Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick

Le gouvernement provincial est impliqué fréquemment devant les tribunaux dans les poursuites pénales mais aussi civiles. En matière pénale, la modification de 1982 a conféré aux personnes accusées en vertu de lois provinciales le droit de choisir la langue de leur procès avec l’exigence corollaire d’y affecter un procureur de la Couronne compétent à cet égard. Cependant, peu importe la pratique qui puisse avoir existé depuis, rien de similaire n’avait été prévu lorsque Sa Majesté était une partie dans une instance civile. Cette lacune a été comblée en 2002 avec la révision de la LLO 1969. Deux dispositions ont alors été incluses dans la nouvelle version imposant de telles obligations. Elles prévoient ceci :

22. Dans une affaire civile dont est saisi un tribunal et à laquelle est partie Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick ou une institution, Sa Majesté ou l’institution utilise, pour les plaidoiries orales et écrites et pour les actes de procédure qui en découlent, la langue officielle choisie par la partie civile.

23. Lorsque les parties à une affaire civile, autre que Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick ou une institution, ne peuvent s’accorder sur le choix de la langue ou qu’elles omettent de faire un choix, Sa Majesté ou l’institution concernée utilise la langue officielle la plus justifiée dans les circonstances[105].

Alors que le premier article ne laisse aucun doute quant à la langue officielle devant être employée par la province, le second confère une discrétion selon les circonstances de l’affaire. Cependant, comme dans le cas des poursuites pénales, ces dispositions n’ont pas pour effet de limiter le droit constitutionnel du témoin de consigner sa preuve en français ou en anglais selon sa préférence. Sa Majesté n’est pas limitée à la seule preuve ou jurisprudence à sa disposition dans la langue du procès non plus[106].

L’article 22 de la Loi sur les langues officielles révisée (LLO) en 2002 a fait l’objet d’une interprétation judiciaire tôt après son adoption. Dans une instance cherchant différentes déclarations contre la ville de Saint John, le requérant a choisi de procéder en français. En défense, la Ville a présenté ses documents en anglais. Sur une objection préliminaire invoquant la disposition précitée, tous les paliers judiciaires, jusqu’à la Cour suprême du Canada, ont été appelés à trancher la question de savoir si la municipalité était obligée de procéder dans la langue de la partie civile par l’application de la définition du mot « institution ». La validité constitutionnelle de l’article n’était pas en jeu. Dans ce cas-ci, contrairement au cas d’une infraction à un arrêté municipal où la loi le prévoit expressément, le juge du procès, la Cour d’appel unanime puis une majorité de la Cour suprême ont conclu que la ville de Saint John n’est pas tenue d’employer la langue du demandeur[107]. La juge Charron, au nom de la majorité de la Cour suprême, a en plus refusé d’entériner l’opinion antérieure de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick[108] où une municipalité a été déclarée une institution du gouvernement provincial aux fins des articles 16 (2) et 20 (2) de la Charte. Les villes gardent donc la liberté de procéder en matière civile dans la langue officielle de leur choix.

Ces exceptions à la liberté de choix, même si elles ne relèvent pas strictement de l’article 19 (2) de la Charte qui permet aussi aux employés de l’État d’employer leur langue dans toute procédure, contribuent à l’atteinte de l’égalité des langues officielles[109]. Elles réduisent les obstacles qui pourraient autrement interférer avec l’efficacité du déroulement des instances et ainsi inciter des parties à renoncer à leur droit. Elles touchent surtout des entités publiques. À ce titre, il serait plutôt inusité d’accorder aux langues française et anglaise une égalité de statut, de droits et de privilèges quant à leur emploi dans les institutions du gouvernement[110] pour ensuite permettre à ces dernières de toujours ignorer la langue choisie par la partie adverse. Les exceptions, comme le droit d’être compris du tribunal, concernent donc certaines des préoccupations soulevées par les jugements de 1986 de la Cour suprême du Canada[111].

6 La publication bilingue des jugements

Dans un régime de common law d’origine britannique, les tribunaux formulent une partie considérable des règles de droit public et privé. Cela s’applique aussi aux principes régissant la procédure judiciaire. Pour que l’administration de la justice soit pleinement accessible en français et en anglais, les justiciables doivent pouvoir se familiariser avec toutes ces règles fondant les recours. Par conséquent, la disponibilité des jugements dans ces langues y joue un rôle également. Au Nouveau-Brunswick, il y a une longue tradition de publication des décisions judiciaires aux frais du public. La première initiative à ce sujet remonte à 1836 lorsque la loi intitulée An Act to Provide for Reporting and Publishing the Decisions of the Supreme Court[112] a été adoptée. Elle permettait au lieutenant-gouverneur en conseil de nommer une personne versée en droit avec la fonction « by his personal attendance or by any other means in his power, to obtain true and authentic reports of such opinions, decisions and judgments » puis d’en publier (shall publish) au moins 200 copies après chaque session de la cour[113]. Une somme annuelle de 50 £ était accordée pour ces travaux. Cette loi a été reconduite ensuite pour devenir permanente en 1866[114].

Une loi distincte était adoptée en 1895 concernant la publication des décisions de la Cour de chancellerie[115]. Les conditions étaient analogues à celles de la loi précédente. Avec la fusion des deux cours en 1909, les obligations de l’arrêtiste ont été intégrées en 1914[116]. Le législateur en a profité pour y inclure des décisions de la Cour du Banc du Roi, de la Cour familiale, de la Cour de comté et de la Cour des successions. La sélection des arrêts à publier était en plus confiée à un comité du Barreau. En 1960, l’exigence de produire au moins 200 copies a été remplacée par une simple obligation du conseil du Barreau de désigner un recueil de jurisprudence[117]. C’est l’état du droit qui règne encore aujourd’hui[118], et rien n’a été prévu quant à la langue de la publication jusqu’en 2002. Cependant, dans la mesure où la parution des jugements s’effectuait dans leur version originale et que la seule langue permise des poursuites était l’anglais, il n’est pas surprenant de n’en trouver aucun en français avant 1967.

Cela dit, le silence quant à la langue des publications n’a pas restreint le pouvoir du gouvernement de dépenser pour assurer la traduction des jugements dans l’autre langue officielle. Une pratique en ce sens s’est développée au début des années 80 en l’absence de lois particulières. En considérant les arrêts parus dans la deuxième série des Recueils du Nouveau-Brunswick, la première publication bilingue remonte au volume 16 concernant deux décisions de 1976 de l’Office d’indemnisation des biens[119]. Aux volumes 17 et 20, deux jugements de 1977 de la Division des appels contenaient aussi une traduction des motifs en plus de la version originale[120]. La prochaine parution en français et en anglais survient au volume 31 concernant d’autres motifs de l’Office d’indemnisation des biens formulés en 1980[121]. À partir de cette dernière année, le nombre de traductions a cru constamment jusqu’au volume 58 où tous les jugements (ou presque) rendus depuis 1984 ont été produits dans les deux langues. Cette pratique a persisté jusqu’en 1996 lorsque, à partir du volume 176, même si le recueil est demeuré complètement bilingue, un supplément sur support électronique y a été joint reproduisant des arrêts dans leur seule version originale. Ce supplément n’a plus été produit à partir du volume 273 (2004) et des arrêts unilingues paraissent depuis le volume 276 dans le recueil imprimé. Ironiquement, ce recul correspond à la révision de la LLO 1969 menée en 2002 et à l’inclusion d’une disposition traitant de la publication des jugements.

En principe, les critères de publication bilingue établis en 2002 correspondent aux arrêts dignes d’intérêt, mais les éditeurs sont libres d’aussi reproduire ceux qui sont sans valeur jurisprudentielle. Plus particulièrement, les articles 24 à 26 de la LLO 2002 énoncent ce qui suit :

  • 24 (1) Les décisions ou ordonnances définitives des tribunaux, exposés des motifs et sommaires compris, sont publiés dans les deux langues officielles

    • a) si le point de droit en litige présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public ; ou

    • b) lorsque les procédures se sont déroulées, en tout ou en partie, dans les deux langues officielles.

  • (2) Dans les cas visés par le paragraphe (1) ou lorsque la publication d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public ou qui causerait une injustice ou un inconvénient grave à une des parties au litige, la décision, exposé des motifs compris, est publiée d’abord dans l’une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais, dans l’autre langue officielle.

  • 25 Les décisions de la Cour d’appel sont réputées satisfaire aux critères de l’article 24.

  • 26 Les articles 24 et 25 n’ont pas pour effet d’interdire le prononcé, dans une seule langue officielle, d’une décision ou de l’exposé des motifs auquel cas la décision n’est pas invalide pour autant[122].

Toutefois, la portée ultime de l’obligation va dépendre de l’interprétation des termes « publiés », « décisions ou ordonnances définitives » puis des points de droit qui présentent « de l’intérêt ou de l’importance pour le public ». Sauf pour les décisions de la Cour d’appel, il est clair que tous les jugements n’ont pas à être publiés dans les deux langues officielles[123].

En ce qui concerne le sens du terme « publication », Le Petit Robert se réfère à la « procédure ayant pour objet de porter (un acte juridique) à la connaissance de tous[124] ». Au même effet, le verbe « publier » signifie « faire connaître au public, par la parole, par des écrits[125] ». À ce titre, la loi de 1836 est informative[126]. Selon son texte, il revenait à l’arrêtiste, et non à la cour, de publier (publish) au moins 200 copies des décisions rapportées. Le processus de production des jugements n’a pas changé substantiellement depuis le xixe siècle. Les dispositions actuelles de la Loi sur l’organisation judiciaire gardent le même vocable. Par opposition, en parlant de la fonction du juge, cette loi emploie l’expression « rendre son jugement[127] ». La Cour suprême du Canada, dans des affaires traitant du droit d’auteur, précise que la transmission sur demande d’un arrêt précis à une seule personne ne constitue pas une communication au public[128]. Cela survient seulement en distribuant l’oeuvre en série ou en la rendant consultable sans intervention de l’autorité responsable[129]. Ainsi, lorsque le tribunal communique son jugement aux parties, il ne s’agit vraisemblablement pas d’une communication au public. Néanmoins, sans entendre d’arguments, sans donner d’avertissement et sans en faire un enjeu dans l’instance, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick concluait simplement en 2005 qu’il « y a publication au sens de cette disposition lorsque la décision est déposée au bureau du registraire de la Cour[130] ». Pourtant, selon l’article 8 (6.2) de la Loi sur l’organisation judiciaire, le dépôt auprès du registraire a pour effet de « rendre » le jugement et non de le « publier ». Ce sont les articles 63 à 66 de cette loi qui s’intéressent à la publication.

Dans l’application de l’article 24 (1) (a), le gouvernement doit aussi tenir compte de l’intérêt et de l’importance de la décision pour le public. Le sens de ces expressions n’est pas clair, mais elles ne semblent pas faire référence à une notion de popularité. Par conséquent, ce ne sont pas seulement les jugements suivis par les médias ou traités dans ces derniers qui doivent être publiés en français et en anglais. Concernant le rôle des motifs produits par les juges, la Cour suprême du Canada expliquait ce qui suit en 2002 :

Au sens le plus large de la responsabilité judiciaire, la motivation des jugements constitue un aspect fondamental de la légitimité des institutions judiciaires aux yeux du public. Les décisions portant sur des cas individuels ne sont pas soumises à l’approbation de l’électorat ni sanctionnées par lui. Les tribunaux s’attirent la critique du public ou obtiennent son appui au moins en partie par la qualité de leurs motifs. Sans motifs, les jugés ne peuvent pas juger les juges[131].

Dans un régime de common law, les juges formulent dans leurs motifs une partie considérable des règles définissant les droits et les obligations des membres de la société. Le public peut difficilement connaître ses recours et ses responsabilités en l’absence des jugements. Par conséquent, d’un point de vue légal, les décisions ayant une valeur jurisprudentielle présentent un intérêt et une importance pour les gens vivant en communauté. Cette interprétation explique l’inclusion de l’article 25 de la LLO 2002 par rapport aux arrêts de la Cour d’appel se limitant aux questions de droit et elle permet aussi d’éclairer la portée du passage « décisions ou ordonnances définitives ». Les jugements établissant, clarifiant ou modifiant les droits et les obligations de la population devraient ainsi obtenir une attention particulière.

La consultation possible des jugements dans les deux langues officielles, peu importe la version originale, contribue à rendre la justice accessible en français et en anglais. Les justiciables peuvent ainsi prendre connaissance de leurs recours et de la terminologie juridique pertinente relativement à leurs revendications. Néanmoins, à cet égard, sont surtout utiles les décisions possédant une valeur jurisprudentielle. Les autres sont certainement d’un intérêt pour les parties à l’instance, mais elles contribuent peu à la formulation de l’état du droit et à sa compréhension par le public. Pour cette raison, même lorsqu’il y a publication, l’article 24 de la LLO 2002 n’exige pas qu’elle se fasse automatiquement dans les deux langues officielles et l’accès à la justice n’est pas compromis pour autant.

Conclusion

Avant 1967, la justice au Nouveau-Brunswick s’exprimait uniquement en anglais. Les poursuites se déroulaient dans cette seule langue, sauf lorsqu’un interprète était nécessaire pour un témoin ou un accusé incapable de s’y exprimer. L’ajout de l’article 23C à la Loi sur la preuve, en 1967, a permis l’emploi d’autres langues lorsque les circonstances s’y prêtaient. Deux ans plus tard, le droit était étendu davantage par la LLO 1969, mais des restrictions importantes à son exercice demeuraient. C’est seulement sous le coup de la réforme constitutionnelle de 1982 que la liberté de choix s’est pleinement réalisée dans la province. La LLO 1969 était alors modifiée conformément au texte de l’article 19 (2) de la Charte. Sauf une précision en 1990 quant au droit d’être compris par le juge sans l’aide d’interprétation et l’inclusion des actes de procédure en 2002, la philosophie législative est restée inchangée depuis.

Les restrictions à la liberté de choix permises à partir de 1982 ont été formulées en fonction de l’identité des parties à la procédure au lieu d’un pouvoir discrétionnaire du tribunal. Par exemple, une personne accusée d’une infraction à une loi provinciale ou à un arrêté municipal a maintenant le droit de contrôler la langue de son procès. Subséquemment, les assureurs ont été chargés de l’obligation de retenir les services d’avocats compétents dans la langue de leurs clients. Finalement, depuis 2002, Sa Majesté du chef du Nouveau-Brunswick doit procéder dans les affaires civiles dans la langue de la partie adverse, ce qui facilite le déroulement des poursuites dans une seule langue. Ainsi, les restrictions à la liberté de choix s’imposent surtout à des entités publiques ou corporatives et non aux individus.

Finalement, depuis 1982, les règles de pratique sont publiées en français et en anglais. La jurisprudence leur a reconnu un rôle indispensable pour assurer l’égalité d’accès à la justice. Elles régissent en plus les échanges entre les parties et le tribunal, dont les circonstances où un service de traduction est nécessaire. Depuis 1984, les principaux jugements du Nouveau-Brunswick sont aussi publiés dans les deux langues officielles. Dans un régime de common law, ils servent souvent à formuler les concepts juridiques de base et les recours à la disposition de la population. L’administration de la justice pourrait difficilement se faire dans une langue précise en l’absence de ces sources fondamentales du droit. Des obligations spécifiques ont finalement été incluses dans la LLO 2002 à cet égard. Des progrès considérables ont ainsi été accomplis au Nouveau-Brunswick depuis 1967 et, si des obstacles persistent en matière d’administration de la justice, ils ne relèvent plus de la législation.