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Il semble qu’il serait utile, de prime abord, de tenter de cerner rapidement le thème qui rassemble ici : l’art de juger.

L’art renvoie, par son étymologie tekne, à l’idée d’une technique. En ce sens, on utilise le mot « art » pour décrire un savoir-faire comme l’art médical, l’art d’enseigner. Dans son sens actuel, l’art désigne ce qu’on appelait les « beaux-arts » au xviiie siècle, la création d’une oeuvre d’art.

On peut également concevoir l’art comme l’affaire d’une tribune, la définition du mot « tribune » évoquant l’idée d’un certain public à qui l’on parle et qui écoute. « L’art ne peut pas être un monologue », disait Camus, et l’artiste n’a pas droit à la solitude : « Si quelqu’un n’a pas droit à la solitude, c’est justement l’artiste[1] ». À cet égard, l’oeuvre d’art est une forme de communication, un mode d’expression. Particulièrement pour la plupart des oeuvres dites contemporaines, l’oeuvre ne se comprend que replacée dans son espace environnemental et dans le contexte de l’exposition où elle paraît.

Avec le temps, l’art s’est fait « recette » que l’on nous sert à toutes les sauces, l’art de la table, l’art de la méditation, l’art de gérer son temps ; on a même parlé, au temps des collèges classiques, d’une éducation fondée sur les arts de la robe, parce que destinée d’abord à former des prêtres et des avocats.

Bien que présenté, le plus souvent, comme étant la maîtrise d’une technique ou d’une méthode, un « art de faire », l’art se trouve dans l’esprit du créateur et non dans la capacité à réaliser effectivement l’oeuvre qu’il élabore. L’oeuvre d’art découle d’une inspiration, c’est une oeuvre de l’esprit.

En parlant de l’art de juger, on peut simplement croire qu’il s’agit d’applications quasimécaniques des normes juridiques faites à des fins pédagogiques. Il faut de toute évidence élargir la notion et faire place à l’imaginaire du juge. À cet égard, le juge Louis LeBel, dans un article publié en 2001 dans la revue Éthique publique, répond ainsi à ceux qui s’inquiètent du fait que les magistrats s’aventurent sur le terrain de la philosophie, au point, ironise-t-il, qu’Aristote se serait réincarné sur les rives de l’Outaouais, rue Wellington : on doit, écrit-il, les laisser au moins réfléchir sur les liens entre leur art et l’expérience de la société humaine où ils vivent et travaillent[2]. Plus récemment, il écrivait que le juge ne saurait être qu’un orfèvre du syllogisme dont le rôle serait assimilé à celui d’un technicien des règles juridiques. Même s’il ne fait pas de lois, le juge contribue à la création du droit par l’exercice même de sa fonction judiciaire[3].

Faculté de juger, art de juger ou encore acte de juger, quels que soient les termes utilisés, le jugement judiciaire qui en résulte se fonde sur des sources et met en oeuvre une méthodologie que nous tenterons d’identifier. Dans un premier temps, nous proposons d’examiner quelles sont les préoccupations actuelles et les nouvelles questions qui viennent modifier l’horizon et le discours du jugement judiciaire. Dans un second temps, nous tenterons de voir si la méthodologie assez formelle adoptée par la Cour suprême du Canada et, plus particulièrement, la façon dont le juge LeBel adapte cette méthodologie, permet de construire un discours judiciaire qui minimise les tensions entre l’effectivité de l’ordre juridique établi et la reconnaissance des droits fondamentaux dans la poursuite d’une société juste et démocratique.

1 Les sources de l’art de juger

La fonction de juger est au coeur de la pensée juridique depuis les temps les plus anciens et trouve son fondement dans les traditions tant civilistes que de common law. Elle va constituer le point d’ancrage de plusieurs courants modernes de la philosophie du droit[4].

Kant a parlé de la faculté de juger[5]. C’est le sujet de sa troisième critique. Kant tente de corroborer la thèse selon laquelle les progrès du droit dans l’histoire se situent dans une perspective esthétique. Poussant l’analogie entre le jugement philosophique et le jugement judiciaire, il fait apparaître ce dernier comme un jugement réfléchissant par lequel le juge peut penser sa propre raison comme étant capable à la fois de connaître selon les lois de la nature (raison théorique) et de déterminer l’action selon les lois de la liberté (raison pratique). Kant distingue entre l’entendement, qui est la faculté des règles, et la faculté de juger, qui est celle de subsumer des règles selon les principes. Les principes président ainsi à l’application des règles et servent en quelque sorte de références permettant au juge de juger[6].

Dans son ouvrage Droit et démocratie[7], Jürgen Habermas montre que nous recevons de la tradition un ordre juridique dont l’autorité s’impose à nous de manière obligatoire, mais qu’il appartient aux juges, lorsqu’ils appliquent la loi à un cas particulier, de réinterpréter l’héritage juridique, en confrontant celui-ci aux valeurs et aux principes qui fondent la justice dans la société contemporaine. En fondant sa décision sur l’interprétation des textes faisant autorité, le juge actualise la tradition juridique, tout en la transmettant à ses successeurs. Il participe ainsi au travail de réalisation du sens à travers l’histoire. C’est ce que traduit l’analyse dworkienne du « roman à la chaîne ».

Ronald M. Dworkin, en effet, compare les juges à des écrivains qui doivent collaborer à la rédaction d’un roman collectif en écrivant l’un après l’autre un chapitre[8]. De même que chacun devrait tenir compte des chapitres précédents et s’efforcer en même temps de rendre l’oeuvre dans son ensemble la plus belle possible, de même, les juges interprètent l’ensemble des règles et des institutions en les faisant apparaître sous leur meilleur jour, et ces interprétations mettent en lumière les principes nécessaires. Parmi ces principes, le principe de l’unité est primordial. Celui-ci prescrit au juge de lire et de comprendre les normes publiques de comportement d’une communauté politique comme si elles étaient l’oeuvre d’un seul auteur, exprimant une conception cohérente de la justice et de l’équité.

Le juge ne peut se contenter de raconter la suite. S’il doit trouver le droit qui convient selon la thèse de l’unité du droit, il doit aussi être créatif et imaginaire. L’art de juger exige maintenant un dépassement, une performance qui fait éclater le cadre du roman. Juger, c’est dorénavant établir une « relation au monde[9] ».

Si l’art de juger ne s’est jamais réduit à l’application mécanique d’une règle de droit préétablie, à un fait brut, il implique de plus en plus des choix de politique juridique. La question n’est pas vraiment nouvelle. Le rapport entre l’acte de juger et l’éthique pose, en effet, des problèmes anciens. Déjà Aristote s’interrogeait sur les rapports entre la rigidité aveugle des normes posées et les problèmes de la justice au moment du jugement[10]. Ce qui semble aujourd’hui intéresser particulièrement les juristes, c’est, comme le note justement le professeur Pierre Noreau,

[la] reconsidération des conditions sociologiques de l’activité judiciaire […], le fait que le droit constitue un marqueur culturel, que l’arbitrage judiciaire recouvre souvent une grande part de médiation sociale, que le caractère individualisé du droit est un horizon improbable, que le droit échappe difficilement au sens commun des parties et que le principe de la neutralité du juge ne doit pas empêcher un débat élargi sur les différentes formes du pouvoir politique[11].

L’« esprit des lois » n’a-t-il pas toujours été inspiré par l’« esprit des sociétés » ?

L’acte de juger devient alors un acte de culture, une façon de rappeler ou de dénoncer les consensus sociaux et d’affirmer ce qui est en jeu dans l’échange social. Il y a dans l’acte de juger un constant ajustement du droit à la réalité sociale. Le droit ne peut plus simplement s’interpréter par lui-même. C’est toujours le droit d’une société donnée interprété à un moment donné de cette collectivité[12]. C’est pourquoi le juge doit être capable de faire évoluer le système juridique : constater, par exemple, que le droit des nuisances a changé, que le principe de la bonne foi doit devenir une règle de droit même en common law[13].

L’acte de juger, en raison souvent des nombreux intervenants au procès, met en évidence des conditions de la vie collective. L’activité juridique déborde le litige des parties en cause et met en scène des réseaux sociaux. En réglant un problème circonscrit par le droit, le juge touche beaucoup d’autres dimensions de la vie que le droit n’a normalement pas à connaître, mais que le juge ne peut ignorer.

La résurgence de l’interdisciplinarité à laquelle on semble assister rend plus prégnant le questionnement de l’intégration des sciences humaines, économiques et sociales au droit. Il est symptomatique de constater que ce questionnement réapparaît de façon récurrente en des périodes de forte mutation tant du contexte scientifique que de l’environnement socioéconomique. C’était le cas à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, lorsque s’est affirmée la volonté de rompre avec la méthode de l’exégèse afin de rendre la science du droit plus poreuse à une réalité sociale mouvante. Actuellement confronté à un autre tournant majeur caractérisé tant par une mondialisation des échanges que par une mutation profonde des modes de régulation, le droit voit émerger, à ses côtés, de nouvelles normativités dont la compréhension nécessite une approche globale[14]. L’État n’est plus le seul à produire des normes. L’émergence de nouvelles catégories de droits collectifs, comme le droit au développement ou encore le droit d’ingérence, et l’apparition de modèles globaux, comme l’État de droit ou la bonne gouvernance, suppléent au droit positif qui ne peut seul suffire à la tâche[15].

C’est en faisant référence à ce cadre élargi du droit que François Ost parle du dialogue des juges. On assiste, dit-il, à l’action conjointe, tantôt convergente, tantôt conflictuelle, de deux sortes de droit mondialisé : le premier qui tend à imposer des modèles de pratiques fondés sur l’efficacité et la rationalité économique ; et le second qui parle le langage des droits humains et tend à universaliser le principe de la dignité de l’être humain. Par-delà les frontières et les ordres de juridiction, le dialogue des juges présente lui aussi la même tension entre marché et droits fondamentaux et un même alignement sur des standards et des modèles dominants[16]. Il n’y a pas toujours de dialogue au sens propre du terme, puisque la référence aux nouveaux modes de droit mondialisé peut demeurer implicite. Par un effort d’imagination, le juge cherche, en prenant en compte les jurisprudences étrangères, à percevoir sa propre tradition afin de mieux évaluer sa décision[17]. L’interrogation qu’il doit alors porter sur la réception non seulement juridique mais aussi sociale de sa décision pose la question de sa neutralité et de son indépendance.

L’invasion des conflits moraux, religieux, économiques et politiques dans le système juridique bouleverse, en effet, la conception traditionnelle du rôle des tribunaux et place les juges dans une position inconfortable. L’imputation d’une responsabilité sociale aux juges relativement à certaines décisions controversées est devenue chose courante[18]. Alors que la science, la morale, la religion, les relations intimes devraient normalement rester en marge du droit, ces questions font l’objet de débats juridiques devant les tribunaux du fait de la prohibition du déni de justice. La panoplie des droits-valeurs qui ont été constitutionnalisés est non seulement, comme l’écrit justement, à notre avis, la professeure Martine Valois, une menace sérieuse à laquelle fait face le système juridique, mais elle favorise l’accroissement des critiques à l’égard des décisions judiciaires[19]. L’acte de juger, surtout depuis l’avènement des chartes, est devenu un acte politique. Il n’est pas certain, comme le soutient le philosophe Luc Bégin, qu’on puisse longtemps nier le caractère collectif du jugement, sa fonction déclaratoire et, par extension, sa participation aux débats qui animent et balisent l’espace public, c’est-à-dire l’espace politique[20].

Lorsque, à propos de l’acte de juger, on parle d’ouverture aux nouvelles perspectives sociales, philosophiques et politiques, c’est-à-dire à la prise en compte d’autres éléments que la seule lettre d’un texte légal, on parle, par là même, de méthode.

2 La méthodologie de l’art de juger

Le droit, comme la philosophie, a son Discours de la méthode. Il s’agit du discours préliminaire prononcé par Portalis, devant le Conseil d’État français en 1801. Ce discours est une réflexion sur l’évolution de la société, la mission du législateur et du gouvernement, l’office de la loi et du juge, et même de la doctrine ainsi que les droits et les devoirs des personnes[21].

Le discours de Portalis a été restructuré et élargi. Ainsi, dans la Méthode d’interprétation et sources en droit positif que définit François Gény, le caractère scientifique du droit prend une place importante[22]. Décrite par Benoît Frydman comme une branche de la sociologie appliquée, la science du droit couvre un champ très large, puisqu’elle comprend la morale pratique, la politique, l’art de faire des lois et le droit positif avec ses multiples objets. Destinée aux juges, la libre recherche promeut, dans cet esprit, une méthode scientifique de solution des litiges qui contribue à la réalisation de l’intérêt social[23]. Plus spécifiquement pour François Gény, le jugement peut être formé selon deux voies différentes : l’interprétation des sources, c’est-à-dire la norme juridique, et la libre recherche scientifique incluant la mise en balance des divers intérêts[24].

Lorsque cette deuxième voie est amorcée, les anciens repères conceptuels, méthodologiques et institutionnels perdent la rigueur et la centralité qui leur étaient conférées dans la pensée juridique classique. Le professeur Jean-Guy Belley écrit à cet égard que la panoplie de vocables associée au droit de la modernité avancée (droit pluriel, réflexif, préventif, alternatif…) est telle que le cantonnement dans le seul droit positif de l’État et la réduction de l’expertise aux seules questions de validité formelle sont des postures scientifiques et professionnelles qui ne vont plus de soi[25].

François Gény a fait en sorte que nous ayons une conception méthodologique qui permette aux tribunaux d’ajuster la norme juridique et la libre recherche scientifique pour répondre à l’évolution de la société. Dans un langage imagé, le regretté professeur Roderick A. Macdonald soutenait que la rédaction des jugements ne peut se faire sans une certaine méthodologie, mais croyait qu’il n’était pas possible d’établir des frontières étanches entre les diverses méthodologies décisionnelles :

J’admets volontiers qu’en fait, notre propre façon de faire sert nécessairement à privilégier un mode d’analyse plutôt qu’un autre. On pourrait dire, par métaphore, que les éléments décisionnels sont comme les planètes qui gravitent autour du soleil. Le système juridique officiel, indépendamment de la façon dont il est conçu, fait en sorte qu’un élément particulier prend la place de Mercure et que d’autres prennent celles de Mars, de Saturne, de Pluton. La question la plus importante, c’est de décider de quel système solaire il s’agit […] selon certains, c’est le texte de loi ou c’est l’héritage normatif positif qui est le soleil et tous les autres éléments sont des planètes. Gény a rendu possible que chacun de nous puisse situer à des fins d’analyse n’importe quelle planète à la place du soleil et que cette analyse demeure toujours juridique[26].

À la Cour suprême, la disposition des planètes semble s’insérer dans un système plutôt rigide. Le plan est prédéterminé : 1) les faits ; 2) l’historique judiciaire ; 3) les dispositions législatives pertinentes ; et 4) l’analyse. C’est à ce dernier stade seulement qu’entre en jeu le choix d’une ou des méthodes propres au sujet traité.

Une analyse sans doute bien imparfaite — et, sûrement, subjective — de quelques opinions du juge LeBel durant sa carrière à la Cour suprême nous amène à regrouper ses choix méthodologiques sous trois chefs principaux : 1) le dialogue des cultures ; 2) la rhétorique des droits constitutionnels ; et 3) l’avenir du droit.

2.1 Le dialogue des cultures

Les facteurs expliquant le rapport dialogique sont juridiques, sociologiques, culturels ou institutionnels. Le contexte influera sur le poids qu’aura tel ou tel facteur.

L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême constitue, sans aucun doute, un domaine où le juge LeBel a joué un rôle primordial.

Dans un article publié en 2006, le juge LeBel, assisté de Pierre-Louis Le Saunier, explique comment, au cours de l’histoire de la Cour suprême, le rapport de convergence entre les deux droits s’est développé[27]. Sur le plan tant historique que méthodologique, c’est la reconnaissance de la spécificité et de l’autonomie du droit civil qui a permis l’existence d’un véritable dialogue entre les deux traditions juridiques. Fort de ses assises, le droit civil s’est ouvert aux sources externes et a pu évoluer en harmonie avec le développement de la société.

Quelques opinions illustrent particulièrement l’importance que le juge LeBel attache au respect des méthodes intellectuelles propres au droit civil.

Dans l’affaire Prud’homme c. Prud’homme[28], de concert avec la juge Claire L’Heureux-Dubé, le juge LeBel rappelle que l’immunité relative de common law qui protège le conseiller municipal lors des séances du conseil est si intimement liée à la nature publique des fonctions exercées par ce conseiller, et aux exigences propres à celles-ci, qu’il doit être reconnu comme principe de common law publique applicable en droit civil québécois. La défense d’immunité relative applicable aux actions en diffamation en common law repose toutefois sur l’existence d’une présomption de malveillance et ne peut donc s’intégrer telle quelle au régime civiliste, qui repose sur une présomption de bonne foi (art. 2805 C.c.Q.), sans attenter à la cohérence de son application dans le domaine de la responsabilité de l’administration publique. Puisque les règles québécoises du droit de la responsabilité civile permettent d’assurer une protection équivalente et de sauvegarder les valeurs et les intérêts sociétaires qu’entend préserver la règle de l’immunité relative applicable à l’élu municipal en common law, l’importation pure et simple de cette immunité n’est pas nécessaire[29].

Le rapport entre le journaliste et sa source dans l’affaire Globe and Mail c. Canada (Procureur général)[30] permet au juge LeBel de disposer ainsi de la question du privilège du journaliste quant au secret de ses sources. Après avoir statué que le privilège invoqué ne possédait aucun fondement découlant des chartes, il conclut que le cadre d’analyse appliqué en common law pour reconnaître l’existence du privilège n’est pas pertinent dans une instance civile régie par le droit québécois. Seul le droit civil québécois peut servir de fondement à un privilège de protection ou pour reconnaître une exception à l’obligation générale de fournir des éléments de preuve. Même s’il découle de la common law, le recours à un cadre d’analyse semblable au test de Wigmore, pour reconnaître au cas par cas l’existence du privilège en droit criminel, s’avère toutefois tout aussi valable dans le contexte d’un litige en droit civil régi par le droit du Québec. La reconnaissance de ce cadre permet d’adopter une approche uniforme dans l’ensemble du pays tout en préservant le caractère distinct du milieu juridique régi par le Code civil du Québec. Rappelant que le public a un intérêt élevé dans le journalisme d’enquête, il conclut qu’une source anonyme (en l’espèce « ma Chouette ») devrait être identifiée seulement si cela s’avère essentiel à l’intégrité de l’administration de la justice.

C’est le secret professionnel de l’avocat qui engage le juge LeBel dans l’affaire Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc.[31] à faire une révision approfondie de la législation québécoise et de la jurisprudence applicable en cette matière. Il note que l’encadrement législatif tente d’organiser un domaine de la procédure et du droit civil québécois qui s’est développé à partir de sources relevant tant du droit civil québécois et français que de la common law. Cette mixité explique sans doute les difficultés sémantiques, sinon conceptuelles, qui continuent de marquer la vie de ce secteur du droit.

Certaines opinions se veulent proprement civilistes. Ainsi, dans l’arrêt Prévost-Masson c. Trust General du Canada[32], le juge LeBel, passant outre à la réticence des codificateurs, reconnaît la réalité de l’obligation in solidum dans le droit civil québécois des obligations.

La reconnaissance, par le juge LeBel et la juge Marie Deschamps dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette[33], de l’existence d’un régime de responsabilité civile sans faute en matière de trouble du voisinage, régime qui serait fondé sur le caractère excessif des inconvénients subis par la victime, démontre l’ouverture du droit civil aux sources externes dont les considérations de politique générale en matière d’environnement. Comme on le rappelle dans cette affaire, la responsabilité sans faute renforce l’application du principe du pollueur-payeur.

C’est cette même ouverture en matière de politique sociale qui sous-tend l’opinion du juge LeBel dans l’affaire dite Lola[34]. S’exprimant au nom de trois de ses collègues, le juge LeBel trace un très long historique du droit de la famille québécois portant sur la résidence familiale, le patrimoine familial, la prestation compensatoire, la société d’acquêts et l’obligation alimentaire entre conjoints mariés et conjoints unis civilement. Il fait état de l’évolution démographique et sociologique de l’union de fait depuis 1980 ainsi que de l’évolution de la conception jurisprudentielle de l’article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il conclut que, en l’absence de violation de cet article, la Cour suprême n’a pas le pouvoir d’imposer aux rapports privés des conjoints de fait un encadrement juridique basé sur une politique sociale différente de celle qu’a choisie le législateur dans le Code civil du Québec.

En droit constitutionnel, le dialogue des cultures s’élargit. Le droit civil s’imbrique dans les valeurs et les principes qu’énoncent les chartes, de sorte que le bien-fondé d’une règle de droit ne suffit pas : encore faut-il que cette règle apparaisse suffisamment juste pour ne pas heurter l’opinion publique.

2.2 La rhétorique des droits constitutionnels

Dans l’interprétation des chartes, les préceptes d’interprétation occupent une place prépondérante et se présentent souvent comme une méthode d’argumentation (ou rhétorique) des solutions données au problème. La nature des intérêts en jeu, la fragmentation des juridictions et l’utilisation de sources connexes au droit complexifient les débats.

Au Québec, l’utilisation des sources connexes peut révéler un réflexe plus civiliste que chartiste. Comme l’a noté le juge LeBel, dans l’affaire Prud’homme c. Prud’homme[35], le fait que la Charte des droits et libertés de la personne[36] reçoit également application dans la sphère privée emporte une conséquence importante. Cela favorise la pénétration des principes de droit civil dans l’application des cas d’atteinte aux droits quasiconstitutionnels. Le caractère autonome du Code civil tout comme celui de la Charte québécoise n’en sont pas moins sauvegardés, comme le démontre la façon dont a été abordée la question du recours en dommages punitifs dans l’affaire de Montigny c. Brossard (Succession)[37]. Le juge LeBel, pour la Cour suprême, affirme que, sans abandonner complètement la logique civiliste et la notion de faute que l’on retrouvait dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand[38], il faut reconnaître la spécificité du droit quasiconstitutionnel, eu égard au régime de droit commun de la responsabilité civile. En dehors des contextes de l’indemnisation en matière de lésion professionnelle, rien n’empêche de reconnaître le caractère autonome des dommages exemplaires et de donner à cette mesure de redressement toute l’ampleur et la flexibilité que son incorporation à la Charte québécoise commande.

Si, en raison de son statut quasiconstitutionnel, la Charte québécoise a préséance dans l’ordre normatif québécois sur les règles du Code civil, il paraît difficile d’exclure l’interprétation d’origine civiliste qui les lie. Ainsi, le juge LeBel, dissident dans l’affaire Syndicat Northcrest c. Amselem[39], réaffirme avec ses collègues la juge Deschamps et le juge Bastarache qu’on ne peut ignorer la Disposition préliminaire du Code civil québécois et douter de l’intention du législateur quant à la vision large que doivent adopter les juges lors de l’examen de la nature juridique des intérêts en jeu. Les trois juges reprochent aux juges majoritaires de ne pas avoir appliqué la méthode d’analyse développée depuis l’arrêt R. c. Oakes[40] et d’avoir remplacé la méthode bipartiste où chaque partie assume, à tour de rôle, le fardeau de la preuve par une méthode d’analyse unitaire qui consiste à comparer simplement l’inconvénient pour une partie avec l’inconvénient pour l’autre. Cette logique dénaturerait, à leur avis, l’article 9.1 de la Charte québécoise qui se réfère spécifiquement à l’intérêt commun de tous les citoyens[41].

Lorsqu’il examine la nature des intérêts en jeu, le juge LeBel se soucie particulièrement de l’intérêt collectif. Cela apparaît surtout dans ses opinions en matière de droit du travail. Dans l’affaire R. c. Advance Cutting & Coring Ltd.[42], une décision très partagée sur une question de violation de la liberté d’association, il se penche sur l’argument de la coercition idéologique que peut entraîner l’adhésion ou la contribution forcée à des syndicats. Il écrit que la participation des syndicats aux débats politiques et sociaux est un fait bien connu et bien documenté et pourrait faire l’objet de connaissance d’office… mais prendre connaissance d’office que les syndicats québécois ont une idéologie constante et appuient continuellement une cause ou une politique particulière et cherchent à imposer cette idéologie à leurs membres semble prêter beaucoup plus à controverse. Il conclut que les dispositions de la loi dite « Loi sur la construction du Québec[43] », qui exigent que toute personne souhaitant obtenir un certificat de compétence en construction devienne membre de l’un des cinq groupes syndicaux identifiés dans la loi, ne briment pas la liberté d’association. L’existence d’une certaine pression idéologique exercée par l’association à laquelle un individu s’estime forcé d’appartenir doit être démontrée pour que cet individu puisse bénéficier prima facie de son droit de ne pas faire partie de cette association.

Dans une opinion conjointe rédigée avec la juge en chef Beverley McLachlin dans l’arrêt Health Services and Support - Facilities Subjector Bargaming Assn. c. Colombie-Britannique[44], la protection accordée aux associations des travailleurs est élargie et précisée. Le droit des employés de participer à un processus de négociation collective doit dorénavant bénéficier d’une protection constitutionnelle. L’arrêt Ontario (Procureur général) c. Fraser[45] le réaffirme.

Dans une de ses toutes dernières opinions, rédigée conjointement avec la juge en chef McLachlin, le juge LeBel laisse en héritage une étude remarquable sur la portée du droit à la négociation collective[46]. Reconnu comme une condition qui doit nécessairement être réalisée pour permettre l’exercice véritable de la liberté d’association garantie par la Constitution, ce droit n’est pas un droit dérivé protégé uniquement si l’acte de l’État rend effectivement impossible l’association en vue de régler des questions relatives au travail. Ce que les chartes n’autorisent pas, ce sont les mesures qui perturbent l’équilibre des rapports de force entre les employés et l’employeur, de telle sorte que le processus véritable de négociation collective soit entravé de façon substantielle. Nous nous en voudrions de ne pas souligner le passage suivant du paragraphe 58 de cet arrêt qui fait voir clairement le souci du juge LeBel de favoriser tant l’épanouissement individuel des travailleurs que la réalisation collective des objectifs humains : « Le droit à la liberté d’association confère donc certains pouvoirs aux groupes vulnérables et les aide à corriger les inégalités au sein de la société. Il protège aussi les groupes marginalisés et favorise la formation d’une société plus équitable[47]. »

La dissidence du juge LeBel dans l’affaire Isidore Garon ltée c. Tremblay ; Fillion et Frères (1976) c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc.[48] reflétait déjà cette volonté d’assurer aux travailleurs la plus grande protection juridique possible. Appelé à déterminer si les préavis de congé devaient respecter le délai de congé de l’article 2091 C.c.Q., en plus de ceux prévus dans la convention collective, le juge LeBel aurait répondu positivement parce que le droit commun découlant du contrat individuel d’emploi s’intègre dans le contenu implicite de la convention collective, malgré le silence du législateur, et qu’il est approprié d’énoncer que les différentes sources en droit du travail doivent s’harmoniser pour constituer un cadre juridique complet.

La récente décision impliquant la compagnie Wal-Mart[49] a permis au juge LeBel, écrivant pour la majorité, de faire le point sur l’interprétation du mécanisme de gel des conditions de travail que codifie l’article 59 du Code du travail[50]. En encadrant les pouvoirs de l’employeur, cette disposition ne vise pas seulement à créer un équilibre, ni à assurer le statu quo durant la négociation de la convention collective, mais plus exactement à faciliter l’accréditation et à favoriser entre les parties la négociation de bonne foi. Le gel des conditions de travail que codifie l’article 59 restreint l’influence potentielle de l’employeur sur le processus associatif, diminue la crainte des employés qui exercent activement leurs droits et facilite le développement de ce qui deviendra éventuellement le cadre des relations de travail au sein de l’entreprise.

En matière d’autres droits et libertés, ce réel souci pour la protection des droits collectifs conférés par le législateur semble encore se dessiner dans certaines opinions du juge LeBel. Outre sa dissidence déjà citée dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem[51], celle dans l’affaire Chaoulli c. Québec (Procureur général)[52] le confirme. De concert avec le juge Ian Binnie, le juge LeBel refuse d’invalider l’interdiction faite aux Québécois de s’assurer pour obtenir du secteur privé des services dispensés par le régime de santé public québécois. Cette prohibition, selon ces deux juges, ne porte pas atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne[53] et l’article 1 de la Charte québécoise :

Contrairement à nos collègues, nous sommes incapables d’admettre qu’un tel débat soit tranché par voie judiciaire, comme s’il s’agissait d’un simple problème de droit. Nous ne pouvons retrouver dans le droit constitutionnel canadien un « principe de justice fondamentale » déterminant à l’égard des problèmes des listes d’attente du système de santé québécois. À notre avis, la thèse des appelants repose non pas sur le droit constitutionnel mais sur le désaccord avec le gouvernement québécois au sujet d’aspects particuliers de sa politique sociale. C’est à l’Assemblée nationale qu’il appartient de discuter et d’établir la politique sociale du Québec[54].

Une autre opinion marquante à cet égard porte sur le port du niqab devant les tribunaux[55]. Cette affaire faisait intervenir les valeurs fondamentales du système canadien de justice pénale. Les accusés invoquaient leur droit à un procès équitable en vertu des articles 11 d) et 7 de la Charte canadienne, à l’appui de la thèse selon laquelle la victime alléguée et principale témoin de la poursuite ne pouvait témoigner à l’enquête préliminaire qu’à visage découvert. Cette dernière invoquait la liberté de religion afin d’être autorisée à porter son niqab lors de son témoignage. Tout en souscrivant à la conclusion de la juge en chef McLachlin de retourner le dossier en première instance, le juge LeBel et le juge Marshall Rothstein proposent néanmoins qu’une interdiction claire de porter le niqab à toutes les étapes du procès criminel préserverait les droits de la défense et respecterait mieux le principe de la publicité du procès en tant qu’acte de communication. Si la reconnaissance du multiculturalisme par la Constitution exige une ouverture aux nouvelles différences, celles-ci ne restent pas toujours prépondérantes. L’acceptation de cette ouverture doit rester en contact avec les racines de notre société démocratique[56].

Ces quelques dissidences ne sont qu’un des volets de la participation du juge LeBel aux arrêts de la Cour suprême où la coexistence de droits fondamentaux et l’on pourrait aller jusqu’à dire leur formelle harmonisation soulèvent des questions non seulement de principes mais aussi de méthodologie[57]. L’intégration de la rhétorique de l’accommodement raisonnable au fardeau de la preuve ne se fait pas sans difficulté, comme le démontre le juge LeBel dans les arrêts suivants : Multani c. Commission scolaire Marguerite Bourgeoys[58], Congrégation des témoins de Jehovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village)[59], Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[60]. On peut néanmoins affirmer que, malgré la diversité des schémas d’analyse, l’approche de la Cour suprême se veut reconnaissante des valeurs sociétales, de leurs liens et de leur importance corrélative dans une société libre et démocratique.

Il est intéressant de noter que, dans la décision opposant la Ville de Saguenay au Mouvement laïque québécois, le juge Clément Gascon cite un long extrait de l’opinion du juge LeBel dans l’affaire Lafontaine (Village), où ce dernier décrit la longue évolution de la notion de neutralité religieuse dans la société canadienne[61]. Cette évolution, conclut-il, « a engendré une conception de la neutralité suivant laquelle l’État ne doit pas s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances[62] ».

L’apport du juge LeBel à la poursuite de cette approche relative à la reconnaissance des valeurs sociétales traduit son souci de l’avenir du droit.

2.3 Le souci de l’avenir du droit

Il n’existe pas de grille d’analyse permettant d’identifier et de peser les systèmes philosophiques ou idéologiques que le juge LeBel voudrait intégrer au système actuel pour en faire le droit prospectif idéal. Nous nous contenterons de citer ses vues sur deux points particuliers : l’assouplissement de la justice administrative et le renouvellement du fédéralisme.

Le juge LeBel, déjà précurseur dans l’affaire Toronto (Ville) c. S.C.F.P. section locale 79[63], avait souligné que la norme du manifestement déraisonnable était au fond trop semblable à celle du raisonnable simpliciter. La distinction, à son avis, dépendait de paramètres vagues et inconsistants qui affectaient sa mise en oeuvre. Dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[64], avec le concours du juge Bastarache, il passe à l’attaque. Il décrit ainsi sa démarche dans un article publié dans la Revue de droit de McGill : « En réévaluant et en redéfinissant les situations dans lesquelles ces obligations d’équité procédurale s’appliquent, notre Cour a reconnu la nature évolutive de notre société et a voulu que la justice naturelle se développe en accord avec les normes et valeurs modernes de cette dernière[65]. » Il résume ensuite les changements apportés par l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick en droit administratif :

Il a d’abord aboli les deux normes du manifestement déraisonnable et du raisonnable simpliciter pour y substituer une norme unique et unifiée de rationalité. Ensuite, il a modifié la méthode dite « pragmatique et fonctionnelle » pour en faire une méthode plus simple et plus holistique d’analyse du contrôle judiciaire. Cette méthode doit être utilisée pour déterminer le niveau de déférence approprié à l’égard d’un décideur administratif […] Ces changements ont été faits dans l’espoir qu’au terme de cette évolution se mette en place un système plus efficace de contrôle judiciaire[66].

Le voeu du juge LeBel quant au renouvellement d’un fédéralisme plus coopératif dans les limites de la compétence du pouvoir judiciaire semble partagé par l’ensemble de la Cour suprême, comme le démontrent le Renvoi relatif à la réforme du Sénat[67] et le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême[68]. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême incorpore et constitutionnalise le principe de la société distincte et parle même de valeurs sociales distinctes. Le journaliste Yves Boisvert va jusqu’à écrire que « c’est Meech qui est entré par la porte arrière du “fédéralisme coopératif” et de l’autonomie juridique[69] ».

Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières[70], la Cour suprême se montre particulièrement sensible à la nécessité d’envisager des balises aux inévitables chevauchements entre les divers paliers de gouvernement. Estimant qu’il ne lui appartient pas de suggérer aux gouvernements du Canada et des provinces comment procéder, la Cour suprême note l’existence d’une tendance de plus en plus marquée d’envisager les problèmes complexes de gouvernance susceptibles de se présenter dans une fédération non pas comme une simple alternative entre les deux ordres de gouvernements, mais comme une recherche coopérative de solutions qui satisfont les besoins tant de l’ensemble du pays que de ses composantes[71].

On note que la Cour suprême, comme elle l’avait déjà appliqué dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe[72], a recours à un canevas de raisonnement et à un style qui favorise la mise en équilibre des droits comme solution aux conflits de droit.

On peut regretter que, après avoir vanté le concept du fédéralisme coopératif, la Cour suprême revienne majoritairement, dans la décision relative à l’abolition du registre des armes d’épaule[73], à la posture traditionnelle selon laquelle son rôle consiste à déterminer si un ordre de gouvernement possède ou non la compétence pour agir comme il l’a fait. Étant donné la compétence exclusive du fédéral en matière criminelle, la question du fédéralisme coopératif ne se posait pas.

Pour les juges dissidents, dont le juge LeBel, le principe du fédéralisme coopératif était au contraire éminemment pertinent puisque le caractère véritable de l’article 29 de la loi visée, objet de la contestation, se rattachait à la compétence provinciale sur la propriété et le droit civil. Vu le chevauchement de compétences, le démantèlement du partenariat institué pour le contrôle des armes à feu devait se faire dans le respect du principe du fédéralisme coopératif qui sous-tend la Constitution.

Conclusion

L’analyse des sources et des méthodes de l’art de juger examinée sous l’éclairage de certaines des opinions rédigées par le juge LeBel durant ses 15 années à la Cour suprême dévoile certes la personnalité remarquable de ce grand juge, en même temps que son constant souci de rendre justice à chacune des sources auxquelles il réfère et à chacune des méthodes qu’il sait utiliser à bon escient selon l’objet du litige dont il est saisi.

À l’aise dans les deux systèmes juridiques, fin observateur des contextes historiques, sociaux, économiques et scientifiques, le juge LeBel a su dans tous les domaines du droit distinguer les faits propres à chacun des litiges, privilégier les questions importantes, justifier les limites qu’il pose à une ou à des valeurs au regard du contexte sociétal et rechercher par une interprétation claire et généreuse la plus grande conciliation possible entre les droits individuels et les droits collectifs.

Dans le cadre d’un droit moins légaliste qu’autrefois, issu de sources multiples et enraciné dans les cultures diverses dont sont faites les sociétés modernes diversifiées, on peut conclure que le juge LeBel a parfaitement bien rempli les fonctions du juge moderne. Comme l’ont rappelé Guy Canivet, membre de la Cour de cassation, et Stephen Breyer, juge à la Cour suprême des États-Unis, ces fonctions se résolvent à réconcilier les questions scientifiques et techniques de ce monde avec les exigences de la démocratie, elle-même fondée sur la primauté du droit[74]. Nous y ajouterions les questions historiques et sociétales.