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L’intérêt contemporain pour le rôle de la victime dans le système de justice pénale s’est développé de façon plus particulière après la Seconde Guerre mondiale. Une large réflexion est alors entamée sur le rôle des victimes et surtout sur le traitement qui doit leur être réservé. Cette remise en question a pour fondement l’absence de participation réelle de la victime au processus pénal, le fait qu’elle est cantonnée dans le rôle de témoin.

Cette réflexion s’est effectuée au sein de nombreuses disciplines (par exemple, la psychologie, la sociologie, la criminologie, le droit) et dans plusieurs mouvements sociaux (dont le mouvement des femmes). Elle a mené à diverses théories crimino-juridiques permettant une meilleure prise en considération des droits des victimes. Parmi celles-ci, se trouve la justice réparatrice (restorative justice), qui est de plus en plus populaire depuis la fin des années 80. Selon cette théorie, le crime représente une fracture du tissu social qui doit être réparée. La justice réparatrice est centrée sur une réparation et sur une résolution du conflit qui accordent la priorité aux éléments suivants : « une restauration des liens sociaux entre victime et contrevenant, entre victime et communauté et entre contrevenant et communauté[1] ».

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA)[2] ne fait pas exception et cherche aussi à accorder un rôle participatif aux victimes. En effet, dans la continuité de la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC)[3], certaines dispositions de la LSJPA prévoient l’intégration, à différents paliers, des victimes au processus pénal propre aux jeunes délinquants.

Le législateur canadien laisse à chaque province le soin de mettre en oeuvre les dispositions qu’il édicte, de sorte que le rôle dévolu aux victimes varie d’une province à l’autre. Au Québec, les organismes communautaires participent activement à la mise en oeuvre des mesures d’intégration des victimes au sein du système de justice pénale pour les adolescents. Comme nous le verrons dans le présent article, cette pratique permet d’offrir aux victimes une place intéressante dans le système tout en respectant les droits fondamentaux des adolescents.

Nous analyserons ci-dessous le rôle que le législateur accorde aux victimes dans la LSJPA[4]. Pour ce faire, sur un plan théorique, nous observerons d’abord la manière dont les victimes sont intégrées dans l’application de la LSJPA. Ensuite, sur un plan pratique, nous examinerons la réelle place prise par les victimes au Québec. Nous étudierons la jurisprudence et des exemples de participation à des programmes offerts par les organismes communautaires. Nous verrons la façon dont ceux-ci prennent en charge une portion de la LSJPA, en collaboration avec les divers acteurs du système judiciaire.

1 Les mesures impliquant les victimes dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

Nous avons choisi de traiter distinctement le processus judiciaire et le processus extrajudiciaire. Bien qu’ils soient en partie semblables, ces deux processus ont des objectifs sous-jacents différents. L’auteur Kent Roach résume ainsi la philosophie de ces modes de justice en ce qui concerne la protection des droits des victimes :

The dominant direction, particularly at the level of legislative reform, has been towards a punitive model of victims’ rights, with a focus on the criminal trial process and the imposition of punishment. The goal in this approach is to facilitate the application of criminal sanctions, and to do so in a manner that is less harmful to victims […] The alternative direction that has influenced local practice, and some forms of legislative reform in Canada and abroad, is towards a non-punitive model of victims’ rights, with a focus on crime prevention and restorative justice. Often, the goal in this approach is to protect the interests of victims and potential crime victims by preventing crime and providing reparation and acknowledgement of the harm done to victims and the community[5].

1.1 Les mesures extrajudiciaires

1.1.1 Le fonctionnement général de ces mesures

Les mesures extrajudiciaires sont prévues par les articles 4 à 12 de la LSJPA. Elles permettent aux adolescents ayant commis un crime de moindre gravité, et surtout aux adolescents n’ayant pas un long parcours pénal, de faire face à une justice dont les stigmates sont mineurs. Deux types de mesures touchant les victimes sont établis.

Les premières mesures ne concernent pas directement les victimes. Elles renvoient au simple avertissement, à la mise en garde ou à la mesure de renvoi que peut appliquer un policier. Si les victimes ne sont pas associées au processus de justice dans ces mesures, il reste que, dans le cas d’une mesure de renvoi, l’adolescent peut être dirigé vers un organisme communautaire pour participer à un programme de conscientisation relatif aux conséquences de son infraction. Les programmes peuvent contenir des éléments liés aux répercussions de l’acte délictuel sur la victime. Il est du ressort des gouvernements provinciaux et des territoires d’établir le fonctionnement des mesures de renvoi et des programmes qui y sont afférents.

Les autres mesures sont les sanctions extrajudiciaires. Outre les critères d’admissibilité[6], la LSJPA donne très peu d’indications sur les types de sanctions possibles. Encore là, les provinces et les territoires ont la responsabilité d’établir le fonctionnement de ces sanctions. Par ailleurs, de manière générale, les parents de l’adolescent doivent être informés des mesures ayant été prises à l’égard de leur jeune. De plus, puisque le jeune n’a pas affaire au système judiciaire, l’article 12 de la LSJPA oblige aussi les personnes responsables des sanctions extrajudiciaires à informer les victimes du processus en cours.

L’un des objectifs propres à cette section de la LSJPA est de favoriser la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité. Toutefois, les victimes ne désirent pas toutes participer au processus[7], et il est nécessaire de respecter ce choix. Comme le mentionne Nicholas Bala, « [v]ictims should not be pressured into participating, and the meetings must be conducted with sensitivity to ensure that neither the victim nor youth feels intimidated by the experience[8] ». À noter que les mesures extrajudiciaires n’imposent pas un mécanisme participatif aux victimes[9] : d’autres dispositions peuvent être prises pour que le jeune délinquant comprenne les conséquences de son acte.

Les sanctions extrajudiciaires encouragent la réparation des dommages causés à la victime. Celle-ci peut prendre plusieurs formes. Il peut s’agir d’une réparation en nature (par exemple, repeindre un mur après un méfait) ou en argent. Nicholas Bala soulève un problème très pertinent lié à la réparation des dommages : « Youths without financial resources should not be penalized because of their inability to make restitution, while youths from wealthy families should not be able to in effect “buy their way out” by making an inordinately large “payoff” to a victim[10]. »

Dans cette optique, la réparation financière doit être limitée et éviter toute discrimination. Selon l’entente-cadre intervenue entre l’Association des centres jeunesse du Québec et les organismes de justice alternative, sur laquelle nous reviendrons plus loin, la compensation ou le dédommagement financier doit être proportionnel au dommage causé et à la capacité de payer de l’adolescent[11].

1.1.2 Les groupes consultatifs et les comités de justice pour la jeunesse

Les dispositions dont nous traiterons maintenant ne se trouvent pas dans le chapitre de la LSJPA consacré aux sanctions extrajudiciaires, mais elles y sont fortement liées. Elles font partie de la section sur l’organisation du système de justice pénale pour les adolescents.

La LSJPA prévoit deux types de regroupements par lesquels la communauté peut prendre part au processus pénal : les comités de justice pour la jeunesse et les groupes consultatifs. Les premiers sont formés de citoyens. Ils ont pour mission de « prêter leur concours à l’exécution de la […] loi ainsi qu’à tout service ou programme pour adolescents[12] ». Ces comités peuvent jouer un rôle dans le soutien offert aux victimes. Ainsi, l’article 18 (2) (a) (i) leur permet de recommander des mesures extrajudiciaires. De plus, conformément à l’article 18 (2) (a) (ii), ils peuvent s’informer des préoccupations de la victime et encourager sa réconciliation avec le jeune délinquant. 

Les groupes consultatifs, eux, dont l’article 19 permet la création, ont, sur le plan extrajudiciaire, les mêmes pouvoirs que les comités de justice pour la jeunesse. Nicholas Bala mentionne à ce sujet :

Youth justice committees and conferences are similar but distinct. Youth justice committees are established in specific communities and have a continuing existence and fixed membership. Committees may deal with individual cases or systemic issues, while conferences deal only with individual cases and have a membership determined to deal with specific cases[13].

Les groupes consultatifs ont aussi certains pouvoirs en matière judiciaire. Les membres de ces groupes peuvent faire des recommandations au sujet des mesures de remise en liberté provisoire par voie judiciaire ou sur la peine, et ce, conformément à l’article 41 de la LSJPA[14]. À noter que la victime et sa famille peuvent faire partie des groupes consultatifs, tout comme des membres de la communauté et des membres de la famille du délinquant.

Ces groupes s’inscrivent clairement dans un modèle de justice réparatrice. Leurs interventions soutiennent un équilibre entre les délinquants, les victimes, la communauté et les familles. Bien que ces deux types de regroupements puissent permettre les interactions entre les jeunes délinquants et leurs victimes, leur existence est soumise au bon vouloir des gouvernements provinciaux. Ainsi, au Canada, il existait en 2003, sous l’empire de l’article 69 de la LJC, 262 comités de justice pour la jeunesse[15]. Or, la répartition entre les provinces était très inégale :

Quelques administrations, dont Terre-Neuve et Alberta, comptent un grand nombre de CJJ désignés. Toutefois, le Yukon et le Québec ont formé des comités qui assument la même fonction sans être désignés officiellement. De plus, quelques administrations, dont la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, ont opté pour une approche hybride en désignant quelques comités et en laissant d’autres comités non désignés. Enfin, des administrations comme la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard, n’ont aucun comité[16].

1.1.3 Le fonctionnement particulier de ces mesures au Québec

Les interactions entre les mineurs délinquants et les victimes existent depuis relativement longtemps au Québec. Dès les années 70, certains projets ont été élaborés dans le but de permettre des rencontres entre ces deux acteurs[17]. De plus, de nombreuses expériences liées à la justice réparatrice ont été entamées, particulièrement à partir de l’adoption de la LJC en 1984. Par exemple, dans le contexte des mesures de rechange en vertu de la LJC, des séances ont eu lieu entre les jeunes délinquants et les victimes : « On remarque ainsi qu’il s’est tenu 744 mesures de médiation (ou de conciliation) en 1997-1998 (soit 5 % du total des mesures [de rechange])[18]. » Les mesures extrajudiciaires prévues par la LSJPA s’inscrivent donc sur cette toile de fond, dans la continuité de ce qui se faisait précédemment.

En ce qui concerne les avertissements, les mises en garde et les mesures de renvoi, le policier doit user de son pouvoir discrétionnaire pour décider de leur application. À ce sujet, Sophie Delisle précise ce qui suit :

Au Québec, le Comité interministériel sur la réforme de la Loi sur les jeunes contrevenants a formé un sous-comité de travail présidé par le ministère de la Sécurité publique du Québec, composé de divers intervenants qui se sont penchés sur l’exercice de la discrétion policière. Ce sous-comité a produit le document « Cadre et conditions d’application des mesures extrajudiciaires » qui s’applique sur tout le territoire du Québec […] Compte tenu de la nature administrative du cadre, son non-respect n’entraîne aucune conséquence juridique[19].

En bref, pour certaines infractions très mineures, le policier peut procéder à une simple réprimande qui n’a pas de conséquence juridique. Dans ce cas, une inscription au Centre des renseignements policiers du Québec (CRPQ) n’est pas requise. Pour une infraction un peu plus grave, le policier peut donner un avertissement. Dans ce cas, il y a un rapport d’événement, une inscription au CRPQ et une communication avec les parents. Lorsque le policier veut appliquer une mesure de renvoi à un organisme ou à un programme communautaire, il doit « soumettre le cas pour fin d’évaluation de la preuve auprès du substitut du Procureur général [maintenant Directeur des poursuites criminelles et pénales][20] ». Ensuite, un rapport est rempli et le jeune est dirigé vers un organisme de justice alternative afin qu’il participe à un programme. Par exemple, l’organisme L’Autre Avenue, situé dans la ville de Québec, gère un programme sur le vol à l’étalage et ses conséquences.

Pour ce qui est des sanctions extrajudiciaires, comme nous l’avons déjà vu, conformément à la LSJPA, les provinces sont responsables de leurs établissements. Au Québec, les instances visées sont le ministère de la Justice[21], le ministère de la Santé et des Services sociaux[22], l’Association des centres jeunesse du Québec[23] et le Regroupement des organismes de justice alternative[24]. Dès 1986, un programme de mesures de rechange était adopté[25] : il a été remplacé en 1994[26]. Aujourd’hui, ce programme établit les modalités de fonctionnement des sanctions extrajudiciaires.

Selon le programme de sanctions extrajudiciaires, le directeur des poursuites criminelles et pénales a d’abord la responsabilité d’examiner les actes de procédure et les documents se rapportant à l’infraction commise par un jeune délinquant (art. 4). Par la suite, il doit décider de la manière de traiter le dossier :

Si la preuve est jugée suffisante, il peut, lorsqu’il s’agit d’une infraction ou d’une situation prévue au Chapitre IV du programme soit autoriser des poursuites ou saisir le directeur provincial. Il doit saisir le directeur provincial dans les cas où il ne s’agit pas d’une infraction ou d’une situation prévue au Chapitre IV. Également, il a discrétion de fermer tout simplement le dossier[27].

Le directeur des poursuites criminelles et pénales peut ainsi saisir le directeur provincial[28] afin que celui-ci évalue la possibilité de recourir à une sanction extrajudiciaire (art. 8). Pour qu’il recommande ce type de sanction, les critères de la LSJPA prévus dans les articles 10 à 12 doivent être respectés.

L’article 13 du programme de sanctions extrajudiciaires prévoit la nature de ces dernières : versement d’une somme d’argent, exécution d’un travail bénévole au bénéfice de la victime ou de la collectivité, participation à une activité améliorant les aptitudes sociales. Certaines exigences doivent être respectées conformément à l’article 14 : aucun hébergement en centre de réadaptation ne peut être prévu ; les travaux bénévoles sont limités à 120 heures ; la durée des mesures ne doit pas excéder six mois ; les ressources financières et le degré de développement du jeune doivent être pris en considération ; la mesure ne doit pas excéder la valeur du tort causé ; et, dans la mesure du possible, le milieu de vie de l’adolescent doit être mis à contribution.

Ce programme prévoit aussi toutes les modalités d’échange d’information entre le directeur de la protection de la jeunesse et le directeur des poursuites criminelles et pénales afin que soient conservés tous les éléments relatifs au dossier. Pour que les mesures soient mises en pratique, une entente doit être consignée. Elle contient l’acceptation du jeune quant à sa participation aux mesures et son engagement à les réaliser (art. 15-21).

À ce sujet, une entente-cadre[29] est intervenue entre l’Association des centres jeunesse du Québec et les organismes de justice alternative. Elle balise et, surtout, précise leur participation respective au processus. La perspective de base de cette entente-cadre est d’établir l’équilibre entre les droits de la collectivité, ceux des jeunes délinquants et ceux des victimes. Cela s’inscrit directement dans le modèle de justice réparatrice : « Quand un jeune répare les torts qu’il a causés, il restaure les liens avec les victimes et sa communauté. Et quand les torts qu’il a causés impliquent une personne, l’objectif de réparation prend davantage de sens pour la collectivité, la victime et le jeune[30]. »

D’ailleurs, conformément à cette entente-cadre, les délégués à la jeunesse doivent s’assurer que la mesure est significative pour le jeune, pour la victime et pour la collectivité et qu’elle garantit autant l’éducation du jeune délinquant que la justice pour la victime[31].

Les organismes de justice alternative, eux, sont responsables d’informer la victime que des sanctions extrajudiciaires sont prises à l’égard de l’adolescent. À l’occasion d’une entrevue téléphonique, ils doivent recueillir le point de vue de la victime et lui permettre d’expliquer les conséquences qu’a eues pour elle l’acte délictuel. Les victimes sont informées des modes de réparation envers la collectivité et envers elles-mêmes qui sont possibles, et peuvent aussi suggérer une mesure qu’elles considèrent comme plus appropriée pour le jeune délinquant. Les victimes sont également informées qu’il y a possibilité de médiation directe ou indirecte avec le jeune, au cours de laquelle les deux parties peuvent, de façon consensuelle, déterminer la sanction.

Tous les renseignements recueillis sur la victime et sur son point de vue sont transmis au délégué à la jeunesse pour l’éclairer dans son choix et pour lui permettre de réaliser l’entente concernant les mesures extrajudiciaires. Évidemment, le délégué est responsable de la décision sans appel et peut utiliser ou non les suggestions de la victime. Puisque la possibilité d’une médiation est mentionnée à la victime, le délégué à la jeunesse en permet au besoin la réalisation. L’organisme de justice alternative a alors la responsabilité de procéder à la médiation directe (rencontre du jeune, de la victime et de la famille) ou indirecte (tous sont rencontrés séparément). Une fois que la médiation a eu lieu, l’organisme de justice alternative fait un rapport au délégué à la jeunesse. Celui-ci peut entériner ou non l’accord auquel sont parvenues les parties.

Ainsi, l’entente-cadre réitère la teneur de toutes les sanctions possibles dans le contexte de mesures extrajudiciaires. La compensation financière, le travail pour la victime, la restitution, les excuses verbales ou écrites, le dédommagement financier (à un organisme à but non lucratif), les travaux communautaires, les activités de formation, les activités d’intégration sociale et les activités de soutien en sont quelques exemples[32].

Ce processus québécois concernant les sanctions extrajudiciaires fait plus que prendre en considération les besoins de la victime : il permet à la victime, si tel est son désir, de participer activement au processus, et ce, tout en contrôlant les revendications vindicatives. Par l’intervention directe des acteurs des organismes de justice alternative, la victime est engagée dans le processus et ses préoccupations sont transmises à la personne responsable des décisions dans le dossier, c’est-à-dire le délégué à la jeunesse. De plus, la responsabilisation de l’adolescent par rapport à son acte délictuel est grandement favorisée par l’intermédiaire de sanctions qui lui permettent de comprendre les conséquences de son geste et de réparer le tort causé soit à la victime, soit à la collectivité.

1.2 Les mesures judiciaires

1.2.1 Le fonctionnement général de ces mesures

En matière judiciaire, dans le processus pour les mineurs, l’intégration des victimes n’est pas du tout la même. Elle ressemble beaucoup à ce qui existe dans le système de justice pénale pour adultes. Toutefois, ce processus offre certaines possibilités qui permettent aux victimes d’y participer activement. Notre examen se fera en deux temps : les droits des victimes durant le procès, puis au moment de la détermination de la peine.

En ce qui concerne les droits des victimes durant le procès, ils sont sensiblement les mêmes que dans le système pour adultes. Par exemple, par l’intermédiaire de l’article 50 de la LSJPA, l’article 722 du Code criminel[33] s’applique au processus pour les mineurs. Cette disposition prévoit le droit pour la victime de procéder à une déclaration :

Malgré l’accent mis sur la déclaration de la victime, ce document ne demeure néanmoins qu’un outil dans le processus de détermination de la peine […] Le juge ne sera pas limité à cette seule déclaration dans sa recherche d’informations concernant la victime et il pourra recourir à tout autre élément de preuve[34].

La victime peut aussi participer au processus dans le cadre prédécisionnel[35]. En vertu de l’article 40 (2) (a), le rapport doit contenir, dans la mesure du possible, une entrevue avec la victime.

Les principes liés à la détermination de la peine, prévus dans l’article 38, s’intéressent à la victime, particulièrement dans la perspective de développer le sens des responsabilités chez l’adolescent. Ainsi, l’article 38 (2) (e) (iii) rappelle l’importance de « susciter le sens et la conscience de ses responsabilités, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité ». De plus, conformément à l’article 38 (3) (b), au moment de la détermination de la peine, le juge doit prendre en considération les « dommages causés à la victime et [le] fait qu’ils ont été causés intentionnellement ou étaient raisonnablement prévisibles ».

En matière de placement sous garde, les articles 38 et 39 sont fondamentaux. D’abord, l’article 38 de la LSJPA prévoit les objectifs et les principes généraux de la détermination de la peine. Donc, le dommage causé à la victime (article 38 (3)) est encore là pris en considération. Toutefois, l’article 39, qui prévoit les modalités particulières de cette peine, ne fait pas référence à la victime. Les facteurs à considérer pour procéder à cette ordonnance concernent plutôt le type d’infraction commise par l’adolescent (paragraphe 1) et l’absence de solutions de rechange (paragraphes 2 et 3). L’un des objectifs de la LSJPA est de diminuer le recours à l’incarcération. Cette peine privative de liberté doit être utilisée seulement dans les situations de violence ou de lourd passé criminel. L’ordonnance de placement est fondée sur la punition du jeune et la victime n’a pas à être impliquée, outre dans son rôle, parfois déterminant, de témoin. Pour être justifiée, cette peine doit répondre aux caractéristiques de l’adolescent et non aux besoins de réparation de la victime.

En plus des principes prenant en considération la victime, les choix de peine peuvent inclure la victime. L’article 42 (2) (e) prévoit la possibilité pour le jeune de devoir verser une somme à titre d’indemnité pour le dommage causé à un bien, pour une perte de revenu ou encore pour une perte pécuniaire antérieure au procès liée à des lésions corporelles. En vertu de l’article 42 (2) (f), le juge peut ordonner la restitution du bien à la victime. Le paragraphe suivant prévoit la possibilité d’indemniser financièrement la personne dans le cas où la restitution est impossible.

Conformément au paragraphe (h) de l’article 42, l’indemnisation financière prévue dans les paragraphes précédents peut se faire en nature ou en service. À ce sujet, la même crainte existe qu’en matière extrajudiciaire. Il faut éviter la discrimination des adolescents dont les moyens financiers sont plus précaires.

Le paragraphe (h) s’inscrit dans une perspective de réparation du dommage autre que financière. Le jeune doit accomplir un geste direct envers la victime. Ce geste peut l’amener à prendre conscience de sa responsabilité tout en considérant le besoin de réparation de la victime. De plus, cette mesure a l’avantage de se faire sans intermédiaire. Par exemple, dans le cas d’une indemnisation financière, les parents pourraient décider de payer l’indemnité pour leur enfant, alors que la réparation en nature ou en service oblige le jeune à agir directement.

Dans la perspective d’une participation du jeune et de la victime, l’article 41 prévoit la possibilité pour le juge de consulter un groupe consultatif créé conformément à l’article 19 de la LSJPA. Lorsque l’adolescent a été déclaré coupable, le groupe consultatif peut recommander au juge une peine spécifique à imposer. En plus des membres de la communauté, ce groupe pourrait inclure la victime et des membres de sa famille. Aussi, comme cela se fait dans certaines provinces, ces groupes peuvent mettre en application une approche consensuelle (du même type que la médiation) avant de procéder aux recommandations.

L’ensemble des dispositions en matière judiciaire prévoit quelques possibilités engageant la participation de la victime à la procédure.

1.2.2 Le fonctionnement particulier de ces mesures au Québec

Au moment d’écrire ces lignes, quelques projets pilotes commencent au Québec. Ils incluront des mesures de médiation dans le processus judiciaire[36]. Le Comité mixte de l’Association des centres jeunesse du Québec et du Regroupement des organismes de justice alternative a mis en place un programme d’approche consensuelle semblable à celui qui existe pour les sanctions extrajudiciaires. Pour l’instant, ce programme en est encore à ses débuts et il se déroule dans quatre régions du Québec : les Laurentides, la Montérégie, la Mauricie–Centre-du-Québec et le Saguenay–Lac-Saint-Jean.

2 L’application des mesures judiciaires et extrajudiciaires

Comme nous venons de le voir, les mesures judiciaires et extrajudiciaires mises en place au Québec comportent plusieurs possibilités pour intégrer la victime. Ajoutons que dans le cadre extrajudiciaire, où les organismes communautaires sont très présents, la participation de la victime est possible à toutes les étapes du processus. Toutefois, dans quelle mesure ces possibilités de participation se concrétisent-elles ? Afin d’observer le rôle réel des victimes dans le système de justice pénale pour les adolescents, nous analyserons, dans la seconde partie de notre texte, l’application des dispositions que nous venons d’examiner. Nous nous intéresserons d’abord aux décisions judiciaires, puis à diverses données provenant de statistiques ou tirées de l’expérience d’un organisme de justice alternative.

2.1 L’analyse jurisprudentielle

2.1.1 Les tribunaux d’appel

La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec ne se sont pas directement prononcées sur le rôle des victimes en vertu de la LSJPA. Les décisions de ces tribunaux ont cependant réitéré quelques éléments clés concernant cette législation.

Les décisions de la Cour suprême sur la LSJPA sont encore très peu nombreuses en raison de l’adoption récente de celle-ci. En fait, seules quelques décisions ont été rendues par le plus haut tribunal du pays. Bien qu’elle ne concerne pas directement notre sujet, l’une de ces décisions rappelle certains grands objectifs de la LSJPA, dont l’importance des voies extrajudiciaires. À ce propos, la Cour suprême souligne ce qui suit :

La LSJPA est un texte législatif complexe, qui a apporté des changements majeurs au système canadien de justice pénale pour les adolescents à diverses étapes du processus : en première ligne, en encourageant un plus grand recours aux programmes de déjudiciarisation ; lors des enquêtes sur cautionnement, en limitant de façon substantielle la détention avant le procès ; et, dans le cadre du processus de détermination de la peine relatif aux adultes, par l’application des peines applicables aux adultes pour certaines des infractions les plus graves, expressément désignées[37].

La Cour suprême, en vertu de la LJC, s’est prononcée deux fois sur les mesures de rechange. La mise en oeuvre provinciale des programmes de mesures de rechange a été jugée constitutionnelle puisqu’elle ne contrevient pas à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[38]. Dans la même perspective, dans l’affaire R. c. S. (G.)[39], les magistrats du plus haut tribunal du pays ont jugé que les provinces peuvent édicter des règles d’admissibilité aux mesures de rechange sans contrevenir aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne. La LSJPA ne modifie pas, selon nous, cette interprétation. Il est toujours du ressort des provinces de baliser la mise en oeuvre de programmes de mesures et de sanctions extrajudiciaires.

Lors de la création et de l’adoption de la LSJPA, certains acteurs québécois se sont prononcés contre plusieurs des dispositions qu’elle contient. Cette contestation a été judiciarisée. Par l’intermédiaire d’un renvoi à la Cour d’appel du Québec, le gouvernement du Québec a mis en doute la validité constitutionnelle et internationale de certaines dispositions de cette nouvelle loi[40].

L’une des questions présentées concernait les articles 19 et 41, qui sont fondamentaux en matière de relation entre le délinquant et la victime, puisqu’ils établissent le rôle des groupes consultatifs. Ce n’est pas le contenu de ces articles qui était au coeur des préoccupations, mais le pouvoir de légiférer du gouvernement fédéral : « Le Procureur général du Québec n’attaque pas la validité de la LSJPA dans son ensemble. Il plaide toutefois que les dispositions attaquées sont ultra vires puisqu’elles empiètent sur les pouvoirs des provinces en matière de protection de l’enfance et d’administration de la justice[41]. » La Cour d’appel a jugé ces articles intra vires au pouvoir du gouvernement fédéral. Malgré cette contestation sur le pouvoir de légiférer du fédéral, notons que les articles 19 et 41 confèrent tout de même un large rôle aux provinces. Celles-ci ont le pouvoir de déterminer les règles de fonctionnement des groupes consultatifs, y compris le rôle des victimes.

Outre certains principes confirmés ou réitérés, les décisions des tribunaux supérieurs ne contiennent rien de majeur, à ce jour, au sujet de la relation entre le jeune délinquant et la victime. Afin de poursuivre notre analyse jurisprudentielle, nous nous attacherons maintenant aux décisions des tribunaux inférieurs.

2.1.2 Les tribunaux de première instance — la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec

Toutes les décisions rendues par la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec sont disponibles sur le site Web suivant : www.jugements.qc.ca. En collaboration avec le ministère de la Justice du Québec, la Société québécoise d’information juridique fournit dans ce moteur de recherche toutes les décisions de première instance rendues depuis le 24 septembre 2001. Puisque la LSJPA est en vigueur depuis le 1er avril 2003, nous avons pu faire une recherche que nous avons voulue exhaustive. Donc, afin de vérifier l’application des dispositions prévoyant un rôle pour la victime, nous procéderons à l’examen de l’ensemble des décisions rendues. Dans les décisions de première instance, les victimes ne semblent pas des laissées-pour-compte, sans pour autant que ces décisions s’inscrivent directement dans une approche de justice réparatrice.

De façon générale, de nombreuses décisions[42] rappellent, conformément à ce qui est prévu par l’article 38 (3) (b) de la LSJPA, la nécessité de prendre en considération les dommages causés à la victime par l’adolescent et la possibilité de réparation de ces dommages. À titre d’exemple, dans une affaire[43], la juge Dominique Wilhelmy accorde une attention particulière aux conséquences qu’a subies la victime afin de déterminer la peine appropriée :

L’accusé a empêché la victime de se soustraire à ses avances en la maintenant à l’aide de ses genoux, sur un lit. Il était prévisible qu’elle en subirait des conséquences, d’autant plus que la victime est une personne mineure, vulnérable au moment des infractions, et cette vulnérabilité est connue de l’accusé.

Les dommages pour cette victime sont importants. Elle reçoit présentement de l’aide psychologique. Les conséquences pour elle sont donc toujours très présentes, et il est impossible de penser que l’accusé puisse réparer le tort qu’il lui a causé[44].

Les dommages causés à la victime et leur réparation sont deux événements distincts qui peuvent, chacun à leur manière, avoir une influence sur la détermination de la peine. Les dommages causés à la victime peuvent avoir été importants, mais une réparation faite avant la judiciarisation du dossier peut démontrer une reconnaissance des dommages et des remords de la part de l’adolescent. Dans l’affaire R. c. X.[45], rendue en vertu de la LJC, la tentative de réparation rapide envers la victime a fait partie des éléments qui ont joué en faveur de l’accusé, et ce, malgré l’absence, à cette époque, du critère de l’article 38 (3) (b). La juge précise ceci : « Il semble que, dès le lendemain des événements, l’accusé s’est senti mal vis-à-vis de la victime et tenta, en vain, de s’excuser. Devant le Tribunal, par le biais de son avocat, l’accusé a offert ses excuses à la victime et est prêt à rédiger une lettre à cet effet[46]. »

Dans un autre ordre d’idées, les dommages causés à la victime, qu’ils soient moraux ou patrimoniaux, sont souvent évalués à partir du rapport prédécisionnel. Conformément à l’article 40 (2) (b), ce rapport doit contenir une entrevue avec la victime. Cette entrevue permet d’évaluer les répercussions de l’affaire sur la victime et de déterminer une peine pour l’adolescent délinquant[47]. Dans d’autres cas, les victimes expriment les conséquences qu’elles ont subies, directement, lors de leur témoignage au tribunal[48]. C’est à partir de ces témoignages directs que le juge prendra une décision qui inclura les facteurs de l’article 38 (3) (b).

Certains juges ordonnent aux jeunes de rédiger une lettre d’excuses à la victime. Cette lettre a l’avantage de s’adresser à tous les types de victimes, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale[49]. Les lettres d’excuses sont adressées directement à la victime de l’infraction, ou même aux victimes par ricochet dans les cas où la victime est décédée[50]. La victime peut accepter ou refuser de recevoir la lettre[51]. Celle-ci doit être rédigée et transmise dans les délais imposés. Le non-respect de cette ordonnance peut entraîner un bris de condition[52]. Ce type de mesure s’inscrit directement dans les objectifs de la LSJPA. En effet, bien que la participation de la victime soit passive, les besoins de celle-ci sont pris en considération et la responsabilisation de l’adolescent est favorisée puisqu’il doit faire face de manière directe aux conséquences de ses actes.

Outre la lettre d’excuses, les juges ordonnent différentes peines concernant la victime, et ce, conformément aux dispositions de la LSJPA. Il est possible, en vertu de l’article 42, d’ordonner un dédommagement aux victimes. Dans l’affaire LSJPA — 078[53], un adolescent âgé de 16 ans avait commis une fraude par carte de guichet. Il n’était pas l’instigateur direct de la fraude de 14 000 $, mais en avait tout de même profité en recevant 1 000 $. La victime était une personne morale, soit un collège. En considérant l’ensemble des faits de l’affaire, le juge lui a imposé une absolution conditionnelle. Toutefois, à titre d’indemnité, le jeune a dû verser 500 $ au collège contre qui la fraude avait été commise.

Les poursuites criminelles ne font pas obstacle aux poursuites civiles. Les victimes peuvent y récupérer le montant des dommages subis. Dans une affaire où un adolescent avait mis le feu à une école par son insouciance[54], en plus des multiples ordonnances, dont une lettre d’excuses, le juge a mentionné qu’une poursuite civile était en cours :

Évidemment, cet apport que l’adolescent apportera à la société au cours des 12 prochains mois ne comblera jamais toutes les pertes subies, mais cela n’est pas le but de la LSJPA. Cette compensation pour les dommages matériels subis est de toute autre nature et l’adolescent devra en assumer toutes les conséquences dans le cadre des réclamations d’ordre civil qui sont actuellement en cours contre lui[55].

La réparation envers la victime peut aussi s’effectuer par l’intermédiaire d’un don à un organisme travaillant pour les victimes de certaines catégories d’actes criminels. Par exemple, dans l’affaire LSJPA — 067[56], l’adolescent a été déclaré coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort. Le jeune s’est vu ordonner de verser un montant de 1 000 $ à un organisme voué au soutien des familles endeuillées.

Toujours dans la perspective de prendre la victime en considération dans la peine, il est possible, par l’intermédiaire de mesures de réadaptation et de réinsertion sociale, de faire comprendre aux jeunes délinquants les conséquences de leurs délits sur les victimes. Ainsi, dans l’affaire LSJPA — 068[57], la juge Carole Brousseau a ordonné à l’adolescent de fréquenter un groupe de sensibilisation aux victimes et de participer à ses activités.

Les mesures dont nous venons de discuter n’engagent pas la victime de façon active, mais celle-ci est prise en considération et ses besoins sont évalués. La possibilité de participer activement n’est cependant pas exclue. Certaines décisions rendues depuis l’entrée en vigueur de la LSJPA entrevoient l’utilisation de méthodes alternatives de résolution des conflits, telles que la médiation. Pour participer à une médiation, la victime doit donner son accord, qui peut être contenu dans le rapport prédécisionnel[58]. Un juge peut aussi ordonner une médiation. Celle-ci peut avoir lieu au moment de la détermination de la peine. Ainsi, dans une affaire[59], le juge a ordonné une interdiction de contact. Toutefois, il a aussi prévu la possibilité de lever cette interdiction dans la mesure où le jeune se soumettra à une médiation de style thérapeutique. Dans une autre affaire, une ordonnance du même type été prononcée lors d’une mise en liberté sous condition en vertu de l’article 105 de la LSJPA[60].

D’une part, l’analyse de la jurisprudence en matière judiciaire permet de conclure que les victimes sont effectivement, et conformément aux objectifs de la LSJPA, prises en considération. Certaines peines, comme la lettre d’excuses, entraînent un geste concret à leur égard. Aussi, plusieurs peines permettent aux victimes d’être indemnisées ou dédommagées. Toutefois, en raison du petit nombre de décisions concernant les approches participatives, telle la médiation, nous concluons à une faible utilisation des mesures permettant l’interaction plus directe entre le jeune et la victime. Cependant, cette donnée est appelée à changer en raison des projets pilotes qui viennent de s’amorcer[61]. D’autre part, l’analyse de la jurisprudence ne nous permet pas d’obtenir un portrait exact de la situation, notamment en ce qui concerne les mesures extrajudiciaires.

2.2 Le rôle des organismes communautaires

L’analyse de l’application des mesures extrajudiciaires répond à des critères différents. Ces mesures et sanctions fonctionnent parallèlement au système judiciaire classique. En ce sens, la jurisprudence apporte peu d’éclairage sur le sujet. Dans notre article, nous avons choisi de présenter diverses données qui donnent un aperçu de l’utilisation des sanctions extrajudiciaires et, surtout, qui nous permettent de comprendre le rôle joué par les organismes de justice alternative à l’aide d’abord de statistiques générales, puis d’informations plus précises provenant d’un de ces organismes. L’Autre Avenue est l’organisme de justice alternative responsable de la région de la Capitale-Nationale, et ce, depuis 1982. Outre qu’il englobe un grand territoire (de Charlevoix à Portneuf, en passant par l’agglomération de Québec), cet organisme a une longue expérience.

Dès les débuts de la mise en oeuvre de la LSJPA, les données ont changé. En 2003, le taux de mise en accusation par voie judiciaire a chuté. Comme le mentionnait Statistique Canada dans son rapport sur la criminalité en 2003 :

Le taux de jeunes accusés a chuté de 15 % en 2003, mais cette baisse a été compensée par le bond de 30 % du nombre d’affaires impliquant des jeunes qui ont été classées sans mise en accusation. Cela porte à croire que les services de police ont modifié leurs pratiques de mise en accusation pour se conformer à la LSJPA, qui a été adoptée en 2003. Toutefois, il convient de mentionner que toute hausse des jeunes faisant l’objet d’une mesure autre qu’une mise en accusation pourrait être attribuable en partie à une augmentation de la déclaration par la police des affaires dans lesquelles les jeunes n’ont pas été officiellement accusés, en raison des dispositions de la nouvelle LSJPA sur les mesures extrajudiciaires. Le taux combiné des jeunes accusés et de ceux faisant l’objet d’autres mesures qui a résulté était de 5 % supérieur au taux de l’année précédente[62].

Cette tendance a été observée pour toutes les années suivantes[63]. Dans le rapport de 2005 sur la même question, cette tendance est expliquée ainsi :

La baisse du taux de jeunes mis en accusation pourrait être le reflet de modifications apportées par les services de police quant à leurs pratiques de mise en accusation, afin de se conformer à la LSJPA. Toutefois, il convient de mentionner que toute hausse des jeunes faisant l’objet d’une mesure autre qu’une mise en accusation, comme celle observée en 2003, pourrait être attribuable en partie à une augmentation de la déclaration par la police des affaires dans lesquelles les jeunes n’ont pas été officiellement accusés, en raison des dispositions de la nouvelle LSJPA sur les mesures extrajudiciaires[64].

Ces données se confirment dans les rapports de recherche gouvernementaux. Une étude a été effectuée pour vérifier l’incidence des nouvelles dispositions de la LSJPA sur les pratiques policières de mise en accusation des jeunes. Au Québec, la diminution du nombre d’accusations, dont nous avons fait état dans les statistiques présentées précédemment, est très faible. En effet, l’évolution du taux de jeunes pouvant être accusés a augmenté de 8 p. 100 au Québec, alors que la moyenne nationale a diminué de 3 p. 100. Cette faible diminution est probablement attribuable au fait qu’il existait au Québec un programme de mesures de rechange[65]. En effet, le Programme de mesures de rechange, maintenant devenu le programme de sanctions extrajudiciaires, était déjà établi sous l’empire de la LJC. L’utilisation de sanctions extrajudiciaires se fait donc depuis plusieurs années et le nombre d’accusations n’a pas diminué massivement avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. D’ailleurs, nous observerons maintenant les données provenant de l’organisme L’Autre Avenue.

D’abord, en matière de renvoi, conformément à l’article 6 de la LSJPA, les policiers ont dirigé vers cet organisme plus de 100 jeunes par année[66]. Celui-ci offre aux jeunes trois activités de sensibilisation d’une durée de deux heures, soit une activité sur le vol à l’étalage, une sur les stupéfiants et une autre sur les répercussions de la commission d’un délit[67]. Pour l’année 2005-2006, seulement 5 p. 100 des jeunes n’ont pas participé à l’activité qui leur était proposée[68].

En ce qui concerne les sanctions extrajudiciaires, les organismes de justice alternative doivent établir un contact avec la victime. Au cours des années 2003 à 2006, L’Autre Avenue a consulté de 188 à 269 victimes par année[69]. Notons les résultats suivants pour l’année 2005-2006 :

Parmi les 203 victimes consultées :

91 ont fait part de leur désir d’obtenir une réparation de la part de l’adolescent impliqué dans les événements

45 ont fait la recommandation d’une sanction à l’égard du jeune

64 ont choisi de ne pas s’impliquer, préférant laisser la justice suivre son cours

3 n’ont pas donné suite à la période de réflexion qu’elles avaient sollicitée lors de notre premier contact auprès d’elles[70].

Évidemment, il est du ressort du délégué à la jeunesse de décider de la sanction finale. Il peut arriver que les propositions des victimes ne soient pas retenues parce qu’elles ne sont pas réalisables ou parce qu’elles sont saugrenues[71]. Ainsi, 55 mesures de réparation envers la victime ont eu lieu. Les autres sanctions consistaient en des travaux communautaires, en des mesures concernant le développement des habiletés sociales et en des versements à la communauté.

Le désir de réparation inclut la demande de la victime de participer à une mesure de médiation. En 2005-2006, 15 mesures de médiation indirecte et 29 mesures de médiation directe ont été réalisées[72]. Au total, 37 victimes ont participé à ce type de rencontre (23 particuliers et 14 personnes morales). Dans le contexte des mesures de médiation, les accords entre l’adolescent et la victime sont de plusieurs natures : excuses verbales ou écrites, explications, travaux au profit de la victime, compensations financières, textes de réflexion, travaux au profit d’un organisme à but non lucratif, don à un organisme de la communauté, etc.[73].

Les sanctions et les mesures extrajudiciaires sont souvent réservées à des situations délictuelles de moindre gravité. Les données contenues dans le rapport annuel 2005-2006 de l’organisme L’Autre Avenue le confirment. En effet, 35 p. 100 de tous les cas dirigés vers l’organisme étaient liés à des infractions contre la propriété[74] ; 18 p. 100, à des infractions contre la personne et la réputation[75] ; et 15 p. 100[76], à des infractions en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[77]. Notons cependant que l’organisme L’Autre Avenue est intervenu à quelques reprises à l’occasion d’infractions plus graves telles que des voies de fait simples, des introductions par effraction ou des agressions sexuelles. Il faut rappeler qu’il est du ressort du substitut au procureur général, du directeur de la protection de la jeunesse et du délégué à la jeunesse de décider si le dossier d’un jeune doit être judiciarisé ou non. Lorsque les conditions des articles 10 à 12 de la LSJPA sont remplies, comme la reconnaissance de la culpabilité et l’absence d’un passé criminel, il est possible que le jeune se voie imposer des sanctions extrajudiciaires dans le but de le faire répondre de son acte délictuel.

La LSJPA est empreinte d’une volonté de prendre en considération l’intérêt des victimes. Outre qu’elle protège les droits de l’adolescent, cette loi contient plusieurs dispositions, tant sur le plan judiciaire que sur le plan extrajudiciaire, qui favorisent un rôle actif ou passif des victimes de l’acte délictuel. Son application met toutefois en exergue divers éléments qui peuvent se révéler problématiques pour les acteurs du système de justice pénale pour les adolescents.

Premièrement, plusieurs éléments sont du ressort des provinces et des territoires : la création et les critères d’application des programmes de mesures et de sanctions extrajudiciaires (art. 7 et 10 (2) (a) LSJPA), les modalités d’établissement et de fonctionnement des comités de justice pour la jeunesse et des groupes consultatifs, etc. D’un endroit à l’autre, malgré certaines exigences de base prévues dans la LSJPA, les balises soutenant une participation active de la victime diffèrent parfois, ce qui, selon nous, peut être un obstacle. Ces différences peuvent être le fruit d’une philosophie ou d’une approche autre concernant la délinquance juvénile, et elles peuvent évoluer très différemment d’un endroit à l’autre.

Deuxièmement, l’analyse de la jurisprudence nous a permis de constater une faible utilisation des mesures d’intégration des victimes dans le cadre judiciaire. Certes, la victime est considérée dans le contexte de la détermination de la peine, mais peu de mesures l’invitent à participer activement au processus. Nous avons constaté l’existence de plusieurs affaires où des juges de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec ont ordonné la rédaction d’une lettre d’excuses adressée aux victimes de l’acte criminel. Nous trouvons ces ordonnances intéressantes puisqu’elles ont pour objectif premier de responsabiliser le jeune en le plaçant devant les conséquences de ses actes. Par ailleurs, nous avons remarqué une timide utilisation de la médiation. Celle-ci répond souvent à un besoin de réconciliation entre les acteurs impliqués, surtout lorsque ceux-ci se connaissent ou qu’ils gravitent dans les mêmes cercles sociaux.

Puisque les dispositions ne sont pas particulièrement précises, nous croyons qu’elles offrent de nombreuses possibilités permettant la participation des victimes. Cependant, l’application de ce genre de mesures est relativement mitigée. Au-delà des grands principes, il est du ressort de chaque province ou territoire et de chaque décideur d’en préciser l’application. Le véritable objectif du législateur est-il alors d’ouvrir les portes aux victimes pour répondre à la faveur populaire tout en encadrant timidement les modalités d’application[78] ?

Au Québec, dans le cadre extrajudiciaire, les liens entre les divers acteurs du système judiciaire et le rôle important des organismes de justice alternative permettent de combler les lacunes de la loi.

Selon nous, il existe deux conditions fondamentales qui peuvent assurer un déroulement heureux de l’intégration des victimes pour tous les acteurs du système pénal : le respect des droits des victimes et le respect des droits des délinquants. Ces conditions semblent assurées par le système qui a été mis en place en matière extrajudiciaire.

Pour les victimes, l’article 3 (1) (d) de la LSJPA indique qu’elles doivent subir le moins d’inconvénients possible à l’occasion de leur participation au système de justice, qu’elles ont droit à l’information, qu’elles ont le droit de participer et d’être entendues et qu’elles doivent être traitées avec compassion et respect. Au Québec, le programme de sanctions extrajudiciaires et l’entente-cadre entre les organismes de justice alternative et l’Association des centres jeunesse du Québec établissent plus officiellement le fonctionnement de la participation des victimes.

En ce qui concerne les droits des adolescents, la LSJPA contient certaines dispositions permettant d’assurer le respect des droits de chacun des acteurs, ce qui est tout à fait favorable à l’application des mesures d’intégration des victimes. Certains droits fondamentaux en matière de droit criminel doivent être respectés. En plus de la consultation d’un avocat, prévue par l’article 10 (2) (d) de la LSJPA, ou de l’admissibilité des déclarations, prévue par l’article 10 (3) de la LSJPA, le droit de refus du délinquant ou de la victime doit être pris en considération. Pour l’adolescent, l’article 10 (2) (c) prévoit cette possibilité. Le travail des acteurs québécois s’inscrit dans cette optique.

En somme, les mesures d’intégration active des victimes abondent et présentent des possibilités intéressantes en matière de méthodes alternatives de résolution de conflits pénaux. Tant chez les délinquants adultes que chez les délinquants mineurs, lorsqu’elles sont utilisées dans le respect de chacun des acteurs, ces mesures permettent à tous d’être satisfaits de l’issue d’une procédure pénale, souvent reconnue pour être moralement difficile et d’une grande froideur. Sans pouvoir créer l’harmonie parfaite entre tous, ce type de mesures doit continuer d’être le point de mire des décideurs et des acteurs sociaux qui peuvent en assurer une évaluation. Parce qu’au-delà du traitement judiciaire du crime, il y a la réalité des personnes qui y sont impliquées.