Résumés
Résumé
C’est d’un trouble de voisinage en quête d’identité qu’il est ici question : situé aux confins du droit des biens et du droit des obligations, du droit réel et du droit personnel, son fondement demeure nébuleux. La problématique émerge d’elle-même : quelle est la place dévolue au trouble de voisinage dans l’espace normatif québécois ? L’interprétation historique, exégétique et jurisprudentielle de l’article 976 du Code civil du Québec permet de poser l’hypothèse voulant que le trouble de voisinage soit désormais appelé à jouer un véritable rôle de régulation sociale. S’il naît du droit civil, son extension au domaine de la protection de l’environnement par le truchement des recours collectifs catalyse le potentiel qu’il porte en lui et qui consiste à assurer la coexistence pacifique entre voisins.
Abstract
This paper addresses the issue of neighbourhood disturbance, which borders on property law and the law of obligations on the one hand, and real rights and personal rights on the other, and any attempt to fathom its true foundations proves to be a challenge. The problem is inescapable : where does one situate neighbourhood disturbance within the economy of Québec substantive law ? The historic, exegetic and jurisprudential interpretation of article 976 of the Civil Code of Québec invites one to hypothesize that neighbourhood disturbance will serve henceforth as a veritable social regulator. If it issues from the civil law, its extension into the field of environmental law by means of class actions, catalyses its inherent potential in maintaining peaceful coexistence amongst neighbours.
Corps de l’article
« Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la Terre n’est à personne »
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes Jean-Jacques Rousseau, 1755
En 1960, R. Coase cherchait ni plus ni moins à délimiter les paramètres normatifs des rapports de bon voisinage[1]. Le cadre factuel de son célèbre article intitulé « The Problem of Social Cost » posait l’épineuse question de déterminer, dans le contexte des nuisances — qu’un auteur définit comme « an unreasonable interference with the use and enjoyment of land[2] » — à quel moment un dommage causé par une activité polluante appelle un mode de régulation sociale[3] extérieur à la seule volonté des parties. À l’issue d’une étude attribuable à l’analyse économique du droit, l’auteur américain conclut que ces circonstances favorables (momentum) surviennent dès lors qu’un acteur social accable un autre des conséquences négatives de son activité ; ou, dans le langage pigovien, parce qu’il refuse d’internaliser les externalités négatives générées par ladite activité[4]. Autrement et en l’absence d’un coût élevé de transaction (par exemple, le coût des négociations, les expertises préalables), les parties sauront, par le seul jeu du libre marché et de la dynamique contractuelle qui l’accompagne, aboutir à une solution efficiente en acquérant, par exemple, une portion du terrain de son voisin, en lui offrant une compensation monétaire ou en installant des équipements permettant d’éliminer ou de réduire le trouble. À ce titre, et sauf à admettre que le législateur établit les bases à cette liberté contractuelle[5], toute intervention de sa part serait jugée superfétatoire, puisque le jeu de la négociation suffit à organiser la vie en société. Coase posait ainsi les bases à la réflexion qui sous-tend aujourd’hui l’application du principe du pollueur-payeur[6], et, l’hypothèse peut être formulée, le trouble anormal de voisinage. Il suffit pour s’en convaincre de relire les propos de la Cour suprême du Canada dans une affaire datant de 1896 et dont les faits sont, à peu de chose près, ceux qui ont été mentionnés par Coase : « [L’appelant] n’exerce son droit de tenir une écurie qu’à la condition de payer les dommages sérieux qu’il cause à ses voisins. Ce sont là les conséquences qu’il devait prévoir lorsqu’il a choisi le site de son établissement[7]. »
Dans ce contexte, la problématique prend une double dimension : quel est le fondement du trouble de voisinage contemporain ? Comment s’harmonise-t-il avec les autres institutions du droit québécois et canadien ? Afin de répondre à ces interrogations, nous tracerons les frontières du trouble de voisinage sous le double angle des rapports qu’il entretient avec les autres mesures de redressement prévues dans le Code civil du Québec, de même qu’avec les autres instruments de régulation contenus dans des lois particulières[8]. Comme en témoigne un arrêt rendu par la Cour suprême en 2008[9], soit un litige né de l’exploitation d’une cimenterie ayant causé, en raison de l’émanation excessive de particules, un préjudice aux voisins, cette question est particulièrement pertinente au regard du préjudice causé par certaines activités industrielles polluantes, dès lors que le trouble de voisinage connote une dimension publique, affranchie du microcontexte des rapports entre particuliers duquel il émerge pourtant. Institution hybride, il emprunte au droit des biens (section 2), comme au droit des obligations (section 1), créant un « régim[e] transversa[l][10] » niché dans une sorte de « zone frontalière que semblent se disputer le droit réel et le droit personnel[11] », à l’intérieur de laquelle il devient instrument de régulation sui generis de la vie économique, à la fois complémentaire et alternatif par rapport à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et à ses règlements d’application[12], mais en tout cas étranger aux catégories traditionnelles du droit civil[13] (section 3).
1 Le trouble de voisinage et le droit des obligations
L’évolution du trouble de voisinage est marquée par son rattachement au droit des obligations et son éloignement successif. Le Code civil du Bas Canada de 1866 étant — à l’instar du Code Napoléon — muet à cet égard, les tribunaux ont puisé son fondement dans la clause générale contenant une responsabilité pour faute qui a été mise au service des rapports de bon voisinage[14]. Dans une tentative plus ou moins heureuse de placer l’exercice du pouvoir judiciaire dans l’ordre normatif, la doctrine et la jurisprudence l’ont historiquement ancré dans l’abus de droit[15]. Non pas que son fondement soit unidimensionnel, car il a été attribué à d’autres sources, dont le quasi-contrat[16], l’enrichissement injustifié[17] ou la responsabilité pour risque. Chacun conviendra que son parcours tortueux s’explique par le fait que le trouble de voisinage ne semble appartenir à aucune des catégories traditionnelles du droit civil, même à agréer la thèse de Planiol : car le trouble de voisinage, en France, n’est attribuable ni à la volonté des parties ni à la loi[18].
Par-delà cette controverse doctrinale, le trouble de voisinage invite désormais à une redéfinition de son fondement juridique. L’insertion de l’article 976 C.c.Q. dans l’ordre normatif positif opère une perturbation des sources du droit et relègue le parcours historique de cette disposition au rang d’un simple outil interprétatif. À ce titre, la recherche du fondement juridique de l’article 976 C.c.Q. doit nécessairement reposer sur une interprétation exégétique de la norme qu’il contient. Ce dernier cristallise aujourd’hui un principe général de tolérance que se doivent mutuellement les voisins[19] ou, dans les mots de Pothier, un « quasi-contrat qui forme des obligations réciproques entre les voisins[20] ». Rappelons-en la lettre : « Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. » Trouble de fait, donc, et non de droit[21] : l’analyse littérale de la disposition permet de dégager deux exigences objectives (le « voisinage », l’exercice d’un droit de propriété) et deux autres qui seront appréciées au cas par cas : ici l’anormalité de l’inconvénient et la position du fonds[22].
Malgré la facture intelligible de la disposition législative, le trouble de voisinage n’a jamais, semble-t-il, été envisagé en vase clos. Comme s’il ne pouvait supporter l’isolement, l’article 976 C.c.Q. est toujours invoqué de concert avec les articles 6, 7, ou 1457 C.c.Q[23], voire tous ensemble[24]. Des traces de cette dépendance conceptuelle sont visibles à l’analyse de la discrétion judiciaire portant sur l’anormalité de l’inconvénient, soit l’étendue du trouble de voisinage (2.1), et de la dialectique du caractère subjectif ou objectif de la faute, soit son intensité (2.2).
1.1 Un inconvénient normal ou anormal ? Là est la question…
Le trouble de voisinage survient lorsque, dans l’exercice de son droit de propriété, un propriétaire fait subir des inconvénients anormaux ou intolérables à son voisin. Cette situation s’oppose à tout autre droit dont un propriétaire d’immeuble peut être titulaire ou bénéficiaire, parce que, de l’opinion de la doctrine, les actes entrant dans le domaine de la liberté individuelle ne relèvent pas des troubles de voisinage[25]. Selon F. Frenette, « l’article 976 C.c.Q. ne saurait être invoqué à l’encontre d’un voisin qui parle ou qui tousse trop fort, qui fume comme une cheminée, qui pratique ouvertement le nudisme ou le voyeurisme, dont les enfants crient à s’époumoner, dont le chien est bruyant ou malodorant ou, enfin, dont le volume des appareils de son est élevé[26] ». Pourtant, une interprétation trop restrictive du droit de propriété équivaudrait à vider le trouble de voisinage de son contenu et à reléguer dans le domaine de la responsabilité civile tous les troubles qui impliquent davantage le propriétaire que son fonds. Pour cette raison, il est préférable de préconiser une position plus nuancée, ancrée dans l’idéal de rapports de voisinage indulgents[27] et recoupant, pour cette raison, l’usage du droit de propriété[28].
Par ailleurs, une difficulté surgit, soit la définition de la normalité ou de son contraire, l’anormalité. Au fil du temps, la jurisprudence parfois folkorique a posé quelques balises à l’interprétation de l’anormalité : ainsi en est-il du chant du coq, de la privation du soleil, de la dispersion de particules, d’émanations de fumées ou de gaz qui sont entrés dans le registre du trouble de voisinage[29], à la différence de certains inconvénients normaux qui doivent être tolérés[30]. Par ailleurs, la détermination du seuil de tolérance requis par les voisins demeure sujette à de multiples variations[31], dès lors que cette question de fait va de pair avec l’évolution des habitudes de vie des propriétaires[32]. À ce sujet, un large pouvoir d’appréciation discrétionnaire a été conféré aux tribunaux par le législateur, situation qui évoque un passage du célèbre ouvrage de Merryman : « The legislature has not provided the box ; it has, in effect, told the judges to make the box themselves[33]. »
À tout le moins, chacun sait que cette idée de tolérance se réfère implicitement à une certaine forme de « récurrence, de continuité, de répétition[34] » peu susceptible — hormis l’hypothèse du harcèlement — de se retrouver en dehors du cadre relativement stable découlant de la relation de voisinage[35]. Le concept de normalité des inconvénients s’interprète selon les trois pôles qu’il énonce : 1) la nature du fonds ; 2) sa situation ; et 3) les usages locaux[36]. La jurisprudence enseigne que les circonstances propres à chaque situation seront notamment analysées à la lumière du comportement des parties, de la légalité et de la nécessité de l’exploitation, de même que de la gravité du préjudice[37]. Il va de soi que la ligne de démarcation entre la normalité et l’anormalité est aussi conditionnée par la configuration des cités et des villes telles qu’elles ont été aménagées par la Loi sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme[38], laquelle habilite les institutions municipales à réglementer, notamment, le zonage[39]. Signalons que le Code municipal du Québec[40] et la Loi sur les cités et villes[41] peuvent être pertinents dans l’exercice d’appréciation des circonstances, même s’ils n’accordent aucune immunité au fauteur de trouble[42].
En zone agricole, par ailleurs, la Loi sur la protection du territoire agricole et des activités agricoles[43] aménage un régime spécifique de responsabilité pour certains inconvénients inhérents à la pratique de l’agriculture. Son objet avoué est de dessiner un cadre législatif destiné à optimiser l’exercice de la culture du sol et l’élevage des animaux en les mettant à l’abri de doléances peu compatibles avec la vie agraire. Cette loi particulière crée une immunité envers les tiers à l’égard d’inconvénients attribuables aux poussières, aux bruits ou aux odeurs résultant d’activités agricoles. Une interprétation littérale de la Loi sur la protection du territoire agricole et des activités agricoles permettrait de conclure que celle-ci met en échec le régime général énoncé par l’article 976 C.c.Q., ce qui équivaut à affirmer que le voisin d’un fonds situé en zone agricole devient débiteur d’une obligation de supporter des inconvénients qui dépassent le seuil de la normalité. Pourtant, la jurisprudence a clairement établi que ces dispositions statutaires n’avaient pas pour effet d’écarter l’application des règles relatives aux troubles de voisinage[44]. La pré-occupation non plus, ce qui revient à dire qu’il ne peut y avoir de droits acquis à polluer[45].
1.2 L’intensité de l’article 976 du Code civil du Québec
La question a maintes fois été posée : quels rapports entretient le trouble de voisinage avec la responsabilité pour faute, l’abus de droit et la théorie du risque créé ? À l’occasion de l’affaire Ciment du Saint-Laurent, la Cour suprême, avalisant en cela les conclusions formulées par la Cour supérieure, a récemment mis un terme à la célèbre querelle doctrinale qu’ont personnifié, outre-Atlantique, Ripert et Josserand[46], opposant les tenants d’une institution ancrée dans l’abus de droit (section 1.2.1), à ceux qui militent en faveur de la reconnaissance d’une institution détachée de la faute (1.2.2). La victoire du second est, en toute probabilité, le fruit d’un déplacement du centre de gravité du trouble de voisinage du droit des obligations vers le droit des biens, un glissement de l’objet d’étude des causes vers les effets.
1.2.1 Autour du blâme : de la faute et de l’abus de droit
Le trouble de voisinage entretient avec l’abus de droit un rapport d’interdépendance conflictuel. À première vue, le trouble de voisinage et l’abus de droit semblent partager des racines communes, mais il a aussi été suggéré, à ce sujet, que la responsabilité engendrée par les premiers ne soit, en certaines circonstances, qu’une application particulière du second[47]. Rappelons, pourtant, que la célèbre affaire Houle c. Banque Canadienne Nationale[48] s’autorise de précédents rendus sous l’égide d’un droit de propriété[49] qui trouve lui-même sa limite dans l’abus de droit — sic utere tuo ut alienum non laedas[50] — révélant au passage la quadrature du cercle : la métaphore de l’oeuf et de la poule se superpose alors à celle « de la poule et de l’homme » imaginée par A. Popovici[51]. Au tournant de la réforme du Code civil, le législateur aurait cristallisé l’abus de droit, en construisant l’article 7 C.c.Q. autour de deux hypothèses[52] : celle de l’intention de nuire (auquel cas elle coïncide alors immanquablement avec l’article 1457 C.c.Q.[53]) et celle, plus discutée, de l’acte excessif et déraisonnable.
Cette seconde ramification s’est écartée progressivement de l’exigence de prouver l’intention malicieuse, s’éloignant d’autant de la responsabilité ancrée dans la faute[54]. Depuis, l’abus de droit est susceptible de survenir indépendamment de toute idée de blâme, d’où, peut-être, la nécessité de le contenir à l’intérieur d’une disposition législative distincte de celle qui matérialise en droit positif la responsabilité aquilia (l’art. 1457 C.c.Q.). Certains auteurs ont toutefois rejeté l’idée que le trouble de voisinage puisse recouper cette seconde hypothèse[55].
Il suffit pourtant d’admettre que le droit privé n’est pas réductible aux seuls rapports unissant les particuliers et, dès lors, que l’attribution de tout droit sous-tend aussi une finalité sociale pour convenir, avec Josserand, que, lorsqu’un droit est exercé à l’encontre de celle-ci, il y a abus de droit[56]. Ainsi configuré, le trouble de voisinage particulariserait simplement la règle plus générale de l’abus de droit[57], en même temps qu’il s’affranchit du domaine de la responsabilité pour faute[58]. Une clé de lecture alternative a aussi suggéré que l’article 976 C.c.Q. constitue un cas d’application de l’article 1457 C.c.Q., parce qu’une contravention à la loi recoupe justement l’une des hypothèses visées par le premier alinéa de la même disposition[59]. Ces interprétations ont un point en commun : elles rejettent l’idée que l’article 976 C.c.Q. puisse être appréhendé en vase clos et, par là, que le trouble de voisinage puisse prendre la forme d’une nouvelle clause générale située aux côtés de la responsabilité pour faute et de l’abus de droit. Dans la recherche de son fondement, la Cour suprême écarte les trois hypothèses.
1.2.2 Une institution affranchie du domaine de la faute
De son côté et à la lumière de l’affaire Ciment du Saint-Laurent, la Cour suprême milite en faveur d’une dissociation conceptuelle entre le trouble de voisinage et la responsabilité pour faute : « nous ne sommes pas convaincus de l’utilité du recours à la notion de faute présumée […] La constatation d’inconvénients anormaux ne suffit donc pas pour établir la commission d’une faute[60]. » Trois principaux arguments portent à cette conclusion : d’abord, la lettre de l’article 976 C.c.Q. ; ensuite, sa place dans l’architecture normative du Code civil ; et, enfin, l’évolution jurisprudentielle de cette institution. Ces sentiers interprétatifs ont été empruntés par la Cour supérieure et la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Ciment du Saint-Laurent : toutes deux ont tenu la cimenterie responsable des inconvénients causés aux voisins, bien qu’elle se soit acquittée de son obligation d’entretenir les équipements et les filtres antipollution[61].
Exégétique, le premier argument suggère que, dès lors que le trouble de voisinage est chapeauté du titre relatif à la propriété, il relève du domaine du droit des biens[62]. La dissociation du droit des obligations serait complète, parce que le législateur a voulu, dans une tentative en vue de concilier l’exercice de droits de propriété entrant en conflit, « constituer […] une pseudo-servitude légale découlant de l’environnement humain dans lequel se trouve une propriété donnée[63] ». Au demeurant, l’esthétique particulière des articles « voisins » de l’article 976 C.c.Q. — notamment les articles 988 et 991 C.c.Q. — renforcerait l’idée voulant que ces dispositions aient davantage à voir avec les effets découlant de l’exercice d’un droit de propriété que de ses modalités d’exercice[64].
Ensuite, la lettre de l’article 976 C.c.Q. prévoit que la simple preuve d’un inconvénient anormal causé par l’exercice du droit de propriété suffirait à engager la responsabilité du fauteur de trouble[65]. Par conséquent, l’exonération de responsabilité pour le motif de l’absence de faute se révèle impossible[66]. Plutôt, la disposition ne prescrit qu’un devoir de tolérance réciproque : la règle, en ce sens, s’éloigne de l’obligation de ne pas nuire que contenaient les formulations antérieures de l’article 976 C.c.Q[67]. Au demeurant, le libellé de l’article ne fait aucune référence à l’idée de faute et aussi porte-t-il à l’inéluctable conclusion voulant que le trouble de voisinage y soit étranger[68]. Cette reconnaissance d’un régime de responsabilité basé sur l’idée de risque, sans égard à une faute quelconque, consacre le détachement du trouble de voisinage de la responsabilité civile[69].
Enfin, la reconnaissance d’un régime de responsabilité sans égard à la faute en matière de trouble de voisinage reposerait sur une évolution jurisprudentielle linéaire en la matière[70]. L’hypothèse puiserait sa source dans certaines décisions rendues sous l’égide du Code civil du Bas Canada, dont les affaires Drysdale v. Dugas, et, surtout, Katz c. Reitz[71], où des travaux d’excavation ont causé d’importantes infiltrations d’eau chez le voisin, ce qui a entraîné, au final, la perte de l’immeuble. Articulant son raisonnement autour du droit de propriété, la Cour d’appel agrée l’idée que l’exercice du droit de propriété comporte une obligation de ne pas nuire à autrui. Et la Cour d’appel de préciser que « [c]ette obligation existe, même en l’absence de faute, et résulte alors du droit du voisin à l’intégrité de son bien et à la réparation du préjudice qu’il subit[72] ». Ainsi la notion de faute céderait-elle le pas au concept de l’anormalité des inconvénients[73] ; d’ailleurs et à la même époque, A. Mayrand — et avant lui R.I. Cohen[74] — exprimait une idée similaire : selon lui, « celui qui bénéficie d’une activité économique doit en assumer le risque inhérent et réparer les dommages causés même sans sa faute[75] ».
Il est vrai que, en tant que principe directeur du droit québécois, cette position a été écartée par la Cour suprême dans l’affaire Lapierre c. P.G. (Qué.)[76]. Or l’argument mis en avant par le demandeur présentait, à l’époque, la particularité de ne reposer sur aucune assise légale : sauf à ériger la doctrine ou le droit comparé au rang des sources du droit, force est d’observer que l’affaire Lapierre avait beaucoup plus à voir avec l’équilibre entre les pouvoirs législatif et judiciaire qu’avec l’interprétation d’une norme de droit posée, d’autant plus — comme l’a souligné la Cour suprême — qu’un courant jurisprudentiel favorisait le développement de la responsabilité sans égard à la faute en matière de trouble de voisinage[77]. Dans la foulée de l’article 20 de la LQE[78], il y a là une approche axée sur les effets plutôt que sur le caractère répréhensible du comportement causant le trouble[79]. Ce constat met en échec la dynamique interprétative qui consiste à appréhender le trouble de voisinage à travers le seul éclairage du droit des biens.
2 Le trouble de voisinage et le droit des biens
Historiquement, et à l’instar du Code Napoléon, le droit civil québécois propose une conception de la propriété axée sur l’individualisme, la présentant comme absolue et laissée entièrement à son titulaire, sous réserve du respect de la loi[80]. L’article 947, al. 1 C.c.Q., introductif du titre De la propriété, codifie cette prémisse quelque peu surannée, alors qu’il édicte que la propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien, sous réserve des limites et des conditions d’exercice fixées par la loi[81]. À l’issue de la réforme de 1994, le droit de propriété s’est adapté aux réalités socioéconomiques contemporaines[82]. La conception d’un droit de propriété qui se voudrait absolu est donc réduite à un intérêt historique, voire « mythique et purement théorique[83] », considérant que plusieurs dispositions législatives viennent baliser les espaces conférés aux propriétaires[84].
Dans cette optique, certains ont avancé que le trouble de voisinage pourrait appartenir exclusivement à la discipline du droit de propriété, ce que suggérerait éventuellement une analyse exégétique alternative du Code civil (2.1). En revanche, le libellé même de l’article 976 C.c.Q. semble annoncer la vocation plus large pour l’institution, dès lors que son champ d’application s’étend aux « voisins » (2.2).
2.1 La tourmente de l’action propter rem
L’espace dévolu au trouble de voisinage à l’intérieur de la section du Code civil portant sur la propriété induit l’idée, sinon la consacre, de son éloignement du droit des obligations. Il s’ensuit que, comme dans les trois autres exemples spécifiques de troubles de voisinage prévus par le Code civil[85], l’article 976 C.c.Q. aménagerait un recours tributaire du lien unissant le propriétaire à son fonds[86]. Il suffirait, pour s’en convaincre, d’observer que la disposition chapeaute le chapitre troisième aménageant les règles particulières à la propriété immobilière. Il devient possible d’affirmer que le choix opéré par le législateur au tournant de la réforme du Code civil n’exalterait en réalité que certains attributs du droit de propriété sous-jacents au trouble de voisinage ; ou, à la limite, que le législateur québécois a voulu poser, au passage de la réforme du Code civil, une norme nouvelle — l’article 976 C.c.Q. — qui ne procède pas de l’évolution historique du trouble de voisinage. Cette technique de confinement de la norme dans le droit des biens permet d’appréhender le trouble de voisinage à travers l’action propter rem : voilà la solution préconisée par la Cour d’appel dans le contexte de l’affaire Ciment du Saint-Laurent.
Dans une tentative pour propulser le trouble de voisinage hors de la sphère du droit des obligations, la Cour d’appel isole tous les indices historiques, jurisprudentiels et socioéconomiques qui induiraient l’idée que le trouble de voisinage puisse revêtir les attributs d’un régime de responsabilité. Dans cette optique, elle confine respectivement les arrêts Drysdale v. Dugas et Katz c. Reitz dans le droit de la responsabilité pour faute, d’un côté, et dans le droit des biens, de l’autre côté. S’agissant du premier et au vu des faits de l’affaire (soit l’exploitation d’une écurie par les défendeurs), elle souligne que le litige procède d’une action personnelle, une « application particulière du principe traditionnel de la responsabilité personnelle basée sur la faute plutôt qu’une pétition de principe destinée à trancher une question de droit épineuse[87] ». Quant au second, elle le recentre autour de l’action propter rem dont il dériverait implicitement : en l’occurrence, une servitude pour laquelle le défendeur « n’était tenu que réellement[88] » envers son voisin. En conséquence, il n’y aurait jamais eu, avant l’adoption du Code civil de 1994, de régime de responsabilité sans égard à la faute[89].
Dans un autre ordre d’idées, la Cour d’appel suggère que, au vu de la hiérarchie des sources du droit qu’annonce la structure du Code civil, l’insertion de l’article 976 C.c.Q. dans une section concernant la propriété fait en sorte qu’il n’est reconductible à aucun alter ego sous les auspices de l’Office de révision du Code civil[90] ; aussi, l’interprète du droit ne peut tirer profit d’une analyse des travaux ayant mené à son adoption. Dès lors, le trouble de voisinage ne donnerait ouverture, selon la Cour d’appel, qu’« à des actions réelles immobilières de la nature de l’action confessoire ou de l’action négatoire[91] ».
Cet isolement complet du trouble de voisinage du droit des obligations emporte des conséquences redoutables à plusieurs égards. D’abord, et sur le versant procédural, sa nature propter rem ferait obstacle à l’exercice d’un recours collectif, dès lors que les différents héritages présentent peu de caractéristiques communes permettant le groupement d’actions[92]. Au surplus, et quant aux sanctions, rien n’empêcherait le propriétaire de mettre en échec la possibilité d’obtenir une injonction en abandonnant son immeuble[93], ce qui priverait le droit environnemental d’un moyen de redressement efficace. Il ne resterait à la disposition du voisin troublé que la responsabilité prévue dans l’article 1457 C.c.Q.[94] afin d’obtenir son indemnisation in integrum pour le préjudice subi, y compris les dommages non pécuniaires : « Chassez la faute, elle revient au galop », n’a-t-il pas déjà été dit[95] ?
Cette approche a été écartée explicitement par la Cour suprême, pour le motif que les inconvénients anormaux que mentionne l’article 976 C.c.Q. sont soufferts par des personnes, et non des héritages[96], et parce que l’interprétation préconisée par la Cour d’appel présentait le défaut d’enfermer ledit article à l’intérieur d’une construction théorique détachée, sinon de l’esprit de l’article, du moins de sa lettre. À notre avis, l’insertion du vocable « voisin » ne saurait sous-tendre l’hypothèse d’une action propter rem : elle annonce plutôt la cristallisation d’une institution du droit privé québécois sui generis, dont le point de départ est la coexistence pacifique entre voisins.
2.2 La condition de voisinage ou l’érosion du paradigme de la propriété
La condition d’application relative au « voisinage » témoigne de l’érosion d’une conception absolutiste du droit de propriété. Le vocable — qui n’a rien, a priori, de juridique — induit l’idée d’un dépassement de la notion de propriété telle qu’elle est appréhendée par le droit civil traditionnel. Parce que l’article 976 C.c.Q. trouve application en situation de voisinage, il comporte une certaine dimension géographique[97] : les parties doivent être respectivement situées dans un environnement immédiat, bien qu’elles n’aient pas à être des voisins contigus[98]. Si, de manière générale, le recours est normalement intenté contre le propriétaire[99], il s’étend aux autres titulaires d’un droit réel immobilier, soit l’usufruitier ou l’usager[100], voire le détenteur d’un droit de jouissance, pour peu qu’il ne soit pas précaire[101], tel qu’un entrepreneur[102]. S’opposant à cette interprétation libérale, certains préconisent toutefois une définition du concept de voisinage plus fidèle à la collocation de l’article à l’intérieur du Code civil[103]. Selon Frenette, notamment, cette notion ne saurait embrasser tout titulaire d’un droit réel ou personnel de jouissance dans un immeuble, car cela excéderait l’objectif poursuivi par la disposition[104].
Cette notion a fait l’objet d’une attention particulière dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent, où le tribunal devait également déterminer si le recours pour troubles de voisinage pouvait être intenté par un locataire. À la suite d’une analyse des dispositions concernant le bail résidentiel[105], la Cour conclut que le locataire bénéficie de la protection conférée par l’article 976 C.c.Q. : « Interpréter l’article 976 C.c.Q. comme ne donnant droit qu’aux propriétaires voisins de poursuivre ferait en sorte qu’il y aurait deux régimes distincts en matière de troubles de voisinage au Québec, soit un nécessitant la démonstration d’une faute pour les locataires ou autres occupants d’immeubles et un sans faute pour les propriétaires[106]. » Elle ajoute : « Le terme “voisin” doit donc recevoir une interprétation plus large que celle qui limiterait l’application de l’article 976 aux seuls propriétaires d’immeubles[107]. » De ces propos, nous pouvons inférer que les tribunaux interprètent la notion de voisinage de manière à y inclure l’exercice de l’une des modalités de la propriété ou, encore, le bénéficiaire de l’une des prérogatives de ce droit. Il y a donc lieu de constater, au fil du temps, une extension du domaine de la notion de voisin qui facilite l’exercice du recours[108].
À l’issue de cette analyse, force est de conclure que le trouble de voisinage emprunte des attributs du droit des biens et du droit des obligations.
3 Un outil de régulation des activités industrielles ?
Pourtant, ce caractère hybride s’explique probablement mieux à la lumière des raisons politiques qui l’alimentent qu’à l’aide des techniques interprétatives classiques familières aux civilistes. Cette hypothèse semble se confirmer à la lecture de l’affaire Ciment du Saint-Laurent, là les tribunaux se réclament des mêmes outils méthodologiques dans la recherche du fondement du trouble de voisinage — soit l’analyse exégétique du Code civil, le contexte sociohistorique, l’évolution jurisprudentielle, les raisons politiques — pour aboutir à des solutions diamétralement opposées. Les divergences d’opinion exprimées par la Cour supérieure (et avalisées par la Cour suprême) et la Cour d’appel[109] mettent en relief deux conceptions des fonctions respectives dévolues au droit public et au droit privé, et, plus largement, du rôle de l’État[110] .
Par exemple, c’est sans ambiguïté aucune que la Cour suprême, dans le contexte de l’affaire Ciment du Saint-Laurent, exalte la fonction régulatrice de l’article 976 C.c.Q. lorsqu’elle observe au passage que « [la] responsabilité sans faute favorise des objectifs de protection de l’environnement[111] ». Chapeauté du sous-titre « Considérations de politique générale », ce commentaire cache à peine la vocation contemporaine de cet article, soit un véritable outil de régulation des activités industrielles capable de renforcer le principe du pollueur-payeur dans une optique de développement durable[112]. Parce qu’il est possible d’affirmer que le litige oppose en réalité la société civile à l’industrie, les composantes ex ante et ex post de l’exercice de régulation semblent être réunies entre les mains d’un pouvoir judiciaire dépositaire d’autant de « petits protocoles de Kyoto[113] », dans la mesure où les tribunaux peuvent imposer des sanctions mandatoires, rédhibitoires, indemnitaires ou mixtes afin de faire cesser le trouble. Plus largement, le mariage du trouble de voisinage et de la procédure civile[114] porte à une inévitable conséquence : l’adjonction d’un régime de responsabilité ancré dans l’idée de risque au mécanisme du recours collectif, voilà qui présente tous les attributs d’un outil de régulation de la vie économique, au même titre que la responsabilité des commettants ou la responsabilité du fait des produits défectueux.
Sous cet angle, l’article 976 C.c.Q. pénètre la sphère publique[115] et soulève de nouvelles problématiques : quels sont les rapports d’interdépendance entre le droit public et le droit privé ? Le recours au second est-il conditionné par l’échec du premier, ou vice-versa ? Deux aspects retiendront ici notre attention : l’étendue des causes permettant d’écarter la responsabilité née de l’article 976 C.c.Q. (3.1) et la nature des sanctions rattachées au non-respect du même article (3.2).
3.1 La coordination du droit privé et du droit public
Tout fauteur d’un trouble anormal tentera de repousser sa responsabilité en alléguant l’une ou l’autre des raisons suivantes : il a respecté les autorisations administratives ou législatives permettant l’exécution de l’activité génératrice du dommage ; il a utilisé les techniques les plus sophistiquées pour minimiser les inconvénients ; il occupait les lieux avant l’arrivée des voisins qui se plaignent du trouble (théorie dite de la pré-occupation)[116]. Le tribunal pourra également considérer, dans son appréciation du caractère excessif et déraisonnable de l’inconvénient, le fait que le défendeur a pris ou non les moyens nécessaires pour s’assurer qu’aucun dommage ne serait causé ou, à défaut, qu’il serait minimisé[117]. Le trouble de voisinage est susceptible d’interagir avec les règles de droit public issues de deux ordres juridiques : le droit provincial (3.1.1) et le droit fédéral (3.1.2).
3.1.1 Le trouble de voisinage et certaines lois particulières québécoises
Selon la première hypothèse, donc, le fauteur de trouble alléguera qu’il est titulaire de tous les permis d’exploitation et d’établissement requis ou qu’il jouit de l’approbation des autorités administratives ou législatives compétentes[118]. Or, l’octroi d’un permis ou d’une autorisation administrative n’autorise pas pour autant l’exploitant à dépasser la mesure normale des inconvénients et ne suffit généralement pas à repousser la responsabilité selon les termes de l’article 976 C.c.Q. À cet égard, deux exemples jurisprudentiels permettent d’illustrer les modalités de coexistence du droit public et du droit privé.
La question a notamment été examinée à l’occasion de l’affaire Petit Train du Nord, où il s’agissait de déterminer dans quelle mesure les activités de tourisme visées pouvaient constituer un trouble de voisinage. Saisie du litige, la Cour supérieure se livre à une analyse inspirée des décisions rendues en common law et portant sur l’interaction du droit commun et de certaines lois particulières afin de déterminer l’effet des lois québécoises autorisant l’activité hivernale sur l’exercice d’un recours fondé sur le trouble de voisinage[119]. Bien qu’elle se refuse à formuler un principe ayant une portée générale, la Cour supérieure statue qu’une exonération ancrée dans l’autorité législative sera possible si l’atteinte aux droits du voisin est prévue en termes non équivoques par le législateur[120]. En ce sens, elle précise qu’« une immunité législative découle généralement de l’encadrement législatif d’une activité spécifique dans son ensemble, notamment quant à son lieu d’exercice, son étendue, ses modalités d’exercice duquel il est possible de déduire que le législateur en conséquence ne peut qu’y autoriser les effets inévitables qui en résultent[121] ». En l’espèce, et au terme d’une analyse exégétique des prescriptions édictées par la Loi sur les véhicules hors route, des règlements y dérivés et des clauses stipulées dans le contrat de bail unissant le gouvernement du Québec et la municipalité régionale de comté visée, la Cour supérieure parvient à la conclusion que les critères ci-avant énumérés ne permettaient pas aux défendeurs d’échapper au joug de l’article 976 C.c.Q.
La Cour d’appel, de son côté, parvient à une conclusion analogue dans l’arrêt Gestion Serge Lafrenière inc. c. Calvé[122], une affaire opposant des propriétaires riverains, née d’un déversement excessif de phosphore en amont de l’héritage du demandeur. Suffit-il ici de souligner que l’entreprise poursuivie détenait un certificat délivré en vertu de la LQE l’autorisant à déverser dans l’environnement lesdits contaminants[123]. Comme l’a formulé la Cour d’appel, la question revêt un double aspect : « Si le certificat d’autorisation permet le déversement d’un contaminant qui met en péril le droit privé du voisin à la qualité de son environnement, celui-ci peut faire échec à l’autorisation légalement détenue[124]. » Et cette cour d’ajouter ceci : « [Y] a-t-il deux normes pour le même objet : l’une publique et l’autre privée et dans l’affirmative, si l’application de l’une rend l’autre sans effet, laquelle doit prévaloir[125] ? » S’agissant de déterminer les modalités de coexistence des dispositions pertinentes du Code civil (ici les articles 981 et 982) et de la loi particulière (l’article 19.2 de la LQE), la Cour d’appel prononce l’injonction interlocutoire demandée par les propriétaires riverains et rejette l’argument suggérant que de donner préséance au Code civil compromettrait la sécurité juridique à laquelle prétendent les industries.
Refusant de se livrer à une construction conceptuelle, la Cour d’appel suggère que l’éventuelle préséance de la norme de droit public sur celle qui est issue du droit privé est tributaire de la clarté des droits et des obligations conférés au justiciable par l’autorité administrative. Il semble que, dans l’hypothèse où un permis d’exercer une activité polluante a été délivré (sans faire état des seuils de pollution tolérables), le droit commun s’appliquera en filigrane. À l’inverse, et dans la mesure où un permis prévoit les quantités d’émissions ou de contaminants, il se substituera en quelque sorte à la norme de droit privé, faisant obstacle à un recours entre parties privées fondé sur la LQE ou le Code civil. Ce qui a porté la Cour suprême à répondre par la négative à la question suivante : « La loi spéciale adoptée par la législature du Québec pour régir les activités de [Ciment du Saint-Laurent] confère-t-elle une immunité à CSL en matière de troubles de voisinage[126] ? »
3.1.2 Le trouble de voisinage et le droit fédéral
Par ailleurs, le caractère hybride du trouble de voisinage est susceptible de le faire intervenir dans un débat purement constitutionnel impliquant les lois promulguées par le Parlement fédéral. Il semble que l’impact de ces dernières sur le droit provincial puisse atténuer la portée du principe consacrant l’ignorance réciproque traditionnelle entre le droit privé et le droit public. Cette hypothèse s’observe avec une acuité particulière en matière aéronautique ou ferroviaire[127]. S’agissant d’activités tombant sous le joug des compétences fédérales, les actions dérivées du droit civil québécois ne sauraient être admissibles en vertu de la théorie de la prépondérance du droit fédéral sur le droit provincial[128]. Or si la maxime The King can do no wrong marque l’imaginaire juridique canadien[129], il faudra bien convenir qu’elle souffre d’une érosion que cristallise désormais, par exemple, l’article 1376 C.c.Q. ou la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif[130].
De son côté, la Cour suprême[131] semble elle aussi encline à édulcorer une immunité qu’un auteur explique en ces termes : « Perhaps the most important policy reason for the creation of the immunity was the desire to promote industrial expansion and to refrain from saddling infant industries with legal responsibility for their non-negligent conduct[132] », et Linden d’ajouter ceci : « Legislative authority was generally used in cases involving semi-public activities such as railways, roadbuilding, canals and hospitals. These types of enterprise were even more vital to the economy than were other industries and thus deserving of additional protection from civil liability[133]. » S’il ne fait aucun doute que le Code civil s’applique à la Couronne en vertu de l’article 1376 C.c.Q., il importe en revanche de rattacher cette relation symbiotique au débat constitutionnel concernant la théorie du double aspect et l’exclusivité des champs de compétences provinciaux et fédéral. De fait, cette dernière est susceptible de mettre en échec l’application du droit privé dans un domaine de droit fédéral visé, notamment, par l’article 92 (10) de la Loi constitutionnelle de 1867[134].
Au Québec, toutefois, il a été récemment considéré que le trouble de voisinage est applicable à une société fédérale, bien qu’il doive être « évalué dans le respect de l’exercice légitime des activités inhérentes de l’entreprise fédérale[135] ». Il en découle que les dispositions législatives provinciales qui viendraient potentiellement entraver les activités des entreprises créées par une loi fédérale (dont certaines dispositions issues de la LQE ou, précisément, l’article 976 C.c.Q.) seront privées d’effet[136] : « Même si une province devait adopter une loi antibruit de portée générale visant toutes les espèces d’activités bruyantes dans toutes les localités de la province, elle serait inapplicable au bruit fait par les aéronefs dans la province », a déjà suggéré la Cour suprême[137]. Dans la foulée de ce raisonnement, il serait donc possible de croire que, parce que le trouble de voisinage peut commander une mesure de redressement qui s’apparente à l’injonction prévue dans l’article 751 du Code de procédure civile, il est susceptible d’interférer avec l’activité visée, même si, sur le versant de la responsabilité civile, le conflit opposant les droits fédéral et provinciaux ne semble pas être soulevé[138].
3.2 Les sanctions du trouble de voisinage
La fonction régulatrice du trouble de voisinage est particulièrement visible à l’étude des sanctions. Si, historiquement, la responsabilité n’est interpellée que devant un dommage matérialisé (soit ex post facto)[139], elle revêt néanmoins une fonction ex ante dans la mesure où ses moyens de redressement peuvent recouper l’injonction prévue[140]. Le pragmatisme du droit québécois révèle ici sa force : le voisin troublé pourra demander non seulement des dommages-intérêts mais encore la cessation de l’atteinte[141]. S’agissant de cette dernière, les tribunaux considéreront, il n’est pas mauvais de le rappeler, la balance des inconvénients, et ce, au stade d’une demande d’injonction tant interlocutoire que permanente[142]. Celle-ci pourra parfois être du type mandatoire pour ordonner l’exécution de la réparation, de la construction ou de la démolition d’un ouvrage[143].
Les conséquences sont draconiennes pour les entreprises : non seulement elles devront, devant l’inconvénient anormal, indemniser les voisins troublés, mais encore elles pourront être contraintes à cesser, à l’avenir, toute activité polluante. L’hypothèse demeurera sans doute théorique. Selon Neuray, « [t]ant qu’il s’agit, pour l’autorité publique, de gérer les nuisances et d’en répercuter la charge financière sur une quantité plus ou moins indifférenciée de contribuables, il n’y a guère de quoi fouetter un chat[144] ». Et cet auteur d’ajouter : « Quant à s’en prendre directement aux industries polluantes au risque de réduire leur marge bénéficiaire, voire de compromettre la rentabilité de l’exploitation et de “provoquer” des licenciements, il y a là un tabou qu’on ne peut lever qu’avec des mains tremblantes et en affrontant des pressions considérables[145]. » Ainsi cette forme de sanction est-elle peu susceptible de s’étendre à la fermeture de l’entreprise, bien qu’elle puisse conduire le tribunal à spécifier de manière exhaustive les mesures à prendre pour réduire le trouble[146]. Dans le cas contraire, néanmoins, seule une intervention du législateur pourrait neutraliser les conséquences des mesures de redressement découlant d’une action exercée sur la base de l’article 976 C.c.Q.
Cette solution a été retenue à l’issue de l’affaire Petit Train du Nord, où, le lecteur s’en souviendra, le gouvernement a adopté une loi spéciale destinée à mettre en échec les conséquences du jugement — une injonction permanente — rendu par la Cour supérieure[147] (l’ironie du sort voudra que la Loi sur le développement durable sera adoptée à la même époque[148]). Il devient alors légitime de s’interroger sur l’impact éventuel des droits fondamentaux sur de telles lois particulières destinées à réduire le domaine du trouble de voisinage, dont certaines dispositions prévues dans la Charte des droits et libertés de la personne (le droit à la libre jouissance de la propriété[149]), ou le droit à un environnement sain, que chapeaute le titre « Droits économiques et sociaux »[150]. La nature programmatrice de cet article n’a pas empêché la Cour d’appel d’y recourir en tant qu’outil interprétatif, à l’occasion d’un litige né d’un contrat de compostage de matières vertes unissant les parties[151]. De l’opinion de la Cour, « même si un doute subsistait quant à l’interprétation à donner à la clause 4, il ne faudrait pas privilégier celle qui serait contraire à l’objectif de préservation de l’environnement, lequel doit être poursuivi à tous les niveaux de gouvernement[152] ». S’agissant d’un contrat administratif, il est possible d’affirmer que le droit privé québécois, à cet égard, embrasse un idéal de justice beaucoup plus large que le cadre étroit à l’intérieur duquel le Code civil confine le droit des biens et le droit des obligations[153]. En outre, la référence aux droits fondamentaux pourrait permettre d’éviter l’internalisation implicite, par voie contractuelle, d’un coût rattaché à des choses hors commerce, dont la santé des personnes[154].
Enfin, la question peut être posée : le trouble de voisinage épousera-t-il la précaution ? Outre-mer, le remède préventif mandatoire s’est récemment fait vecteur de la précaution dans une affaire où une municipalité, agissant au nom de ses administrés, réclamait le déplacement d’une antenne de téléphonie mobile placée par un opérateur à proximité d’une école primaire dont elle était propriétaire[155]. Le Tribunal de grande instance a retenu la responsabilité de l’opérateur de téléphonie pour troubles excessifs de voisinage : se réclamant du principe de précaution, il a enjoint ensuite à l’opérateur de déplacer l’antenne. Cette position conduit à une conception élargie du « trouble », et en facilite la reconnaissance, ce qui allège, par le fait même, la preuve du demandeur puisqu’il suffit désormais d’établir l’impossibilité de garantir l’absence de risque pour prouver l’anormalité[156]. Quid en droit québécois ?
Conclusion
Notre conclusion prendra la forme d’un constat, d’un questionnement et d’un souhait. D’abord, le constat : les sociétés contemporaines réalisent graduellement que la nature ne constitue pas un réservoir de ressources inépuisables. Sa capacité à absorber la pollution engendrée par l’industrialisation massive et un consumérisme démesuré l’ont mise à rude épreuve. De manière paradoxale, l’indemnisation d’une personne pour un préjudice environnemental est marquée par une double pulsion qui contribue à l’exalter et à le limiter. D’un côté, une sensibilité accrue à l’égard du préjudice corporel et une nouvelle ferveur environnementaliste militent en faveur de l’élargissement du domaine de la responsabilité, alors que, de l’autre, le phénomène de dérégulation qu’engendre le retrait de l’État dans les affaires privées — et que cristallise précisément le principe du pollueur-payeur — pose la délicate problématique de la rentabilité des entreprises et du coût de l’assurance privée[157]. C’est dans ce contexte que la théorie des troubles de voisinage, telle qu’elle a été définie par la Cour suprême, opère un régime de responsabilité sans égard à la faute[158], distinct de l’abus de droit mais parallèle à celui-ci. Aussi et par-delà la polémique concernant le point de départ de cette forme de responsabilité (soit celui du droit des obligations ou de la propriété), il devient donc possible d’affirmer que la dichotomie entre la normalité et l’anormalité induit un élément moral qui pose un sérieux obstacle à l’insertion du trouble de voisinage dans la famille des régimes de responsabilité objective. Cette forme de responsabilité pour trouble anormal de voisinage a un fondement sui generis. En ce sens, l’article 976 C.c.Q matérialise en définitive « le principe du troubleur-payeur », dont l’alter ego, en matière environnementale, est le principe du pollueur-payeur. La solution préconisée par la Cour suprême aura le mérite de permettre l’internalisation du coût de la pollution et de proposer des mesures de redressement permises par le Code de procédure civile qui permettent de faire converger les exercices de régulation ex ante et ex post.
Vient ensuite un questionnement. Le trouble de voisinage, peut-être parce qu’il est commun aux traditions de droit civil et de common law, se retrouve propulsé sur la scène internationale, sous la forme d’une obligation de ne pas nuire qui s’impose aux États[159]. Par exemple, la Charte des Nations Unies prévoit que les membres « reconnaissent aussi que leur politique doit être fondée […] sur le principe général du bon voisinage dans le domaine social, économique et commercial, compte tenu des intérêts et de la prospérité du reste du monde[160] ». Le trouble de voisinage serait-il capable de s’offrir en tant que modèle de régulation supranational ?
Enfin, il faudra bien admettre que le droit civil demeure un instrument bien incomplet dès lors qu’il s’agit de la réparation d’un dommage écologique diffus, ou d’une ampleur catastrophique. Le Code civil ou la LQE n’offrent aucune solution lorsque le pollueur ne peut être identifié ou se révèle insolvable. Certains souhaiteront que la protection de l’environnement s’affranchisse du cadre étroit qui la confine dans la notion de propriété ou dans le droit des obligations : sous cet angle, les mesures de redressement associées à un trouble de voisinage n’offrent que des solutions de moindre mal.
Parties annexes
Remerciements
Le présent texte est le fruit des réflexions nées de présentations sur ce thème à l’occasion du colloque L’entreprise et les nouveaux risques tenu à l’Université Laval sous les auspices du Centre d’études en droit économique (CÉDÉ), le 23 février 2007, ainsi que d’une table-ronde tenue à la Faculté de droit de l’Université Laval, le 23 janvier 2009. Les auteures tiennent à remercier la professeure Anne-Françoise Debruche, de l’Université d’Ottawa, pour ses commentaires aussi rigoureux que porteurs quant à une version antérieure du présent texte, de même que la professeure Paule Halley, de l’Université Laval, pour sa générosité intellectuelle.
Notes
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[1]
Ronald H. Coase, « The Problem of Social Cost », (1960) 3 J.L. & Econ. 1. À ce sujet, en langue française, voir : Grégoire Maître, La responsabilité civile à l’épreuve de l’analyse économique du droit, Paris, L.G.D.J., 2005, p. 47 ; Thierry Kirat, « La pluralité des registres de responsabilité en matière de troubles de voisinage », dans T. Kirat (dir.), Les mondes du droit de la responsabilité : regards sur le droit en action, Paris, L.G.D.J., 2003, p. 253.
-
[2]
Allen M. Linden et Bruce Feldthusen, Canadian Tort Law, 8e éd., Markham, LexisNexis Butterworths, 2006, p. 568. Voir également : Gerald H.L. Fridman, The Law of Torts in Canada, 2e éd., Toronto, Carswell, 2002, p. 166 ; Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201.
-
[3]
Ce vocable est ici employé suivant son acception la plus large. Au sujet de cette notion, voir : Sol Picciotto, « Reconceptualizing Regulation in the Era of Globalization », (2002) 29 J.L. & Soc’y 1 ; Fabrizio Cafaggi, « Le rôle des acteurs privés dans les processus de régulation : participation, autorégulation et régulation privée », Revue française d’administration publique 2004.109.23 ; Jacques Chevallier, « La gouvernance et le droit », dans Mélanges Paul Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 189, aux pages 189-191.
-
[4]
Rappelons que les externalités sont « un effet produit lorsque l’activité d’un agent affecte, à travers un mécanisme non marchand, la fonction d’utilité ou de production d’un autre agent » : Thierry Kirat, « Une dynamique économique du droit de la responsabilité ? », dans T. Kirat (dir.), préc., note 1, p. 68, à la page 68.
-
[5]
Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 7, 8, 1375 et 1378.
-
[6]
La Loi sur le développement durable, L.R.Q., c. D-8.1.1, art. 6 (o), définit aujourd’hui le principe du pollueur-payeur comme suit : « les personnes qui génèrent de la pollution ou dont les actions dégradent autrement l’environnement doivent assumer leur part des coûts des mesures de prévention, de réduction et de contrôle des atteintes à la qualité de l’environnement et de la lutte contre celles-ci ». Sur cette notion, voir aussi : Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), [2003] 2 R.C.S. 624, par. 24 ; Olivier Fuchs, Pour une définition communautaire de la responsabilité environnementale. Comment appliquer le principe du pollueur-payeur ?, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 19 et suiv. ; Nicolas DeSadeleer, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution. Essai sur la genèse et la portée juridique de quelques principes du droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 49 et suiv.
-
[7]
Drysdale v. Dugas (1896), 26 R.C.S. 20, 27 (j. Taschereau).
-
[8]
Hélène Trudeau, « La responsabilité civile du pollueur : de la théorie de l’abus de droit au principe du pollueur-payeur », (1993) 34 C. de. D. 783.
-
[9]
Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, 2008 CSC 64 (ci-après « Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.) »). Ce jugement fait suite aux affaires Barrette c. Ciment du Saint-Laurent inc., [2003] R.J.Q. 1883 (C.S.) (ci-après « Ciment du Saint-Laurent (C.S.) »), et Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2006] R.J.Q. 2633 (C.A.) (ci-après « Ciment du Saint-Laurent (C.A.) »), commentée notamment par Mario Naccarato, « La Cour d’appel se prononce : l’obligation de bon voisinage découle du régime de la responsabilité propter rem », (2007) 9-3 Bulletin CCH, [En ligne], [www.cch.ca/bulletins/juriste/articles/bucj0307_di1.html] (22 juin 2009).
-
[10]
L’expression est empruntée à Muriel Fabre-Magnan, Droit des obligations, vol. 2 « Responsabilité civile et quasi-contrats », Paris, PUF, 2007, p. 266.
-
[11]
Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 66.
-
[12]
Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., c. Q-2 et ses 72 règlements, dont le Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, (1993) 125 G.O. II, 7766 [c. Q-2, r. 1.001], le Règlement sur la qualité de l’atmosphère, R.R.Q., 1981, c. Q-2, r. 20, et le Règlement sur les exploitations agricoles, (2002) 134 G.O. II, 3525 [c. Q-2, r. 11.1]. Sur le versant du droit public, voir : Paule Halley, Le droit pénal de l’environnement : l’interdiction de polluer, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001 ; Robert Daigneault et Martin Paquet, L’environnement au Québec, vol. 1, Farnham, Publications CCH/FM, 1994, feuilles mobiles, p. 5153.
-
[13]
Antonio Gambaro et Rodolfo Sacco, Sistemi Giuridici Comparati, 3e éd., Turin, UTET, 2008, p. 231.
-
[14]
Voir, par exemple, Girard c. Saguenay Terminals Ltd., [1973] R.L. 264, 286 (C.P.). En doctrine, voir : Monique Lussier, « De certaines notions et recours de droit civil en matière de responsabilité environnementale extracontractuelle », dans Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 1, à la page 8 ; Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, no 231, p. 175.
-
[15]
Ministère de la Justice du Québec, Commentaires du ministre de la Justice. Le Code civil du Québec. Un mouvement de société, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1993, p. 573. Pour un résumé efficace de son évolution doctrinale et jurisprudentielle, voir Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 1 « Principes généraux », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, no 229 et suiv., p. 193 et suiv.
-
[16]
Robert Joseph Pothier, « Second appendice. Du voisinage », Traité du contrat de société, dans M. Bugnet (dir.), Oeuvres de Pothier, t. 4, 2e éd., Paris, Cosse et Marchal, 1861, p. 328, no 235, à la page 330, selon la maxime « Domum suam unicuique reficere licet, dummodò non officiat invito alteri, in quo jus non habet ».
-
[17]
La question est notamment explorée, au Québec, par Benoît Moore, « La théorie des sources des obligations : éclatement d’une classification », (2002) 36 R.J.T. 689, et, en France, par Francis Caballero, Essai sur la notion juridique de nuisance, coll. « Bibliothèque de droit privé / Bibliothèque de droit public », Paris, L.G.D.J., 1981.
-
[18]
Marcel Planiol, « Classification des sources des obligations », Revue critique de législation et de jurisprudence 1904.224.
-
[19]
Drysdale v. Dugas, préc., note 7. Voir également : Canada Paper Co. v. Brown, (1922) 63 R.C.S. 243 ; Aubertin v. Montreal, Light, Heat and Power Cons., [1936] R.L. 424 (C.S.).
-
[20]
R.J. Pothier, préc., note 16, no 230, à la page 328.
-
[21]
Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues. Les obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, s.v. « trouble de voisinage » ; Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 575, s.v. « trouble de voisinage ».
-
[22]
Michel Gagné, « Les recours pour troubles de voisinage : les véritables enjeux », dans Barreau du Québec,Développements récents en droit de l’environnement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 65, à la page 73.
-
[23]
L’affaire Ciment du Saint-Laurent en offre un exemple.
-
[24]
Voir Cauchon c. Pelletier, J.E. 98-1889 (C.Q.). S’agissant d’une affaire de harcèlement, la Cour du Québec articule son raisonnement autour des articles 7, 976 et 1457 C.c.Q. En général, toutefois, certains notent une surabondance du recours à l’abus de droit : J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 15, no 210, p. 184.
-
[25]
Sur le sujet, voir Pierre-Claude Lafond, « L’exercice du droit de propriété et les troubles de voisinage : petit Code (civil) de conduite à l’intention des voisins », (1999) 33 R.J.T. 225, 232.
-
[26]
François Frenette, « Les troubles de voisinage », dans Barreau du Québec, Développements récents en droit immobilier, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 145, à la page 148.
-
[27]
Voir P.-C. Lafond, préc., note 25, p. 242. Voir également Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 101.
-
[28]
Voir par exemple : Papineau c. Roland Boucher Consultant inc., 2009 QCCQ 890 (habitudes de vie bruyantes) ; Lefebvre c. Gamache, 2009 QCCQ 1146 (endommagement d’une clôture du voisin par la neige).
-
[29]
Ces exemples sont tirés de Philippe Le Tourneau et Loïc Cadiet, Droit de la responsabilité, Paris, Dalloz, 1996, p. 693 et 694. En jurisprudence, voir l’exemple suivant : Pièces d’autos usagées Léon Jacques & Fils inc. c. Bouchard, 2009 QCCS 302 (cimetière de pièces d’autos adjacent à la propriété du demandeur).
-
[30]
Voir par exemple : Lapointe c. Degrosbois, [2005] R.D.I. 61 (C.S.) ; Lepage c. Morin, [2001] R.D.I. 243 (C.S.), J.E. 2001-535 ; Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, 2007 QCCS 2220 ; Michaud c. Lesné, J.E. 98-2038 (C.S.). Pour d’autres exemples, voir P.-C. Lafond, préc., note 25, 240.
-
[31]
François Frenette, « Bilan décennal de la réforme du droit des biens », (2003) 105 R. du N. 309, 334.
-
[32]
Voir Simoneau c. Marion, 2005 CanLII 29457 (QC C.S.), où le demandeur obtient une injonction pour faire cesser les aboiements de chiens nordiques sur la base de l’article 976 C.c.Q. Contra : Côté c. Baie St-Paul (Ville de), 2009 QCCQ 295 (des balles de golf provenant du fonds adjacent ne sont pas un trouble anormal).
-
[33]
John H. Merryman et Rogelio Pérez-Perdomo, The Civil Law Tradition. An Introduction to the Legal Systems of Europe and Latin America, 3e éd., Stanford, Stanford University Press, 2007, p. 53.
-
[34]
Adrian Popovici, « La poule et l’homme : sur l’article 976 C.c.Q. », (1997) 99 R. du N. 214, 239. D.-C. Lamontagne, préc., note 14, no 136, p. 176 et 177. Telle est aussi la position préconisée par la Cour de cassation française dès 1844 : Civ. 1re, 27 nov. 1844, S.1844.1.811 : voir à ce sujet Geneviève Viney et Patrice Jourdain, Traité de droit civil. Les conditions de la responsabilité, 3e éd., Paris, L.G.D.J., 2006, p. 1063. Voir Brouard c. Ferme porcine de Beauce inc., 2008 QCCS 2168.
-
[35]
A. Popovici, préc., note 34, 239.
-
[36]
En ce sens, la jurisprudence appliquait déjà le critère relatif aux usages avant 1994 : voir notamment Dumas Transport inc. c. Cliche, [1971] C.A. 160. En outre, un auteur note qu’il semble subsister une confusion entre la situation géographique (urbaine, industrielle, rurale ou agricole) et son corollaire, c’est-à-dire le zonage applicable : voir Jean Hétu, « Les recours du citoyen pour la protection de son environnement », (1989) 92 R. du N. 168, 177.
-
[37]
D.-C. Lamontagne, préc., note 14, no 237, p. 178.
-
[38]
Loi sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme, L.R.Q., c. A-19.1, où l’article 113, al. 2 (4) et 3, permet l’établissement de normes en vue d’atténuer les inconvénients liés aux odeurs inhérentes aux activités agricoles.
-
[39]
Sur l’épineuse question de l’influence du droit public sur le droit privé, voir : Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880 ; Marc Umba di Mambuku, L’abus des droits et son application en matière de voisinage, mémoire de maîtrise, Faculté des études supérieures, Université de Montréal, 2001, p. 112 et 113.
-
[40]
Code municipal du Québec, L.R.Q., c. C-27.1, tel que modifié par l’article 214 de la Loi sur les compétences municipales, L.Q. 2005, c. 64.
-
[41]
Loi sur les cités et villes, L.R.Q., c. C-19, telle que modifiée par l’article 194 de la Loi sur les compétences municipales, id.
-
[42]
Voir l’affaire Girard c. Saguenay Terminals Ltd., préc., note 14, où il a été statué que des poussières de bauxite et de charbon en provenance d’une entreprise d’exploitation d’un port de mer ne constituaient pas un trouble anormal, du fait que la propriété du demandeur était située dans une zone industrielle, ainsi que l’affaire Frappier c. 9023-4683 Québec inc. (Marché Lord de Lafontaine), [2006] R.D.I. 170, par. 38 (C.Q.), J.E. 2006-89, où la Cour statue ce qui suit : « Le bruit causé par le va-et-vient des camions de livraison en dehors des heures permises par la réglementation municipale dépasse en l’instance la norme acceptable entre voisins même dans une zone commerciale. » Par comparaison, en France, l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation, qui se pose en porte-à-faux de tout grief pour obtenir la réparation du préjudice subi par les nuisances lorsqu’un permis de construire a été obtenu.
-
[43]
Loi sur la protection du territoire agricole et des activités agricoles, L.R.Q., c. P-41.1, art. 79.17 et suiv. Voir, en jurisprudence, Fermes Galiman inc. c. Osadchuk, 2007 QCCA 1428 (demande d’autorisation d’appeler rejetée, C.S.C., 04-12-2008, 32393). Selon la Cour, l’article 79.17 « écarte la notion d’inconvénient anormal en ce que dès que l’activité est exercée conformément aux normes en vigueur, il n’y a pas lieu de s’interroger si l’inconvénient subi par le voisin, le cas échéant, est normal ou anormal » (par. 5). Sur le sujet, voir aussi R. Daigneault et M. Paquet, préc., note 12, p. 5153.
-
[44]
Voir Simoneau c. Marion, préc., note 32, où le demandeur obtient une injonction pour faire cesser les aboiements de chiens nordiques sur la base de l’article 976 C.c.Q.
-
[45]
Voir l’affaire Girard c. Saguenay Terminals Ltd., préc., note 14, et en doctrine : Jean Hétu, Yvon Duplessis et Jean Piette, La protection juridique de l’environnement au Québec, Montréal, Éditions Thémis, 1982, p. 19.
-
[46]
J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, préc., note 15, nos 194 et 195, p. 174-176 ; P.-C. Lafond, préc., note 25, 232. La fonction sociale du droit de propriété a par ailleurs été centrale dans l’oeuvre de von Jhering, et, avant lui, dans le droit romain à travers la doctrine de l’immissio et sa sanction : l’actio negatoria. Son parcours tortueux est intimement lié aux différentes conceptions, au fil du temps, de la composante abusus du droit de propriété.
-
[47]
Odette Nadon, « La responsabilité du pollueur et l’évolution de la notion de faute », dans Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 141, à la page 166.
-
[48]
Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.
-
[49]
Voir par exemple : Boisjoli c. Goebel, [1982] C.S. 1 ; Brodeur c. Choinière, [1945] C.S. 334 ; Air-Rimouski Ltée c. Gagnon, [1952] C.S. 149.
-
[50]
Il est intéressant de noter que ce principe chapeaute les traditions de droit civil et de common law d’Angleterre. Les parcours de droit comparé différents empruntés par les juges Taschereau et Strong dans l’affaire Drysdale v. Dugas convergent vers une solution homogène. La même Cour se réclame de cette démarche analytique dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 76-79 (j. LeBel).
-
[51]
A. Popovici, préc., note 34.
-
[52]
Ministère de la Justice du Québec, préc., note 15, p. 8 ; Albert Mayrand, « L’abus des droits en France et au Québec », (1974) 9 R.J.T. 321 ; André Nadeau et Richard Nadeau, Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle, éd. rev., Montréal, Wilson & Lafleur, 1971, no 212, p. 230-232.
-
[53]
Voir, par exemple : la célèbre affaire Air-Rimouski Ltée c. Gagnon, préc., note 49, où le propriétaire d’un fonds y avait érigé des poteaux dans le but de nuire à l’exploitation d’une entreprise de service aérien avoisinante ; Brodeur c. Choinière, préc., note 49, où le défendeur avait érigé une immense clôture dans le seul but de priver son voisin de l’air, du soleil et de la lumière. Voir aussi : Claude Masse, « La responsabilité civile : cinq ans plus tard », dans Barreau du Québec, La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 123, aux pages 123-126 ; F. Frenette, préc., note 26, 152. En France, voir par analogie les exemples similaires donnés par Louis Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, 2e éd., Paris, Dalloz, 1939, p. 26.
-
[54]
Plus nuancé, S. Normand, préc., note 27, p. 100, mentionne l’idée d’un acte « assimilable à une faute ».
-
[55]
Voir Claude Masse, « La responsabilité civile », dans La réforme du Code civil, vol. 2 « Obligations, contrats nommés », Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 241, à la page 266.
-
[56]
Serge Pichette, « La relativité du droit de propriété », dans Enjeux et valeurs d’un Code civil moderne. Les journées Maximilien-Caron 1990, Montréal, Éditions Thémis, 1991, p. 125, à la page 129. Voir la décision Lefebvre c. Janhévich, [2004] R.D.I. 445 (C.Q.), J.E. 2004-567. Dans cette affaire concernant l’enlèvement d’une clôture, la Cour du Québec statue qu’un propriétaire ne peut utiliser son droit de propriété d’une façon qui nuise au droit de propriété des autres.
-
[57]
M. Gagné, préc., note 22, à la page 72. P.-C. Lafond, préc., note 25, 275, suggère que la théorie des troubles de voisinage recoupe quatre articles distincts (art. 7, 976, 990 et 991 C.c.Q.). Voir aussi, en ce sens, Ministère de la Justice du Québec, préc., note 15, p. 579.
-
[58]
Voir contra : Christopoulos c. Restaurant Mazurka inc., [1998] R.R.A. 334 (C.A.) ; Comité d’environnement de Ville-Émard (C.E.V.E.) c. Domfer Poudres métalliques ltée, [2006] R.R.A. 854 (C.A.) ; Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9.
-
[59]
Cette interprétation a été écartée par la Cour suprême en raison de son caractère elliptique (c’est-à-dire le voisin n’a commis aucune faute, mais parce que son activité génère des inconvénients anormaux, alors il contrevient à l’article 976 C.c.Q., ce qui, en soi, est une faute). Cette circularité avait déjà été mise en relief par P.-C. Lafond, préc., note 25, 242.
-
[60]
Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 71.
-
[61]
Ces prescriptions étaient alors prévues à l’article 12 du Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, préc., note 12 : « Tout équipement utilisé ou installé pour réduire l’émission […] de contaminants dans l’environnement doit toujours être en bon état de fonctionnement et fonctionner de façon optimale » ; voir aussi l’article 5 de la Loi concernant La Compagnie d’Immeubles Atlas – Atlas Realties Co., S.Q. 1951-52, c. 131. La Cour d’appel, pour sa part, retient la responsabilité de l’entreprise pour faute. Elle parvient à cette conclusion après avoir constaté que les obligations qui découlent de ces dispositions sont qualifiées de résultat.
-
[62]
Voir en ce sens Gourdeau c. Letellier-de St-Just, [2002] R.J.Q. 1195 (C.A.).
-
[63]
Id., par 40 (j. Thibault).
-
[64]
Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 74 (j. LeBel).
-
[65]
Tang c. Murraine, [1997] R.D.I. 556 (C.S.) ; Gagnon c. Caron, [1997] R.D.I. 579, 581 (C.S.) ; Lessard c. Bernard, [1996] R.D.I. 210 (C.S.).
-
[66]
Voir Peter P.C. Haanappel, « Faute et risque dans le système québécois de la responsabilité civile extra-contractuelle », (1978) 24 R.D. McGill 635.
-
[67]
Voir Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 1 « Projet de code civil », Québec, Éditeur officiel, 1977, p. 348 (art. 96) : « Nul ne doit causer à autrui un préjudice qui dépasse les inconvénients normaux du voisinage. »
-
[68]
Dans l’affaire Lessard c. Bernard, préc., note 65, par. 24, la Cour a appliqué le critère de l’anormalité des inconvénients : « Le critère qui se dégage de l’article 976 C.c.Q. est le caractère anormal ou exorbitant des inconvénients et non pas la faute [du défendeur] ou l’illégalité de son activité. Même la preuve d’une autorisation émise par l’administration municipale ne suffit pas à écarter le droit des demandeurs à la jouissance paisible de leur propriété. »
-
[69]
O. Nadon, préc., note 47, à la page 171. Cette thèse avalise les commentaires formulés par l’Office de révision du Code civil, Rapport sur les obligations, coll. « Rapports des comités soumis à l’Office de révision du code civil ; 30 », Montréal, Le Comité, 1975, p. 148 : « Cette disposition impose donc à tous, et non seulement aux propriétaires, l’obligation de ne pas nuire à son voisin. Cette obligation existe, même en l’absence de faute et nonobstant autorisation administrative » (l’italique est de nous).
-
[70]
Voilà la conclusion à laquelle parvient la Cour suprême dans Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 59 et suiv.
-
[71]
Katz c. Reitz, [1973] C.A. 230.
-
[72]
Id., 237.
-
[73]
Gourdeau c. Letellier-de St-Just, préc., note 62 ; McNamara c. Congrégation des soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie, J.E. 95-388 (C.S.).
-
[74]
Ronald I. Cohen, « Nuisance : A Proprietary Delict », (1968) 14 R.D. McGill 124, dont les arguments sont repris par la Cour suprême dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 40.
-
[75]
Voir A. Mayrand, préc., note 52, 328 et 329. Dans le même sens : Jean Hétu, « L’application de la théorie des troubles de voisinage au droit de l’environnement du Québec », (1977) 23 R.D. McGill 281, 282.
-
[76]
Lapierre c. P.G. (Qué.), [1985] 1 R.C.S. 241. La Cour tempère la portée de cette affaire : voir Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 52 et suiv.
-
[77]
Tang c. Murraine, préc., note 65, 557 ; Katz c. Reitz, préc., note 71 ; Gagnon c. Caron, préc., note 65, 581. Voir aussi Lessard c. Bernard, préc., note 65, par. 19, où la Cour statue ce qui suit : « Le propriétaire devient responsable de plein droit sans qu’il y ait faute dès que l’utilisation de son droit a pour effet de causer préjudice à autrui si ce préjudice dépasse les inconvénients normaux que chacun est tenu de subir […] Le droit de jouir de sa propriété s’arrête où celui de voisin commence » (l’italique est de nous). Contra : Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 97.
-
[78]
À ce sujet, voir par analogie le débat portant sur l’article 13 (1) (a) (devenu 14 (1)) de la Loi sur la protection de l’environnement, L.R.O. 1990, c. E.19, où, rejetant une allégation d’imprécision, la Cour suprême affirme que « [l]es lois sur la protection de l’environnement ont donc été rédigées d’une façon qui permette de répondre à une vaste gamme d’atteintes environnementales, y compris celles qui n’ont peut-être même pas été envisagées par leurs rédacteurs » : Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 43.
-
[79]
Cette solution avalise la métaphore de la pyramide imaginée par une auteure, formée, à la base, par l’article 976 C.c.Q. (lequel ne requiert que la preuve d’inconvénients anormaux), au centre, par les articles 6 et 7 C.c.Q., qui évoquent l’idée d’une faute (c’est-à-dire la malice ou l’absence de bonne foi) et, au sommet, par l’article 1457 C.c.Q. : M. Lussier, préc., note 14, à la page 10.
-
[80]
Art. 406 C.c.B.C. réitérant la lettre de l’article 544 du Code Napoléon. Cet axiome est emprunté au droit romain Cujus est solum, ejus debet esse ejus usque ad coelum et usque ad inferos : Albert Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 96. En théorie, donc, le propriétaire du sol l’est aussi du sous-sol ou tréfonds, qu’il faudrait se représenter « comme une pyramide (renversée) ayant un sommet au centre de la terre » : Marcel Planiol et Georges Ripert, Traité pratique de droit civil français, 2e éd., t. 3 « Les biens », par Maurice Picard, Paris, L.G.D.J., 1952, no 253, p. 253, cité dans D.-C. Lamontagne, préc., note 14, no 220, p. 170.
-
[81]
Voir S. Pichette, préc., note 56, à la page 127.
-
[82]
Id., à la page 128.
-
[83]
M. Umba di Mambuku, préc., note 39, p. 93.
-
[84]
En marge des articles pertinents du C.c.Q., voir la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, L.R.Q., c. A-19.1, ou la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. 1985, c. A-2, de même que la Loi sur les mines, L.R.Q., c. M-13.1.
-
[85]
Art. 990 C.c.Q. (absence d’entretien pouvant entraîner la chute d’une construction ou d’un ouvrage sur le fonds voisin) ; art. 991 C.c.Q. (excavation, construction ou plantation qui ont pour effet d’ébranler le fonds voisin ou de compromettre la solidité des constructions, ouvrages ou plantations qui s’y trouvent) ; art. 982 C.c.Q. (utilisation d’un ouvrage qui pollue ou épuise l’eau).
-
[86]
Voir généralement Lucie Laflamme, « Les rapports de voisinage expliqués par l’obligation propter rem », dans Sylvio Normand (dir.), Mélanges offerts au professeur François Frenette. Études portant sur le droit patrimonial, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, p. 229.
-
[87]
Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 79. Dans le même sens : Lamontagne c. Deguire, 2008 QCCQ 1147 ; Comité d’environnement de Ville-Émard (C.E.V.E.) c. Domfer Poudres métalliques ltée, préc., note 58.
-
[88]
Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 114.
-
[89]
Id., par. 98. Contra : Ciment du Saint-Laurent (C.S.), préc., note 9 (j. Dutil).
-
[90]
Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 82. Soulignons que le Comité du droit des obligations de l’Office de révision du Code civil proposait l’adoption d’une disposition rédigée comme suit : « Chacun est tenu de s’abstenir de causer à autrui un préjudice qui dépasse les inconvénients normaux du voisinage » (Office de révision du Code civil, préc., note 69, p. 148 (art. 95)).
-
[91]
Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 165.
-
[92]
M. Naccarato, préc., note 9.
-
[93]
L’hypothèse est formulée par la Cour : Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 114. En matière environnementale, le redressement devrait donc s’effectuer à travers le seul filtre de la LQE.
-
[94]
Néanmoins (et à la différence de la Cour supérieure et de la Cour suprême), la Cour d’appel conclut que l’entreprise poursuivie a commis une faute dès lors qu’elle n’a pas toujours respecté les normes publiques destinées à établir un équilibre entre le monde industriel et la protection de l’environnement. En particulier, elle conclut que les filtres antipollution utilisés par l’entreprise n’étaient pas « en état de fonctionnement optimal en tout temps pendant les heures de production » : Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 219. Ce faisant, la Cour d’appel avalise l’idée que les prescriptions légales découlant des lois particulières étaient de l’intensité d’obligations de résultat.
-
[95]
Philippe Le Tourneau, La responsabilité civile, 3e éd., Paris, Dalloz, 1982, no 44, p. 19, cité dans Philippe Le Tourneau, « La verdeur de la faute dans la responsabilité civile (ou de la relativité de son déclin) », R.T.D. civ. 1988.505, 512.
-
[96]
Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9 ; Citoyens pour une qualité de vie c. Aéroports de Montréal, [2007] R.J.Q. 2362, par. 81 (C.A.) : « Le recours collectif constitue l’un des seuls véhicules procéduraux qui permettent aux citoyens d’agir, ensemble, comme vigiles de la protection de leur environnement. » En doctrine, voir surtout : Pierre-Claude Lafond, Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs, Montréal, Éditions Thémis, 1996, p. 349 ; André Durocher avec la collab. de Claude Marseille, « Les contaminants de l’environnement, les troubles de voisinage et les recours collectifs au Québec », dans Barreau du Québec, Développements récents sur les recours collectifs, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 127.
-
[97]
Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, no 1028, p. 409 ; L. Laflamme, préc., note 86, 231.
-
[98]
Carey Canadian Mines Ltd. c. Plante, [1975] C.A. 893, 899. Voir également l’affaire Théâtre du Bois de Coulonge inc. c. Société nationale des Québécois et des Québécoises de la capitale inc., [1993] R.R.A. 41 (C.S.), où la Cour supérieure a d’ailleurs donné une interprétation extensive de la notion de « voisin » en appliquant l’article 976 C.c.Q. lorsque les deux parties se trouvaient à 1,5 kilomètre de distance. Dans le même sens : Commission des écoles catholiques de Montréal c. Lambert, [1984] C.A. 179.
-
[99]
Selon S. Normand, préc., note 27, p. 105 : « Le locataire d’un immeuble ou l’entrepreneur travaillant pour le propriétaire d’un immeuble pourra aussi être tenu responsable des dommages causés, par sa faute, à un voisin. Toutefois, le recours devra être intenté en vertu du droit commun (1457 C.c.Q.). »
-
[100]
Coalition pour la protection de l’environnement du parc linéaire « Petit Train du Nord » c. Laurentides (Municipalité régionale de comté des), [2005] R.J.Q. 116 (C.S.) (ci-après « Petit Train du Nord ») ; Association des résidents du lac Mercier inc. c. Paradis, [1996] R.J.Q. 2370 (C.S.).
-
[101]
A. Popovici, préc., note 34, 242. Contra : L. Laflamme, préc., note 86, à la page 233.
-
[102]
Voir P.-C. Lafond, préc., note 97, no 1030, p. 410. Une confusion jurisprudentielle a autrefois imposé aux entrepreneurs généraux les mêmes obligations que celles qui échoient aux voisins dans l’affaire St-Louis c. Goulet, [1954] B.R. 185.
-
[103]
F. Frenette, préc., note 31, 333.
-
[104]
Id. Les commentaires du ministre de la Justice vont d’ailleurs dans cet ordre d’idées, précisant que l’objectif de la disposition consiste à maintenir la paix non pas entre citoyens qui vivent en société en général, mais entre propriétaires voisins seulement : Ministère de la Justice du Québec, préc., note 15, p. 569. Voir également M. Umba di Mambuku, préc., note 39, p. 65. Sous cet angle, l’arrêt Dumas Transportinc. c. Cliche, préc., note 36, apparaît se situer en dehors du spectre du trouble de voisinage.
-
[105]
Ce sont les articles 1859 à 1861 C.c.Q.
-
[106]
Ciment du Saint-Laurent (C.S.), préc., note 9, par. 348 (l’italique est de nous).
-
[107]
Id. (l’italique est de nous).
-
[108]
Cette notion ne saurait s’étendre, en toute logique, au préjudice diffus attribuable, par exemple, aux émissions de polluants causant les changements climatiques. À cet égard, la responsabilité civile pour faute semble être la seule voie de recours.
-
[109]
S’agissant d’analyser l’évolution du trouble de voisinage, la Cour d’appel observe que les versions antérieures à l’article 976 C.c.Q. n’avaient pas pour objet de suppléer au laconisme d’un droit public nouvellement reconfiguré par la LQE, récemment adoptée (par. 160 et 161, j. Pelletier). À son avis, « [l’]ajout d’une règle de droit privé, dont un des principaux objectifs aurait été d’assurer la protection de l’environnement, aurait recoupé en grande partie un champ déjà couvert par une loi d’ordre public. Caractérisé par l’absence de tout lien causal avec l’existence d’une faute prouvée ou présumée, un tel ajout aurait constitué une invitation directe aux tribunaux à dégager, au lieu et place du législateur et de façon parallèle au régime de la LQE » : Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 161.
-
[110]
Selon la Cour, c’est « une raison importante pour ne pas s’engager dans une voie peu propice à l’émergence d’un régime cohérent de gestion des émissions polluantes et susceptible de faire naître inopinément des entraves incontrôlées au développement économique. La protection de l’environnement est un sujet de préoccupation sociale qui interpelle l’État au tout premier chef » : Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 162 (l’italique est de nous).
-
[111]
Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 80 (j. LeBel).
-
[112]
La plus haute Cour affirme que « [l]a responsabilité sans faute renforce aussi l’application du principe du pollueur-payeur » (id., par. 80 (j. LeBel)).
-
[113]
Ciment du Saint-Laurent (C.A.), préc., note 9, par. 161. Du côté de l’analyse économique du droit, cette solution évoque mutatis mutandis la « formule Hand » dégagée de l’affaire United States v. Carroll Towing, 159 F.2d 169 (2d Cir. 1947), où la negligence est définie à la lumière d’une équation destinée à pondérer : 1) la probabilité de la survenance du dommage (P) ; 2) la gravité du préjudice (L) ; 3) le coût des précautions appropriées (B). Cette décision a été soumise à l’attention de la communauté juridique par Richard A. Posner, « A Theory of Negligence », (1972) 1 J. Legal Stud. 29.
-
[114]
Code de procédure civile, L.R.Q., c. C-25.
-
[115]
Cette fonction avait été anticipée par certains, dont le ministère de la Justice du Québec, préc., note 15, p. 570, qui observe que l’article 976 C.c.Q. a été adopté dans le but de « modernise[r] [les règles traditionnelles] en tenant compte davantage des lois de l’environnement, de la valeur de l’eau et de la qualité de la vie ». Voir de même O. Nadon, préc., note 47, à la page 171.
-
[116]
Michel Bélanger, « La faute civile en matière de responsabilité pour dommages environnementaux », dans Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991, p. 149, à la page 161.
-
[117]
P.-C. Lafond, préc., note 25, 254.
-
[118]
Voir à ce sujet J. Hétu, préc., note 75, 282, et la jurisprudence citée par l’auteur, dont Epstein c. Reymes, [1973] R.C.S. 85, 94.
-
[119]
Loi sur les véhicules hors route, L.R.Q., c. V-1.2 ; Règlement sur la motoneige, R.R.Q., 1981, c. C-24, r. 21, art. 27.
-
[120]
Petit Train du Nord, préc., note 100, par. 68.
-
[121]
Id., par. 79.
-
[122]
Gestion Serge Lafrenière inc. c. Calvé, [1999] R.J.Q. 1313 (C.A.).
-
[123]
Précisons que le certificat d’autorisation permettait la production annuelle de 250 tonnes de poissons et le rejet maximal de 890 kilogrammes de phosphore dans le lac ; or cette quantité devait par la suite être réduite à 400 kilogrammes par année après cinq ans. Soulignons toutefois qu’en vertu de l’article 19.7 les moyens de redressement spéciaux qu’aménage la LQE ne s’appliquent pas si un projet, un programme ou une attestation d’assainissement a été autorisé et que l’entreprise visée s’y conforme, ce qui ne fait toutefois pas obstacle à ce que d’autres recours puissent être exercés en vertu des règles du droit commun : voir Entreprises B.C.P. Ltée c. Bourassa, J.E. 84-279 (C.A.), p. 6 et 7 du texte intégral.
-
[124]
Gestion Serge Lafrenière inc. c. Calvé, préc., note 122, 1326. Une question similiaire est au coeur de l’affaire Regroupement des citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc., 2006 QCCS 950.
-
[125]
Gestion Serge Lafrenière inc. c. Calvé, préc., note 122, 1326.
-
[126]
Ciment du Saint-Laurent (C.S.C.), préc., note 9, par. 19. Voir aussi Lessard c. Bernard, préc., note 65. À cet égard, la solution préconisée par le droit québécois diffère de celle qui a été retenue par le droit français : voir A. Popovici, préc., note 34, 231 ; T. Kirat, préc., note 1, à la page 255.
-
[127]
Dorion c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 CanLII 6007 (QC C.S.) (refus d’accorder une permission à certains habitants de la ville de Charny d’exercer un recours collectif contre la compagnie fédérale).
-
[128]
Voir Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, [1989] 2 R.C.S. 1181, 1206, où la question consistait à déterminer si une municipalité peut, en l’absence de négligence de sa part, être tenue responsable envers une personne dont le bien-fonds est endommagé par suite d’une inondation causée par une obstruction imprévue du réseau d’égouts.
-
[129]
Voir City of Portage La Prairie v. B.C. Pea Growers Ltd., [1966] S.C.R. 150, 156 (j. Martland) : s’agissant de dommages causés par des inondations et des odeurs nauséabondes émanant d’un bassin d’épuration d’eau, la Cour statue que « the appellant […] is liable therefor, because that which is complained of as a nuisance was not expressly or impliedly authorized by the statute in accordance with which the lagoon was constructed, and was not the inevitable consequence of that which the statute authorized and contemplated ». Celle-ci met en échec le principe de l’immunité dégagé de l’affaire Geddis v. Proprietors of the Bann Reservoir (1878), 3 App. Cas. 430, 455 et 456 (j. Blackbum) (H.L.) : « it is now thoroughly well established that no action will lie for doing that which the legislature has authorized, if it be done without negligence, although it does occasion damage to anyone ; but an action does lie for doing that which the legislature has authorized, if it be done negligently », et réitérée dans Manchester Corporation v. Farnworth, [1930] A.C. 171 (H.L.). Plus récemment en Ontario : Mandrake Management Consultants Ltd. v. Toronto Transit Commission, [1993] 62 O.A.C. 202, 213-220, [1993] O.J. no 995 (ln/ql).
-
[130]
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C-50. Voir aussi l’article 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21.
-
[131]
Tock c. St. John’s Metropolitan Area Board, préc., note 128. Une fraction du banc suggère que l’immunité soit désormais appréhendée selon une sorte de critère s’articulant autour de la nature évitable ou non de la nuisance. Le juge LaForest, par contraste, s’exprime ainsi : « je ne comprends pas comment on peut plausiblement affirmer que la responsabilité pour nuisance dépend de la question de savoir si le législateur a conféré un pouvoir général de construire […] la nature de l’autorisation ne peut, en toute logique, influer sur la question de savoir si une indemnité est due ou non pour le préjudice subi par suite de l’exploitation de l’égout » (p. 1198 et 1199). Ni l’un ni l’autre de ces points de vue n’a rallié une majorité de juges ; aussi, la ratio decidendi de cette affaire demeure pour le moins nébuleuse. Voir également : Schenck c. Ontario, [1987] 2 R.C.S. 289 ; Sutherland v. Canada (Attorney General) (2002), 170 B.C.A.C. 233, [2002] B.C.J. no 1479 (ln/ql) (demande d’autorisation de pourvoi rejetée, C.S.C., 08-05-2003, 29391).
-
[132]
Allen M. Linden, « Strict Liability, Nuisance and Legislative Authorization », (1966) 4 Osgoode Hall L.J. 196, 199. Au Québec, voir à ce sujet Michel Bélanger, La responsabilité de l’État et de ses sociétés en environnement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p. 109 et suiv.
-
[133]
A.M. Linden, préc., note 132, 199 (l’italique est de nous).
-
[134]
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.). La Cour suprême s’est penchée à plusieurs reprises sur cette question. Voir : Canadian Pacific Railway Co. c. Corporation of the Parish of Notre-Dame-de-Bonsecours, [1899] A.C. 367 (C. privé) ; Johannesson v. Municipality of West St. Paul, [1952] 1 S.C.R. 292 ; Commission du Salaire Minimum v. Bell Telephone Company of Canada, [1966] S.C.R. 767 ; trilogie composée de Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, Alltrans Express Ltd. c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [1988] 1 R.C.S. 897, et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868.
-
[135]
Dorion c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, préc., note 127, par. 145 (j. Jacques) (l’italique est de nous). Il ajoute ceci : « L’ordonnance recherchée de cesser d’opérer le soir et la nuit n’est pas raisonnable dans le contexte de l’exercice d’activités utiles et nécessaires pour la communauté en général […] Ces conclusions iraient à l’encontre de l’autorisation législative conférée par le Parlement fédéral aux activités essentielles du CN, activités selon l’état du présent dossier, qu’elle n’exerce pas de façon abusive si on la compare à n’importe quelle autre cour de triage au pays » (par. 149 et 150).
-
[136]
Voilà ce qui explique, par exemple, l’issue de l’affaire Voisins du train de banlieue de Blainville inc. c. Agence métropolitaine de transport, J.E. 2004-1250, par. 129 et 130 (C.S.) (autorisation d’exercer un recours collectif refusée), conf. par 2007 QCCA 236 : « le bruit, les vibrations d’un train et les émanations d’une locomotive sont inhérents à l’exploitation d’un chemin de fer. Les locomotives et les wagons sont essentiels à son exploitation, donc en sont une partie intégrante […] Les conséquences juridiques découlant de la [LQE] et de l’application du Règlement 817 […] seraient susceptibles d’entraver ou de contrôler les opérations de la Compagnie-intimée et l’utilisation et l’entretien de son matériel roulant, partie intégrante à ses opérations ferroviaires. »
-
[137]
Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), préc., note 134, 841 et 842 (j. Beetz). Voir aussi Genesee Rail One Inc. c. Outremont (Ville d’), J.E. 2003-329 (C.S.), [2003] no AZ-50153222.
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[138]
Voir, par exemple, Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada c. Vincent, [1979] 1 R.C.S. 364. Avalisant les propos du doyen Savatier, la Cour statue ceci : « Les dispositions particulières qui régissent l’appelante n’ont certes pas pour effet de la soustraire au régime de droit commun en matière de responsabilité civile » (p. 373, j. Pratte) ; Patrice Garant, Droit administratif, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 1032.
-
[139]
Cette conclusion semble être partagée par Xavier Thunis, « La protection de l’environnement, une cure de jouvence pour la responsabilité civile ? Réponses du droit belge et perspectives européennes », dans Ejan MacKaay et Hélène Trudeau (dir.), L’environnement – à quel prix ? Actes du colloque conjoint des Facultés de droit de l’Université de Poitiers et de l’Université de Montréal tenu à Montréal en septembre 1994, Montréal, Éditions Thémis, 1994, p. 79.
-
[140]
Art. 751 C.p.c. Pelchat c. Carrière d’Acton Vale Ltée, [1970] C.A. 884, où le requérant a été incommodé par la poussière produite par l’exploitation d’une carrière de pierre à chaux située à proximité de sa résidence ; Daigle c. Caron, 2006 QCCS 2605.
-
[141]
Petit Train du Nord, préc., note 100, par. 411-436.
-
[142]
J. Hétu, préc., note 36, 183.
-
[143]
P.-C. Lafond, préc., note 25, 270.
-
[144]
Jean-François Neuray, Droit de l’environnement, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 663.
-
[145]
Id. (l’italique est de nous).
-
[146]
Voir, par exemple, Simoneau c. Marion, préc., note 32.
-
[147]
Loi modifiant la Loi sur les véhicules hors route, L.Q. 2004, c. 27 (réitérée deux ans plus tard, L.Q. 2006, c. 12). Cette loi prohibe toute action intentée sur le fondement d’un trouble de voisinage causé par le bruit ou les odeurs liés à l’utilisation d’un véhicule hors route.
-
[148]
Voir : Barreau du Québec, Mémoiredéposé à la Commission des transports et de l’environnement dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi no 9, Loi modifiant la Loi sur les véhicules hors route, 24 mai 2006, p. 2 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Notes pour la présentation de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse devant la Commission des transports et de l’environnement de l’Assemblée nationale à l’occasion des consultations particulières sur le Projet de loi no 9, mai 2006, p. 4, [En ligne] [www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/docs/vehicules_hors_route_consultation.pdf] (22 juin 2009).
-
[149]
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 6. À ce sujet, voir : Anne-Françoise Debruche, « La protection de la propriété par la Charte des droits et libertés de la personne : diable dans la bouteille ou simple peau de chagrin ? », (2006) R. du B. 175 (numéro spécial « La Charte québécoise : origines, enjeux et perspectives ») ; Michel Gagné et Mira Gauvin, « Le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité : valeur symbolique ou effet concret ? », dans Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 1. Par contraste, cf.Affaire López Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 303-C, p. 54, § 51 : selon la Cour, « des atteintes graves à l’environnement [pouvaient] affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile ». Le litige est toutefois abordé sous l’angle de l’inaction de l’État.
-
[150]
LQE, art. 46.1 et 19.
-
[151]
St-Luc-de-Vincennes (Municipalité de) c. Compostage Mauricie inc., [2008] R.J.Q. 309 (C.A.). En ce sens, voir également parmi d’autres : Spieser c. Canada (Procureur général), 2007 QCCS 1207 ; Protection environnement Boisbriand c. Boisbriand (Ville de), 2007 QCCS 484 ; Krantz c. Québec (Procureur général), 2006 QCCS 2143 ; Regroupement des citoyens du quartier St-Georges inc. c. Alcoa Canada ltée, [2007] R.J.Q. 1581 (C.S.) (requêtes d’autorisation d’exercer un recours collectif accordées).
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[152]
St-Luc-de-Vincennes (Municipalité de) c. Compostage Mauricie inc., préc., note 151, par. 47.
-
[153]
L’émergence de la conscience environnementale se reflète dans la jurisprudence de la Cour suprême : voir notamment l’affaire 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, par. 1, où la Cour suprême affirme que la protection de l’environnement est une « valeur fondamentale », ou l’affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, par. 16 et suiv.
-
[154]
Guido Calabresi et A. Douglas Melamed, « Property Rules, Liability Rules, and Inalienability : One View of the Cathedral », (1972) 85 Harv. L. Rev. 1089.
-
[155]
Aix-en-Provence, 8 juin 2004, D. 2004.2678, note Boutonnet. Voir également Civ. 2e, 24 févr. 2005, Bull.civ. II, no 50, où la Cour de cassation qualifie de trouble de voisinage un tas de paille situé à moins de 10 mètres de la propriété adjacente.
-
[156]
Sur cette question, voir Patrice Jourdain, « Conditions de la responsabilité », R.T.D. civ. 2005.136, 146.
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[157]
C’est ce que souligne J.-F. Neuray, préc., note 144, p. 663.
-
[158]
Id., p. 683.
-
[159]
Voir en ce sens la Déclaration de Stockholm adoptée le 16 juin 1972 lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm, [En ligne], [www.echoslogiques.com/stockholm.pdf] (22 juin 2009), ou la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, adoptée le 14 juin 1992 lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement à Rio de Janeiro (Doc. off. A.G. N.U., Doc. N.U. A/CONF.151/26 (Vol. I) (12 août 1992)), de même que l’Affaire de l’Île de Palmas (États-Unis/Pays-Bas), Sentence arbitrale, 4 avril 1928, R.S.A., vol. II, p. 830, à la page 834 (arbitre M. Huber), ou la célèbre Affaire de la fonderie de Trail (États-Unis/Canada), Sentence arbitrale, 11 mars 1941, R.S.A., vol. III, p. 1906, à la page 1938 (arbitres J. Hostie, C. Warren et R.A.E. Greenshields).
-
[160]
Charte des Nations Unies, art. 74 (l’italique est de nous). Voir aussi la résolution 56/83 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Doc. off. A.G. N.U., 56e sess., Doc. N.U. A/RES/56/83 (28 janvier 2002). Voir par analogie, sous l’égide du Conseil de l’Europe, Tătar c. Roumanie, no 67021/01, 27 janvier 2009.