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Au Canada, depuis le début des années 70, les autorités publiques fédérales et provinciales sont intervenues pour préserver et restaurer la qualité de l’environnement, les habitats et les populations d’espèces sauvages. Pour ce faire, elles ont mis en oeuvre différents moyens pour assurer le contrôle de la pollution et la préservation des espaces naturels. La plupart de ces interventions se fondent sur des instruments juridiques accordant des droits et imposant des obligations aux individus et aux entreprises qui exercent des activités susceptibles d’être la source d’une atteinte à la qualité de l’environnement et à la biodiversité. Dans le souci de faire respecter la réglementation protectrice de l’environnement et d’en démontrer le caractère obligatoire, les législatures canadiennes ont systématiquement fait appel au droit répressif, gendarme du droit, pour sanctionner les contraventions.

Bien que l’adoption d’incriminations et de peines ne puisse, à elle seule, sauver l’environnement de tous les maux l’accablant, elle représente néanmoins une affirmation claire que l’intérêt général a été lésé et que la protection de l’environnement est « une valeur fondamentale au sein de la société canadienne[1] ». Toutefois, pour que l’intervention du droit répressif soit utile à la protection de l’environnement, le dispositif législatif sur lequel il se fonde doit être efficace, c’est-à-dire apte à sanctionner l’ensemble des comportements de nature à porter atteinte à la qualité de l’environnement. D’autre part, dans sa mise en oeuvre, le droit répressif doit aussi être effectif, c’est-à-dire être suffisamment appliqué et sévèrement puni pour affirmer le caractère fondamental des valeurs environnementales, réprimer les infractions à la loi et en prévenir la récidive. À défaut, les obligations contenues dans les lois environnementales risquent d’être perçues comme de simples mesures volontaires. Ce constat commande de se demander si le droit pénal de l’environnement est un droit en apparence redoutable mais à l’efficacité douteuse[2].

Les études juridiques consacrées à l’application de la loi environnementale et aux peines sont peu nombreuses au Canada et s’intéressent avant tout aux règles de détermination de la peine[3]. Dans notre recherche, nous avons dû nous accommoder de ce constat et nous employer, tout d’abord, à organiser et à synthétiser la matière propre au droit pénal de l’environnement afin de la rendre plus accessible et d’ouvrir la réflexion sur les importantes questions d’application de la loi environnementale et de son effectivité réelle. Nous passerons en revue ci-dessous l’arsenal des peines ainsi que les processus d’application et de détermination de la peine appropriée au Canada. Nous poserons aussi un regard critique sur l’effectivité du droit pénal de l’environnement au Canada et préconiserons une meilleure coordination entre la phase administrative d’application de la loi et la phase judiciaire de sanction des contraventions. Seront ainsi examinées successivement les règles législatives encadrant la détermination de la peine juste et appropriée (1), les règles administratives touchant les activités d’application du droit répressif de l’environnement (2) et celles qui ont été élaborées par les tribunaux lors de l’imposition de la sanction, tout en réalisant un survol des sanctions imposées au Canada (3). Les interventions du législateur et la mise en oeuvre par les pouvoirs exécutif et judiciaire expriment la manière dont ils entendent communiquer aux entités régulées l’importance de respecter les exigences législatives en matière de protection de l’environnement.

1 Les fondements législatifs de la peine juste et appropriée

En droit pénal canadien, le principe de la légalité des délits et des peines, nullum crimen nulla poena sine lege, implique qu’une personne ne peut être punie que si une loi crée l’infraction reprochée et prévoit sa sanction. Ce principe est reconnu par le droit constitutionnel canadien et le Code criminel[4]. Appliqué à l’étape de l’imposition de la peine, le principe de la légalité dirige (1.1) et limite (1.2) l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal au moment du prononcé de la peine appropriée.

1.1 Une approche pénologique particulière aux infractions environnementales

Les principes pénologiques énoncés dans le Code criminel s’appliquent à la plupart des infractions environnementales provinciales et fédérales[5]. À ce sujet, l’article 718 du Code criminel précise que la sanction pénale imposée à la suite d’une déclaration de culpabilité doit contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre. De plus, le législateur fédéral y annonce le caractère plurifonctionnel de la peine en retenant six objectifs généraux qui doivent guider l’infliction d’une sanction juste, à savoir la dénonciation, la dissuasion, l’isolement du délinquant, la réinsertion sociale, la réparation et la conscientisation.

Ces objectifs reflètent la préférence du législateur canadien pour deux philosophies pénologiques, soit l’utilitarisme et la rétribution, lesquelles s’appliquent aux infractions environnementales. D’une part, les objectifs liés à la dissuasion, à l’isolement et à la réinsertion sociale relèvent de la théorie de l’utilitarisme voulant que « les institutions peuvent trouver leur justification seulement si elles satisfont le critère de production des bonnes conséquences[6] ». En vertu de cette théorie, la sanction doit être bénéfique pour le contrevenant ou pour la société, et mener ultimement à une protection plus appropriée de celle-ci. À l’occasion de la réforme du Code criminel, réalisée en 1996, le législateur fédéral a introduit de nouveaux objectifs utilitaristes à dessein plus particulièrement correctif, à savoir la réparation des torts causés et la conscientisation des délinquants.

D’autre part, l’objectif lié à la dénonciation découle plutôt de la théorie pénologique de la rétribution, dont l’application a été reconnue et les limites tracées par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. M. (C.A.)[7]. Celle-ci définit ainsi l’objectif de dénonciation : « une peine assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société[8] ».

L’atteinte des objectifs pénologiques est balisée par la loi. Ainsi, le principe de la proportionnalité, édicté à l’article 718.1 du Code criminel, pose des limites au tribunal en exigeant que la sanction imposée corresponde à la gravité objective de l’infraction commise, ainsi qu’au degré de culpabilité morale du contrevenant. Le tribunal s’assure du respect de ce principe en réalisant un examen minutieux de la situation du contrevenant et des circonstances entourant l’infraction. Ce principe est repris dans le Code de procédure pénale du Québec, qui énonce que le prononcé de la peine doit tenir compte des « circonstances particulières relatives à l’infraction ou au défendeur[9] ». Le principe de la proportionnalité permet d’adapter la sanction à l’infraction commise et agit comme un frein à l’imposition de sanctions trop sévères motivées par le désir d’atteindre des objectifs utilitaires ou liés à la rétribution[10].

En droit de l’environnement, la sanction pénale est également soumise aux objectifs et aux principes généraux du droit pénal. Toutefois, depuis le début des années 70, les tribunaux canadiens affirment le caractère particulier des principes et des facteurs de détermination de la peine juste lorsqu’ils sont appliqués aux infractions environnementales[11]. Bien que tous les objectifs traditionnels de la détermination de la peine du droit pénal général soient importants et applicables, seuls quatre d’entre eux interviennent au moment de l’examen de la peine appropriée en matière d’environnement. Il s’agit de la dénonciation du comportement illégal, de la dissuasion, de la réinsertion sociale et de la réparation. Ces objectifs interagissent et s’imbriquent de façon à refléter la variété des comportements immoraux et des risques environnementaux. Les tribunaux consacrent ainsi la théorie plurifonctionnelle de la sanction pénale retenue par le législateur fédéral[12]. En pratique, l’objectif de dissuasion domine largement l’examen judiciaire de la peine juste et appropriée dans le secteur de l’environnement[13].

Déjà, en 1973, le juge Morrow de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest met en évidence, dans l’affaire R. v. Kenaston Drilling (Arctic) Ltd., que les infractions environnementales commandent une application particulière des règles de détermination de la peine[14]. Deux éléments dominent sa réflexion : la prise en considération des risques de dommages à l’environnement et l’omniprésence des personnes morales, principalement des sociétés commerciales :

It is my opinion that offences such as is provided for in the present legislation require perhaps a special approach […] It may very well be that in the present case no actual damage took place. But surely the test to apply in approaching the question of sentence should be less a concern of what the damage was but more a concern of what the damage might have been.

In cases of this kind to fine a corporation such as the present one a mere $100 is to in effect invite breaches, to invite the gamble. Where the economic rewards are big enough persons or corporations will only be encouraged to take what might be termed a calculated risk. It seems to me that the Courts should deal with this type of offence with resolution, should stress the deterrent, viz., the high cost, in the hope that the chance will not be taken because it is too costly[15].

En 1980, le juge Stuart de la Cour territoriale du Yukon a suivi cette décision dans l’affaire R. v. United Keno Hill Mines Ltd.[16]. Il met aussi en évidence la nécessité d’une approche particulière pour les infractions environnementales et met l’accent sur l’objectif pénologique de la dissuasion. La jurisprudence subséquente a suivi ces affaires[17]. En 2005, la Cour d’appel de l’Alberta reprenait, dans l’affaire R. v. Terroco Industries Ltd., les mots du juge Morrow : « sentencing principles for environmental offences require “a special approach” » et « [a] key component of sentences imposed for breaches of environmental protection statutes should be specific and general deterrence »[18]. L’importance de l’objectif lié à la dissuasion est telle en droit de l’environnement que la Cour supérieure de l’Ontario, siégeant en appel d’une décision de première instance, a conclu que, lorsque le terme « dissuasion » n’a pas été mentionné expressément au moment de la détermination de la peine et qu’il ne semble pas avoir été considéré, il s’agit d’un motif d’appel légitime réduisant considérablement la déférence du tribunal d’appel[19].

Conformément à la logique pénologique de la dissuasion, la jurisprudence retient que la peine imposée doit être assez sévère pour ne pas être perçue comme un simple permis de polluer[20]. En d’autres mots, compte tenu de cet objectif, la peine appropriée devrait être supérieure aux coûts de mise en conformité avec la loi ou aux gains réalisés en n’étant pas conforme à la loi. En présence de facteurs aggravants ou atténuants, cette peine « standard » sera augmentée ou réduite pour en assurer l’individualisation. De plus, suivant l’objectif lié à la dissuasion, la peine imposée doit être suffisamment élevée pour atteindre l’objectif qui consiste à dissuader les autres administrés, essentiellement des sociétés commerciales, susceptibles d’adopter un comportement illégal[21]. En résumé, en suivant cette logique, la peine doit être assez sévère pour qu’il ne soit pas économiquement rentable de courir le risque d’être pris, poursuivi et puni pour une infraction à la loi environnementale. À défaut, le processus pénal ne parviendrait pas à soutenir pleinement la conformité avec les obligations légales destinées à prévenir les atteintes à l’environnement. En marge de la théorie, nous verrons que les poursuites pénales au Canada représentent un moyen de dernier recours pour les autorités administratives chargées d’appliquer la loi environnementale et que, lorsqu’elles sont entreprises, les décisions judiciaires donnent lieu à des peines généralement peu élevées.

Malgré l’importance accordée par les tribunaux à l’objectif lié à la dissuasion, l’intensité de l’inconduite et le particularisme des circonstances de l’infraction font également intervenir dans les décisions judiciaires les autres objectifs de la peine. Ainsi, une inconduite moralement blâmable accentue l’objectif lié à la dénonciation de l’acte illicite, alors que les atteintes environnementales, les dommages aux personnes et les mises en danger font intervenir l’objectif lié à la réparation des torts causés dans l’imposition de la peine[22]. Enfin, les tribunaux privilégient la réinsertion sociale lorsque l’adoption de mesures préventives permet d’éviter le retour de l’infraction[23].

1.2 L’arsenal des peines

En droit pénal canadien, le tribunal doit respecter les limites prescrites par la loi et imposer une peine juste et appropriée dans les circonstances. Nous présenterons ici les différentes peines que le Parlement fédéral et les législatures des provinces retiennent dans l’application des lois environnementales suivantes : la Loi canadienne sur la protection de l’environnement(1999)[24], la Loi fédérale sur les pêches[25], la Loi sur la qualité de l’environnement[26] du Québec, la Loi sur la protection de l’environnement[27] de l’Ontario, l’Environmental Management Act[28] de la Colombie-Britannique et l’Environmental Act[29] de la Nouvelle-Écosse. Toutes ces lois sanctionnent une vaste gamme d’infractions en matière d’environnement : par exemple, les actes de pollution, l’exploitation d’une activité sans les autorisations et permis requis, l’omission de respecter les modalités des autorisations, des permis et des ordonnances, le défaut de produire les déclarations et les documents requis, la dissimulation et les fausses déclarations. Cette large gamme d’infractions n’est pas sans poser des difficultés lorsque vient le moment d’imposer une peine appropriée[30]. De même et par souci de cohérence, notre étude n’embrasse pas l’ensemble de ces infractions ; elle s’arrête à la sanction des infractions de pollution qu’elles énoncent[31]. Seront examinées successivement les sanctions pénales classiques, que sont l’amende et l’emprisonnement (1.2.1), et les pouvoirs d’ordonnance judiciaire « créative » mis plus récemment à la disposition du tribunal pour sanctionner les délinquants environnementaux (1.2.2).

1.2.1 L’amende et l’emprisonnement

L’amende est la mesure punitive la plus fréquemment utilisée par le législateur pour sanctionner les infractions aux lois environnementales. La tendance qui se dégage de la législation canadienne est de prévoir des amendes maximales élevées et de n’imposer aucun seuil minimal. La plupart des pollueurs étant des personnes morales, la fourchette des amendes est généralement très large dans le but de refléter les moyens financiers de la très petite société commerciale jusqu’à la multinationale. Ainsi, pour les infractions poursuivies par voie de mise en accusation, les lois du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et du Parlement fédéral prévoient une amende maximale de 1 million de dollars. De plus, la majorité des lois étudiées retient une échelle unique de peines pécuniaires sans distinction entre les personnes morales et physiques[32].

Au Québec et en Ontario, le législateur a préféré prévoir des amendes minimales et des échelles de peines différentes pour les personnes physiques et morales. En Ontario, les modifications récentes apportées à la Loi sur la protection de l’environnement élèvent les amendes minimales et maximales des personnes morales à 25 000 dollars et à 6 millions de dollars pour la première infraction et à 100 000 dollars et à 10 millions de dollars dans le cas d’une seconde récidive[33]. En comparaison, l’échelle des amendes imposée aux personnes morales au Québec est moins élevée : de 6 000 à 50 000 dollars pour la première infraction et de 500 000 dollars à 1 million de dollars dans le cas d’une seconde récidive[34].

Toutes les lois étudiées prévoient la possibilité d’imposer aux infractions de pollution continue des amendes plus élevées en autorisant le procureur de l’État à reprocher autant d’infractions qu’il y a de jours au cours desquels se poursuit l’événement infractionnel[35]. Sont visés les incidents ponctuels de pollution qui durent plus d’une journée et les sources d’émission continue. De cette façon, la loi pénale incite les administrés à se conformer promptement à la loi.

À l’exception de celle de la Colombie-Britannique, toutes les lois examinées imposent des amendes plus élevées pour les récidives. Toutefois, la récidive est peu utilisée en pratique, car les conditions strictes d’application en compliquent l’emploi. À titre d’exemple, le Code de procédure pénale du Québec limite la récidive aux infractions à la même disposition commises dans un délai de deux ans[36] et prescrit de réclamer expressément la peine plus sévère pour une récidive dans le constat d’infraction[37]. En revanche, l’Ontario a élargi la portée de la récidive à l’occasion de la révision récente de la Loi sur la protection de l’environnement. Son article 188 énonce que le nombre de condamnations antérieures d’une personne ne se limite pas aux condamnations antérieures à cette seule loi[38], mais inclut également les déclarations de culpabilité prononcées pour des infractions à la Loi de 2002 sur la gestion des éléments nutritifs[39], à la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario[40] et à la Loi sur les pesticides[41] de l’Ontario.

L’emprisonnement est également présent dans toutes les lois étudiées, mais sa durée maximale varie d’une loi à l’autre. Ainsi, la loi adopté par la Colombie-Britannique fixe la durée maximale de l’incarcération à six mois, tandis qu’elle est d’un an au Québec et en vertu de la Loi fédérale sur les pêches, de deux ans en Nouvelle-Écosse, de trois ans en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) pour les mises en accusation et, enfin, de cinq ans moins un jour en Ontario pour les infractions graves[42]. La présence de la peine d’emprisonnement représente un signal clair du législateur que les infractions environnementales sont sérieuses et commandent des peines sévères. Du reste, rien ne s’oppose à ce que toute la gamme des mesures sentencielles à la disposition du législateur, notamment l’emprisonnement, soit insérée dans les lois environnementales, qui, bien qu’elles ne soient pas criminelles par nature, donnent lieu à des contraventions très variées en fait de conséquences et d’intention, allant de l’infraction mineure à l’émission de substances toxiques et aux inconduites délibérées et persistantes.

1.2.2 Les ordonnances judiciaires créatives

Depuis le début des années 90, la législation environnementale canadienne voit se multiplier les pouvoirs d’ordonnance autorisant le tribunal à imposer, en sus de toute autre peine, des obligations supplémentaires de nature punitive, curative ou préventive. L’introduction de ces nombreux pouvoirs d’ordonnance créative dans les lois répond à des critiques faites quant à l’insuffisance des peines classiques, comme l’amende, pour faire face à l’extrême richesse, à l’incapacité de payer ou aux inconduites persistantes ou encore pour atteindre les buts de prévention et de restauration de l’environnement et d’indemnisation des victimes[43]. En termes utilitaristes, ces pouvoirs permettent de produire de « bonnes conséquences » en compensant les atteintes à l’environnement et en intervenant directement sur les conduites et la qualité des milieux ambiants. Bien qu’il soit difficile d’évaluer exactement l’indemnité due relativement au préjudice subi par l’environnement, les pouvoirs d’ordonnance autorisent le juge à intervenir pour compenser ou réparer les torts causés à l’environnement et à promouvoir des comportements responsables chez les délinquants.

Aujourd’hui, les pouvoirs d’ordonnance judiciaires sont suffisamment nombreux dans les lois environnementales pour les présenter en respectant une certaine classification. Nous retenons six catégories fondées sur leurs principales caractéristiques matérielles : 1) les mesures pécuniaires et patrimoniales ; 2) les mesures de réparation ; 3) les mesures préventives ; 4) les mesures d’ordre moral ; 5) les mesures associées à l’administration de la justice ; et 6) les mesures résiduelles[44].

Entrent dans la première catégorie, soit les mesures pécuniaires et patrimoniales, les amendes additionnelles, l’ordonnance de confiscation et les montants affectés à des mesures de protection et de restauration de l’environnement. Ainsi, toutes les lois consultées autorisent le tribunal à imposer au contrevenant une amende additionnelle représentant les bénéfices et les avantages obtenus en raison de la commission de l’infraction[45]. Des ordonnances de confiscation des biens sont également présentes dans la moitié des lois examinées[46] .

Les lois étudiées offrent une variété d’exemples de pouvoirs d’ordonnance autorisant le tribunal à affecter une sanction monétaire à un fonds ou un programme spécialement consacré à l’environnement. Par exemple, le tribunal est autorisé, en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et de la loi de la Colombie-Britannique, à verser la peine pécuniaire dans un fonds réservé à un groupe intervenant dans des projets de protection de l’environnement ou à un établissement d’enseignement pour créer des bourses d’études en environnement ou financer la recherche sur la substance en cause[47]. Plus spécifique, la Loi sur les pêches autorise le tribunal à ordonner que le montant qu’il estime indiqué soit versé « en vue de promouvoir la protection du poisson ou de l’habitat du poisson ainsi que la gestion et la surveillance judicieuses des pêches[48] ». Au Québec, le tribunal n’a pas ce pouvoir. Toutefois, en vertu de la loi, toutes les amendes imposées pour une infraction à une loi ou à un règlement relevant du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs sont, depuis 2006, versées au Fonds vert destiné au financement de mesures et de programmes de développement durable et de protection de l’environnement[49].

La deuxième catégorie, qui comprend les mesures de réparation, est aujourd’hui la plus importante ; les pouvoirs d’ordonnance judiciaire y sont nombreux et nouveaux. Ils témoignent de l’intention du législateur de faire progresser l’objectif lié à la réparation dans sa politique environnementale. La réparation concerne l’environnement et les biens. Toutes les lois examinées autorisent le tribunal à ordonner la remise en état des lieux, la réparation et la prévention des dommages à l’environnement ainsi que le remboursement des dépenses publiques engagées dans les circonstances[50]. Seule la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) précise qu’une partie de la peine pécuniaire peut être affectée à la réalisation des ordonnances de réparation et de prévention des dommages à l’environnement[51]. La majorité des lois accorde au tribunal le pouvoir d’ordonner l’exécution de travaux d’intérêt collectif de manière à compenser ailleurs pour les atteintes causées à l’environnement[52]. Enfin, entrent dans la catégorie des mesures de réparation, les ordonnances de dédommagement pour les pertes et les dommages matériels subis par les personnes[53].

La troisième catégorie d’ordonnances judiciaires regroupe les mesures d’ordre moral qui nuisent à la réputation des contrevenants par la diffusion d’informations relatives à l’infraction commise. Par exemple, des lois fédérales, de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique autorisent le tribunal à ordonner la publication des faits liés à la culpabilité et à en aviser les victimes qui pourront ainsi, en temps utile, recevoir des soins et obtenir une compensation[54]. Ces ordonnances sont également susceptibles d’avertir les autres administrés et de renforcer la conformité.

La quatrième catégorie regroupe les pouvoirs d’ordonnance ayant une fonction préventive. Ces pouvoirs se trouvent dans les lois fédérales et de la Nouvelle-Écosse. En vertu de ces dispositions, le tribunal peut ordonner au contrevenant de préparer et de mettre en oeuvre un plan de prévention de la pollution ou de gestion des urgences environnementales[55], de mettre en place un système de gestion répondant à une norme canadienne ou internationale ou encore de réaliser une vérification environnementale[56].

La cinquième catégorie d’ordonnances concerne les mesures associées à l’administration de la justice et au respect de ses actes de procédure. Sous ce titre, sont regroupés les pouvoirs d’ordonner de s’abstenir de poser des gestes pouvant entraîner la perpétration de l’infraction[57], la production de renseignements sur les activités et sur les effets d’une substance sur l’environnement[58] ainsi que la consignation d’une somme en garantie de l’exécution des ordonnances judiciaires[59].

Enfin, la plupart des lois consultées accordent au tribunal un pouvoir d’ordonnance résiduel, c’est-à-dire d’imposer les autres ordonnances qu’il estime justifié pour assurer la bonne conduite du contrevenant et empêcher le retour de l’infraction[60].

Le refus de se conformer à une ordonnance judiciaire représente un outrage au tribunal punissable tant au civil qu’au pénal. Le contrevenant trouvé coupable s’expose à une amende et à un emprisonnement. La procédure d’outrage intéresse plus particulièrement les cas de refus de se conformer à une ordonnance touchant la réparation ou la prévention des dommages à l’environnement, la vie humaine ou la santé (ex. : cesser toute activité pouvant amener la continuation ou la répétition de l’infraction, réparer les dommages causés à l’environnement ou aux personnes, prévenir d’autres dommages). À l’occasion, la loi environnementale incrimine directement le non-respect des ordonnances judiciaires[61].

Au civil, le contrevenant peut être poursuivi pour le recouvrement des frais des mesures préventives et correctives prises par l’État à la suite du non-respect d’une ordonnance[62]. L’action civile intéresse plus particulièrement les ordonnances pécuniaires et patrimoniales dont le contrevenant néglige de s’acquitter (ex. : omettre de dédommager le ministre pour les frais des mesures préventives ou correctives ou encore omettre de verser un montant à une fondation de recherche ou à d’autres fonds particuliers). Finalement, au moment du prononcé de la peine, le tribunal peut prévoir, par l’entremise d’une ordonnance résiduelle, les conséquences juridiques qui découleront du non-respect de l’ordonnance imposée au contrevenant[63].

2 L’application de la loi environnementale

Les activités d’application de la loi environnementale sont, à l’évidence, essentielles pour assurer le caractère obligatoire des normes prescrites et mettre en oeuvre les sanctions pénales, civiles et administratives recherchées par le législateur à l’égard des contrevenants. À ce sujet, le programme Action 21, adopté à Rio en 1992, souligne que les lois et les règlements demeurent, dans le secteur de l’environnement, les instruments les plus importants pour assurer l’application des politiques de l’environnement, en raison de leur caractère obligatoire et de leur effet normatif, pour autant que ces normes soient appliquées[64]. Une loi en vigueur, qui est peu ou pas appliquée en pratique, perd de sa force contraignante et risque d’être perçue par les administrés comme une simple déclaration d’intention plutôt que comme un répertoire de prescriptions obligatoires[65] : « is to create law in a vacuum[66] ».

Les études réalisées sur les sanctions pénales vont dans le même sens et s’entendent pour dire que la certitude d’être poursuivi et puni inspire plus de crainte aux contrevenants potentiels que la sévérité éventuelle de la sanction[67]. Aussi, dans un système fondé largement sur l’objectif lié à la dissuasion, la probabilité d’être poursuivi et puni joue un rôle prépondérant. Paradoxalement, au Canada, les stratégies des autorités administratives responsables de l’application des lois environnementales n’appuient pas toujours les objectifs poursuivis par les législateurs en n’accordant qu’un rôle limité aux poursuites judiciaires et notamment pénales (2.1). De surcroît, les autorités administratives paraissent peu enclines à mettre en oeuvre les régimes pénaux introduits dans les lois environnementales (2.2).

2.1 La poursuite pénale : une mesure aussi ultime qu’exceptionnelle

Au Canada, plusieurs administrations publiques ont adopté et rendu publiques des politiques de promotion de la conformité et d’application de la loi environnementale. Plus particulièrement, les mesures de promotion de la conformité ont pour objet la communication et la publication d’information, l’éducation du public, la consultation des parties touchées et l’assistance technique[68].

C’est davantage l’application concrète de la loi environnementale qui préoccupe les administrés. Selon Linda F. Duncan, il est même possible d’affirmer que la loi qui est appliquée constitue la vraie règle de droit, son application défaillante ou inexistante en modifiant la force coercitive[69]. À ce sujet, un ancien ministre fédéral de l’Environnement déclarait ceci : « Une bonne loi, toutefois, n’est pas suffisante en soi. Elle doit être appliquée, impitoyablement si le besoin s’en fait sentir[70]. » De la même façon, la politique d’application de la Loi sur les pêches souligne qu’il « ne suffit pas d’avoir des lois et des règlements ; il faut les administrer et les appliquer de façon juste, prévisible et cohérente[71] ».

Les activités d’application de la loi se définissent comme « any government or private action or intervention taken to determine or respond to non-compliance[72] ». Pour ce qui est des interventions publiques, deux philosophies s’affrontent au Canada. L’approche accusatoire[73] favorise les inspections et les enquêtes et, s’il y a constatation d’une violation, la prise de mesures non judiciaires (ex. : instructions, contraventions, ordres exécutoires) et judiciaires (ex. : injonctions, poursuites criminelles, ordonnances, recouvrement des frais).

L’approche coopérative, quant à elle, considère les entités régulées comme des partenaires plutôt que des adversaires[74]. Suivant cette approche, l’administration préfère mettre l’accent sur le retour de la conformité, par la conciliation, la discussion et la négociation avec les entités régulées, plutôt que d’inspirer la crainte de sanctions pour un état de non-conformité[75]. C’est cette approche que favorise une majorité d’autorités chargées d’appliquer les lois environnementales au Canada. Déjà en 1995, K. Harrison notait que la recherche du retour à la conformité par la conciliation était préférée aux mesures contraignantes prévues dans la loi : « [B]argaining is the essence of the environmental regulatory process as it is practised in Canada[76]. » Vues ainsi, les autorités publiques préfèrent menacer les entités régulées de recourir aux sanctions formelles, plutôt que d’en user réellement.

La poursuite pénale n’est qu’un des moyens à la disposition des autorités publiques compétentes lorsque celles-ci soupçonnent la perpétration d’une infraction environnementale. Le choix des mesures à prendre est guidé par des politiques d’application de la loi adoptées par l’administration publique et généralement rendues publiques. Leur examen révèle le rôle accordé par l’exécutif à la poursuite pénale dans sa politique d’application des lois consacrées à l’environnement[77]. La politique d’application des lois environnementales du Québec n’étant pas publique, nous ignorons quels sont les objectifs retenus et la place accordée aux poursuites pénales par l’administration publique québécoise.

Dans les politiques fédérales d’application, l’objectif principal de toute mesure de répression est de favoriser le respect de la loi, le plus rapidement possible, tout en évitant que le contrevenant récidive[78]. Par conséquent, les autorités fédérales retiennent principalement des mesures d’application, tels l’avertissement ou l’arrêté ministériel, dont les effets sur le retour de la conformité sont plus rapidement perceptibles. La politique d’application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) octroie explicitement à la poursuite pénale un rang secondaire : « l’agent de l’autorité envisagera en premier lieu une mesure d’application (avertissement, ordre en cas de rejet, arrêté ministériel, ordre de détention de navire et OEPE) qui ne nécessite pas de poursuites judiciaires[79] ». Toutefois, la poursuite pénale devient la mesure privilégiée lorsque la perpétration de l’infraction a entraîné de graves conséquences à l’environnement ou à la santé humaine ou les a gravement menacés[80], a causé la mort ou a blessé un individu et lorsque le contrevenant a sciemment violé la loi ou les directives ministérielles ou a tenté d’en gêner l’application[81]. Quant à la politique d’application de la Loi sur les pêches, elle recommande à l’autorité compétente d’entreprendre des poursuites judiciaires lorsque les circonstances évoquent une faute plus grave que la simple négligence[82]. Les poursuites judiciaires sont également recommandées lorsqu’aucune autre mesure de rechange n’apparaît appropriée, lorsque le contrevenant a récidivé, a omis de se conformer à des directives du Ministère[83] ou bien a causé ou risqué de causer un dommage au poisson ou à son habitat[84].

La politique d’application du ministère de l’Environnement de la Colombie-Britannique retient le même objectif que les politiques fédérales et donne priorité à la mesure d’application de la loi la plus apte à assurer le retour rapide à la conformité tout en prévenant le risque de récidive[85]. Cette politique souligne que la poursuite pénale est une mesure essentielle, mais ajoute qu’elle doit être réservée aux situations où « alternative compliance efforts are unable to achieve the desired outcomes or it has been otherwise determined that a prosecution response is appropriate[86] ».

En Colombie-Britannique, la poursuite pénale est réservée aux infractions graves : violations intentionnelles ou particulièrement négligentes, récidives, mises en danger et conséquences graves en ce qui a trait à l’environnement de même qu’à la santé et à la sécurité des personnes[87]. En outre, la politique recommande aux autorités publiques d’entreprendre une poursuite pénale lorsque l’intérêt public le justifie. Elles optent également pour la poursuite pénale lorsque les circonstances « are such that other compliance tools would likely be ineffective and prosecution may provide the most effective way to achieve compliance, or there is a need for general deterrence that would result from a court hearing[88] ».

En Ontario, la politique d’application des lois environnementales n’accorde pas un rôle résiduel à la poursuite pénale. L’objectif des mesures d’application est de sauvegarder l’intérêt public en privilégiant une réaction proportionnelle, de la part du Ministère, à la gravité de l’incident[89]. Le choix de la mesure d’application se fonde sur l’évaluation des risques de dommages résultant de la violation et de l’historique de conformité du contrevenant ainsi que sur sa conduite à la suite de la contravention[90]. La poursuite pénale est la mesure privilégiée si l’infraction entraîne ou risque d’entraîner un dommage mineur[91] à la santé humaine, ou de gravité moyenne à l’environnement[92], et qu’il est établi que le présumé contrevenant a violé la loi au moins à une reprise[93], qu’il a fourni intentionnellement de fausses informations au Ministère ou que la violation se poursuit malgré les interventions répétées de ce dernier[94]. La politique ne pose aucune autre condition au dépôt d’une poursuite pénale. Elle souligne que les autorités compétentes chercheront à travailler en coopération avec les entités régulées, mais précise en même temps que la protection de l’environnement sera favorisée par l’adoption de mesures ministérielles promptes et fermes lorsque les violations risquent d’entraîner des conséquences significativement néfastes pour la santé des personnes ou pour l’environnement[95]. La politique ontarienne est adaptée et soutient bien l’affirmation législative voulant que la protection de l’environnement soit une valeur fondamentale et que ses prescriptions sont obligatoires sous peine de voir être appliquées les sanctions qu’elle énonce.

En résumé, la poursuite pénale est généralement considérée par les autorités publiques canadiennes chargées d’appliquer la loi comme une mesure ultime, réservée aux situations les plus graves. Le rôle accordé à la poursuite pénale dans les politiques publiques de mise en oeuvre de la législation environnementale est en partie responsable de la faible probabilité que des poursuites de ce type soient entreprises puisqu’elles en restreignent fortement l’usage. Soulignons que la politique ontarienne encourage un recours plus fréquent aux mesures législatives d’application, comme la poursuite pénale, que les autres politiques étudiées.

Malgré le rôle secondaire que certaines politiques d’application de la loi accordent à la poursuite pénale, il semble qu’elle ait un impact significatif sur l’attitude des sociétés commerciales à l’égard de l’environnement[96]. En effet, selon les conclusions d’une étude dans le domaine de l’industrie des pâtes et papiers au Canada et aux États-Unis, la méthode accusatoire entraînerait un taux de conformité plus élevé[97]. En outre, la menace crédible de poursuite pénale demeure essentielle pour inciter l’ensemble des entités régulées à respecter la loi, surtout lorsque l’administration publique choisit d’adopter, comme c’est généralement le cas au Canada, une approche plus coopérative qu’accusatoire[98]. À ce sujet, les résultats d’une autre étude soulignent l’inadéquation de la négociation, méthode conciliatrice, comme unique outil de promotion de la conformité : « un recours excessif aux négociations en vue d’obtenir l’observation des lois semble avoir compromis la poursuite de l’objectif d’un environnement sain[99] ».

Au-delà de la préférence de l’administration publique canadienne pour l’approche coopérative, l’application qu’elle en fait peut devenir problématique : « Scholz has demonstrated formally that the ideal enforcement officer is generally forgiving, yet vengeful in response to persistent noncompliance. Canadian regulators have been abundantly forgiving, but seldom vengeful[100]. »

Les négociations entourant le retour à la conformité entre les autorités compétentes et les contrevenants sont également susceptibles de nuire à la force contraignante de la loi : « Negotiations will generally be most effective if there remains a real possibility of litigation. In some cultures or situations it may be very important to keep this threat real so that facilities do not use negotiations as a means of delaying compliance[101]. » En définitive, dans la majorité des provinces canadiennes, peu de poursuites sont entreprises à la suite d’une contravention environnementale. Les autorités publiques hésitent à recourir aux méthodes coercitives pour forcer la conformité.

2.2 La mise en oeuvre des politiques d’application de la loi

La mise en oeuvre des politiques d’application de la loi par l’exécutif permet de jauger l’effectivité des régimes pénaux de la législation environnementale. Elle s’apprécie à différents niveaux, de la détection des contraventions au choix des mesures d’application, parmi lesquelles la répression pénale. La probabilité de poursuites judiciaires est directement corrélée par le faible taux de détection des infractions environnementales ainsi que par le rôle limité qui leur est accordé par les politiques d’application de la loi. La détection des infractions environnementales et la constitution de la preuve sont particulièrement complexes et commandent des ressources humaines et financières importantes[102]. Par ailleurs, l’État peut difficilement être remplacé dans ces fonctions, car la majorité des inconduites ne causent pas de victimes directes susceptibles de dénoncer le comportement illicite, sont difficilement perceptibles par les sens ou surviennent dans des endroits isolés ou éloignés.

Il faut reconnaître que le nombre de violations dont la commission passe inaperçue peut être relativement élevé compte tenu du nombre incalculable d’activités assujetties, de la grandeur du territoire et du peu de ressources humaines accordées aux activités d’application de la loi. À titre d’exemple, en 2004, Environnement Canada employait 107 inspecteurs et agents des pêches, responsables de l’application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et de la Loi sur les pêches, ainsi que de l’ensemble des règlements qui découlent de ces deux lois[103]. En 1997, Linda F. Duncan notait que, bien que le Canada se soit donné une politique d’application de la loi détaillée et d’une législation dont la violation risquait d’entraîner des peines significatives, celles-ci semblaient futiles vu le manque de ressources permettant une application soutenue de la loi[104].

Plus particulièrement, de 1998 à 2002, les poursuites pénales ont représenté de 0,5 à 3,2 p. 100 des mesures d’application adoptées par les autorités fédérales compétentes. Ces dernières préfèrent largement les avertissements et les ordonnances ministérielles, dont le nombre varie de 2 à 27 par année pour les ordonnances, comparativement aux 1 162 avertissements donnés en application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) en 2004 et en 2005. L’examen des informations consultables sur le site Web d’Environnement Canada révèle que les activités d’application de la loi se soldent par peu de poursuites pénales mais par un grand nombre d’avertissements écrits et que plusieurs des poursuites pénales entreprises sont interrompues avant la fin de la procédure (voir tableau 1).

En ce qui concerne le taux de poursuites engagées pour des infractions aux lois provinciales, il diffère selon les provinces, conformément au rôle accordé à celles-ci par leur politique d’application. En Colombie-Britannique, la Couronne a conclu onze poursuites pénales pour des infractions à l’Environmental Management Act, entre le 1er janvier 2006 et le 30 juin 2008, préférant nettement avoir recours aux contraventions[105]. En Ontario, durant la même période, les autorités provinciales ont clos avec succès 119 poursuites pour des infractions à la Loi sur la protection de l’environnement[106].

Tableau 1

Mesures d’application de la loi adoptées en vertu de la Loi canadienne de protection de l’environnement de 1998 à 2005*

Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1988) et Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)

Avertissements

Poursuites

Directives

Contraventions

Autres décisions**

Mesures de rechange

Ordres d’exécution

Total

Pourcentage de poursuites entreprises par rapport au total des mesures d’application***

1998-1999

421

2

8

-

ND

-

-

431

0,5

1999-2000

473

26

9

-

298

-

-

806

3,2

2000-2001

123/327+

8/3

0/22

-

23/302

-

-

808

1,4

2001-2002

4/513

13/14

0/5

-

29/1008

-

-

1 586

1,7

2002-2003

347

4

3

1

ND

-

-

355

1,1

2003-2004

672

8

8

1

ND

-

-

689

1,2

2004-2005

1 162

13

2

20

ND

4

100

1 301

1,0

*

Ces données sont accessibles en ligne : Environnement Canada, Application de la loi. Rapports et statistiques, [En ligne], [www.ec.gc.ca/alef-ewe/default.asp?lang=Fr&n=5C63F879-1] (1er mai 2009).

**

La catégorie « Autres décisions » inclut les ordres donnés par les agents de l’autorité en cas d’un rejet non autorisé, les ordres ministériels, les ordres de détention d’un navire, les injonctions, les ordres d’exécution en matière de protection de l’environnement (OEPE) et les mesures de rechange en matière de protection de l’environnement (MRPE), sauf en 2004-2005. Cette catégorie inclut également la décision de ne prendre aucune des mesures d’application prévues par la loi.

***

Les pourcentages des années 2002-2003 à 2004-2005 sont sujets à caution puisque Environnement Canada a cessé de publier le nombre de mesures d’application de la loi entrant dans la catégorie « Autres décisions ». Par conséquent, nous ne disposons pas du nombre total de mesures d’application adoptées annuellement, ce qui fausse le pourcentage final obtenu.

+

Le premier chiffre (123) représente les mesures d’application prises en vertu de la loi de 1988 ; le second (327), celles qui l’ont été en vertu de la loi de 1999.

-> Voir la liste des tableaux

Les dossiers factuels de la Commission de coopération environnementale, portant sur l’application des lois environnementales dans les pays parties à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), révèlent aussi la manière dont sont appliquées les lois environnementales au Canada[107]. En février 2007, la Commission rendait public le dossier factuel réalisé sur la communication du Sierra Legal Defence Fund alléguant que le Canada omet d’assurer l’application efficace de la Loi sur les pêches à l’encontre d’usines de pâtes et papiers[108]. Quatre des usines qui suscitaient des préoccupations en matière d’application efficace de la loi sont situées au Québec[109].

En 2000, ces quatre usines ont contrevenu plusieurs fois à la Loi sur les pêches sans qu’aucune procédure pénale soit entreprise par les autorités fédérales. Ces dernières disposaient des moyens d’application suivants : l’examen des résultats d’émission déclarés par les usines, la réalisation d’inspections et d’enquêtes, l’envoi d’avertissements, la publication d’ordonnances ministérielles et le dépôt de poursuites pénales et de recours en injonction. Au Québec, les données relatives à la conformité avec la loi étaient relevées par les usines et envoyées aux autorités provinciales, puis transmises à Environnement Canada qui avait comme pratique de ne jamais fonder de poursuites judiciaires uniquement sur des données déclarées par les usines[110]. Manifestement, les pratiques administratives en matière d’application de la loi ne permettaient tout simplement pas à Environnement Canada de mettre en oeuvre la sanction pénale !

Plus en détail, les données produites par l’usine Tembec de Saint-Raymond font état de 18 dépassements de la norme pour les matières en suspension (MES), de 9 dépassements pour la demande biochimique en oxygène (DBO) et de 4 échecs de l’essai de détermination de la létalité aiguë sur la truite. Au total, 6 dépassements ont été comptabilisés dans des avertissements d’Environnement Canada. Une enquête a été abandonnée après que les autorités responsables ont conclu que la vérification administrative des données produites par l’entreprise « ne constitu[ait] pas à elle seule un motif raisonnable permettant de croire qu’une infraction a[vait] été commise[111] », que les résultats des essais sur l’effluent de l’usine ne pouvaient être confirmés et que l’usine avait pris des mesures correctives. À l’évidence, l’application de la loi par l’autorité fédérale ne lui permettait pas de mettre en oeuvre le régime pénal contenu dans la loi.

Toujours en 2000, l’usine Uniforêt, de Port-Cartier, enregistrait 22 dépassements de la limite de MES, un dépassement de la limite de DBO et 2 échecs de l’essai de détermination de la létalité aiguë sur la truite. Environnement Canada a envoyé des avertissements pour plusieurs cas de dépassement, mais n’a pas réalisé d’inspection, prélevé d’échantillons, mené d’enquête ni pris aucune autre mesure d’application en relation avec ces cas. L’usine Fjordcell, de Jonquière, a enregistré 25 dépassements de la limite de MES, 28 dépassements de la limite de DBO et 10 échecs de l’essai de détermination de la létalité aiguë sur la truite. Environnement Canada a entrepris une enquête, close trois ans plus tard, mais n’a pas réalisé d’inspection ni prélevé d’échantillons. Enfin, l’usine J. Ford, de Portneuf, a échoué à quatre reprises l’essai de détermination de la létalité aiguë sur la truite. Environnement Canada n’a pas réalisé d’inspection, prélevé d’échantillons, mené d’enquête ni pris aucune autre mesure d’application.

Ces informations sur les pratiques administratives renforcent la perception voulant que les poursuites pénales aient de faibles probabilités d’être entreprises et menées à terme au Canada, et cela, même si les infractions à la loi sont persistantes ou fréquentes. En définitive, les responsables des pratiques administratives paraissent encore moins enclins que ceux des politiques d’application de la loi à entreprendre une procédure pénale. Ce constat met en évidence le manque de coordination entre les voies législative et administrative, c’est-à-dire entre le caractère fondamental des valeurs protégées par les lois environnementales et les objectifs liés à la conformité, plus accommodants qu’exigeants, des administrations publiques. Le défaut d’intenter suffisamment de poursuites judiciaires est susceptible de faire douter de l’importance à accorder aux avertissements concernant les comportements répréhensibles qui ne sont pas tolérés et les dommages causés à l’environnement qui doivent être réparés. Enfin, la question se pose de savoir si, en intervenant en aval du processus d’application de la loi, le juge du procès est encore en position d’atteindre les objectifs de la sanction pénale malgré le manque de coordination entre les objectifs du législateur et de l’exécutif.

3 La sanction judiciaire

Pour que le message législatif soit clair, à savoir que les comportements non respectueux de la qualité environnementale ne sont pas tolérés, il convient que les peines imposées par les tribunaux tiennent compte de la faible probabilité qu’une infraction soit détectée et fasse l’objet de sanction. Nous présenterons ci-dessous les différents facteurs retenus par les tribunaux pour fonder leurs décisions sur sentence (3.1), avant de donner un aperçu des peines imposées au Canada (3.2). Le survol des peines imposées par les tribunaux nous amènera à soulever la réflexion quant à l’atteinte des objectifs de la sanction pénale dans les cas d’infractions à la loi environnementale.

3.1 Les facteurs de détermination de la peine en droit de l’environnement

Conformément au principe de proportionnalité de l’article 718.1 du Code criminel, la peine sera appropriée si elle est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Pour ce faire, les tribunaux retiennent des facteurs particuliers afin d’apprécier la gravité de l’infraction environnementale et le degré de responsabilité des personnes morales.

En 1980, le juge Stuart de la Cour territoriale du Yukon dresse, dans la décision United Keno Hill Mines Ltd., la première liste de facteurs destinés à soupeser la gravité des dommages environnementaux et la responsabilité des personnes morales au moment de la détermination de la peine à une infraction environnementale. La jurisprudence subséquente a suivi cette affaire et abondamment appliqué les facteurs proposés[112]. Avec le temps, les listes de facteurs se sont multipliées et enrichies[113]. Une autre liste souvent citée est celle que la Commission de réforme du droit du Canada a présentée dans son document d’étude intitulé La détermination de la peine en droit de l’environnement[114]. Plus récemment, la Cour d’appel de l’Alberta retenait, dans l’affaire R. v. Terroco Industries Ltd., quatre catégories de facteurs devant gouverner la peine appropriée dans les circonstances de l’affaire et l’objectif pénologique lié à la dissuasion : « (1) culpability, (2) prior records and past involvement with the authorities, (3) acceptance of responsibility, (4) damage/harm and (5) deterrence[115] ». Enfin, désirant guider davantage le travail du juge, la législature de l’Ontario et le Parlement fédéral ont introduit une liste de facteurs atténuants et aggravants dans la Loi sur la protection de l’environnement et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) dont les tribunaux doivent obligatoirement tenir compte au moment du prononcé de la peine[116].

Les décisions judiciaires rapportées illustrent l’application des facteurs retenus par les tribunaux au moment de la détermination de la peine pour une infraction environnementale. Sans reprendre un à un chacun des facteurs retenus par les tribunaux, nous proposons de systématiser l’examen en présentant les facteurs selon qu’ils intéressent l’examen de la gravité de l’infraction (3.1.1), d’une part, et du degré de responsabilité du contrevenant (3.1.2), d’autre part.

3.1.1 La gravité de l’infraction environnementale

Les tribunaux évaluent la gravité de l’infraction environnementale en examinant les facteurs circonstanciels suivants : l’étendue des dommages écologiques potentiels et réels, la nature de l’environnement touché, l’atteinte à l’intérêt général, les conséquences préjudiciables pour les personnes et le voisinage, les dommages aux biens et les coûts supportés par la collectivité.

Dans la jurisprudence rapportée, la preuve d’un dommage à l’environnement ou aux personnes est toujours un facteur aggravant[117], alors que l’absence de dommage à l’environnement ou aux personnes est un facteur neutre[118]. Soulignons que l’évaluation de la gravité de l’infraction soulève des difficultés au moment de l’évaluation de la gravité des dommages environnementaux potentiels qui fait intervenir la dangerosité des risques et la fragilité de l’écosystème. Il est manifeste que le sujet des dommages potentiels divise la jurisprudence canadienne. Le courant majoritaire retient les dommages potentiels comme un facteur qui aggrave la peine. C’est le cas de la Cour d’appel de l’Alberta, dans l’affaire R. v. Terroco Industries Ltd., qui a qualifié de facteurs aggravants l’atteinte à la santé d’un travailleur et les dommages potentiels à l’environnement associés à une émission de gaz de chlore[119].

La législation environnementale canadienne n’est pas claire non plus quant à l’importance à accorder aux dommages potentiels au moment du prononcé de la peine. Le législateur fédéral, dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), précise que le tribunal doit considérer le préjudice ou le risque de préjudice découlant de l’infraction comme un facteur aggravant[120]. Par ailleurs, en Ontario, la Loi sur la protection de l’environnement oblige les tribunaux à considérer comme un facteur aggravant le seul dommage réel et avéré[121].

Les décisions judiciaires retiennent d’autres facteurs aggravant l’infraction environnementale. Il en va ainsi des émissions de substances toxiques ou dangereuses pour les êtres vivants, telles que les biphényles polychlorés (BPC), les dioxines et les furannes, qui représentent des inconduites environnementales graves. L’importance du rejet et la potentialité de dommages significatifs aux personnes, à l’environnement ou aux biens représentent aussi des facteurs aggravants[122]. Des émissions polluantes non toxiques mais répétitives deviennent des infractions environnementales graves[123]. C’est le cas de l’infraction d’avoir rejeté quelque 58 000 demi-pneus sur les berges du lac Érié, qui ont ensuite été portés par les courants sur plus de 55 kilomètres[124].

La nature de l’environnement touché influe également sur la gravité de l’infraction environnementale. C’est le cas de la présence sur les lieux de l’infraction d’un territoire écologique unique ou abritant une faune et une flore rares, d’un habitat faunique essentiel, d’un cours d’eau fréquemment utilisé pour des activités récréatives[125], des milieux méritant une protection accrue, de l’environnement fragile de l’Arctique[126], des aires de pêcheries[127], d’une aire de jeu pour les enfants[128] ou d’une ressource économique importante pour une région[129]. Ainsi, sont réprimées plus sévèrement par les tribunaux les atteintes à des milieux environnementaux significatifs et fragiles[130].

3.1.2 Le degré de responsabilité du délinquant environnemental

Dans le but d’adapter la peine au degré de responsabilité du contrevenant, les tribunaux tiennent compte d’une série de facteurs aggravants et atténuants : l’intention, le profit ou les économies[131], les condamnations antérieures, la capacité de payer, la taille et l’actif de la personne morale, les remords, le plaidoyer de culpabilité, la coopération et les dépenses engagées avant ou après le fait, les efforts pour prévenir la pollution, les relations avec les autorités chargées d’appliquer la loi, la réputation citoyenne de l’entreprise et ainsi de suite. La jurisprudence illustre la manière dont ces facteurs sont pris en considération.

Le degré de culpabilité morale est un facteur important dans la détermination de la peine appropriée[132]. Ainsi, plusieurs lois concernant la protection environnementale punissent plus sévèrement les infractions commises de manière intentionnelle[133]. Bien que seule la faute de négligence soit requise pour obtenir une déclaration de culpabilité, les tribunaux prennent acte que, entre l’infraction commise de manière intentionnelle et le prononcé d’un acquittement pour cause de diligence raisonnable, il existe une variété de fautes allant de l’insouciance grave à la conduite presque diligente : « The degree of carelessness is a factor in sentencing for environmental offences. Due diligence in sentencing for environmental offences is to be assessed on a sliding scale : the more diligent the offender, the lower the range of fit sentences ; alternatively, the less diligent the offender, the higher the range of fit sentences[134]. »

Dans ce contexte, le caractère prévisible de l’infraction ou la connaissance de faits susceptibles de donner lieu à une infraction représentent des facteurs aggravants[135]. Le défaut de prendre des mesures simples et peu coûteuses pour prévenir l’infraction[136] ou le fait d’ignorer les avertissements et les demandes des autorités responsables[137] sont également des facteurs aggravants.

Les inconduites antérieures témoignent du peu de considération de la part du contrevenant pour le respect de la loi et représentent un facteur aggravant. Les récidives démontrent l’absence de remords et d’acceptabilité de la responsabilité de la part du contrevenant et sont généralement punies plus sévèrement par la loi. En vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et de la Loi sur la protection de l’environnement, les antécédents judiciaires représentent une circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine appropriée[138]. Plus les récidives sont nombreuses, plus la peine s’approche de l’amende maximale et de l’emprisonnement[139].

Le dépôt d’un plaidoyer de culpabilité est pris en considération par le tribunal à l’occasion de l’examen du degré de culpabilité morale du contrevenant. Selon la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire R. v. Terroco Industries Ltd., « [an] early guilty plea to an environmental offence is a mitigating factor[140]. » Pour la Cour, le contrevenant accepte alors sa responsabilité et son plaidoyer réduit de manière considérable les coûts de la poursuite. Toutefois, le droit à un procès équitable fait du plaidoyer de non-culpabilité un facteur neutre au moment de l’évaluation de la peine appropriée.

En tenant compte de l’historique du dossier d’application de la loi, la conduite d’un contrevenant envers les autorités responsables peut représenter un facteur pertinent au moment de la détermination de la peine[141]. Par exemple, le fait que des avertissements ont été donnés et que le contrevenant n’a pas pris les mesures qui s’imposaient démontre l’absence de remords, de conscience d’avoir mal agi ou de regret.

À l’occasion de l’évaluation du degré de responsabilité du contrevenant, les tribunaux prennent également en considération la conduite après le fait infractionnel. À cet égard, la Cour d’appel de l’Alberta distingue, dans l’affaire R. v. Terroco Industries Ltd., deux catégories de conduites postérieures[142]. Il s’agit, d’une part, des actes accomplis en vue d’apporter des changements aux pratiques et aux procédés à l’origine de l’infraction. Lorsque ces changements montrent que le contrevenant a appris de l’expérience, ils représentent alors un facteur atténuant au moment de la détermination de la peine appropriée. Ces changements doivent être distingués de ceux qui sont nécessaires pour retrouver et maintenir la conformité des activités avec la loi et les ordonnances administratives et judiciaires ; ces derniers n’ont pas d’impact sur la peine : « Changes that should have been obvious before a spill or release will not be a significant factor if put into place after the spill or release[143]. » Il s’agit, d’autre part, des actes accomplis immédiatement après le fait infractionnel ou sa connaissance dans le but de prévenir la continuation de l’événement et de réparer les dommages causés[144]. Selon la Cour d’appel, l’omission d’intervention après le fait est un facteur aggravant, alors que la dénonciation de l’événement aux autorités responsables, la coopération et la mise en oeuvre de mesures de prévention et de réparation représentent des facteurs atténuants[145].

Enfin, la conduite des autorités publiques influe également sur le degré de responsabilité du contrevenant. Les preuves de laxisme ou de négligence dans l’application de la loi interviennent comme facteur de mitigation de la peine[146]. Par exemple, dans l’affaire R. v. Lions Disposal Ltd., le tribunal siégeant en appel de la peine a réduit des deux tiers l’amende imposée à une société commerciale et, de plus de la moitié, celle imposée à son dirigeant, au motif que la « “near complicity”, partly explained the prolonged violations[147] ». À ce sujet, Swaigen et Bunt distinguent « le défaut du ministère public d’intenter rigoureusement des poursuites à l’égard de toutes les infractions, et le fait de fermer les yeux sur des infractions connues des organismes gouvernementaux ou de fournir des mauvais conseils aux justiciables[148] ». En effet, le respect de la conformité avec la loi incombe en premier lieu aux entités régulées. Ainsi, dans l’affaire Domtar Speciality Fine Papers[149], la Cour supérieure de l’Ontario a établi que le défaut d’Environnement Canada de poursuivre la compagnie pour des violations antérieures ne suffisait pas à établir que le gouvernement encourageait celles-ci. Il s’agit alors d’un élément circonstanciel neutre. Par contre, le renouvellement d’un permis, alors qu’à la connaissance de l’autorité responsable le demandeur n’en respecte pas les prescriptions, est considéré comme une incitation passive à la non-conformité et un facteur atténuant en matière de peine[150].

3.2 Un aperçu des peines imposées par les tribunaux canadiens

Les sites Web des ministères fédéraux de l’Environnement et des Pêches ainsi que des ministères de l’Environnement du Québec, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique mettent à la disposition du public de l’information sur les poursuites pénales entreprises et leurs résultats[151]. Ces renseignements montrent que l’Ontario est la province où les tribunaux imposent les amendes moyennes les plus élevées. En effet, la moyenne des amendes imposées, entre le 1er janvier 2006 et le 30 juin 2008, est de 53 654 dollars alors que les moyennes sont respectivement de 8 052 dollars et de 13 334 dollars au Québec et en Colombie-Britannique (voir tableaux 2 à 4). Soulignons que dans cette dernière province, le ministère de l’Environnement recourt davantage aux contraventions, dont le quantum varie de 115 à 575 dollars, plutôt qu’aux poursuites pénales.

Tableau 2

Quantum des pénalités pécuniaires imposées en vertu de l’Environmental Management Act de la Colombie-Britannique de 2006 à 2008*

Environmental Management Act

Nombre de poursuites

Nombre de poursuites où le tribunal a imposé une amende

Moyenne

($)

2006

4

4

31 125,00

2007

4

4

3 543,75

2008

3

3

2 666,67

Total

11

11 $

13 334,09

*

Les données sont à jour au 30 juin 2008 et incluent les poursuites entreprises pour des infractions aux règlements d’application de l’EMA.

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Tableau 3

Quantum des amendes imposées en vertu de la Loi sur la protection de l’environnement de l’Ontario de 2006 à 2008*

Loi sur la protection de l’environnement

Nombre de poursuites

Nombre de poursuites où le tribunal a imposé une amende

Moyenne

($)

2006

53

52

33 424,00

2007

36

35

47 457,00

2008

30

30

95 952,00

Total

119

117

53 654,73 

*

Les données sont à jour au 30 juin 2008 et incluent les poursuites entreprises pour des infractions aux règlements d’application de la LPE.

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 4

Quantum des amendes imposées en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement de Québec de 2006 à 2008*

Loi sur la qualité de l’environnement

Nombre de poursuites

Nombre de poursuites où le tribunal a imposé une amende

Moyenne

($)

2006

88

88

5 466,00

2007

85

85

8 967,00

2008

46

46

11 306,00

Total

219

219

8 051,50

*

Les données sont à jour au 30 juin 2008 et incluent les poursuites entreprises pour des infractions aux règlements d’application de la LQE.

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En Ontario, l’administration publique prévoit le recours au droit pénal pour punir plus sévèrement et fréquemment les contrevenants et elle n’hésite pas à le faire. Quant à la situation québécoise, durant la même période, la Couronne a entrepris une centaine de poursuites de plus qu’en Ontario, mais celles-ci ont abouti à l’imposition d’amendes généralement moins élevées.

Au fédéral, les amendes imposées en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) sont plus élevées et donnent lieu à davantage d’ordonnances créatives (voir tableau 1). L’information diffusée sur les activités d’application de la Loi sur les pêches illustre qu’elle a donné lieu à moins d’avertissements que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et à plus de poursuites pénales (voir tableau 5). De 2000 à 2005, les amendes versées dans le Fonds consolidé du revenu sont en moyenne moins élevées que les montants versés à un fonds destiné à l’environnement qui affiche une moyenne se situant à près de 50 000 dollars. Cette dernière s’approche de la moyenne ontarienne.

Bien que la loi environnementale encadre davantage le travail du juge au moment de la détermination de la peine et que les règles jurisprudentielles soient abondantes, la mesure de la peine appropriée soulève toujours des interrogations. En pratique, la jurisprudence n’a pas donné lieu à l’élaboration d’une échelle de peines graduant la gravité de l’inconduite environnementale. Bien que les tribunaux examinent les précédents avant d’imposer une peine, il n’existe pas de standards ni de normes de référence à partir desquels le juge du procès pourrait évaluer la peine appropriée. Les tribunaux ont plutôt rejeté l’à-propos de se référer à des standards. À ce sujet, la Cour d’appel de l’Alberta écrit ceci dans l’affaire R. v. Terroco Industries Ltd. :

I reject these forms of categorizations as they ignore the variety of factors that may be relevant to a fit sentence. A vast variety of substances may be spilled or released into the environment with harmful consequences to it or the public. The harm and potential harm will vary with every spill. Virtually every relevant sentencing factor is prone to variation. A fixed formula which accounts for the wide range of events and culpability of offenders is impossible to establish[152].

Il est manifeste que la multitude des variables en cause dans les affaires relatives à des infractions environnementales s’accompagne de l’imposition d’une diversité de peines. Par ailleurs, il nous apparaît qu’une interprétation judiciaire plus précise sur l’étalon de mesure que représente la peine supérieure au permis de polluer contribuerait à élever et à harmoniser les peines dissuasives et appropriées dans chaque cas.

Tableau 5

Mesures d’application de la loi adoptées en vertu de la Loi sur les pêches de 1998 à 2005*

Loi sur les pêches

Avertissements

Poursuites

Directives

Contraventions

Autres décisions**

Total

Pourcentage de poursuites entreprises par rapport au total des mesures d’application***

1998‑1999

34

3

9

-

223

269

1,1

1999‑2000

118

4

25

-

280

427

0,9

2000‑2001

125

8

26

-

1139

1298

0,6

2001‑2002

99

9

42

2

1252

1404

0,6

2002‑2003

110

19

39

2

ND

170

11,2

2003‑2004

251

22

47

-

ND

320

6,9

2004‑2005

190

13

31

 

ND

234

5,6

*

Ces données sont accessibles en ligne : Environnement Canada, Application de la loi. Rapports et statistiques, [En ligne], [www.ec.gc.ca/alef-ewe/default.asp?lang=Fr&n=5C63F879-1] (1er mai 2009).

**

La catégorie « Autres décisions » inclut les ordonnances ministérielles, les injonctions et les décisions de ne prendre aucune des mesures d’application prévues par la loi.

***

Les pourcentages des années 2002-2003 à 2004-2005 sont sujets à caution puisque Environnement Canada a cessé de publier le nombre de mesures d’application de la loi entrant dans la catégorie « Autres décisions ». Par conséquent, nous ne disposons pas du nombre total de mesures d’application adoptées annuellement, ce qui fausse le pourcentage final obtenu.

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En puisant dans les décisions judiciaires rapportées, nous illustrerons la façon dont les tribunaux canadiens appliquent les peines traditionnelles (3.2.1) et les ordonnances créatives (3.2.2) prévues pour les infractions environnementales. Toutefois, ce n’est qu’un aperçu, car l’ensemble des décisions judiciaires sur sentence en droit de l’environnement ne font pas l’objet de motifs écrits et de nombreuses ordonnances créatives ne sont pas imposées lorsque des mesures de réparation sont adoptées volontairement après l’infraction ou négociées derrière des portes closes avec les procureurs de l’État en marge du processus de détermination de la peine.

3.2.1 L’amende et l’emprisonnement

3.2.1.1 L’amende

L’amende est la sanction pénale pour laquelle les tribunaux canadiens optent le plus fréquemment[153]. Dans la jurisprudence rapportée et consultée, la majorité des amendes sont de moins de 50 000 dollars alors que les amendes maximales pour les infractions en cause étaient généralement de 1 million de dollars. L’amende maximale prévue par la loi est réservée aux pires contrevenants et cas d’espèce[154].

Dans l’ensemble, il est notable que, même lorsque les circonstances sont graves et que le tribunal estime qu’un contrevenant mérite une peine exemplaire, les amendes imposées s’approchent rarement du maximum législatif. Par exemple, dans l’affaire R. v. Alberta Public Works, la Cour provinciale de l’Alberta condamne une entreprise privée, comptant plus de 150 employés, à une amende de 40 000 dollars pour une infraction en matière de gestion des matières dangereuses sanctionnée par une amende maximale de 500 000 dollars[155]. L’amende imposée dans ce cas est peu élevée. Pourtant, le tribunal a jugé très sévèrement l’inconduite de l’entreprise, qui n’avait pas échantillonné les matières résiduelles contenant des BPC, en soulignant qu’elle aurait bien pu intentionnellement préférer ne pas connaître la présence de cette substance dangereuse : « They may choose to take the chance they will not be caught and dispose of the ballasts inappropriately. This poses huge risks for the handlers, the public at large and the environment. Penalties for taking such unacceptable risks must be unconditionally discouraged through appropriately harsh penalties[156]. »

Les décisions rapportées dans lesquelles des peines plus élevées que 50 000 dollars ont été imposées au Canada demeurent peu nombreuses. Elles font intervenir des facteurs aggravants, tels que l’émission de substances toxiques, des mises en danger, des contraventions délibérées et répétées, de grandes entreprises et des ententes sur sentence. Par exemple, dans l’affaire R. v. Sanders, l’accusé a été condamné à une amende de 5 000 dollars par jour d’infraction pour un total de 350 000 dollars pour avoir omis d’enlever les quelque 33 000 pneus enterrés illégalement sur sa propriété[157]. Dans l’affaire R. v. Chem-Security (Alberta) Ltd., l’entreprise s’est vu imposer une amende totale de 625 000 dollars composée d’une amende de 400 000 dollars pour un rejet important de substances toxiques (BPC, dioxines et furannes), de 125 000 dollars pour l’omission de rapporter l’événement et 100 000 dollars pour le retard dans la production des résultats des échantillonnages[158]. Par ailleurs, une amende de 140 000 dollars a été imposée, dans l’affaire R. v. Uniroyal Chemicals Co., à la suite d’émissions répétées de mauvaises odeurs dans l’environnement et portant atteinte au bien-être, au confort et à la libre jouissance de la propriété des personnes vivant dans le voisinage[159]. Dans un autre cas, le tribunal a imposé une amende de 240 000 dollars à une pétrolière pour des émissions de résidus de combustion de gaz ayant causé l’évacuation d’une trentaine de préposés dont plusieurs ont souffert d’inconfort et de malaises[160].

Qualifiant le cas de « cauchemar réglementaire », le tribunal impose, dans l’affaire Whitley, des amendes de 770 000 dollars et des peines d’emprisonnement aux contrevenants ayant violé intentionnellement la loi à de multiples reprises dans l’unique dessein d’augmenter leurs bénéfices. Pour le tribunal, en rejetant ses déchets dans le réseau public d’égout, sans les traiter, au lieu d’amorcer l’implantation de procédés longs et coûteux, l’entreprise démontrait ainsi un grave mépris des lois environnementales[161].

Au Canada, les exemples de « pires cas » sont peu nombreux et n’ont pas tous donné lieu à des motifs écrits. C’est le cas de la condamnation de la compagnie Tioxide Canada à payer la somme de 4 millions de dollars, soit 1 million en amende et 3 millions en travaux de restauration de l’habitat du poisson[162], et de la condamnation de la compagnie Tembec à payer une amende de 1 million de dollars pour 36 chefs d’accusation retenus en vertu du Règlement sur les fabriques de pâtes et papiers[163]. Dans ces deux affaires, chacune des entreprises visées a plaidé coupable et le tribunal a entériné la proposition de peine présentée par le poursuivant.

Enfin, dans l’affaire Québec (Procureur général) c. Services environnementaux Laidlaw (Mercier) ltée, la Cour supérieure, siégeant en appel de la sentence de 10 000 dollars imposée par la Cour du Québec, a condamné l’entreprise à l’amende maximale pour deux raisons. Tout d’abord, parce que la peine maximale de 50 000 dollars prévue lors de l’adoption du Règlement sur les déchets dangereux[164], en 1985, ne reflétait plus, en 1997, la réalité économique ni la gravité objective de l’infraction. Au procès, l’entreprise contrevenante avait un chiffre d’affaires de 10 millions de dollars et pour l’ensemble de ses filiales, le chiffre d’affaires s’élevait à 2,5 milliards de dollars. Par ailleurs, la peine prévue au Règlement allait être modifiée quelques jours plus tard pour porter l’amende maximale à 500 000 dollars. Le second motif justifiant l’imposition de l’amende maximale est lié à la gravité de l’infraction environnementale et au degré élevé de faute. Selon la Cour supérieure, le fait d’enfouir dans le sol des déchets dangereux durant de nombreuses années au lieu de les incinérer ou de les éliminer représente « une forme d’abus de confiance de la part de l’intimée envers la communauté environnante et les autorités gouvernementales qui lui avaient émis les permis d’exploitation[165] » pour laquelle il est « difficile d’imaginer un cas plus sérieux que la présente instance[166] ».

3.2.1.2 L’emprisonnement

Dans la jurisprudence canadienne, les condamnations à une peine d’emprisonnement imposée à des dirigeants d’entreprises délinquantes représentent généralement les « pires cas ». Il s’agit alors d’actes délibérés ou répétés où la mens rea est présente et devient le fondement principal de l’imposition d’une peine d’emprisonnement. Par exemple, dans l’affaire R. v. Varnicolor Chemichal Ltd., le directeur de l’entreprise a été condamné à neuf mois de prison pour son rôle dans l’exploitation et la gestion de l’entreprise, son absence de remords et sa connaissance des faits graves liés à l’infraction, à savoir l’émission de substances toxiques dans un cours d’eau alimentant plusieurs communautés[167]. Dans l’affaire R. v. Demacedo, le contrevenant avait agi de manière délibérée, planifiée et continue en transportant des huiles usées sans être titulaire des permis requis par la loi. Il a été condamné à 90 jours d’emprisonnement pour les dix chefs d’accusation portés contre lui[168]. Dans l’affaire R. v. Clarke Transport Canada inc., le directeur responsable de la santé et de la sécurité de l’entreprise a été condamné à 90 jours d’emprisonnement et à une amende de 2 500 dollars en remboursement des frais de nettoyage pour avoir incité l’entreprise à abandonner des déchets derrière un immeuble industriel afin d’économiser les 12 000 dollars demandés pour en disposer légalement. Le camionneur indépendant, recruté par le directeur, a été condamné à un emprisonnement de 10 jours et à une amende de 3 500 dollars[169]. Bien que la présence d’un état d’esprit criminellement blâmable puisse justifier la peine d’emprisonnement, cela ne signifie pas que l’emprisonnement soit toujours justifié lorsque la mens rea est présente[170].

Les antécédents judiciaires du contrevenant et des dommages graves à l’environnement ont également donné lieu à des peines d’emprisonnement[171]. Dans l’affaire Mota, par exemple, la Cour d’appel de l’Alberta n’a pas hésité à imposer la peine d’emprisonnement maximale, d’une durée de six mois, au vu des 160 condamnations antérieures similaires du contrevenant[172]. Dans une autre affaire, le dirigeant d’une entreprise de récupération de batteries a été condamné à une amende de 70 000 dollars et à 30 jours d’emprisonnement pour le dépôt sur le sol de 273 litres de déchets de batteries[173]. Dans l’affaire R. c. Wholesale Travel Group, la Cour suprême a souligné que la gravité potentielle des infractions environnementales justifiait les peines sévères comme l’emprisonnement :

Il n’est pas non plus abusif d’infliger une peine d’emprisonnement compte tenu du danger que les violations des lois de nature réglementaire peuvent représenter pour le public. Le spectre de tragédies qu’évoquent des noms tels thalidomide, Bhopal, Tchernobyl et Exxon Valdez ne laisse aucun doute quant aux dégâts que peut causer pour l’être humain et pour l’environnement la violation de mesures réglementaires. Des peines sévères, notamment l’emprisonnement, sont essentielles pour éviter que des catastrophes similaires ne se reproduisent. Les risques de préjudice grave découlant de la violation des mesures réglementaires sont trop grands pour que l’on puisse affirmer que l’emprisonnement ne peut jamais être utilisé comme sanction[174].

Le non-respect d’ordonnances judiciaires a aussi donné lieu à des outrages au tribunal punis par des peines d’emprisonnement. Dans l’affaire R. v. B.E.S.T. Plating Shoppe Ltd., après avoir été condamnée à 49 occasions, l’entreprise a contrevenu, de nouveau et à quatre reprises, à l’ordonnance judiciaire lui interdisant de continuer à contrevenir à la réglementation. Le tribunal a tenu compte du caractère répété des contraventions et de l’absence de remords et de reconnaissance de la responsabilité en imposant une amende de 100 000 dollars à la compagnie et un emprisonnement de six mois à son président pour sa connaissance des condamnations antérieures et pour n’avoir rien fait pour les éviter[175].

Enfin, dans d’autres affaires, le tribunal a ordonné l’emprisonnement à la suite d’une suggestion commune de la poursuite et de la défense ou à cause de l’incapacité du contrevenant à payer l’amende appropriée. Ainsi, dans l’affaire R. v. Young, le tribunal a imposé seulement une peine d’emprisonnement d’un mois contre le contrevenant qui avait plaidé coupable à l’infraction d’avoir disposé de 270 barils contenant des déchets industriels auprès d’une entreprise non autorisée à les transporter et qui les a déposés ensuite sur un site non autorisé à les recevoir[176]. Dans son document d’étude intitulé La détermination de la peine en droit de l’environnement, la Commission de réforme du droit du Canada recommandait l’emprisonnement dans ces cas, en soulignant que la période n’a pas à être longue « pour punir et dissuader le contrevenant d’une façon efficace, pour éviter la banalisation de l’infraction découlant d’une amende insignifiante et pour faire sentir au grand public l’opprobre que le tribunal associe à l’infraction[177] ». Enfin, l’emprisonnement peut aussi se substituer à l’amende par l’effet de la loi lorsque le contrevenant est en défaut de payer l’amende[178].

3.2.2 Quelques ordonnances judiciaires prononcées

Les ordonnances judiciaires dites « créatives » sont de plus en plus souvent imposées dans les décisions sur sentence pour des infractions à la législation environnementale canadienne. Certaines se fondent davantage sur la réprobation et la dissuasion, alors que d’autres privilégient les objectifs pénologiques de réparation, de prévention et de conscientisation.

Malgré l’augmentation des ordonnances judiciaires, les exemples demeurent encore peu nombreux dans la jurisprudence rapportée et n’offrent pas toutes les réponses aux questions soulevées par leur application[179]. La Cour d’appel de l’Ontario a néanmoins eu l’occasion de préciser que les ordonnances sont personnelles et ne doivent pas produire d’effets punitifs sur les tiers[180]. De plus, la Cour d’appel de Terre-Neuve retient que l’amende additionnelle peut être soustraite du montant de l’amende pour former ensemble la peine appropriée[181].

Les ordonnances judiciaires pécuniaires sont en forte croissance, surtout celles qui ordonnent de verser une somme à un fonds spécialisé ou à un organisme pour réaliser des projets de promotion, de protection ou de restauration de l’environnement. Au total, les sommes imposées aux contrevenants sont plus élevées lorsqu’une portion importante de la somme est versée dans un fonds destiné à l’exécution de travaux de restauration[182]. Ces pratiques, surtout lorsque l’ordonnance concerne la remise en état des lieux et le coût de restauration, paraissent performantes en fait de conformité et de dissuasion, car la prévention devient alors nettement plus économique pour le contrevenant qu’une ordonnance judiciaire. Il convient de distinguer ces ordonnances de l’amende, dont une partie est versée dans un fonds public destiné à la protection de l’environnement ; dans ce dernier cas, le montant de l’amende ne représente pas le coût de la remise en état et n’est pas entièrement destinée à la restauration de l’environnement.

En matière patrimoniale, des ordonnances de confiscation ont été imposées. Après avoir conclu que l’ordonnance de confiscation ne représente pas une peine cruelle et inusitée contraire à l’article 12 de la Charte canadienne, le tribunal a ordonné, dans l’affaire R. v. Spence, la confiscation de l’hydravion ayant servi aux activités illégales de chasse[183]. Dans l’affaire R. v. Perrot, en raison de l’acquittement pour cause d’erreur de droit raisonnable quant aux limites du secteur de pêche, le tribunal a accordé au défendeur les deux tiers du produit de l’aliénation de la pêche illégale, représentant les frais engagés de bonne foi dans l’activité qui s’est révélée illégale[184]. Quant à l’amende additionnelle, elle est maintenant fréquemment imposée pour des infractions à la Loi sur les pêches. Elle possède un fort pouvoir dissuasif lorsque l’infraction a été commise dans l’intention de profiter financièrement de la violation puisqu’elle permet de retirer au contrevenant tout bénéfice découlant de la commission de l’infraction[185].

Dans la catégorie des mesures d’ordre moral, citons la décision R. v. N.W.T. Power Corp., où l’ordonnance de publier des excuses publiques a été déclarée illégale par le tribunal siégeant en appel de la sentence. L’article 79.2 de la Loi sur les pêches n’étant pas en vigueur à l’époque, aucune habilitation n’autorisait le tribunal de première instance à imposer cette ordonnance. De plus, même si l’article 79.2 avait été en vigueur, l’ordonnance de publication aurait dû se limiter aux « faits liés à la perpétration de l’infraction » (art. 79.2 (c)) au lieu des excuses publiques générales. D’autre part, l’ordonnance de publication nomme illégalement des directeurs et des administrateurs de l’entreprise qui n’ont pas été poursuivis ni trouvés coupables des infractions alléguées dans les excuses publiques[186].

Enfin, la jurisprudence offre également des exemples d’ordonnances concernant des mesures préventives qui sont généralement imposées en vertu de l’ordonnance résiduelle[187]. C’est le cas des décisions ayant ordonné à des entreprises contrevenantes d’adopter un système de gestion environnemental certifié ISO 14 001[188].

En définitive, malgré l’importance des ordonnances de remise en état des lieux dans la législation environnementale, la jurisprudence rapportée offre encore peu d’exemples. Au Québec, le tribunal est autorisé par l’article 109.1.1 de la Loi sur la qualité de l’environnement à imposer « toutes les mesures nécessaires afin de remettre les choses dans l’état où elles étaient avant que la cause de l’infraction ne se produise ». L’objectif « de remettre les choses dans l’état où elles étaient avant […] la cause de l’infraction » est fort précis et cela peut compliquer l’administration de l’ordonnance de réparation au point de la rendre difficilement applicable dans le processus pénal. Le libellé de l’ordonnance de remise en état est, dans la majorité des lois étudiées, moins restrictif et accorde au tribunal le pouvoir d’ordonner au contrevenant de prendre toute mesure qu’il considère comme appropriée pour remédier ou prévenir le dommage à l’environnement découlant ou risquant de découler de l’infraction[189]. Aussi, il n’est pas étonnant de constater qu’ailleurs au Canada les tribunaux ont prononcé plus d’ordonnances de remise en état[190].

Conclusion

Au Canada, le droit pénal de l’environnement assure plusieurs fonctions : il garantit le caractère obligatoire des lois destinées à la protection de l’environnement, il en prévient les infractions lorsqu’il est suffisamment contraignant et il exprime que l’environnement est une valeur fondamentale de la société canadienne. Pour remplir ces fonctions, le législateur, l’administration publique et les tribunaux judiciaires sont appelés à intervenir afin de soutenir son effectivité et d’envoyer un message clair que les atteintes à l’environnement sont contraires à l’intérêt général. Les développements du droit touchant la sanction et la détermination de la peine pour les infractions environnementales montrent que son apparence redoutable est malmenée par une mise en application peu redoutée.

Aujourd’hui, les lois concernant la protection de l’environnement offrent un large éventail de peines retenant, en premier lieu, des mesures de nature économique fondées principalement sur des amendes assez élevées pour dissuader les administrés de commettre une grande variété de délits environnementaux. La multiplication des pouvoirs d’ordonnances judiciaires dites « créatives » est notable dans les lois canadiennes étudiées ; elle accentue l’objectif de la réparation au moment du prononcé de la peine appropriée. Les meilleurs exemples de pouvoirs d’ordonnance, notamment en matière de prévention et de réparation des atteintes à l’environnement, de travaux communautaires et d’intérêts collectifs, se trouvent dans les lois révisées récemment. Les lois dont le régime des peines n’a pas été révisé récemment, comme celui de la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec, offrent peu de latitude au tribunal pour imposer des ordonnances et devraient être modifiées pour introduire des pouvoirs d’ordonnance larges et souples.

Est également notable l’introduction dans les lois environnementales de facteurs aggravants et atténuants destinés à encadrer le travail du juge au moment de la détermination de la peine appropriée. Cette tendance devrait être empruntée par les autres provinces canadiennes en vue d’harmoniser et de relever le quantum des peines au Canada. En théorie, les amendes maximales prévues dans les lois et les coûts associés aux ordonnances judiciaires sont assez élevés pour dénoncer le caractère grave des atteintes à l’environnement et dissuader les administrés de transgresser les lois environnementales.

Toutefois, l’application des lois environnementales par l’administration publique canadienne vient gêner l’atteinte des objectifs de la sanction pénale. En effet, bien qu’il soit établi que la certitude d’être poursuivi et puni inspire beaucoup plus de crainte aux contrevenants potentiels que la sévérité éventuelle de la sanction, l’administration publique, dans ses politiques d’application de la loi, n’accorde priorité à la poursuite pénale que pour les infractions intentionnelles ou aux conséquences graves, lui préférant dans les autres cas la négociation, l’avertissement ou la contravention. En revanche, la politique d’application de la loi de l’Ontario accorde une place prépondérante à la poursuite pénale, ce qui se reflète dans les statistiques en matière d’application de la loi.

Quant aux tribunaux judiciaires, ils ont un impact direct sur l’effectivité du régime pénal, car leurs décisions mettent à l’épreuve sa capacité à soutenir le caractère obligatoire de la loi, à jouer un rôle préventif et à énoncer clairement que l’environnement est une valeur fondamentale de la société canadienne. Les décisions judiciaires sont d’autant plus importantes que les politiques d’application des lois au Canada retiennent peu la sanction pénale comme moyen d’assurer la conformité avec les lois environnementales.

Dans l’ensemble, les principes et les règles de détermination de la peine élaborés par les tribunaux témoignent d’une sensibilité à l’égard de la qualité de l’environnement. En effet, la jurisprudence canadienne retient depuis le début une approche particulière pour les infractions environnementales, laquelle accorde une attention soutenue à l’objectif lié à la dissuasion ainsi qu’à une série de facteurs permettant d’évaluer la gravité de l’atteinte à l’environnement et la responsabilité des personnes morales. Suivant la jurisprudence, la peine doit être suffisamment élevée pour ne pas être considérée comme un permis de polluer.

L’évolution des lois et des règles élaborées par les tribunaux affirme le caractère grave des infractions environnementales et le fait qu’elles doivent être sévèrement punies pour ne pas être perçues comme un permis de polluer par les administrés et pour les dissuader de transgresser la loi. En apparence redoutable, l’arsenal répressif des lois concernant la protection de l’environnement demeure d’une efficacité relative, car les peines imposées tous les jours par les tribunaux sont peu élevées, alors qu’en amont la probabilité que des poursuites pénales soient entreprises par les autorités publiques est mince. Ces circonstances n’envoient pas aux administrés un message clair que les comportements non respectueux de la qualité environnementale ne sont pas tolérés.

Bien que notre étude ne permette pas de fixer avec exactitude le quantum des peines imposées pour des infractions environnementales au Canada, il ressort néanmoins que l’amende domine toujours les décisions sur sentence et que, à l’exception de la situation dans la province de l’Ontario, les peines imposées sont peu élevées. La référence au seuil de répression souhaitée, à savoir la peine qui soit « plus qu’un permis de polluer », n’apparaît pas jouer pleinement son rôle. Cette référence est constamment reprise par les tribunaux depuis près de 40 ans certes, mais ils n’y font pas autrement allusion au moment du prononcé de la peine, pas plus qu’ils ne l’utilisent à titre de seuil chiffré à partir duquel serait mesurée la peine appropriée.

En plus des amendes, les tribunaux ont aussi imposé des peines d’emprisonnement à des dirigeants d’entreprise récalcitrants et dans des affaires entrant dans la catégorie des « pires cas ». Les décisions rapportées illustrent que les tribunaux imposent maintenant plus fréquemment des ordonnances. Les plus nombreuses concernent le dépôt d’une partie de la peine monétaire dans un fonds consacré au financement d’activités de recherche, de restauration et de protection de l’environnement. Cependant, les possibilités qu’offrent les pouvoirs liés aux ordonnances judiciaires n’ont pas encore été pleinement explorées. C’est le cas, en particulier, des ordonnances de réparation et de compensation environnementale.

En définitive, les peines imposées au Canada ne représentent pas actuellement un risque financier important pour les administrés tentés de louvoyer avec leurs obligations environnementales. Ces dernières étant peu utilisées et les infractions faiblement punies, il n’est pas manifeste que les poursuites pénales réussissent à atteindre l’objectif lié à la dissuasion individuelle et générale retenu par les tribunaux et à participer à la promotion de la conformité aux obligations législatives de protection environnementale[191]. À notre avis, pour être appropriées, dans un système où les activités d’application des lois environnementales sont peu nombreuses, les peines devraient être plus élevées pour avoir un effet dissuasif sur le groupe de personnes visées par la norme. Moins les probabilités de faire l’objet d’une poursuite pénale sont élevées, plus élevées devraient être les peines pour en promouvoir le respect.