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Longtemps, le droit pénal lato sensu a été, avec la police, la monnaie et les affaires étrangères, un attribut de la souveraineté nationale. Chaque État était maître chez lui et notamment bâtissait son propre système pénal à sa guise et selon ses propres traditions juridiques et culturelles. On ne saurait certes affirmer pour autant, en ces temps anciens, qu’un législateur national ne pouvait pas, le cas échéant, s’inspirer d’un autre législateur. Voici plus de deux siècles, la France « importait » le jury d’Angleterre[1] et en même temps « exportait » le juge d’instruction dans presque toute l’Europe continentale jusqu’à la lointaine Russie. Mais ces mouvements s’effectuaient entre deux pays et sans la moindre intervention d’un organe supranational. Si des rapprochements entre pays pouvaient se produire, le phénomène s’effectuait sans un plan rationnel et concerté, pensé sur des points précis par des États considérés comme des entités maîtresses de leur destinée. Point de rapprochements véritables entre États donc. L’approche était nationale, sinon nationaliste. Le grand comparatiste Gutteridge était prêt « à concéder que l’unification du droit criminel [était] impossible ou que, si même elle [était] possible, elle [était] indésirable[2] ». Et, sans qu’il l’ait écrit expressément, l’auteur anglais pensait probablement que des rapprochements des procédures pénales seraient plus malaisés encore à réaliser que pour le droit de fond.

Or depuis plusieurs décennies, certains facteurs sont apparus qui invitent à relativiser sérieusement cette vision étroite. Parmi ces facteurs, on signalera la multiplication des congrès internationaux qui conduisent les pénalistes de chaque pays à prendre en considération le système de leurs collègues étrangers[3]. Cela est d’autant plus évident que souvent ces manifestations internationales sont clôturées par l’établissement de motions ou recommandations à l’intention des gouvernants et des organisations internationales[4]. Là n’est cependant pas l’essentiel, car un second facteur est intervenu, soit le surgissement d’une criminalité internationale organisée apparue à partir des années 50. Par le fait même de sa gravité — terrorisme, trafic de drogue, proxénétisme, corruption notamment — et de son caractère transfrontalier, cette nouvelle forme de criminalité appelle inévitablement les États à des rapprochements de leurs législations et de leurs pratiques. On lutte mieux à plusieurs qu’en ordre dispersé. Déjà en 1928, H. Donnedieu de Vabres avait prophétiquement annoncé qu’à l’internationalisation du crime devait répondre l’internationalisation de la répression. Comment se présente ce pluralisme juridique de l’internationalisation de la répression ? Telle est l’une des grandes questions qui se posent aujourd’hui aux pénalistes, ce qui explique le grand développement de la littérature en droit pénal international.

Dans la présente étude, on se limitera au continent européen[5]. La question est donc de savoir s’il y a une européanisation des normes pénales nationales des États européens et dans l’affirmative quels en sont les contours. En vue notamment de faciliter la lutte contre la criminalité transnationale organisée, les autorités européennes ont développé un processus de rapprochement des systèmes nationaux. Et ce rapprochement est double. Il se traduit d’abord par le développement de la coopération interétatique : les États doivent s’entraider dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée qui, par nature, les concerne tous puisqu’elle se joue des frontières en les ignorant. De là une longue théorie de textes européens, (conventions du Conseil de l’Europe et décisions-cadres de l’Union européenne)[6]. C’est la première forme de l’européanisation, qui concerne le fonctionnement de la justice pénale. Mais il en existe une seconde qui touche aux législations pénales elles-mêmes. Il faut considérer en effet que la coopération implique une certaine proximité des législations nationales, qu’il s’agisse de la procédure ou du droit de fond[7]. Le Traité d’Amsterdam de 1997 le dit clairement[8]. Son article 31 (1) rappelle que « [l]’action en commun dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale vise [à] c) assurer, dans la mesure nécessaire à l’amélioration de cette coopération, la compatibilité des règles applicables dans les États membres » et à « e) adopter progressivement des mesures instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ». Et l’article 34 (2) (b) ajoute que le Conseil de l’Union européenne arrête des décisions-cadres « aux fins du rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres ». Coopération (ou entraide) entre les justices des États et harmonisation entre les droits des États, tels sont donc les deux aspects de l’européanisation des normes pénales nationales dont on va décrire les grandes lignes.

1 La coopération entre les justices des États

1.1 Le point de départ de cette coopération

Le point de départ de cette coopération est constituée par les conventions européennes du Conseil de l’Europe sur l’extradition (1957)[9] et sur l’entraide judiciaire (1959)[10]. Suivront à un rythme rapide un grand nombre d’autres conventions[11]. À partir de 1992, apparaît l’Union européenne (Traité de Maastricht[12]), cette seconde entité européenne qui va produire une seconde série d’instruments comme les conventions, les actions communes et surtout les décisions-cadres[13]. Comme tous les États ratifient ou transposent tous les instruments, ils se trouvent liés les uns aux autres comme les pierres d’un même mur.

Ces deux ensembles textuels évoluent parallèlement, mais ne sont pas sans rapports. Un texte du Conseil de l’Europe peut citer un texte de l’Union européenne et réciproquement. Ainsi, la convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre États membres de l’Union européenne entend « compléter la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959[14] » du Conseil de l’Europe. On a parfois l’impression d’une véritable concurrence entre les deux Europes dont les instruments ont le même objet et utilisent parfois même les mêmes expressions. Les juristes non européens doivent trouver leurs collègues européens bien compliqués en ayant imaginé deux Europes !

Malgré tout, la coopération est plus intense avec les instruments de l’Union européenne qu’avec ceux du Conseil de l’Europe : d’abord, car l’Union européenne a créé des institutions originales et, ensuite, car elle a inventé un concept particulier et de la plus haute portée, celui de la reconnaissance mutuelle des décisions nationales de justice.

1.2 Des institutions originales

L’Union européenne, plus intégrée que le Conseil de l’Europe, a créé divers organes de coopération, destinés à faciliter le fonctionnement des conventions et décisions-cadres. On citera les magistrats de liaison[15], le réseau judiciaire européen[16] et surtout ces deux institutions phares que sont Europol et Eurojust, tous deux implantés à La Haye et tous deux soumis au principe de subsidiarité quant à leur compétence, ce qui signifie qu’ils ne connaissent que d’une criminalité ne pouvant être appréhendée correctement par les autorités nationales.

1.2.1 Europol

Europol (Office européen de police) a été créé par une convention du 26 juillet 1995[17]. Il a pour objet « d’améliorer la coopération policière dans les domaines du terrorisme, du trafic illicite de drogues et d’autres formes graves de la criminalité internationale par un échange d’informations permanent, sûr et intensif entre Europol et les unités nationales des États membres[18] ». De façon plus précise, Europol est un organisme qui rassemble des renseignements et qui, par l’intermédiaire des unités nationales, communique aux États membres les données qui les concernent et les informe des liens constatés entre des faits délictueux. Ces unités nationales constituent l’organe de liaison entre Europol et les services nationaux compétents. Ces unités fournissent à Europol, de leur propre initiative, les informations qui lui sont nécessaires pour accomplir ses missions et, en outre, répondent aux demandes d’information formulées par Europol.

De tout cela il résulte qu’Europol est une sorte d’agence de renseignements en matière criminelle, mais pas un organe de police autonome. L’Union européenne n’a pas voulu se doter d’une espèce de FBI à l’américaine, qui aurait procédé comme lui à des enquêtes de terrain. Cette solution, séduisante à première vue, aurait présenté certains inconvénients majeurs : d’abord, à cause d’un risque de concurrence (conflits de compétence) entre la police européenne et les polices nationales ; ensuite, à cause d’une probabilité de voir surgir des susceptibilités nationales (réflexe souverainiste, légitime d’ailleurs). Il n’est pas exclu cependant que, dans quelques années, apparaisse pour des affaires très graves une police européenne. Ce qui invite à l’imaginer, c’est que l’article 30 (2) (a) TUE Amsterdam décide qu’Europol peut faciliter et appuyer des enquêtes menées par les polices nationales, « y compris des actions opérationnelles d’équipes conjointes, comprenant des représentants d’Europol à titre d’appui ». Faut-il rappeler que ces équipes conjointes — dites aussi équipes communes d’enquête — comprennent des policiers de deux États au moins et sont constituées pour un temps déterminé et pour une affaire ou une série d’affaires déterminées[19] ? Mais il est vrai que ces équipes sont dirigées par un policier de l’État sur le territoire duquel elles opèrent. Et il est vrai aussi que les représentants d’Europol n’agissent qu’à « titre d’appui », ce qui semble exclure que ces agents auditionnent, perquisitionnent ou interpellent[20]. L’article 88 (1) du futur Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[21] indique d’abord que la mission d’Europol « est d’appuyer et de renforcer l’action des autorités policières et des autres services répressifs des États membres » et surtout ajoute en son paragraphe 2 que le Parlement européen et le Conseil déterminent les tâches d’Europol, lesquelles « peuvent comprendre […] b) la coordination, l’organisation et la réalisation d’enquêtes et d’actions opérationnelles, menées conjointement avec les autorités compétentes des États membres ou dans le cadre d’équipes conjointes d’enquête, le cas échéant en liaison avec Eurojust ».

1.2.2 Eurojust

De son côté, Eurojust a été institué par décision du Conseil du 28 février 2002[22], modifiée par celle du 16 décembre 2008[23]. Il est compétent pour le même type de criminalité qu’Europol et il l’est en outre pour la criminalité informatique, la fraude et la corruption et toute infraction pénale touchant aux intérêts financiers de la Communauté européenne, le blanchiment des produits du crime, la criminalité en matière d’environnement et la participation à une organisation criminelle. Composé de membres du parquet, de juges ou d’officiers de police (dont le mandat est au moins de quatre ans), Eurojust a notamment pour objet « de promouvoir et d’améliorer la coordination entre les autorités compétentes des États membres concernant des enquêtes et des poursuites dans les États membres, en tenant compte de toute demande émanant d’une autorité compétente d’un État membre et de toute information fournie par un organe compétent » (art. 3 (1) (a)). Le champ de compétence d’Eurojust recouvre les types de criminalité et les infractions pour lesquels Europol est lui-même compétent en application de l’article 2 de la Convention du 26 juillet 1995 créant Europol (art. 4) : il s’agit essentiellement de la criminalité organisée.

Les articles 6 et 7 précisent les choses. Eurojust, agissant par l’intermédiaire d’un de ses membres nationaux (art. 6) ou agissant en tant que collège (art. 7), peut demander aux États membres « i) d’entreprendre une enquête ou des poursuites sur des faits précis ; ii) d’accepter que l’[un] d’entre [eux] puisse être mieux [placé] pour entreprendre une enquête ou des poursuites sur des faits précis ; iii) de réaliser une coordination entre les autorités compétentes des États membres concernés ; iv) de mettre en place une équipe d’enquête commune[24] ». En clair, voilà un organe européen qui sollicite un État pour faire ou ne pas faire des actes intéressant la justice pénale.

La décision du 16 décembre 2008, « dans les cas d’urgence », a créé un dispositif permanent de coordination (DPC) s’appuyant sur un représentant national qui doit pouvoir intervenir « 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 » (art. 5 bis). Le DPC est compétent pour l’exécution d’une demande de coopération judiciaire et pour des décisions judiciaires donnant effet au principe de reconnaissance mutuelle dont on parlera bientôt. En outre, les États membres veillent à ce que leur membre national soit informé dans les meilleurs délais de tout dossier concernant au moins trois États et pour lesquels des demandes nationales de coopération et des décisions donnant lieu à l’application du principe de reconnaissance mutuelle ont été transmises à au moins deux États membres ; cette disposition s’applique à des infractions graves énumérées (comme l’exploitation sexuelle des enfants, le trafic de drogue, le blanchiment…) et si des éléments factuels indiquent qu’une organisation criminelle est impliquée (art. 13 de la décision de 2002 modifiée par celle de 2008). Ces deux séries de dispositions devraient améliorer encore la coopération.

On doit bien comprendre qu’Eurojust est un « conseiller » des autorités judiciaires nationales dès que deux États au moins sont concernés lors d’une affaire pénale. Mais Eurojust n’est pas un décideur : il ne peut notamment obliger un État à se dessaisir au profit d’un autre ni lui ordonner une poursuite. Cependant, le poids moral d’Eurojust est considérable en fait. Bref, la philosophie ayant animé les concepteurs d’Eurojust est la même que pour Europol. Les souverainetés sont respectées.

Pourtant, cette affirmation risque de perdre une partie de sa force dans les années à venir avec les articles 85 et 86 du Traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’Union européenne[25], dès que celui-ci sera entré en vigueur. Selon l’article 85, qui commence par rappeler qu’Eurojust appuie et renforce « la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres », le Parlement européen et le Conseil en fixant les tâches d’Eurojust peuvent prévoir « le déclenchement d’enquêtes pénales ainsi que la proposition de déclenchement de poursuites conduites par les autorités nationales compétentes, en particulier celles relatives à des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union » (art. 85 (1) (a))[26]. Ainsi Eurojust pourra ordonner des enquêtes, ce qui est impossible actuellement. L’article 86 va plus loin encore pour les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union : en effet, le Conseil, statuant selon une procédure législative spéciale, « peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust ». Ce dernier pourrait donc se transformer en parquet qui sera « compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement […] les auteurs et complices [de ces infractions et il exercera] devant les juridictions compétentes des États membres l’action publique relative à ces infractions ». Cette fois l’européanisation va très loin puisqu’un organe européen peut déclencher une poursuite sans la demander aux États concernés et même jouer le rôle de parquet devant les juridictions nationales. Par exemple, un procureur européen pourra fonctionner auprès d’un tribunal belge. Notons que l’action publique s’exercera cependant devant les juridictions nationales, compétentes par conséquent pour prononcer une condamnation[27]. Tel était déjà le schéma proposé par le Corpus juris en 1990[28]. Comme on le voit, il n’est pas question de créer une juridiction spéciale européenne. Cela pourrait peut-être s’imaginer un jour. Mais il n’est pas certain que l’idée soit bonne. Laissons aux États certains pouvoirs.

Ce qui est très possible en revanche c’est que la compétence du parquet européen soit un jour étendue à d’autres infractions que la fraude communautaire. Ce délit n’est en effet pas plus grave que certains autres (comme un gros trafic de drogue transfrontalier) qui n’ont pas « droit » à un traitement européen. Mais nous n’en sommes pas encore là !

Cela dit, la coopération pénale est déjà bien en marche avec Europol et Eurojust notamment. Or elle va plus loin encore avec la considération d’un principe original, propre à l’Union européenne, celui de la reconnaissance mutuelle des décisions nationales de la justice pénale.

1.3 Le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice

Ce principe essentiel implique que les décisions prises par le juge d’un État membre soient exécutées directement et immédiatement par le juge d’un autre État membre sans que ce dernier procède à un contrôle approfondi de la décision émanant de son collègue.

Cette notion évoquée lors du Conseil européen de Cardiff les 15 et 16 juin 1998 devait être consacrée magistralement lors du Conseil européen de Tampere (Finlande, les 15 et 16 octobre 1999). Le point 33 des Conclusions de la Présidence de ce conseil indique que « [l]e Conseil européen approuve donc le principe de reconnaissance mutuelle, qui, selon lui, devrait devenir la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l’Union. Le principe devrait s’appliquer tant aux jugements qu’aux autres décisions émanant des autorités judiciaires[29]. » Ces idées sont confirmées lors du Conseil européen de Bruxelles des 4 et 5 novembre 2004, dit « programme de La Haye. Renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne[30] ». On rappellera le point 3.3.1 qui confirme ou apporte certaines précisions. Il y est dit notamment que le principe de reconnaissance mutuelle « englobe les décisions judiciaires prises à tous les stades de la procédure pénale ou portant sur une question liée à ces procédures, telles que l’obtention et la recevabilité de preuves, les conflits de compétence et le principe non bis in idem ainsi que l’exécution des condamnations définitives à des peines d’emprisonnement ou à d’autres peines (de substitution) » ; sont évoqués aussi « [l]es registres nationaux des condamnations et déchéances, notamment celles concernant les délinquants sexuels », allusion transparente à l’échange des condamnations figurant au casier judiciaire.

On aura compris que ce principe suppose une confiance des États de l’Union dans la justice de leurs partenaires. La confiance ne résulte pas de la simple appartenance de l’État partenaire à l’Union européenne. Elle est une notion dynamique. Elle l’est non seulement par le comportement des magistrats, mais elle l’est aussi par l’activisme (au bon sens du mot) des autorités européennes.

Faut-il rappeler en effet que, depuis quelques années, les décisions-cadres se multiplient, qui consacrent ce principe plein d’avenir. Donnons quelques exemples.

Le cas qui reste pour l’heure le plus célèbre est la décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d’arrêt européen[31]. Sans entrer dans les détails, on rappellera que l’État d’émission adresse à l’État d’exécution un mandat d’arrêt aux fins d’arrestation de la personne demeurant sur le territoire de ce dernier. Il s’agit donc d’une variante de l’extradition, à ceci près cependant que l’État d’exécution doit livrer la personne même si elle possède la nationalité de ce dernier et dans un délai inférieur en principe à 90 jours, et enfin pour une liste d’infractions graves sans exigence de la réciprocité d’incrimination. En revanche, selon la Convention européenne d’extradition (1957)[32], l’État sollicité pouvait ne pas livrer ses nationaux, n’était enserré dans aucun délai et pouvait ne pas remettre la personne s’il n’incriminait pas lui-même le fait fondant la requête. L’assouplissement des conditions de la remise avec le mandat d’arrêt européen a pour objet de faciliter celle-ci, ce qui prouve bien que les États se font confiance[33].

À la suite de la transposition de cette décision-cadre dans les droits nationaux, il y a bien eu quelques oppositions. Ainsi, certaines cours constitutionnelles déclaraient le nouvel instrument non conforme à la Constitution quand celle-ci excluait la remise d’un national. La loi polonaise de transposition fut annulée par le Tribunal suprême le 27 avril 2005 et celle votée par le législateur allemand le fut par la Cour constitutionnelle fédérale le 27 juillet 2005[34]. Mais intervient dans les deux cas le législateur constitutionnel qui retoucha la Constitution afin de permettre la remise d’un national. Ce détail prouve bien que la coopération et donc l’européanisation sont bel et bien en plein développement.

Second exemple : à partir du Livre vert sur la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle présentencielles non privatives de liberté[35] a été élaborée une décision-cadre du 28 novembre 2008[36]. Il s’agit de faire face au surpeuplement carcéral résultant de la fréquence de la détention provisoire. Car il est évident que les suspects non-résidents dans le pays où se déroule une procédure pénale ne font guère l’objet de mesures non privatives de liberté[37]. Les magistrats ont donc tendance, pour s’assurer de leur représentation en justice, à les placer en détention provisoire. Ainsi, par l’effet de cette décision-cadre, l’incarcération d’un résident est remplacée par une mesure non privative de liberté s’exécutant dans son pays. Et cette décision judiciaire va s’imposer à l’État de résidence du suspect qui devra en assurer l’exécution. La décision de contrôle est assez souple, sauf à noter deux obligations impératives : l’obligation pour le suspect de prendre toutes les mesures propres à garantir sa comparution et celle de ne pas entraver l’exercice de la justice ou de ne pas se livrer à une activité criminelle. L’État membre de résidence du suspect, qui assure le contrôle de ce dernier, doit signaler tout manquement à l’autorité judiciaire d’émission qui peut, le cas échéant, décider de l’arrestation et du transfert de l’intéressé.

On donnera un dernier exemple avec le mandat européen d’obtention de preuve (décision-cadre du 18 décembre 2008[38]). Le but d’un tel mandat est d’obtenir des objets, des documents et des données d’un autre État membre (dit État d’exécution) qui seront utilisés dans le cadre d’une procédure dans l’État d’émission. Détail important venant limiter le domaine de la coopération, le mandat d’obtention de preuve ne peut être émis qu’en vue de l’obtention d’une preuve qui existe déjà sur le territoire de l’État d’exécution. Il pourra s’agir par exemple de l’instrument du crime ou d’un document pouvant être obtenu par une saisie consécutive à une perquisition. Le mandat est donc a contrario exclu dans les cas suivants : interrogatoire d’un suspect et déposition d’un témoin ou d’une victime ; prise d’échantillon d’ADN sur le corps d’une personne ou prise d’empreintes digitales ; interception de communications téléphoniques ou surveillance de comptes bancaires ; expertise. À la vérité, ce mandat a donné lieu à beaucoup de discussions au sein du Conseil. Trois propositions de décision-cadre ont été écrites (2003, 2006 et 2007) avant qu’ait été adoptée la décision-cadre du 18 décembre 2008[39].

Bien évidemment, ces mandats respectent les droits fondamentaux de l’individu, ces droits qui sont une constante du droit européen[40], qui sont régulièrement rappelés dans les divers instruments et qui traduisent le rapprochement et donc l’harmonisation des droits nationaux.

2 L’harmonisation entre les droits des États

2.1 L’harmonisation, complément de la coopération

L’harmonisation est le complément de la coopération. Il ne s’agit pas de garantir une unification des normes pour tous les États européens, ce qui conduirait à un droit pénal fédéral[41]. Certes cette conception avait été proposée début 2005 par la présidence néerlandaise de l’Union européenne. Aurait été créée une véritable justice pénale européenne avec des textes de droit pénal matériel et procédural, avec des organes d’enquête, de poursuite et de jugement. Ce système européen aurait cohabité avec les justices nationales et aurait été compétent pour les affaires graves et transnationales. Mais une telle conception présentait bien des dangers. Elle heurtait le principe de subsidiarité et les cultures juridiques nationales[42]. Comme l’a écrit un auteur, « [o]n sait, en effet, que seule une sanction, reconnue, par la collectivité, comme juste par rapport à l’acte illicite pour lequel elle est prévue, peut remplir pleinement la fonction de prévention générale positive, c’est-à-dire la fonction d’orientation des citoyens et de renforcement du système des valeurs protégées[43] ». En outre, ce système européen aurait dû malgré tout collaborer avec les autorités policières et judiciaires nationales. On comprendra donc que l’idée d’un système fédéral cohabitant avec les justices nationales n’ait pas été retenue[44].

Dès lors, faute d’unification (le rêve impossible et dangereux), les autorités européennes s’en tiennent à une position plus réaliste, celle d’une harmonisation (dite parfois uniformisation), faite de rapprochements significatifs entre les droits nationaux afin de les rendre compatibles entre eux. Cette harmonisation peut se fonder sur quelques définitions admises par tous les États et surtout sur des principes directeurs communs. L’harmonisation est l’évitement de ce grave écueil qu’est l’incompatibilité des droits nationaux entre eux. L’harmonisation doit concilier les impératifs de la coopération et la sauvegarde des identités juridiques nationales. C’est dire qu’elle se conçoit mieux et est plus forte en droit pénal matériel qu’en procédure, assez rebelle à un nivellement poussé[45].

2.2 Le droit pénal matériel

Le droit pénal matériel se subdivise en un droit pénal général et en un droit pénal spécial.

2.2.1 Le droit pénal général

En droit pénal général de l’infraction, la question de l’harmonisation ne se pose guère, car, déjà dans une large mesure, les concepts sont les mêmes. Tous les codes nationaux connaissent le principe de la légalité criminelle. Les définitions de l’intention, de l’imprudence, de la tentative, de la complicité, de la causalité, etc., sont à peu près les mêmes[46], et il ne paraît pas nécessaire de procéder à des efforts en vue d’une harmonisation déjà largement faite. Il en résulte qu’un code pénal européen — partie générale n’apporterait rien. Laissons les jurisprudences nationales apporter les touches nécessaires. La seule différence notable concerne la responsabilité pénale des personnes morales, admise dans beaucoup de pays, mais pas partout[47].

Les sanctions, aujourd’hui très diversifiées, sont dans l’ensemble les mêmes et là encore l’harmonisation est déjà réalisée. Une précision doit toutefois être apportée. La décision-cadre du 26 juin 2001 sur le gel, la saisie et la confiscation des produits du crime[48] (Union européenne) oblige les États à prendre toutes mesures pour permettre la confiscation des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté de plus d’un an ; en outre, pour les infractions commises dans le cadre d’une organisation criminelle ou relevant du terrorisme, le juge national peut confisquer tout ou partie des biens détenus par la personne s’il est convaincu que les biens en question proviennent de telle activité criminelle (pouvoirs élargis de confiscation). Évidemment les législateurs nationaux ont transposé ces décisions-cadres et se trouvent ainsi rapprochés.

2.2.2 Le droit pénal spécial

La question se pose différemment en droit pénal spécial. Il faut mettre d’abord à part les grandes incriminations sur la vie, l’intégrité physique et les moeurs dont la rédaction est proche dans toutes les législations et il en est de même des incriminations concernant les biens (vol, escroquerie…)[49]. En revanche, il existe aujourd’hui de nouvelles formes de comportements criminels pour lesquels les législateurs nationaux ne sont pas toujours intervenus. De là une série de textes européens invitant les États à incriminer ces comportements : il peut s’agir de conventions du Conseil de l’Europe comme par exemple celle de 1990 sur le blanchiment ou, de façon plus importante, de décisions-cadres de l’Union européenne sur les comportements les plus divers, allant de la pédopornographie à la traite des êtres humains, en passant par l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irrégulier d’étrangers ou la corruption dans le secteur privé.

Le droit communautaire illustre admirablement l’harmonisation des droits nationaux. Rappelons que le droit communautaire produit notamment un effet négatif sur le droit pénal national si une norme de ce dernier est incompatible avec celui-là. Le droit national est alors neutralisé[50]. Par exemple, le droit national incrimine l’importateur qui, sans autorisation préalable, met des produits alimentaires provenant d’un autre État sur le marché. Une telle incrimination viole l’article 28 du Traité instituant la Communauté européenne[51] qui garantit la libre circulation des marchandises en interdisant « [l]es restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent ». Or selon la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), « toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives[52] ». Il en résulte que si cet importateur est poursuivi sur la base d’un texte national, il sera relaxé grâce à l’article 28 CE. Voici un second exemple de l’effet négatif, relatif à la libre circulation des capitaux, garantie par l’article 56 CE, qui interdit l’exigence d’une autorisation ou d’une déclaration préalable imposée par les autorités d’un État membre lors d’un transfert de pièces ou de billets de banque. Cette interdiction, affirmée par le droit pénal national, revenait selon la CJCE « à soumettre l’exercice de la libre circulation des capitaux à la discrétion de l’administration et serait susceptible, de ce fait, de rendre cette liberté illusoire[53] ». En clair, la règle nationale ne saurait rendre vaine une liberté reconnue par le traité. Faut-il rappeler que, en neutralisant les textes de certains droits nationaux, le droit communautaire les rend identiques sur le plan des incriminations concernant notamment la concurrence ?

Quant aux sanctions prévues dans les droits nationaux, il est impératif de les harmoniser[54]. Comme les peines diffèrent souvent beaucoup d’un pays à l’autre, une entreprise transnationale peut penser à déplacer sa production dans le pays où la répression est moindre. C’est pourquoi les décisions-cadres non seulement prévoient que chaque État doit prévoir des sanctions appropriées (« effectives, proportionnées et dissuasives »), mais ajoutent des précisions sur les taux de peine. À titre d’exemple, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme décide que « [c]haque État membre prend les mesures nécessaires pour que les infractions visées à l’article 2 [infractions relatives à un groupe terroriste] soient passibles de peines privatives de liberté maximales ne pouvant être inférieures à quinze ans pour [la direction d’un groupe terroriste], et à huit ans pour [la participation aux activités d’un groupe terroriste][55] ». L’immense majorité des décisions-cadres prévoient ce système de la peine maximale minimale. Il faut décourager le « tourisme criminel » qui conduirait les criminels potentiels à choisir le pays le moins répressif[56] !

Cette harmonisation de certaines incriminations et des sanctions qui leur sont applicables a conduit certains juristes — en fait des professeurs de droit — à rédiger un avant-projet de code pénal pour les délits d’affaires (euro-délits), avec une partie générale et une longue partie spéciale[57]. Mais est-ce bien indispensable alors que par décisions-cadres successives on arrive presque au même résultat ? Il est vrai que la réalisation d’un code, document unique et structuré, peut apporter joie et utilité aux praticiens.

Il apparaît généralement que l’harmonisation du droit pénal matériel est assez aisée puisque tous les États partagent les mêmes valeurs. Les choses sont-elles aussi simples pour le droit pénal procédural ?

2.3 Le droit pénal procédural

Si l’on a peu parlé d’un code pénal européen dans le cadre de l’Union européenne et si quelques esprits sont même allés jusqu’à rédiger un avant-projet concernant les euro-délits, il semble que jamais personne n’a songé à l’idée d’un code européen de procédure pénale. Pour cette discipline, très nationale, très liée au terreau culturel de chaque État, il faut se contenter de l’édiction de principes directeurs[58]. Et d’ailleurs de tels principes ont été dégagés dans le cadre du Conseil de l’Europe (par les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)) et dans le cadre de l’Union européenne (par voie de résolutions, conventions et décisions-cadres).

2.3.1 Le droit du Conseil de l’Europe

Sur la base de la Convention européenne des droits de l’homme[59], la CEDH a posé un certain nombre de principes que les États sont tenus de respecter. Apparaissent ainsi à travers les arrêts de la Cour de Strasbourg un fond commun de règles générales qui constitue un commun dénominateur obligatoire aux législateurs des 47 États composant le Conseil de l’Europe.

On connaît ce fond commun de droits fondamentaux comme le droit d’accès au juge, le droit pour l’accusé d’appeler des témoins et d’interroger ceux de l’accusation, le droit pour l’accusé de se taire, le droit de ne pas être soumis à des tortures ou à des traitements inhumains ou dégradants, le droit à la vie privée, le droit à un procès dans un délai raisonnable, le droit à n’être détenu provisoirement qu’aussi brièvement que possible, etc. Toutes ces idées sont trop connues pour qu’il y ait lieu d’insister[60].

Or les États qui ont été condamnés pour violation d’un de ces principes (et même les autres) doivent corriger leur législation ou leur jurisprudence. Faut-il rappeler en effet que selon l’article 46 Conv. EDH, les États « s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties » ? Et précisément, des arrêts assez nombreux de la CEDH ont conduit les législateurs nationaux à retoucher leur droit pour le mettre en accord avec les prescriptions strasbourgeoises. On en donnera plusieurs exemples liés à la montée de la criminalité organisée.

Le premier concerne les écoutes téléphoniques qui, tout en étant indispensables à la justice, portent atteinte à la vie privée consacrée à l’article 8 Conv. EDH. Longtemps, les juges d’instruction français ont ordonné de telles écoutes sans texte, donc sans garanties pour les citoyens. Suite à une condamnation de la France[61], une loi du 10 juillet 1991 vint prévoir des conditions précises entourant ce mode d’investigation[62].

Le second exemple est relatif au témoignage anonyme qui est parfois l’un des seuls modes de preuve, mais qui ne permet pas à l’accusé d’interroger un tel témoin alors que l’article 6 (3) (c) Conv. EDH donne à l’accusé le droit d’interroger les témoins de l’accusation. La CEDH a bâti toute une théorie admettant l’audition du témoin anonyme sous certaines conditions (ce témoignage notamment ne doit pas être la seule preuve, et il faut que la défense puisse l’interroger dans des conditions sauvegardant l’anonymat)[63]. Sur cette jurisprudence, une loi française du 15 novembre 2001 (art. 706-57 et suiv. C. proc. pén.) est intervenue[64].

On peut penser que, de son côté, le Royaume-Uni va modifier sa législation sur la conservation des données personnelles (empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN). Cet État, en effet, a été condamné récemment par la CEDH au motif que sa législation est trop extensive en permettant la conservation indifférenciée des données concernant des suspects, même non condamnés. Les juges de Strasbourg y ont vu une atteinte à l’article 8 Conv. EDH sur le respect de la vie privée, car le droit britannique « ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu, et […] l’État défendeur a outrepassé toute marge d’appréciation acceptable en la matière[65] ».

De tout cela résultent d’évidents rapprochements entre les droits nationaux[66].

Un autre exemple d’harmonisation peut être donné, original par rapport aux précédents en ce qu’il mêle rapprochement entre les deux grandes cours européennes et les droits nationaux. Cet exemple concerne l’application du principe ne bis in idem. La CJCE a toujours considéré que l’idem, c’est le fait matériel, c’est « l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles[67] ». Cette analyse s’appuie sur l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen[68] du 14 juin 1985 qui décide qu’« [u]ne personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante ». Parallèlement, la CEDH entendait l’idem comme étant l’infraction, et pas les faits[69]. Cette conception s’appuie sur l’article 4 du Protocole no 7 additionnel à la Conv. EDH[70] selon lequel « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État », d’où l’on peut tirer qu’un autre État ne pourrait pas davantage lancer de nouvelles poursuites sur la base de la même infraction. L’opposition entre les deux cours européennes était donc nette. Or par un arrêt rendu en grande chambre, la CEDH se rallie à la CJCE en décidant que l’idem correspond à des « faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concrètes impliquant le même contrevenant et indissociablement liées entre elles dans le temps et l’espace[71] ». Plusieurs droits nationaux avaient déjà dit la même chose. Mais il est sûr que, désormais, ce sont tous les droits nationaux qui vont interpréter de la même façon le principe ne bis in idem.

2.3.2 Le droit de l’Union européenne

Dans le cadre de l’Union européenne, plusieurs décisions-cadres ont été édictées. Par exemple, celle du 13 juin 2002 sur le terrorisme oblige les États à prendre des dispositions pour établir leur compétence dans une liste de cas, grâce à quoi les États sont presque systématiquement compétents[72]. Celle du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre des procédures pénales[73] prévoit quelques dispositions en faveur de ces dernières, mais sans intérêt réel, d’autant plus qu’elles sont déjà le plus souvent consacrées dans le droit interne (traitement particulier pour les victimes vulnérables, remboursement des frais de procédure…). On citera encore le projet de décision-cadre sur certains droits procéduraux, datant du 28 avril 2004[74]. Avec ce texte, l’harmonisation est prudente, limitée à six points : le droit à l’aide judiciaire et à l’assistance d’un avocat ; l’accès gratuit à un interprète ; le bénéfice de dispositions spéciales en faveur des personnes incapables ou vulnérables ; le droit pour un étranger de communiquer avec son consul ; le droit à la facilité des traductions par un enregistrement de contrôle ; enfin, l’information des suspects de leurs droits (avec remise d’une « déclaration des droits »). C’est un corpus procédural minimal, souvent déjà consacré dans les législations et qui, de plus, n’a pas eu de suite.

Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[75] en son article 82 (2) confirme l’idée d’harmonisation procédurale « [d]ans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière ». Cette harmonisation, prévue à l’article 82, porte sur :

a) l’admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres ;

b) les droits des personnes dans la procédure pénale ;

c) les droits des victimes de la criminalité ;

d) d’autres éléments spécifiques de la procédure pénale, que le Conseil aura identifiés préalablement par une décision.

Tout cela reste assez vague et général. On aura noté la prudence de l’article 82 qui parle d’une harmonisation « dans la mesure où elle est nécessaire ». Décidément la procédure pénale ne se prête à l’harmonisation que si l’on se contente de principes généraux.

Conclusion

Au terme de ce travail, il apparaît qu’une européanisation des droits nationaux est indispensable, mais inégale selon les secteurs considérés. Elle ne se conçoit d’abord qu’en cas de criminalité transfrontalière organisée et donc grave. Ensuite, la coopération reste absolument indispensable et assez facile à mener. En revanche, l’harmonisation se conçoit mieux en droit de fond où le législateur européen peut aller jusqu’à imposer des modèles d’incriminations qu’en procédure où il ne peut imposer que des principes généraux. Enfin, l’européanisation est limitée par deux principes qui doivent pouvoir jouer à titre général. Le premier, inventé par la CEDH, est la marge nationale d’appréciation qui entend respecter les cultures nationales. Selon la CEDH, la Cour « n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes [seules compétentes pour interpréter la législation interne et ses dispositions transitoires, ni] d’apprécier l’opportunité des choix de politique jurisprudentielle opérés par les juridictions internes ; son rôle se limite à vérifier la conformité à la [Conv. EDH] des conséquences qui en découlent[76] ». Le second principe, édicté par les articles 2 du Traité sur l’Union européenne et 5 (3) du nouveau Traité sur l’Union européenne, est celui de subsidiarité ainsi rédigé : « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive[77], l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres […] mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union[78] ». L’européanisation, oui bien sûr, mais pas sans limites[79].