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Dans un texte paru récemment, nous avons voulu encadrer le processus de qualification des contrats afin de décrire une démarche qui exclut, autant que faire se peut, la subjectivité de l’interprète dans la détermination de la nature du contrat[1].

Nous avons vu que la recherche de la nature véritable du contrat n’a pas suscité les passions en droit québécois. Personne ne s’est jamais véritablement donné de critère ou de test devant mener à la qualification. Comment décider qu’un certain contrat est une vente, un louage ou un contrat qui n’entre dans aucune des catégories existantes ? Dans le contexte de la recherche d’un critère permettant ce choix, nous avons conclu qu’il faut mettre de côté des concepts mal adaptés à la réalité de la qualification, tels que l’objet et la cause du contrat, et plutôt choisir comme critère de qualification l’obligation fondamentale ou la prestation caractéristique issue d’un contrat. Il s’agit en effet de l’obligation donnant tout son sens au contrat, sans laquelle la relation contractuelle ne présenterait plus d’intérêt suffisant pour les parties en cause. Un effort de hiérarchisation permet donc de la découvrir, en relativisant les obligations accessoires. La mise en évidence de cette obligation passe par un processus en principe indépendant de la volonté des parties, le tribunal se réservant le droit de qualifier ou de requalifier[2] le contrat, que ce soit pour des motifs d’ordre public ou de stabilité juridique.

Il importait, à notre avis, de mettre en relief un tel processus. À défaut de reconnaître et d’établir un mode de reconnaissance de la nature des conventions, le juriste serait condamné à la confusion, la dispersion et au manque de méthode[3]. Plus une matière se diversifie, plus il devient nécessaire de la structurer[4] pour en augmenter la prévisibilité[5]. L’étude du processus de qualification doit donc servir à encadrer la diversification des techniques contractuelles entraînée par le développement économique[6]. La multiplication et la complexification des transactions sont susceptibles d’engendrer des questions délicates de qualification[7]. La coentreprise (joint venture) est-elle un contrat de société ? Le contrat de consignation est-il un contrat de service ? Le contrat de subordination est-il assimilé au cautionnement ? Le contrat de courtage immobilier est-il un mandat ? L’imagination des justiciables ne connaissant aucune limite, la façon de déterminer la nature du contrat doit être clairement établie pour faire face à toutes les situations.

Un procédé indépendant ayant été ainsi jalonné[8], nous pouvons procéder, dans le présent texte, à l’étude des différents résultats issus de la qualification. Cette dernière a ultimement pour objet l’application d’un régime juridique, qu’il soit ou non précisément prévu par le législateur. En effet, ce processus n’a d’utilité qu’en considérant les possibilités de solution offertes au juriste. Quels sont les choix qui s’offrent à lui lorsqu’il doit déterminer le régime juridique applicable au contrat ? Une fois les obligations du contrat relativisées, comment la qualification s’accomplit-elle en pratique ?

En matière contractuelle, le législateur a encadré, pour des motifs d’ordre public ou de prévisibilité, les conventions qu’il juge les plus courantes et les plus importantes : les contrats nommés. Pour chacun d’entre eux, il a édicté une série de règles qui sont soit obligatoires, soit supplétives. La qualification permettra de faire le départ entre ce qui reste du domaine de la liberté et ce qui reste du domaine de l’obligation légale[9]. Elle permettra également de distinguer deux institutions ayant des traits communs[10].

L’analyse des obligations comprises dans les contrats devrait mener l’interprète à considérer les différentes qualifications nommées que le législateur met à sa disposition. En cas de contrat complexe, il faudra s’interroger sur la nécessité de donner à la convention une qualification unique ou distribuer celle-ci selon les types de contrats envisagés. Le contrat de vente dans le contexte duquel l’installation est comprise est-il également un contrat de service ou demeure-t-il un simple contrat de vente ? À cet égard, le juriste sera en droit de s’interroger sur la limite entre le contrat à qualification unique et le contrat mixte. Nous verrons que cette limite est fonction de la hiérarchie des obligations au contrat et de l’indivisibilité des obligations entre elles.

Il y a toutefois une multitude de conventions qui n’entrent pas dans ces catégories. En droit civil, les parties sont libres de créer toute convention qui ne va pas à l’encontre de l’ordre public. Les parties ont pu vouloir échapper aux cadres rigides existants que sont les contrats nommés. Naissent alors les contrats innommés, issus de la pratique. Comment ces nouvelles conventions s’intègrent-elles aux modèles connus ? Comment sont-elles reconnues ? Nous verrons notamment que l’innommé peut soit dériver de modèles connus, soit constituer une création originale.

Bref, la qualification permet de reconnaître le contrat à l’étude, de lui donner un nom. Le plus souvent, le législateur s’est déjà donné cette peine. Lorsqu’un contrat à l’étude correspond aux modèles légaux, une qualification nommée sera choisie (section 1). Parfois, il est impossible de donner un nom à la convention, car les modèles législatifs ne rendent pas justice à la convention étudiée. Le juriste devrait alors conclure à une qualification innommée (section 2).

Il aurait d’abord été aisé de penser que la distinction entre les contrats nommés et les contrats innommés n’a que peu d’utilité, compte tenu du fait que toutes les conventions sont soumises aux règles générales du Code civil du Québec[11] applicables à toutes les obligations. Évidemment, il n’en est rien puisque la distinction entre tous ces concepts est capitale dans la détermination des effets des différents contrats. Chaque contrat nommé entraînera donc l’application d’un régime juridique distinct prévu dans le Code civil, tandis que le contrat innommé aura pour conséquence de rejeter, en principe, l’application de toute règle propre aux types de contrats existants. De plus, lorsque la qualification aura permis cette catégorisation du contrat, le juriste sera en mesure de déterminer le régime juridique applicable, ce qui entraînera des conséquences capitales sur divers éléments dont l’intensité d’une obligation, la détermination du tribunal compétent ou même la validité du contrat[12].

Au cours de notre étude, nous nous efforcerons de décrire l’aboutissement du processus de qualification et de clarifier les différentes notions qui le soutiennent. En effet, il est surprenant de remarquer à quel point les notions servant à déterminer la nature du contrat sont en pratique confuses. Lorsque la Cour d’appel écrit, sans plus de détails, que le contrat de franchise est « un contrat innommé et mixte qui participe, par certaines de ses dispositions, à la fois aux contrats de société, de mandat, de vente et de louage[13] », force est d’admettre que les notions pourraient être mieux circonscrites et que « [l]a jurisprudence manifeste parfois un manque de rigueur qui révèle une confusion dans les notions[14] ».

1 Les qualifications nommées

Dans la majorité des cas, le juriste est en mesure d’associer le contrat qu’il cherche à qualifier avec les catégories de contrats élaborées par le législateur. Il décide alors que le contrat est une vente, un prêt, une transaction, etc. Cette réalité se justifie par le fait que le législateur veut habituellement réguler les contrats les plus courants. La plupart des contrats conclus sont donc des contrats dits nommés.

Dans bien des cas, le travail qualificatoire ne s’arrête toutefois pas là. Il est également nécessaire de déterminer si la structure d’obligations impose qu’une seule qualification soit donnée au contrat (1.1) ou encore, dans le cas des contrats comprenant un réseau particulièrement complexe d’obligations, s’il faut reconnaître une nature mixte au contrat faisant appel à plusieurs contrats nommés (1.2).

1.1 La qualification unitaire

Une fois l’analyse des obligations effectuée, une fois distinguées les obligations fondamentales des obligations accessoires, le juriste pourra qualifier véritablement[15]. Il devra associer les obligations fondamentales du contrat à l’étude à une structure. Or, le premier choix, le plus simple, sera d’assimiler la convention à un modèle connu, déjà prévu par le législateur. Le juriste tentera donc de donner au contrat un des différents noms prévus dans le Code civil.

C’est ainsi que le contrat prend la nature que lui impose son élément principal[16]. Il existe un effet d’attraction lorsque l’accent est mis sur la prestation caractéristique et que les prestations accessoires sont relativisées[17]. Par exemple, dans la décision Xéquipe inc. c. Communauté urbaine de Montréal[18], le tribunal qualifie de louage le contrat pour la fourniture de photocopieurs et rejette la possibilité d’un contrat de service. L’élément fondamental du contrat de louage était présent dans ce cas, soit l’obligation de procurer la libre jouissance d’un bien. Les obligations d’entretien et de réparation des photocopieurs n’étaient qu’un accessoire ne pouvant entraîner un changement dans la qualification.

L’exercice consiste donc ici essentiellement en un effort de hiérarchisation[19]. Quelles obligations ou quels aspects particuliers du contrat sont considérés comme les plus importants ? Il est possible, par exemple, de se demander si le contrat de déménagement est un contrat de transport ou un contrat de service. Peut-être est-ce un contrat de service si le montage ou le démontage des meubles prend le pas sur le transfert d’un point à l’autre[20]. Qu’est-ce qui est fondamental au contrat ? Sans quel aspect le contrat n’aurait-il pas été conclu ? En pratique, dans le cas des contrats complexes, il faut se demander si une des opérations est accessoire à une autre, par exemple, dans le cas des contrats impliquant un mandat et un service à être rendu. S’il est possible de déterminer que le mandat n’est qu’accessoire au contrat de service, cette dernière qualification prévaudra, et vice-versa[21].

Dans les faits, chacun constatera aisément que la jurisprudence a naturellement tendance à ramener les contrats à l’étude à des schèmes connus en abandonnant les circonstances secondaires[22]. Il existe ainsi une règle, bien qu’elle ne soit pas formalisée, selon laquelle il faut d’abord chercher à donner une qualification unique à la convention. Cela peut s’expliquer à première vue par des considérations pratiques. Dans bien des cas, le recours à un seul régime juridique sera susceptible de régler un litige particulier. Toutefois, la qualification unique peut répondre également à un impératif juridique lié à la structure même du contrat.

À notre avis, l’étude du concept de la qualification unique ne peut être réalisée sans revenir d’abord sur la notion même du contrat nommé, pour en arriver à une définition rassembleuse (1.1.1). Nous verrons ensuite quel critère, basé sur la hiérarchisation, mènera à une qualification unitaire, soit l’indivisibilité des obligations (1.1.2). Enfin, nous constaterons que la qualification unitaire suit une logique propre à chaque contrat nommé (1.1.3).

1.1.1 La notion de contrat nommé

Le législateur croit parfois nécessaire de s’intéresser à certaines formes contractuelles répandues dans la pratique[23]. C’est ainsi qu’il édicte des règles propres à chaque type de contrat qu’il juge approprié. Il s’agit des contrats nommés, ceux à qui le législateur a donné un nom.

L’utilité de ce mode de nomination s’explique principalement de deux façons. D’abord, le législateur recherche l’uniformisation de la pratique contractuelle. Il est en effet avantageux pour une collectivité que des contrats semblables soient soumis aux mêmes règles. Cela favorise, de façon générale, la prévisibilité du droit et les échanges entre les justiciables. Les règles étant les mêmes pour tous, le législateur pourrait prétendre à une certaine justice contractuelle, sans y voir une relation automatique de cause à effet[24].

Ensuite, l’apposition d’un nom au contrat peut également comporter un objectif de régulation sociale. Le législateur peut imposer des mesures d’ordre public en vue de la protection de certains individus ou du public en général. Par exemple, lorsque le législateur québécois oblige les employeurs à limiter l’étendue de leurs clauses de non-concurrence (art. 2089 C.c.Q.), lorsqu’il permet à l’emprunteur d’invoquer la lésion (art. 2332 C.c.Q.) ou lorsqu’il interdit la donation autrement que dans les cas strictement prévus (art. 1824 C.c.Q.), il cherche à imposer des normes qui ont pour objet la protection de personnes souvent en position de faiblesse.

Afin de saisir l’impact du contrat nommé en droit québécois, nous croyons nécessaire de faire un bref survol historique du concept. Ensuite, pour circonscrire de manière appropriée la notion, nous nous demanderons si la nomination des contrats est un acte que le législateur limite au Code civil ou s’il peut être accompli au moyen d’autres dispositions législatives.

1.1.1.1 Des considérations historiques

Pour effectuer un survol historique des contrats nommés, il faut naturellement se pencher d’abord sur le droit romain, ancêtre direct du système de droit civil en vigueur au Québec. Instinctivement, certaines personnes pourraient d’abord être portées à penser que les contrats nommés ont été introduits graduellement par l’autorité en place. En effet, le contrat n’est-il pas généralement un simple accord de volonté que le législateur désire réguler dans certaines circonstances particulières lorsque la pratique l’exige ?

À l’origine, les Romains ne l’entendent pas de cette façon. En droit romain antique, la forme l’emporte sur le fond. Seuls quelques types de créations contractuelles étaient reconnus et, si une entente ne respectait pas les conditions voulues, aucune sanction ou exécution ne pouvait être recherchée[25]. Il y avait parmi ceux-ci :

  • les contrats verbis, qui nécessitaient le prononcé de paroles précises ;

  • les contrats litteris, qui étaient formés par des écritures au livre de compte du paterfamilias ;

  • les contrats re, qui étaient formés par la remise d’une chose[26].

Ces contrats ont reçu la désignation de « contrats nommés » a posteriori lorsque les interprètes ont constaté que ces contrats avaient reçu un nomen dans l’Édit romain[27]. En fait, la notion même de « contrat » a été apposée a posteriori. Les idées de consensualisme ou de liberté contractuelle étaient absentes du droit romain où un caractère exécutoire n’était reconnu qu’à certaines formes de relations. Toutefois, les besoins pratiques ont eu tôt fait de rendre nécessaire la reconnaissance d’autres types de relations en dehors du formalisme existant. Ont alors été reconnus ce qui deviendra : la vente, le louage, le mandat et la société[28]. Il fallait toujours, en droit romain classique, satisfaire aux conditions précisément prévues pour obtenir une ordonnance quelconque. Même sous un angle procédural, les contrats nommés ont continué d’être primordiaux en ce que chaque procédure liée à ceux-ci avait un nom distinct (action mandati, pro socio, et ainsi de suite)[29].

L’idée de « contrat », et à plus forte raison de « contrat nommé », n’a pas avancé durant le Moyen Âge, bien que l’idée de consensualisme ait progressé[30]. Le principe formaliste a toutefois été perpétué par le droit canonique qui exigeait le serment religieux pour reconnaître la force obligatoire de tout document[31].

Le Code civil français de 1804 fait une large place aux contrats nommés. En effet, les révolutions industrielles successives font en sorte que les conventions se spécialisent et se complexifient progressivement[32]. De nouveaux contrats apparaissent donc au rythme de l’évolution économique et sociale[33]. C’est principalement inspiré par le Code civil français que le législateur québécois adopte son premier code en 1866 et établit un régime juridique pour 14 contrats nommés[34]. La convention d’arbitrage sera ajoutée en 1986. Il importe de constater que, jusqu’en 1994, le législateur est peu intervenu quant au contenu du Code civil pour réglementer de nouvelles formes contractuelles, son intervention étant limitée à modifier occasionnellement le régime juridique lié à chacun des contrats nommés existants. Force est toutefois de constater à l’heure actuelle, compte tenu du vaste domaine d’application des contrats nommés, que le législateur montre une volonté évidente de réguler la grande majorité des transactions qui se concluent chaque jour.

Il y a peut-être, en ce sens, un parallèle à faire entre la multitude de contrats nommés contemporains et l’importance des contrats nommés en droit romain. Nous pouvons dire qu’en pratique ils ont une « valeur comparable[35] ». En effet, puisque le législateur régit autant de contrats de la vie courante, n’entraîne-t-il pas indirectement les contractants vers les modèles connus ? Cela pourrait ainsi expliquer une tendance naturelle des tribunaux à ramener le contrat à qualifier aux concepts déjà établis.

1.1.1.2 Un concept limité au Code civil du Québec

Comme nous venons de le voir, le législateur québécois, à l’instar de son homologue français, n’éprouve aucune gêne à créer des catégories particulières de contrats. Il veut ainsi répondre aux besoins des justiciables et de la société en général. Il vise, entre autres, la justice contractuelle en prévoyant diverses règles impératives ou supplétives de volonté. Le Code civil représente donc l’outil de prédilection pour créer de tels types de contrats.

Au Québec, le Code civil demeure la pierre angulaire en droit privé et régit les relations entre les individus[36]. C’est pour cette raison que la majorité des contrats régulés par le législateur s’y trouvent. Le Code civil entré en vigueur en 1994 ne fait pas exception. Son article 1377 prévoit que tous les contrats sont régis par les règles générales prévues (art. 1378-1456), ainsi que par certaines règles particulières quant aux contrats figurant sous le titre « Contrats nommés »[37]. Pas moins de 18 contrats sont « nommés » dans le Code civil du Québec, allant du contrat à vocation générale (ex. : vente, donation, louage, transport, travail, service) aux contrats voués à un domaine très spécifique (ex. : crédit-bail, affrètement, assurance, transaction).

Toutefois, le domaine des contrats nommés ne s’arrête pas là. Le Code civil répertorie d’autres catégories de contrats qui ne se trouvent pas sous le même titre. Le contrat de mariage ou d’union civile et le contrat hypothécaire en sont. Puisque l’article 1377 ne se réfère pas expressément à ces contrats, il serait facile de penser qu’il ne s’agit pas de contrats nommés, à proprement parler. Or, ce sont des conventions qui se rapprochent difficilement d’autres institutions prévues dans le Code civil. L’hypothèque conventionnelle est une garantie qui n’est pas un cautionnement[38]. Le contrat de mariage relève davantage de l’institution que du pur consensualisme. Il a ses propres règles, et ce n’est qu’expressément que le législateur fera intervenir des règles inhérentes aux contrats nommés, par exemple en matière de donation où l’article 1818 du Code civil est propre à ce sujet.

Chacun peut constater par ailleurs que les types nommés et consacrés par le Code civil se sont cristallisés autour de concepts économiques, juridiques ou philosophiques, lentement issus de la pratique[39]. Le législateur veut ainsi accompagner la croissance économique, que ce soit pour des raisons d’uniformité ou de protection[40]. Il y a donc eu au Québec une spécialisation graduelle du droit des contrats, après que le législateur a laissé une grande place à la liberté contractuelle. Certains ont ainsi constaté que, lors du projet de réforme du Code civil, des 1 467 articles proposés, 960 se rapportaient aux contrats nommés[41]. Nous pourrions dès lors conclure que c’est le retour du balancier. Après les règles strictes du droit romain et la reconnaissance du principe de l’autonomie de la volonté, le législateur se veut de plus en plus interventionniste dans le domaine contractuel. Finalement, en raison de la large couverture des contrats nommés au Code civil, reste-t-il une place pour autre chose ? Or, nous observons que le législateur n’a pas assez du Code civil, car il crée des contrats dans des lois particulières.

Ainsi, à l’extérieur du Code civil, des lois particulières peuvent également prévoir des régimes contractuels spécifiques. Par exemple, la Loi sur l’immigration au Québec[42] crée le contrat de parrainage, la Loi sur l’assurance-maladie[43] crée le contrat d’allocation, la Loi sur la Régie de l’énergie[44] crée le contrat d’approvisionnement en électricité et la Loi sur l’enseignement privé[45] crée le contrat de service éducatif.

Toutefois, nous ne croyons pas que ces contrats puissent constituer des contrats dits nommés, au même titre que ceux qui sont prévus dans le Code civil. Sur un plan purement technique, ces contrats ne sont pas compris sous le titre 2 du Livre cinquième du Code civil intitulé « Des contrats nommés ». Au-delà de la sémantique, force est toutefois de constater que les contrats prévus dans des lois particulières peuvent être soumis aux règles des contrats du Code civil. Ainsi, le contrat de consommation décrit dans la Loi sur la protection du consommateur peut en fait constituer, notamment, un contrat de vente, de louage, de service ou de prêt d’argent[46].

La jurisprudence a reconnu que certains contrats prévus par des lois particulières pouvaient être nommés ou non en fonction des contrats prévus dans le Code civil. Par exemple, l’opération de courtage prévue dans la Loi sur le courtage immobilier[47] peut être vue comme un contrat de service ou un mandat. Le contrat de parrainage de ressortissants étrangers peut être qualifié d’innommé puisqu’il ne cadre avec aucun des contrats du Code civil[48]. Ainsi en est-il du contrat d’allocation conclu en application de la Loi sur l’assurance-maladie[49]. Au surplus, les tribunaux reconnaissent que le contrat innommé se définit par opposition aux contrats définis dans le Code civil[50]. Par conséquent, aux fins de qualification, il serait dangereux de prétendre que les régimes contractuels prévus dans des lois particulières créent des contrats « nommés » au même titre que ceux qui sont prévus dans le Code civil. En effet, l’étude du rattachement possible ou non à l’un des contrats codifiés risquerait d’être oubliée. Ainsi, les contrats nommés dans le Code civil servent de référence à tous les types de conventions prévues dans les lois particulières.

Il résulte de ce qui précède que nous pouvons caractériser le contrat nommé comme ayant une force d’attraction liée à la place que lui laisse le législateur et comme un terme générique qu’il faudrait réserver aux contrats dont le régime juridique est prévu dans le Code civil. La notion étant ainsi circonscrite, nous pouvons maintenant définir le critère faisant en sorte qu’un des contrats nommés disponibles sera choisi, soit le caractère indivisible des obligations.

1.1.2 L’indivisibilité des obligations au contrat

Lorsqu’un contrat étudié respecte les principes d’un ou de plusieurs contrats nommés, comment justifier que cette convention reçoive autant que possible une qualification unitaire ? Compte tenu du fait qu’un contrat contient habituellement plusieurs obligations ayant une nature et une fonction différentes, il serait en principe concevable que le contrat puisse recevoir plusieurs qualifications. Or, les tribunaux font habituellement en sorte de trouver une seule qualification pour un contrat[51].

La qualification unitaire s’explique habituellement par l’indivisibilité des obligations composant le contrat. Un rapport de principal à accessoire s’installe entre les diverses obligations, ce qui entraîne une « structure fondamentalement unitaire de la qualification[52] ». Le juriste conclut alors que le contrat ne contient qu’une obligation fondamentale et que les autres sont accessoires[53]. Il s’ensuit donc que, dès que l’indivisibilité des obligations est établie, une qualification d’ensemble prévaut et qu’un seul régime juridique est applicable[54]. Reste à déterminer dans quelles circonstances reconnaître l’indivisibilité.

Il importe d’abord de préciser que l’indivisibilité des obligations prise en considération au moment de la qualification ne saurait être rapprochée du concept homonyme prévu dans les articles 1518 et suivants du Code civil, lesquels prévoient notamment la divisibilité de l’obligation de plein droit. L’article 1520 édicte que l’obligation est indivisible lorsqu’elle ne se divise ni entre les débiteurs ou les créanciers ni entre leurs héritiers. Ainsi, l’indivisibilité dont il est question ici se rattache aux sujets de l’obligation et non à son contenu. D’ailleurs en matière de qualification, il sera question de l’indivisibilité des obligations entre elles et non de l’indivisibilité de l’obligation unique, ce qui semble être le cas visé dans ces dispositions du Code civil.

Des auteurs ont écrit que l’indivisibilité des obligations au contrat, celle qui sert à la qualification, peut être objective ou subjective[55]. Elle est objective lorsqu’elle est décrétée par le législateur dans le cas de certains contrats en particulier. Elle est subjective lorsqu’elle résulte de la volonté des parties. En ce cas, les parties n’auront voulu stipuler une obligation qu’à la seule condition de la joindre à une autre. Il ne pourra pas s’agir de « simple voisinage[56] ». Par exemple, l’analyste pourrait penser qu’un bien n’aurait pas été acheté sans la garantie de qualité qui est son accessoire. Les deux obligations seraient alors indivisibles.

Certains ont aussi dit qu’un contrat demeure unitaire lorsque l’élément hétérogène s’insère harmonieusement à son économie ou lorsqu’il est accessoire au sein de l’ensemble[57]. Si une obligation est indispensable à la principale, il y a unité[58]. C’est là ce qu’il faudrait favoriser[59]. Toutes ces notions font référence à la distinction déjà vue entre les obligations fondamentales et les obligations accessoires.

Au-delà de ces principes généraux, l’indivisibilité des obligations dans le cas de la qualification demeure une notion fuyante. La doctrine ne semble pas se rassembler autour d’un test clair et la jurisprudence ne s’est pas penchée sur cette distinction[60]. François Terré parle d’un « lien de connexité entraîn[ant] l’apparition d’un contrat unique[61] ». Peut-être cette connexité existe-t-elle lorsque les obligations naissent d’un même « rapport juridique[62] ». Donc, il faudrait se demander si les parties ont voulu créer un seul et même rapport juridique. Dans l’affirmative, il faudrait conclure à l’unicité de la qualification contractuelle.

Il semble approprié de faire un parallèle avec l’indivisibilité du contrat prévu dans l’alinéa premier de l’article 1438 du Code civil[63]. Selon cette disposition, si le contrat forme un « tout indivisible », la clause nulle entraîne la nullité de toute la convention. Cette forme doit être distinguée de l’indivisibilité de l’obligation déjà mentionnée et prévue par l’article 1520 du Code civil[64]. La jurisprudence, rare sur le sujet, assimile pour l’instant l’indivisibilité du contrat au caractère essentiel de la clause nulle pour les parties[65]. La doctrine a toutefois mentionné comme critère le caractère objectivement indissociable du reste du contrat, comme dans le cas d’une clause d’exclusivité territoriale pour un contrat de franchise[66].

En appliquant le même concept au processus de qualification, nous pouvons penser qu’une qualification unitaire du contrat s’impose lorsque l’entente forme un ensemble indissociable, que les parties ont en effet voulu créer un seul et même rapport juridique entre eux. Reprenant l’exemple du contrat de fourniture de photocopieurs comme contrat de louage à l’exclusion d’un contrat de service, nous pourrions conclure que le seul véritable rapport juridique voulu par les parties était un rapport de location, que celui-ci forme un tout indissociable des obligations de réparation, lesquelles conservent un caractère très accessoire.

Au-delà de ces quelques remarques, il apparaît difficile de décrire de façon générale le processus de qualification des contrats nommés, tellement chacun d’entre eux fait appel à des notions qui lui sont propres.

1.1.3 Une démarche propre à chaque contrat nommé

Dans la majeure du syllogisme lié à la qualification, il faut déterminer la norme juridique applicable à un contrat précis[67]. Or, chaque type de contrat, particulièrement les contrats nommés, comporte différentes variantes[68]. Il serait fastidieux et inutile de relever ici les éléments requis pour chacun des contrats nommés dans le Code civil. Ce serait là, par exemple, l’étude spécifique des conditions de création de la vente, du prêt ou de la donation. Qu’il suffise de constater qu’une jurisprudence importante est susceptible de se développer dans chacun des secteurs de droit visé. Pensons notamment à l’idée de représentation dans le contexte du mandat, à celle de l’apport dans le contrat de société ou à celle du contrôle requis sur l’employé dans le contrat de travail.

Deux aspects attirent toutefois l’attention en raison de la vaste étendue de la démarche liée aux contrats nommés. Le premier se rattache à la nécessité de considérer la qualification unique comme premier choix. Chacun est en droit de s’interroger sur la possibilité pour le législateur d’imposer la qualification unique dans certains cas particuliers. Il est possible, en effet, de répertorier certains cas où la loi oblige à conclure à l’existence d’un seul et unique contrat alors qu’un juriste aurait autrement pu conclure à un contrat mixte. Un de ces cas se trouve à l’article 2103, al. 3 du Code civil, lequel édicte ceci : « Il y a contrat de vente, et non contrat d’entreprise ou de service, lorsque l’ouvrage ou le service n’est qu’un accessoire par rapport à la valeur des biens fournis. » Ainsi, le contrat de vente de fenêtres ne perd pas sa qualification unique parce qu’il est accompagné de l’obligation pour le vendeur de les installer[69]. En l’absence de cette disposition, il aurait été pertinent de croire à un contrat mixte de vente et de service. Par ailleurs, l’article 1810 du Code civil impose la qualification de donation pour tout ce qui excède une rémunération à payer. Il arrive donc que le législateur détermine non seulement les éléments qu’il tient pour essentiels[70], mais également la qualification unique qui doit en ressortir.

La qualification au cas par cas des contrats nommés appelle un deuxième commentaire lié à la généralisation des concepts. Il existe en effet un danger d’appliquer automatiquement le régime d’un contrat nommé à un type particulier simplement parce qu’il en a déjà été décidé ainsi[71]. Par exemple, le contrat liant l’huissier à son client pourra relever tantôt du mandat, tantôt du simple contrat de service, dépendant de l’importance de la représentation dans le contexte de la prestation convenue[72]. Il ne faudrait donc pas conclure que le contrat du huissier est toujours l’un ou toujours l’autre.

L’un des exemples jurisprudentiels les plus colorés de la difficulté qui se présente chaque fois qu’il faudra choisir entre un contrat nommé ou un autre peut être reconnu dans le contrat de garde d’un animal. La lecture de la jurisprudence nous apprend que le contrat par lequel une personne s’oblige à prendre soin d’un cheval est tantôt un dépôt, tantôt un contrat de service. Si le tribunal conclut que l’obligation essentielle du contrat consiste dans la garde pure et simple du cheval, il devra conclure à l’existence d’un dépôt[73]. Au contraire, si le tribunal constate que le contrat vise d’abord les soins quotidiens à l’animal, il devra y voir un contrat de service, le dépôt s’accommodant mal de la garde d’un bien vivant[74]. Deux jugements, deux solutions qui paraissent sensées. Dans ces décisions, les juges se sont manifestement sentis tenus de choisir un seul contrat nommé[75]. Peut-être conviendrait-il de trouver une solution dans une troisième voie, c’est-à-dire la qualification distributive. Nous analyserons maintenant cette possibilité.

1.2 La qualification distributive[76]

Il est habituellement aisé de déterminer la nature des contrats simples, soit ceux qui contiennent peu d’obligations pour chacune des parties. Il en va autrement dès que les obligations augmentent en nombre et en complexité. Ainsi, le contrat de prêt d’argent entraîne peu de problèmes de qualification, les obligations étant claires (une de déboursement, une de remboursement). Par contre, la franchise et la licence d’utilisation, avec leur multitude d’obligations bilatérales, causent davantage de confusion. En présence d’un contrat complexe, le juriste devra toujours faire face au dilemme suivant : faut-il rechercher une qualification unique ou procéder à un dépeçage du contrat complexe pour distribuer à chaque partie une qualification adaptée mais partielle[77]. Il y aura qualification distributive lorsque le contrat unit des conventions de nature différente, c’est là l’application de la mixité dans les contrats.

Comme nous venons de le voir, les tribunaux préfèrent la qualification unique. Ils verront aisément l’indivisibilité nécessaire dans les obligations incluses dans la convention. Par contre, une appréciation trop large de l’indivisibilité amènera une vision réductrice du contrat[78]. La simplicité obtenue peut être fausse parce qu’elle n’est pas conforme aux faits[79]. La qualification unique n’est pas nécessairement la solution. Les parties ont possiblement voulu à l’intérieur d’un même contrat unir plusieurs opérations juridiques. Évidemment, il ne faudrait pas non plus voir la mixité partout dès que l’interprète est en présence d’un contrat complexe. Rappelons que la qualification n’a pas à être faite si elle n’est pas nécessaire ou si les deux qualifications envisagées n’ont aucun impact sur la question en litige[80].

Il est donc possible de reconnaître la nature hybride d’une convention. À notre avis, l’étude de cette réalité doit d’abord passer par une définition cohérente de la notion de contrat mixte (1.2.1). Nous décrirons ensuite le critère permettant le recours à la qualification distributive, soit l’impossibilité d’unir le contrat autour d’une seule opération juridique ou d’une prestation caractéristique (1.2.2). Enfin, nous tenterons de préciser à quelles circonstances pratiques le contrat mixte peut être rattaché (1.2.3).

1.2.1 La notion de contrat mixte

Le danger de confusion en matière de qualification apparaît de façon évidente lorsque les parties, aux prises avec des besoins particuliers, unissent différents types de contrats nommés pour n’en former qu’un seul. Il s’agit du contrat mixte. Celui-ci, même s’il est bien ancré en pratique, a peu retenu jusqu’à présent l’attention des autorités, législatives ou jurisprudentielles.

Dans un monde où les transactions se complexifient un peu plus chaque jour, nous remarquons que la nature des contrats reflète cette réalité. En effet, il est de plus en plus courant que les échanges commerciaux impliquent simultanément divers types de conventions connues. Vente, louage, mandat, dépôt et transport sont appelés à coexister dans le cas de transactions commerciales complexes. L’exemple typique du contrat mixte est le contrat de location avec option d’achat. Les règles du louage et de la vente sont appelées à être appliquées à tour de rôle. Pensons aussi au contrat liant l’avocat et son client où sont susceptibles d’être appliquées alternativement les règles du contrat de service et du mandat[81].

Si la notion se conçoit aisément, elle a trouvé peu de reconnaissance au niveau théorique. En effet, les contrats composites n’ont jamais fait l’objet d’étude synthétique en doctrine, tant au Québec qu’en France[82]. En fait, au Québec, ce contrat est souvent ignoré chez les auteurs[83]. Toutefois, la jurisprudence, sans en faire expressément une catégorie, reconnaît cette possibilité[84]. Les tribunaux québécois semblent cependant associer la mixité à l’expression « s’apparente à » ou « qui participe à », ce qui entretient la confusion[85]. Lorsque la Cour d’appel écrit, sans plus de détails, que le contrat de franchise est « un contrat innommé et mixte qui participe, par certaines de ses dispositions, à la fois aux contrats de société, de mandat, de vente et de louage[86] », force est de constater que le contrat mixte ne se trouve pas dans une catégorie distincte.

Selon certains, le contrat mixte serait simplement un type de contrat innommé et ce flottement doctrinal serait dépourvu de conséquences pratiques[87]. Des juristes pourraient penser en effet que le contrat mixte est innommé en ce sens que la résultante ne correspond vraiment à aucun contrat nommé[88]. Ils diraient alors que le contrat innommé est de toute façon souvent un contrat complexe[89]. Toutefois, il faut constater que cette vision entretient une certaine confusion. Puisque l’innommé correspond en principe au rejet des règles associées aux contrats nommés, il faudrait conclure qu’il en est de même du contrat mixte. Or, comme nous le verrons[90], la mixité contractuelle entraîne l’application distributive des règles liées à chaque contrat nommé en cause.

Pour d’autres, le contrat mixte se rapproche davantage du simple contrat nommé. Il ne s’agirait en fait que d’une superposition de deux ou plusieurs contrats connus[91]. Ce point de vue entretient moins la confusion, bien qu’il soit quelque peu réducteur. En effet, toute qualification devrait ultimement rendre compte de la complexité ou non du contrat à l’étude. Il ne faudrait pas simplifier outrageusement un contrat par nature complexe[92].

La difficulté de reconnaître une catégorie distincte dans le cas du contrat mixte vient peut-être du fait qu’il est souvent difficile d’appliquer distributivement le régime juridique convenant aux différents éléments d’un contrat complexe[93]. Dans le contexte du contrat entre un avocat et son client, à quel moment convient-il d’utiliser les règles du mandat et à quel moment faut-il invoquer celles du contrat de service ? À quel moment l’avocat représente-t-il le client et à quel moment exact cesse-t-il de le faire ?

Malgré ces difficultés, il nous semble qu’une reconnaissance des contrats mixtes en tant que catégorie s’impose, ne serait-ce qu’aux fins de la qualification. En effet, dans les cas où l’étude du contrat montre une multitude d’obligations de nature différente, la notion de contrat mixte révélera de façon plus claire la volonté des parties, sans la faire apparaître sous un jour trop simple (en prétendant qu’il ne s’agit que d’un contrat nommé) ou trop complexe (en prétendant que l’addition des obligations a entraîné la création d’un nouveau contrat innommé).

Nous avons vu que la qualification unitaire s’explique par la hiérarchie des obligations qui force un rapport de principal à accessoire. La distinction entre les qualifications unitaire et distributive, entre le simple contrat nommé et le contrat mixte, doit également se trouver dans cette hiérarchie.

1.2.2 L’impossibilité de hiérarchiser les obligations

Un contrat mixte associe plusieurs obligations principales qui relèvent de contrats nommés différents. Adopter une qualification unitaire devient alors soit impossible, soit non souhaitable[94]. Préciser la nature de la convention peut passer par la reconnaissance de sa complexité. Or, puisque la tendance première du juriste consiste à donner un seul nom au contrat, encore faut-il déterminer à quelles conditions il donnera suite à cette complexité.

La mixité se reconnaît généralement par l’existence d’obligations autonomes, « intellectuellement et économiquement distinctes[95] » les unes des autres. Aussi, un contrat est dit « mixte » lorsque sa finalité économique est assurée par plusieurs obligations[96]. Il est alors impossible de constater que l’une de ces obligations est l’accessoire de l’autre. Pour un auteur, le contrat se compose alors « de plusieurs obligations essentielles dont aucune n’absorbe à elle seule l’utilité économique de la convention[97] ». Par conséquent, autant la qualification unique se justifie par une hiérarchie claire des obligations, autant la qualification distributive ou mixte se reconnaît à la difficulté de voir la hiérarchie entre les obligations contenues au contrat.

Certains cas sont plus clairs que d’autres. Lorsque deux contrats sont simplement juxtaposés, ils conservent leur économie intrinsèque et la mixité apparaît aisément[98]. Il serait ainsi possible de voir dans le contrat entre le garagiste et son client à la fois un contrat de service (pour les réparations) et un contrat de dépôt (pour la garde du véhicule). Nous pourrions aussi facilement voir un contrat mixte dans le fait de joindre dans un même document physique deux contrats dont le lien entre eux n’est pas nécessaire. Même si les parties l’ont voulu indivisible, cela signifie seulement qu’un contrat est la cause de l’autre. Cette situation n’enlève pas le caractère distinct de chacun des contrats indiqués.

Il ne faudrait toutefois pas non plus exagérer en sens contraire : mélange d’éléments liés à divers contrats nommés n’est pas automatiquement signe de mixité[99]. En effet, de l’opération contractuelle peut résulter une véritable combinaison où certains aspects du contrat sont l’accessoire ou la conséquence de l’autre, sans laquelle l’ensemble n’a aucune raison d’exister. Il s’agira des cas où l’indivisibilité des obligations entraînera une seule qualification. Puisque c’est alors une opération unique, tout dépeçage devient artificiel. Comme nous le verrons avec les exemples qui suivent, l’application de ces critères n’est pas simple. Il semble demeurer certaines nuances qui font ressortir une part de subjectivité du juge.

Certains ont suggéré que le contrat de gestion était un contrat mixte combinant les règles du mandat et du contrat d’entreprise[100]. En effet, lorsqu’un contrat permet au gestionnaire d’exploiter les biens du géré et d’accomplir tant des actes juridiques que des actes matériels, il est possible d’y voir tantôt une représentation juridique, tantôt un simple contrat de service. Dans le cas d’un contrat de gestion d’hôtel, par exemple, le gestionnaire est susceptible de représenter le propriétaire auprès de clients, outre qu’il doit assumer des obligations liées au personnel (supervision, établissement des horaires de travail, etc.), ce qui constitue un service. Le contrat peut donc contenir plusieurs obligations principales relevant de contrats nommés différents. Toutefois, faudrait-il alors adopter une qualification unitaire ? Y aurait-t-il indivisibilité des obligations à un point tel qu’il ne conviendrait de considérer qu’une seule et unique opération juridique ? Il est permis d’en douter. Il est difficile de voir comment l’une des opérations en jeu, le mandat ou le contrat de service, serait tellement accessoire à l’autre, qu’elle en perdrait sa nature juridique.

Prenons également comme exemple le contrat existant entre l’avocat ou l’huissier et leur client. En effet, il est reconnu depuis longtemps que ces contrats comprennent à la fois un aspect de mandat et un aspect de service[101]. Dans l’affaire Park Avenue Chevrolet c. Leblanc[102], la juge en chef de la Cour supérieure a eu à déterminer la nature du contrat entre un huissier et le créancier-saisissant à l’occasion de l’exécution d’un bref de saisie mobilière. La demanderesse, propriétaire d’un véhicule saisi puis subséquemment vendu, reproche au huissier d’avoir procédé à la saisie d’un véhicule qu’il devait savoir loué au saisi, et non la propriété de ce dernier. La demanderesse propose que la responsabilité du créancier doit être retenue à titre de mandant, puisque l’huissier agissait en son nom au moment de la saisie. Le créancier prétendait que l’huissier ne saurait le représenter, ce dernier étant un officier de justice. Au contraire, la Cour supérieure conclut que c’est sur instructions spécifiques du client que l’huissier a procédé à la saisie du véhicule. Elle reconnaît que la source des obligations de l’huissier peut être mixte et que, par conséquent, la responsabilité de tous les défendeurs peut être engagée à l’égard de la demanderesse, véritable propriétaire du véhicule. Dans cette affaire, la Cour supérieure sous-entend donc qu’une qualification unique n’était pas souhaitable. Cette décision semble aller à l’encontre d’une décision précédente qui avait considéré que l’aspect « mandat » du contrat de l’huissier était tellement minime dans le contexte des services de ce dernier, que l’essence de sa mission demeurait inchangée et qu’il s’agissait d’un contrat de service[103]. Or, dans cette seconde décision, la responsabilité de l’huissier par rapport aux tiers n’était pas en jeu. Celui-ci réclamait de son client les frais d’avocat payés pour contester une requête en annulation de la vente et pour outrage au tribunal qui alléguait qu’une ordonnance de sursis avait été ignorée. S’il y avait eu mandat, la Cour supérieure aurait pu déterminer que le mandant est responsable des frais. Y a-t-il contradiction réelle entre les deux décisions ? Selon nous, ce n’est pas le cas. La qualification doit être étudiée en fonction de chaque situation particulière. Dans la première affaire était en litige la relation avec les tiers, le mandat prenant ici une importance primordiale[104]. Dans la seconde, seule la relation entre l’huissier et son client était en litige, mettant au premier plan le contrat de service.

Ces exemples démontrent que chaque cas est un cas d’espèce. Pour vraiment distinguer certains types de contrats mixtes, il faudrait se référer au genre d’obligations en cause dans chaque litige.

1.2.3 L’incidence de la nature des obligations en cause

Dès qu’un tribunal constate qu’un contrat est complexe, certains croient par principe qu’il faudrait conclure à la mixité[105]. La majorité de la doctrine française exprime toutefois un avis contraire[106] en ce que le principe de la qualification unitaire devrait demeurer. Il est donc crucial de déterminer à quelles circonstances associer le contrat mixte.

En pratique, le contrat mixte se reconnaît au fait qu’il pourrait se diviser en contrats nommés distincts. À cet égard, il est possible de distinguer selon que la distribution qualificative se fera de deux manières : soit chronologiquement (suivant que les prestations doivent être exécutées en franchissant des phases distinctes et successives), soit simultanément (suivant que les prestations sont en même temps soumises aux mêmes règles)[107].

1.2.3.1 La distribution qualificative selon les phases d’exécution

Tout contrat implique diverses obligations qui ne seront pas nécessairement exécutoires au même moment. Les devoirs des parties peuvent donc être modifiés pendant la « vie contractuelle » de la convention. Les obligations pouvant évoluer ou se modifier dans le temps, il est logique de penser que la nature du contrat pourra changer en cours d’exécution[108]. Un contrat peut prévoir la location, puis l’entretien d’une pièce d’équipement. Un autre peut prévoir un prêt pour une période d’essai, puis une vente[109]. Dans ces cas, la pure juxtaposition de contrats nommés devient évidente.

Dans l’affaire Metrans Warehousing Co. c. Savroche Enterprises inc.[110], la Cour d’appel a eu à déterminer la nature juridique d’un contrat par lequel Metrans s’était engagée à entreposer et livrer des vêtements en denim arrivés au pays par conteneurs, lesquels vêtements appartenaient à Savroche. La nature du contrat devait permettre de déterminer les obligations et plus particulièrement la responsabilité de Metrans pour la perte d’une partie de la marchandise pendant une période d’entreposage prolongée à la demande de Savroche. Le tribunal verra un contrat mixte dans cette entente :

Metrans a tort de prétendre qu’il s’agirait plutôt d’un contrat innomé tenant à la fois du mandat, du dépôt et du prêt à usage […] La convention initiale comportait à la fois un volet transport et un volet dépôt volontaire, et l’acceptation de Metrans que la marchandise séjourne sur son terrain plus longtemps que prévu […] a uniquement prolongé la durée de la convention de dépôt[111].

La Cour d’appel applique donc les dispositions relatives au dépôt pour déterminer l’intensité de l’obligation de Metrans. Elle a vu un contrat mixte qui s’accomplissait en deux temps, d’abord un contrat de dépôt, puis un contrat de transport. Bien que la Cour d’appel ne l’explicite pas, il aurait été difficile d’adopter une qualification unique, compte tenu de l’importance vraisemblablement équivalente des deux opérations juridiques envisagées.

1.2.3.2 La distribution qualificative selon la prestation en cause

Il peut arriver que divers éléments d’un contrat puissent, au même moment, être soumis à des règles différentes. Cela peut survenir selon la volonté des parties ou suivant la loi (lorsque les règles d’un contrat renvoient à un autre)[112]. Ainsi, si nous reprenons l’exemple du contrat de gestion, il est logique de penser que, au moment de représenter le principal auprès de tiers, les règles du mandat s’appliqueront. Sous d’autres aspects regardant uniquement les parties entre elles, les règles du contrat d’entreprise devraient s’appliquer. Il n’y a pas ici de véritable chronologie, toutes les obligations étant susceptibles d’exécution simultanée ou rapprochée dans le temps. Lorsqu’un juriste constate qu’un contrat contient deux facettes distinctes, il pourra conclure à la mixité. Il en est ainsi lorsqu’un contrat d’enseignement de l’anglais emporte non seulement l’obligation de donner des cours, mais également l’obligation de vendre du matériel pédagogique pour les cours[113]. Il est alors possible d’arguer qu’il s’agit de deux facettes distinctes d’une même relation, le client cherchant à obtenir de l’enseignement de même qu’à conserver du matériel de référence une fois le cours terminé. Le contrat de courtage immobilier pourrait également être rapproché de ces exemples lorsque ce contrat de service inclut un mandat, par lequel le client donne au courtier le pouvoir de le représenter.

Les auteurs ont toutefois exprimé une réserve quant à la reconnaissance de la mixité en cas d’exécution simultanée. Il conviendrait d’appliquer alors un critère de rationalité : « Ces contrats mixtes ne doivent être reconnus que là où cela est rationnel. Il n’en est pas ainsi si un transporteur déclare assurer les colis à concurrence de tant. On ne peut voir là une assurance jointe au transport, mais seulement une clause du transport[114]. » Il importe en effet de ne pas confondre une opération juridique distincte avec une simple modalité d’exécution de l’obligation principale. De la même manière, le tribunal ne verra pas une donation dans le rabais accordé à l’acheteur qui paie avant terme.

2 Les qualifications innommées

Lorsque ni la qualification unique ni la qualification distributive ne peuvent être appliquées, il ne restera qu’un choix au juriste qui voudra donner un nom au contrat : reconnaître que ce dernier n’en porte pas, qu’il s’agit d’un contrat innommé. Il y aura recours à ce concept en désespoir de cause[115], s’il est impossible de conclure à un contrat nommé ou à un contrat mixte[116].

Cependant, tous ne s’entendent pas sur la définition exacte de cette notion. Une fois le contrat innommé circonscrit (2.1), nous étudierons cette catégorie de contrat comme étant le choix subsidiaire en matière de qualification (2.2).

2.1 La qualification de l’innommé comme catégorie distincte

Le tribunal devra parfois analyser des contrats qui n’entrent pas dans les moules « préfabriqués » par le législateur que ce soit dans son code civil ou ailleurs. Il peut en effet arriver que les parties s’obligent à des conditions ou dans des circonstances que le législateur n’a pas prévues ou qu’il n’a pas jugé bon de réguler. Personne ne doute aujourd’hui que les contrats peuvent exister en dehors des catégories nommées dans le Code civil[117]. Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi.

Aussi est-il pertinent, selon nous, dans le but de saisir l’application contemporaine de la notion d’innommé, de faire un bref survol historique de la notion (2.1.1). Puis, pour circonscrire le concept de manière appropriée, nous nous demanderons, à l’instar de certains auteurs, si l’innommé ne perd pas cette qualité à partir du moment où il reçoit un nom, même s’il n’est pas désigné ainsi par le législateur (2.2.2).

2.1.1 L’évolution du contrat innommé

En droit romain, les pactes nus[118] et les simples conventions étaient dépourvues d’effet[119]. Les citoyens ne pouvaient que réclamer l’exécution des formes contractuelles reconnues. Les accords étrangers à ceux qui étaient décrits dans l’Édit n’avaient aucune force obligatoire, et il n’existait aucun moyen de les faire valoir[120]. Dans le monde romain, l’action précédait le droit et celui-ci était essentiellement procédural[121]. Graduellement, les justiciables ont réclamé restitution dans le cas des contrats exécutés partiellement, même si ceux-ci n’étaient pas expressément prévus dans l’Édit (échange). Ainsi est née la notion de contrat innommé. C’est grâce à cette notion que le concept d’obligatio a reçu une application plus générale[122]. Sous Justinien, au iie siècle, est apparue l’action en exécution de la prestation convenue (actio prescriptis verbis) où était sanctionné tout accord de volonté[123]. Cette action n’était applicable qu’aux contrats innommés pour lesquels une partie s’était déjà exécutée (acte matériel d’exécution obligatoire). Le droit romain contenait donc à cette époque le germe de la théorie de l’autonomie de la volonté, principe voulant que la simple expression d’un consentement crée des obligations ayant force obligatoire.

Il faudra attendre le xiiie siècle pour que la doctrine, sous l’influence du droit canon, reconnaisse le principe de l’autonomie de la volonté de façon presque intégrale[124]. La seule parole permettra alors de lier une personne. Le Code civil français (art. 1134) reconnaîtra également le principe du consensualisme[125], lequel impliquait nécessairement l’existence du contrat innommé[126]. Celui-ci se déduit également de l’article 1107 du Code civil français[127].

La distinction entre le nommé et l’innommé demeure d’actualité même si certains en ont douté. Dans un texte fort discuté publié au début du xxe siècle, Planiol a écrit qu’il n’y avait pas de contrat innommé en droit français puisque même les nouvelles formes contractuelles inventées étaient d’un genre déjà connu[128]. Planiol voulait surtout dire que l’innommé n’avait pas le même sens en droit français qu’en droit romain[129]. La position de Planiol exprimait à tout le moins l’inconfort de la doctrine et de la jurisprudence française avec l’innommé au début du xxe siècle[130]. D’ailleurs, bien que certains analystes croient généralement que la théorie romaine est devenue désuète, elle aura toutefois le mérite d’expliquer pourquoi, dans la tradition civiliste, il existe une appréhension à l’égard de la qualification innommée.

Au Québec, la doctrine admettra d’abord ce qu’elle désignera comme les conventions innommées[131] ou sui generis. Toutefois, à l’instar de la jurisprudence française, les tribunaux québécois se sont montrés hésitants à recourir au concept en pratique. Ainsi, nous n’avons trouvé que peu de jurisprudence y ayant eu recours au début du xxe siècle. Il faudra attendre la seconde moitié du xxe siècle pour voir la notion se répandre dans les jugements. Pourtant, cette hésitation n’avait pas lieu d’être. Le Code civil reconnaît précisément que les contrats nommés ne représentent qu’une partie des entités contractuelles pouvant être conclues, et ce, en raison du principe de la liberté contractuelle. Pourquoi, encore récemment, les tribunaux ont-ils ressenti le besoin non seulement de définir le contrat innommé, mais également d’en reconnaître le caractère obligatoire[132] ?

Pourtant, les contractants, eux, n’ont pas hésité à créer des contrats qui sortaient des sentiers battus afin d’adapter les accords aux différents besoins de la vie. Non seulement les parties pouvaient créer de toutes pièces un nouveau type de contrat, mais elles ont également importé graduellement de l’étranger diverses formes contractuelles (know-how, franchising ou leasing, fiducie)[133]. Nous joignons en annexe une liste de différents contrats qui ont été reconnus par la jurisprudence québécoise comme innommés[134] ou sui generis[135].

Parmi ces contrats reconnus comme innommés, certains ont donné lieu au développement d’un corps jurisprudentiel important. Partant, il serait justifié de se questionner à propos de la survie de l’innommé lorsque la pratique et la jurisprudence semblent reconnaître un régime juridique distinct.

2.1.2 La survie du contrat innommé à sa reconnaissance

Comme certains auteurs le font, nous pourrions prétendre que l’innommé est une catégorie « mort-née[136] ». Dès qu’un contrat serait ainsi qualifié, le tribunal déterminerait un régime juridique qui lui serait propre et il deviendrait alors un nouveau contrat nommé. Il est vrai que les tribunaux ont tendance à créer des régimes juridiques particuliers pour certains contrats innommés. Ainsi, s’est développée une jurisprudence constante en matière de franchise, par exemple en matière d’obligation de renseignement[137]. S’installerait alors une pratique faisant en sorte que l’innommé deviendrait nommé[138].

Aux seules fins de la qualification, nous ne retiendrons pas cette notion de « plus ou moins » innommé. Comme nous le verrons, élever cette détermination au statut de contrat nommé dénaturerait l’institution. Dans le contrat innommé, les parties sont libres de créer une entité qui n’a rien à voir avec les règles préétablies. Il ne saurait donc être question d’imposer aveuglément un régime juridique qui n’est prévu dans aucune loi. Par conséquent, nous tiendrons pour acquis, aux fins du processus de qualification, que l’innommé ne perd pas son nom dès qu’il est qualifié comme tel. D’ailleurs, la majorité des auteurs français réserve le titre de contrat nommé à ceux qui font l’objet d’une réglementation spécifique[139].

Pour la plupart des auteurs québécois, la reconnaissance d’une figure contractuelle par la doctrine ou la jurisprudence n’entraîne pas un statut nommé. Au contraire, des auteurs continuent, par exemple, de parler du contrat de franchise comme d’un contrat innommé[140]. Ainsi, nous devrions conclure que le contrat de franchise n’a pas atteint le statut de contrat nommé, bien que de multiples textes et décisions en décrivent le régime juridique particulier[141]. En effet, force nous est de constater qu’il n’existe aucune définition de ce contrat posée par la loi ou les tribunaux qui impose l’application de règles particulières ou, à défaut, en interdit l’application[142].

Il semble donc difficile de reconnaître un régime juridique nécessairement uniforme aux contrats innommés. Dans ce sens, il apparaît possible de faire un rapprochement avec d’autres institutions du droit civil, tel l’usage qui fait partie du contenu implicite du contrat[143]. Ainsi, l’usage, tout comme le contrat innommé, ne constituerait pas une norme juridique à proprement parler, mais plutôt le reflet d’une pratique[144]. Nul ne saurait, par conséquent, appliquer un usage donné à tous les contrats. Encore faut-il déterminer que les parties ont voulu implicitement l’inclure dans leur contrat. Il en va de même dans le cas du contrat innommé : peut-être les parties auront-elles implicitement voulu intégrer à leur contrat de franchise une règle reconnue par la jurisprudence pour ce genre de contrat, mais peut-être pas. Il apparaît donc dangereux d’élever les contrats innommés en catégories indépendantes.

Bien qu’il soit tentant de ramener un contrat innommé à un contrat nommé, il s’agirait, selon nous, d’une pure fiction juridique, d’un artifice qui ferait ressortir l’étroitesse des catégories contractuelles existantes[145]. Un auteur a d’ailleurs suggéré de parler plutôt de « nouvelles figures contractuelles[146] ». Cela aurait l’avantage d’éviter toute confusion dans les termes.

2.2 La qualification subsidiaire

Il existe une certaine résistance devant l’innommé en ce que la théorie traditionnelle du contrat favorise les formes connues et hésite à concevoir le domaine du contrat au-delà des transactions traditionnelles[147]. Ainsi, François Gény parlait d’une « hantise de contrats dénommés, spécifiés, déterminés et suivant des types rigides[148] ». En effet, les juges ont tendance à tout ramener aux contrats nommés pour satisfaire à des exigences d’ordre et de sécurité juridique[149]. Il ne faut pas non plus négliger la tendance naturelle du juriste à trouver du réconfort dans les catégories préexistantes[150], ce qui entraîne en pratique de la confusion[151].

Cette résistance n’a toutefois pas lieu d’être. Compte tenu du principe de la liberté contractuelle, il est tout à fait naturel de donner libre cours à la créativité des justiciables qui, dans un monde en perpétuel changement, créent constamment de nouveaux contrats pour répondre à leurs besoins. Depuis la révolution industrielle et plus particulièrement depuis la Seconde Guerre mondiale, les justiciables ont été particulièrement créatifs afin de se donner des outils contractuels adaptés aux besoins d’une économie de plus en plus diversifiée[152]. En conséquence, certains ont constaté en France que cette tendance à se méfier de l’innommé serait en train de s’amenuiser avec la reconnaissance de nouveaux objets de contrats, d’avant-contrats, de nouveaux moyens de crédit et de sûretés[153]. Cette tendance peut s’observer au Québec où l’existence de l’innommé n’est plus remise en cause et où la jurisprudence récente semble être moins hésitante à faire appel à la notion.

La multiplication des types de contrats entraîne cependant des difficultés grandissantes de qualification[154]. En effet, les tribunaux hésitent parfois entre diverses solutions pour le même type de contrat : le contrat de distribution est parfois nommé ou innommé ; le contrat de garde d’un animal est parfois un dépôt, un contrat de service ou un contrat mixte[155], le contrat d’honoraires de recherche (finder’s fee) est parfois un contrat de courtage assimilé au mandat ou au contrat de service, parfois un contrat innommé[156].

Par opposition, pour certaines personnes ne voyant pas ces problèmes, la qualification innommée peut s’avérer une solution de facilité[157]. Il s’agirait de la démonstration d’un embarras qui ne fait « pas avancer la question d’un pas[158] ». Selon ce courant de pensée, le choix de l’innommé ne se ferait pas en raison de l’impossibilité de se rattacher à une catégorie connue, mais plutôt en raison de l’embarras des tribunaux ou d’une qualification qui heurterait les convictions[159].

En fait, selon ce dernier courant de pensée, l’idée n’est pas tant de militer contre l’innommé qu’en faveur d’un processus rigoureux poussant l’analyse à terme[160]. Il ne faut pas se contenter d’écarter l’incertitude en ayant recours à l’innommé. Il faudrait plutôt avoir acquis la certitude que les catégories préexistantes ne sont pas appropriées. En effet, les conséquences de la qualification sur le régime juridique sont importantes, et il est faux de croire que les règles applicables aux contrats nommés « voisins » sont automatiquement applicables par analogie[161].

Il faut, dans le contexte de la qualification, donner suite à l’intention des parties qui désirent possiblement s’éloigner des schèmes connus. En effet, rien n’empêche les parties de vouloir s’exempter des règles des contrats nommés voisins si cela satisfait leurs besoins[162]. L’innommé ne connaît que deux limites : l’imagination et l’ordre public[163].

Par ailleurs, compte tenu des éléments pertinents par rapport à la qualification que nous avons décrits précédemment, il est logique de s’interroger sur l’obligation fondamentale ou la prestation caractéristique. Faut-il rechercher la prestation caractéristique d’un contrat innommé ? Or, cet élément sert d’abord à rapprocher le contrat à l’étude d’une convention nommée. Ainsi, dans un contexte innommé, mettre en évidence la prestation caractéristique ne serait utile que dans le but de le dissocier des contrats nommés connus. Conviendrait-il d’encourager la tendance des tribunaux à reconnaître les prestations caractéristiques des contrats innommés[164] ? Ainsi, les tribunaux n’hésitent pas à décrire à quelles conditions il sera possible de qualifier la franchise[165], le contrat de société nominale[166] ou la concession[167]. La prudence est ici de rigueur. Cette tendance ignore le processus de qualification préalable. Avant de se demander si un contrat remplissait les conditions d’existence de la franchise (et ainsi conclure qu’il était innommé), le tribunal s’est-il interrogé sur la possibilité de la rattacher d’abord à un ou plusieurs contrats nommés ? Cette catégorisation de l’innommé n’est pas sans conséquence, puisqu’il y a risque de développer un régime juridique distinct pour chaque catégorie. Par exemple, il se pourrait que certains disent de tous les contrats d’approvisionnement, souvent qualifiés d’innommés, qu’ils sont d’adhésion, sans plus d’analyse[168], alors qu’il faut évaluer cette réalité au cas par cas. Les tribunaux ne voudront pas créer de catégories étanches de contrats innommés, cette qualification devant demeurer souple et susceptible de s’adapter à toute situation. Ils ont d’ailleurs déjà mis en garde les juristes contre la tentation de généraliser les catégories de contrats innommés, notamment en matière de distribution[169].

Évidemment, les tribunaux ont pris l’habitude des catégories de contrats dans le but de régler des problèmes concrets. Ainsi, lorsqu’un tribunal décide qu’un contrat d’agence ou de distribution est un contrat innommé qui n’est ni un mandat ni un contrat de service, il règle le problème de la nécessité d’un préavis afin de résilier l’entente[170]. Les juges pourront ultérieurement se référer à cette décision si un problème semblable survient[171]. Il s’agit surtout d’un exercice comparatif et non de la création de nouvelles catégories entières et étanches. Le danger consiste à négliger l’analyse devant mener à la qualification ou de simplement comparer les deux contrats sans se poser l’ensemble des questions pertinentes. La qualification exige un processus plus rigoureux[172].

Notons au passage que les tribunaux emploient souvent une expression qui prête à confusion en présence de contrats innommés. Ils disent fréquemment qu’un contrat innommé « s’apparente à » un autre contrat nommé. Il est évidemment compréhensible que les tribunaux cherchent à établir des liens avec les notions connues. Ici encore, la prudence est de mise. Le risque serait d’appliquer automatiquement le régime juridique du contrat voisin. Il faut plutôt tenir pour acquis que, si le législateur n’a pas prévu d’obligations pour les parties dans un contrat précis, il a voulu soit rester en retrait, soit amener les parties à régir elles-mêmes l’ensemble de leurs relations[173].

Bien qu’il ne semble pas souhaitable de créer des catégories étanches de contrats innommés, encore faut-il savoir à quelles circonstances il convient de les rattacher. Malgré une certaine controverse doctrinale[174], il semble possible d’associer l’innommé à deux situations distinctes. D’abord, certains contrats innommés sont issus d’une fusion entre les opérations juridiques liées à deux ou plusieurs contrats nommés (2.2.1). Ensuite, les justiciables peuvent aussi créer de toutes pièces des contrats qui ne peuvent se rattacher aux modèles connus (2.2.2).

2.2.1 L’innommé fusionné ou atypique

Il est loisible aux contractants de réaliser un tel mélange des opérations prévues aux contrats nommés que la nature de leur entente s’en trouvera modifiée. Par exemple, la convention fusionne les obligations fondamentales de divers contrats nommés. Il s’agirait là du contrat innommé le plus courant[175]. Ainsi, selon l’acceptation classique en droit québécois, le contrat de franchise ne s’adapte à aucune institution connue du droit civil et « participe » à la fois du mandat, du louage, de la vente et de la société[176]. Ce genre d’innommé est dit « atypique » en ce qu’il déroge aux « types » de contrats déjà connus[177].

L’innommé fusionné apparaît dans deux situations distinctes. D’abord, en le comparant avec le contrat mixte, le tribunal considère le contrat innommé lorsqu’il est irréductible à la pure addition des contrats qui le composent[178]. Le contrat est-il davantage que la somme de ses parties, le mélange défigure-t-il le contrat ?[179] François Terré parle d’un alliage qui dépasse la simple juxtaposition de contrats nommés[180]. Il ne faudrait pas en effet que le simple mélange de contrats nommés permette de conclure à l’innommé[181].

Ainsi, le contrat de franchise pourrait être plus que la simple addition des contrats de vente, de louage, de mandat ou de société, par exemple[182]. En effet, le franchiseur peut vendre ou louer du matériel lié à la franchise, le franchisé peut permettre au franchiseur de la représenter à des fins de publicité, les parties peuvent s’entendre pour partager certains profits, et ainsi de suite. Ces divers aspects sont tellement imbriqués que certains auteurs considèrent que s’est développé de cette manière le caractère unique de ce contrat, que ce genre d’obligation a évolué pour représenter une nouvelle réalité[183]. Si ce contrat est souvent vu comme une création originale, les tribunaux ont toutefois recours aux dispositions des différents contrats nommés afin de régler les litiges. Or, cet état de fait cadre mal avec la notion d’innommé. Le contrat de franchise pourrait être vu comme un contrat mixte, même si plusieurs le considèrent d’emblée comme innommé[184]. Lorsqu’un juge de la Cour supérieure écrit que, « dans le droit québécois, le contrat de franchise est un contrat innommé qui participe à la fois du mandat, du louage et de la société […], sans correspondre parfaitement à l’un ou l’autre de ces types de contrats[185] », veut-il dire que, fusion oblige, aucun contrat particulier n’est inclus dans l’ensemble ? Certains pourraient prétendre que l’application des différents régimes mènerait éventuellement à des contradictions inévitables[186]. À notre avis, chaque situation doit être étudiée isolément et toute décision hâtive ne ferait que miner le processus de qualification.

Devant un contrat d’assistance technique et de location de pièces, la Cour d’appel a conclu qu’il s’agissait de plus qu’un simple bail, compte tenu que la complexité des équipements en cause était un aspect clé de la convention[187]. Celle-ci forme donc un tout indivisible et devait être qualifiée de contrat innommé[188]. Le tribunal a aussi déterminé, par exemple, qu’un contrat-cadre lié à la confection de vêtements était innommé[189]. Le contrat encadrait la relation entre les parties et prévoyait l’envoi de pièces de vêtements pour les coudre, soit 2 000 pièces par semaine à un prix fixé annuellement. La Cour d’appel a décidé que ce contrat ne cadrait pas de manière appropriée avec les notions de mandat, de contrat de travail ou d’entreprise. D’autres exemples, tels que le contrat de soins médicaux ou le contrat de distribution commerciale[190], illustrent également la façon dont diverses obligations normalement issues de contrats nommés peuvent s’allier pour former un contrat innommé.

Il existe une autre situation dans laquelle l’innommé atypique est reconnu. Cette situation est liée au fait que les obligations du contrat ne sont pas indivisibles au point de faire ressortir une structure nommée[191]. Il est alors impossible de conclure soit à une qualification unique en raison de l’absence d’indivisibilité, soit à une qualification distributive parce que les conditions pertinentes de chacun des contrats nommés ne sont pas satisfaites. Entrent dans cette catégorie tous les contrats auxquels les parties auront donné une « valeur ajoutée » faisant en sorte qu’il y a éloignement de la qualification unique. Ainsi, sans intention de former une société, la convention d’association d’avocats sera innommée[192]. Le contrat de consignation est innommé parce que l’aspect « dépôt » n’est qu’accessoire[193]. Il y aura donc un élément supplémentaire, positif ou négatif, résultant de l’unité de l’ensemble[194].

Pratiquement, le tribunal reconnaîtra ce genre d’innommé en ce que les parties modifient simplement une des caractéristiques essentielles d’un contrat nommé faisant en sorte que le régime légal devienne inapplicable. La jurisprudence révèle les exemples suivants de contrats innommés :

  • un contrat préconstitutif (qui n’est pas un mandat)[195] ;

  • un contrat de partage de dépenses (qui n’est pas une société en raison de l’absence de partage de profits)[196] ;

  • un contrat de fourniture de biens (qui n’est pas un louage en raison d’une dette remboursée par le bénéficiaire)[197] ;

  • un contrat d’approvisionnement (qui participe de la vente, du louage et du mandat)[198] ;

  • un contrat pour l’exploitation d’une cafétéria (qui n’est pas un louage puisque l’obligation du propriétaire dépasse alors celle qui est liée à la jouissance des lieux)[199] ;

  • un contrat de distribution exclusive (qui dépasse la relation client-fournisseur du contrat d’entreprise)[200] ;

  • un contrat pour la sollicitation de réclames publicitaires (qui n’est pas un mandat en l’absence de représentation)[201].

Il ressort de l’ensemble de ces exemples que les contrats innommés peuvent résulter d’une déviation des contrats nommés connus. Cependant, d’autres innommés sont créés par la seule imagination des parties.

2.2.2 L’innommé autonome ou typique

Les contractants peuvent conclure une entente tout à fait originale, qui s’éloigne tellement des contrats connus qu’ils découvrent en fait un objet nouveau à leur contrat[202]. Le processus de qualification aura été, jusqu’à ce moment-là, un échec complet. La détermination des prestations essentielles du contrat ne permettra pas de le rattacher aux catégories nommées. Cet innommé sera alors perçu comme autonome des régimes déjà connus ou typiques, comme créant un nouveau « type » de contrat[203]. Il s’agirait, selon certains, des véritables contrats sui generis, c’est-à-dire ceux qui sont créés sans véritable référence à ce qui existe déjà[204]. L’existence de ces seuls contrats devrait rassurer ceux qui doutaient de la pertinence de l’innommé en droit civil québécois après 1994 en raison de la large définition du contrat d’entreprise ou de service[205].

La jurisprudence a révélé divers exemples de ce genre d’innommé. Le contrat de coentreprise (joint venture) fait partie de ceux-ci. Il y a coentreprise lorsque deux ou plusieurs entreprises forment une alliance dans un but commercial précis[206]. Ce type de contrat existe au moins depuis le xixe siècle et est issu des juridictions de common law, particulièrement des États-Unis où il s’est répandu[207]. Au cours des ans se sont développés des critères autonomes pour reconnaître ce genre de contrat, et ce, en dehors des contrats nommés, plus particulièrement le contrat de société[208]. Bien que certains aient tenté d’assimiler la coentreprise au contrat de société[209], force nous est de constater que, dans une véritable coentreprise, chaque partie demeure propriétaire de son apport et qu’il n’y a pas partage des profits. Chaque partie reçoit pour elle-même les bénéfices issus de ses propres biens. Par exemple, dans l’affaire Howard Edde inc. c. N. McCubbin Consultants inc.[210], diverses entreprises s’étaient entendues afin de fournir de l’information dans le but de préparer un rapport environnemental qui serait remis au gouvernement. Clairement, chaque partie agissait pour son propre bénéfice, distinct des autres, ce qui justifiait une qualification innommée.

De son côté, le contrat de subordination, issu de la common law, ne se réfère de près ou de loin à aucune convention du Code civil. Dans le contexte de cette entente, un créancier garanti reconnaît le droit à un second créancier d’être payé avant lui en tout ou en partie. La Cour d’appel a reconnu d’emblée que c’était là un instrument de crédit d’usage courant réglementé dans les autres provinces canadiennes mais pas au Québec. Par conséquent, il s’agit d’un contrat « innommé de nature protéiforme[211] ». En effet, l’obligation essentielle de ce contrat, c’est-à-dire suspendre l’exécution de ses droits en faveur d’un tiers, ne rapproche la convention d’aucun modèle connu[212]. De plus, les parties à un tel contrat n’ont pas simplement modifié un contrat existant. Elles ont créé de toutes pièces une convention répondant à leurs besoins.

Le contrat de cogestion peut aussi créer un réseau d’obligations qui ne se rapproche d’aucune institution connue du Code civil. Dans l’affaire D.M.C. Soudure inc. c. Équipements industriels Robert ltée[213], l’entreprise D.M.C. conclut un contrat avec Inmet prévoyant, entre autres, la démolition d’installations minières en contrepartie de quoi elle tentera de faire des profits avec la vente des débris. L’entreprise D.M.C. conclura une seconde entente avec Robert, autre entreprise spécialisée en démolition, prévoyant la participation de cette dernière aux travaux en contrepartie de la cession d’une partie des droits du premier contrat. En principe, les deux parties doivent gérer les travaux ensemble. Lorsqu’un litige éclate entre les entreprises D.M.C. et Robert sur des montants qu’elles se doivent au terme des travaux, le tribunal doit qualifier l’entente. Pour D.M.C., c’est un contrat de service et pour Robert, une société en participation. Le tribunal conclut qu’il ne s’agit d’aucun des deux. Il n’y a en effet aucune relation client-prestataire dans les limites du contrat, excluant le contrat de service. De plus, aucun bénéfice n’est réalisé en commun selon les modalités du contrat, ce qui exclut la société. Le tribunal conclut alors à l’existence d’un contrat innommé en vue de la gestion commune des travaux et de la cession partielle de droits résultant d’un autre contrat. Bien que le tribunal ne le mentionne pas expressément, nous observons que les parties ont créé un réseau d’obligations propres à leur situation. Elles ne cherchaient aucunement à modifier un modèle connu.

Il existe divers autres exemples de ce genre d’innommé[214]. Ainsi, le contrat de parrainage publicitaire cadre mal avec les modèles connus[215]. Dans une telle entente, une entreprise accepte de commanditer un artiste ou un athlète dont les activités nécessitent un financement. En contrepartie, le bénéficiaire peut accepter, notamment, de faire certaines apparitions publiques, de porter certains vêtements. Il sera difficile dans ce cas d’y voir un contrat de prêt, une donation ou un contrat de travail. Même le contrat de service semble peu adapté à cette réalité, une relation prestataire-client n’étant pas vraiment présente. Il semble qu’il faille davantage parler d’une création originale. Il faut cependant réitérer que tous les contrats de parrainage ne seront pas automatiquement innommés. Par exemple, si l’analyse d’un contrat spécifique prévoit uniquement le paiement du commanditaire en échange d’une série de conférences préparées par un athlète, il sera aisé d’y voir un contrat de service.

En matière de financement, nous pourrions aussi discuter des garanties autonomes ou des garanties à première demande[216]. Cet outil de financement, originaire des États-Unis, répondait à un besoin des financiers qui voulaient minimiser les risques de contestation des cautions. Par ailleurs, l’engagement des banques américaines ne pouvait être complet dans certains financements, étant donné l’interdiction qui leur est faite de se porter caution. Un nouveau mécanisme de garantie a donc été créé qui, lui, est entièrement indépendant de la dette que les parties veulent garantir. Ainsi, c’est essentiellement un engagement de payer une somme déterminée, donné à l’occasion et en garantie d’une opération économique mais rendu indépendant de cette opération par l’inopposabilité au bénéficiaire des exceptions inhérentes à cette opération[217]. Les tribunaux considèrent généralement qu’il s’agit d’un contrat innommé[218]. En effet, cette création originale ne peut aucunement être rapprochée du cautionnement étant donné que la garantie n’est l’accessoire d’aucun autre contrat.

Ces quelques exemples démontrent clairement l’inventivité des juristes placés devant des situations concrètes et l’utilité de l’innommé en cas de besoins spécifiques. Il serait donc fort présomptueux de croire que toutes les formes contractuelles sont connues. Il faut plutôt admettre le fait que les classifications existantes ne prévoient pas toutes les possibilités. D’où, une fois encore, l’utilité d’un procédé de qualification qui laisse une porte ouverte à cette éventualité.

Conclusion

Tout processus de qualification du contrat doit, dans un premier temps, s’attacher à la hiérarchisation des obligations. Il faut mettre en évidence l’obligation ou les obligations essentielles ou encore les prestations caractéristiques qui donnent sa couleur au contrat et, en conséquence, sa nature. C’est dans un second temps que la qualification prend tout son sens, lorsque le juriste appose une étiquette au contrat à l’étude.

En effet, lorsque l’analyse des obligations est terminée, le juriste peut choisir entre les qualifications nommées et innommées. Même si l’interprète doit favoriser une qualification unitaire en associant le contrat à l’étude à un seul régime nommé, il ne peut trahir la réalité d’un réseau complexe d’obligations qui ferait appel à plusieurs régimes distincts. Est ainsi exposée la limite floue entre le simple contrat nommé et le contrat mixte. Or, la distinction est capitale. Le contrat de courtage immobilier se voit-il imposer les seules règles du contrat de service ou faut-il aussi y appliquer les règles du mandat lorsqu’elles sont pertinentes ? La distinction peut être vue dans la hiérarchie entre les différentes obligations. Existe-t-il une obligation fondamentale à laquelle se greffent des obligations accessoires qui prennent la nature de la première ? Au contraire, est-il question de plusieurs obligations fondamentales relevant de régimes différents ? Bien qu’il demeure encore ici une certaine part de subjectivité de la part du juge qui procède à la qualification, ce dernier dispose d’un cadre de référence permettant de fonder une décision.

Par ailleurs, nous devons constater en jurisprudence une certaine polarisation autour des qualifications nommées. En effet, les tribunaux semblent conclure plus facilement au rapprochement avec les modèles connus. Il serait évidemment tentant d’y voir un souci de ne pas se soustraire trop facilement aux règles juridiques précisément prévues pour ces contrats. Toutefois, l’empressement des tribunaux à appliquer les contrats connus s’explique peut-être par l’absence d’un processus systématique de qualification des contrats. Les jugements dans lesquels le tribunal procède à la qualification contractuelle sont sommaires et disparates dans la méthode. Une démarche plus structurée a peut-être été amorcée par la jurisprudence récente qui reconnaît dorénavant la nécessité d’une analyse sérieuse[219].

Après avoir épuisé toutes les options liées aux qualifications nommées, la qualification innommée sera envisagée. Ce type de convention, rejetant de principe toute forme établie, devrait être reconnu au cas par cas. Il nous semble périlleux de créer des catégories de contrats innommés, tout comme il nous paraît imprécis de prétendre que tous les contrats de franchise ou tous les contrats d’approvisionnement sont innommés. Nous reconnaissons toutefois que l’innommé origine de deux phénomènes distincts : soit il est le pur résultat de l’imagination des justiciables, soit il constitue une variation des modèles nommés connus. À cet égard, la frontière entre le contrat mixte et le contrat innommé sera souvent incertaine. À partir de quel moment le contrat complexe fusionne-t-il les obligations convenues à un point tel qu’il n’est plus possible de reconnaître les modèles nommés desquels elles sont issues ? Est alors nécessaire un alliage des obligations qui dépasse la simple superposition de contrats différents.

Il faut par ailleurs décourager une certaine tendance des tribunaux à admettre l’innommé trop difficilement. Rien n’empêche les parties, sous réserve des règles d’ordre public, de vouloir échapper aux contrats nommés. Elles demeurent les seuls maîtres des obligations auxquelles elles souscrivent. Toutefois, le principe d’autonomie de la volonté, pourtant bien établi en droit civil, devient très relatif en matière de qualification, compte tenu de la réglementation croissante et de l’empressement des juges à en répandre l’application. Voilà pourquoi certains ont parlé du « déclin » du contrat[220]. Or, derrière cette apparence d’application systématique du contrat nommé se cache toutefois une vitalité renouvelée. Le contrat mixte et le contrat innommé gagnent du terrain en droit québécois, peut-être justement en réaction aux interventions législatives de plus en plus nombreuses. Si cette réaction des justiciables devait s’intensifier, deux conséquences seraient envisageables : une intervention accrue du législateur ou une déréglementation du domaine des contrats puisque de plus en plus de transactions ne seraient pas visées par des régimes spéciaux.

L’ensemble des considérations liées au processus de qualification des contrats reflète quelques-uns des outils à la disposition des juristes pour la détermination de la nature juridique des conventions. Il ne faudrait toutefois pas penser que ce procédé de qualification est immuable. Tout comme nul ne saurait imaginer que les justiciables ont déjà créé tous les genres de contrats possibles, il ne faudrait pas ignorer que le processus est susceptible d’évoluer ou d’être affiné en fonction de besoins spécifiques[221]. Par exemple, le droit civil s’est encore relativement peu intéressé au phénomène du groupe de contrats[222]. Il en est encore à définir l’influence d’un contrat sur un autre lorsqu’ils font partie d’un ensemble important d’obligations existantes entre les parties. Serait-il concevable que les différents contrats d’un groupe aient une influence sur leur qualification respective ? Si oui, à quelles conditions ? Force nous est donc de constater qu’il ne saurait être question de parler d’un dogme de la qualification contractuelle, celle-ci devant pouvoir évoluer avec l’avancement de la science juridique.