Chronique bibliographique

Martine Valois, L’indépendance judiciaire. La justice entre droit et gouvernement, Montréal, Éditions Thémis, 2011, 408 p., ISBN 978-2-89400-296-4.[Notice]

  • Patrice Garant

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  • Patrice Garant
    Université Laval

Le titre de l’ouvrage est un peu trompeur, car il s’agit plutôt d’un texte sur la fonction judiciaire, son statut et son évolution dans le système de démocratie occidentale, et notamment le nôtre. Cet ouvrage très bien documenté et magnifiquement écrit porte sur la place de la fonction de juger « dans le système juridique à la lumière des remaniements historiques dans l’organisation des pouvoirs politiques et la production du droit » (p. 2). La transformation de cette fonction est « l’aboutissement d’un processus historique et évolutif, et non le produit d’un empiètement injustifié du domaine politique par le juge » (p. 2). On ne pourrait pas parler de gouvernement des juges, comme certains l’ont prétendu. Il s’agit donc d’un ouvrage savant de sociologie juridique sur la légitimation du pouvoir judiciaire comme créateur de normes juridiques, dont l’accroissement menacerait même la légitimité démocratique. N’étant pas expert en sociologie juridique, je formulerai avec prudence les quelques réflexions qui suivent. Les parties 1 et 2 de l’ouvrage traitent des perspectives théoriques, de la place du droit dans la société, des transformations du droit et des formes du droit dans le temps. Dans la partie 3, l’auteure aborde la justice dans la tradition juridique occidentale et la place du système judiciaire dans l’environnement politique et social. C’est finalement au chapitre 6 du dernier titre qu’on traite de l’indépendance judiciaire (p. 349-380), qui est en quelque sorte une conséquence logique de la situation constitutionnelle de la fonction de juger et de son importance à l’époque contemporaine. Ce dont il s’agit ici, c’est de la justice formelle plutôt que de la justice matérielle, mais j’estime que la responsabilité du juge dans la solution des litiges contemporains comporte aussi une dimension sociale inéluctable, aussi bien en droit privé (conflits familiaux, relations du travail) qu’en droit public (contestations en vertu des chartes, surveillance judiciaire des actes de l’Administration). Dans les 38 pages consacrées spécifiquement à l’indépendance judiciaire, l’auteure explique succinctement comment on est passé du poids de la tradition, comme fondement de cette indépendance, à la consécration formelle, tardive il est vrai, par les tribunaux eux-mêmes d’un principe constitutionnel de la plus haute importance. L’auteure fait ressortir, à partir de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, que l’objectif poursuivi a été de dépolitiser la justice au maximum. L’indépendance est essentielle à la nature de la relation entre le tribunal et toute autre entité. Ce n’est pas tellement le principe de la séparation des pouvoirs qui justifie la distance qui doit exister entre le juge et ces autres entités, mais la nécessité de protéger le juge contre toute contrainte ou influence indue que seule la dépolitisation peut procurer. Cette dépolitisation est favorisée par l’inamovibilité, la sécurité financière et l’autonomie institutionnelle de l’appareil judiciaire, les trois ingrédients essentiels de l’indépendance, selon la jurisprudence de la Cour suprême. En ce qui concerne la sécurité financière, l’auteure rappelle la structure imposée par la Cour suprême, soit la mise sur pied d’un comité indépendant chargé de statuer sur les questions relatives à la rémunération. La Cour suprême n’hésite pas à qualifier cette instance de nouvel organe constitutionnel : elle est « un organisme mandaté par la Constitution » ! L’auteure mentionne que cette structure a été critiquée et est discutable du point de vue du droit positif, mais l’objectif de dépolitisation justifierait « ce transfert de responsabilité vers un organisme qui ne fait pas partie des pouvoirs législatif, exécutif ou judiciaire » (p. 373). Il faut rappeler que le mécanisme imposé par la Cour enfreint un principe constitutionnel séculaire fondamental. Il n’y rien de plus fondamental dans notre démocratie parlementaire …

Parties annexes