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Le 22 décembre 2012, la Ville de Gaspé adoptait le Règlement déterminant les distances séparatrices pour protéger les sources d’eau et puits artésiens et de surface dans la ville de Gaspé[1]. Comme ce règlement encadre strictement les activités de forage pouvant se dérouler sur le territoire de la ville, il a amené la compagnie Pétrolia à suspendre un projet de forage pétrolier et à contester la validité dudit règlement. La Cour supérieure a jugé l’essentiel du Règlement de Gaspé inopérant à l’égard des activités de Pétrolia ou carrément ultra vires[2].

Ce jugement prononcé en 2014 est d’une importance cruciale, car il constitue un cas type (test case). En effet, des dizaines de municipalités québécoises ont adopté des règlements semblables au Règlement de Gaspé dans le but de protéger des sources d’eau[3]. Bien que la plupart de ces règlements risquent d’influer sur l’exploitation du gaz de schiste plutôt que sur celle du pétrole de schiste, les questions juridiques soulevées autour du Règlement de Gaspé sont essentiellement les mêmes que pour ces autres règlements municipaux. De manière plus générale, cette affaire est une des premières à poser aussi directement la question de savoir dans quelle mesure la Loi sur les compétences municipales[4] adoptée en 2005 a accru l’autonomie municipale. Dans ce contexte, il importe de procéder à une analyse critique de cette décision de la Cour supérieure, décision que nous jugeons lacunaire à certains égards.

Nous proposons donc une contribution à la réflexion concernant ces questions à partir d’analyses de jugements, dont celui de la Cour supérieure dans l’affaire Pétrolia inc. c. Gaspé (Ville de), de dispositions législatives ou réglementaires, d’articles de doctrine, de publications gouvernementales et de débats parlementaires. Le tout, en faisant ressortir des règles d’interprétation pertinentes qui, l’espèrons-nous, concourent à donner un sens à des normes ou à des ensembles de décisions autrement plus disparates.

Dans la première partie du présent article, nous tenons à présenter les principaux éléments du Règlement de Gaspé et de la décision de la Cour supérieure concernant l’affaire Pétrolia. La deuxième partie porte sur des arguments au soutien de la thèse de l’inopposabilité ou de l’inopérabilité du Règlement de Gaspé pour cause de prépondérance d’une loi ou d’un règlement étatique[5], à commencer par la clause prévoyant une prépondérance des droits miniers sur certains actes municipaux, laquelle interdit à ces derniers d’empêcher l’exercice de ces droits, mais pas nécessairement de simplement l’encadrer. La troisième partie réunit des arguments appuyant la thèse de la validité et de l’opérabilité du Règlement de Gaspé fondée sur des compétences municipales et sur la coexistence possible entre une norme gouvernementale et un règlement municipal. C’est donc dire que nous traitons seulement les questions de prépondérance étatique et de compétences municipales, laissant de côté les autres motifs de contestation potentielle (imprécision, effet prohibitif, etc.) qui, au demeurant, n’ont pas été abordés dans la décision de la Cour supérieure au sujet de l’affaire Pétrolia.

1 Le Règlement de Gaspé et le jugement de la Cour supérieure

Le Règlement de Gaspé contient à son article 8 certaines interdictions :

Il est interdit à quiconque d’introduire ou de permettre, que ce soit introduit dans le sol par forage ou par tout autre procédé physique, mécanique, chimique, biologique ou autre, toute substance susceptible d’altérer la qualité de l’eau souterraine ou de surface servant à la consommation humaine ou animale, et ce, dans un rayon de :

Dix kilomètres (10 km) de tout lieu de puisement d’eau de surface de la municipalité ;

Six kilomètres (6 km) de tout puits artésien ou de surface desservant plus de vingt (20) personnes ;

Deux kilomètres (2 km) de tout puits artésien ou de surface desservant vingt (20) personnes ou moins.

L’étendue de ces rayons s’applique tant pour les activités qui se déroulent à la surface du sol que pour celles se déroulant dans le sous-sol.

L’article 9 du Règlement de Gaspé précise ensuite que toute personne désirant réaliser une opération visée à l’article 8, là où c’est permis, doit obtenir un permis municipal. Pour ce faire, conformément à l’article 10, elle doit déposer certains documents : plans, exposés, études, chèque, etc. Les articles 11 à 14, quant à eux, portent sur les conditions de délivrance du permis de forage, l’étude relative à la qualité de l’eau, la période de validité du permis ainsi que sa suspension, sa révocation ou son-renouvellement.

Dans son jugement, la Cour supérieure déclare l’article 8 du Règlement de Gaspé inopérant à l’égard des activités de Pétrolia autorisées en vertu de la Loi sur les mines[6] et ses articles 9 à 14 ultra vires des compétences de la Ville, et ce, en se basant essentiellement sur l’article 124 de la Loi sur la qualité de l’environnement[7] et sur l’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[8].

2 La prépondérance étatique : une portée limitée

La thèse de l’inopérabilité du Règlement de Gaspé pour cause de prépondérance étatique est donc basée notamment sur l’article 124 de la LQE qui précise qu’un règlement gouvernemental prévaut sur tout règlement municipal portant sur le même objet. La thèse de son inopposabilité, quant à elle, est justifiée essentiellement par l’article 246 de la LAU : celui-ci prévoit que certains actes municipaux ne peuvent empêcher l’exercice de droits prévus par la Loi sur les mines.

2.1 L’article 246 de la LAU et la Loi sur les mines : une prépondérance d’exception

Le premier alinéa de l’article 246 de la LAU se lit comme suit :

Aucune disposition de la présente loi, d’un plan métropolitain, d’un schéma, d’un règlement ou d’une résolution de contrôle intérimaire ou d’un règlement de zonage, de lotissement ou de construction ne peut avoir pour effet d’empêcher le jalonnement ou la désignation sur carte d’un claim, l’exploration, la recherche, la mise en valeur ou l’exploitation de substances minérales et de réservoirs souterrains, faits conformément à la Loi sur les mines (chapitre M-13.1)[9].

Pour bien comprendre la portée limitée de cet article, il faut savoir qu’il consacre une exception en précisant que certaines activités, lorsqu’elles sont faites conformément à la Loi sur les mines, ne peuvent être empêchées par des actes municipaux découlant de la LAU.

Concernant le caractère exceptionnel de l’article 246 de la LAU, il est unanimement confirmé tant par les archives parlementaires que par la doctrine et la jurisprudence. Lors de l’adoption de sa version originale, le critique de l’opposition officielle et ancien ministre des Affaires municipales, Victor Goldbloom, a qualifié explicitement cet article d’exception[10]. Dans leur ouvrage intitulé Loi sur l’aménagement et l’urbanisme annotée, Marc-André LeChasseur et Jean-Pierre Saint-Amour vont exactement dans le même sens en inscrivant entre la mention « ARTICLE 246 » et le texte de cet article les mots « [e]xception pour les activités minières[11] ». La Cour supérieure n’est pas en reste puisque, dans l’affaire Ressources Graphicor inc. c. Ministère de l’Environnement du Québec, elle mentionne que « [l]’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme crée une exception particulière aux opérations minières[12] ». Comme nous le verrons plus loin, de manière générale la jurisprudence prône une interprétation stricte de l’article 246 de la LAU, ce qui renforce encore davantage la thèse de son caractère exceptionnel.

En effet, il est bien connu qu’une exception est généralement d’interprétation stricte : exceptio est strictissimae interpretationis[13]. En ce qui concerne l’article 246 de la LAU, outre la question de la qualification du Règlement de Gaspé, cela est susceptible d’influer sur la conciliation de cet article avec des compétences municipales en matière d’aménagement et en matière minière, ainsi que sur l’interprétation des types d’actes visés par cet article.

2.1.1 L’interprétation stricte des types d’actes visés par l’article 246 de la LAU

Pour ce qui est de l’interprétation des types d’actes visés par l’article 246 de la LAU, certaines décisions de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) peuvent a priori sembler prôner une interprétation large. Par exemple, dans l’affaire Canbriam Energy, où il est question d’une demande d’autorisation d’utiliser une partie d’un lot comme site de forage, et donc à une fin autre qu’agricole, la CPTAQ mentionne, juste avant de citer l’article 246 de la LAU, que « [l]es forages gaziers ne sont pas soumis aux règlements municipaux. La loi sur l’aménagement et l’urbanisme prévoit qu’aucun règlement ne peut limiter ou empêcher l’expression des droits miniers (claims)[14]. »

Plus important encore, la Cour d’appel semble aller dans ce sens dans un passage de l’affaire Québec (Procureur general) c. Bélanger. En effet, dans cette affaire où il est question d’une demande en vue d’obtenir un permis pour exploiter une sablière ainsi que pour extraire et transférer des minéraux, elle affirme que « l’article 246 LAU indique que la réglementation municipale ne peut limiter l’exploitation d’une sablière faite en vertu de la Loi sur les mines[15] ».

Devant ce qui pourrait erronément être vu comme un courant jurisprudentiel favorable à une interprétation large des types d’actes visés par l’article 246 de la LAU, plusieurs précisions s’imposent. Dans l’affaire Canbriam Energy et dans toutes ses autres décisions où elle paraît interpréter largement l’article 246, la CPTAQ rend inopposable en vertu de cet article soit un règlement de zonage[16], soit un schéma d’aménagement et de développement[17]. Autrement dit, même si le passage de la décision Canbriam Energy précité pouvait donner l’impression d’étendre la portée de l’article 246 au-delà des actes prévus dans la LAU, pris dans son contexte il ne propose pas une telle extension.

Dans l’affaire Bélanger, considérée à la lumière de ses faits qui mettent en jeu un règlement de zonage, et non un règlement municipal ne touchant pas l’aménagement ou l’urbanisme qui, de ce fait, ne découlerait pas de la LAU, la Cour d’appel confirme cela. Elle y affirme que « [l]’article 246 de la LAU précise qu’aucune de ses dispositions non plus que des mesures d’aménagement ou des règlements de zonage, de lotissement ou de construction ne peut avoir pour effet, entre autres, d’empêcher l’exploitation de substances minérales faite conformément à la Loi sur les mines[18] ». Toujours au sujet de l’article 246, elle ajoute plus loin qu’« aucune norme d’aménagement sous la responsabilité d’une autorité municipale ne peut limiter une exploitation conforme à la Loi sur les mines[19] ».

Dans la même veine, avant de déclarer inopposables des dispositions de règlements adoptés en vertu de la LAU, la Cour supérieure mentionne, dans l’affaire Ressources Graphicor, que « [l]’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme crée une exception particulière aux opérations minières et a pour effet de soustraire au contrôle, par voie de schéma d’aménagement, de règlement de contrôle intérimaire ou de règlement de zonage ou de construction, l’exploitation de substances minérales et de réservoirs souterrains faits conformément à la Loi sur les mines[20] ».

Tout aussi intéressant, l’article 8 du Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement[21] prévoit que celui qui demande un certificat d’autorisation doit obtenir une attestation de conformité à la réglementation municipale. Toutefois, son troisième alinéa précise ceci :

[Cette exigence] ne s’applique pas à celui qui, en vertu de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1), est autorisé à effectuer des travaux d’exploration, de recherche, de mise en valeur ou d’exploitation de substances minérales ou de réservoirs souterrains, sauf s’il s’agit de travaux d’extraction de sable, de gravier ou de pierre à construire sur les terres privées où, en vertu de l’article 5 de cette Loi, le droit à ces substances minérales est abandonné au propriétaire du sol[22].

Cet article reprend donc l’esprit de l’article 246 de la LAU. Cependant, s’il ne faisait que cela, il serait superflu. À quoi bon prévoir qu’un promoteur minier n’aura pas à obtenir une attestation de conformité à la réglementation municipale si cette dernière ne vise jamais les activités minières ? Si le gouvernement a jugé cet alinéa nécessaire, c’est forcément parce qu’il existe bel et bien des règlements municipaux qui s’appliquent en matière minière et donc que l’article 246 de la LAU ne concerne pas tous les règlements municipaux. Dans sa décision rendue dans l’affaire Pétrolia, la Cour supérieure semble souscrire implicitement à cette logique en affirmant que « le législateur soustrait les opérations au sujet desquelles il légifère dans la Loi sur les mines, des responsabilités qu’il confie aux organisations municipales dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (article 246)[23] ». Mais son raisonnement qui la mène à conclure au caractère ultra vires des articles 9 à 14 du Règlement de Gaspé en invoquant l’article 246, sans avoir démontré que ces articles du règlement municipal découlent de la LAU, est quelque peu lacunaire. Car, de cette limitation de l’application de l’article 246 aux seuls actes découlant de la LAU, la Cour supérieure ne tire pas toutes les conséquences qu’elle devrait, notamment en termes de conciliation entre l’article 246 et les compétences municipales en matière d’aménagement et en matière minière.

2.1.2 La conciliation entre l’article 246 de la LAU et les compétences municipales en matière d’aménagement et en matière minière

Certaines dispositions, tels l’article 246 de la LAU et l’article 8 du Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, peuvent porter à croire que l’État souhaite exclure les municipalités du domaine minier en général et de celui du pétrole et du gaz en particulier[24].

Pourtant, d’autres dispositions indiquent le contraire[25]. Parmi celles-ci, la plus importante est sans doute le paragraphe 7 de l’alinéa 1 de l’article 6 de la LAU qui précise ceci : « Le schéma peut, à l’égard du territoire de la municipalité régionale de comté : […] 7o délimiter tout territoire incompatible avec l’activité minière au sens de l’article 304.1.1 de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1)[26] ». Avant une modification toute récente en 2013, ce dernier paragraphe allait dans le même sens en prévoyant ce qui suit : « 7o indiquer toute partie du territoire qui, en vertu de l’article 30 de la Loi sur les mines (chapitre M-13.1), est soustraite au jalonnement, à la désignation sur carte, à la recherche minière ou à l’exploitation minière[27] ». Dans un document du ministère des Affaires municipales portant sur cet élément du schéma et datant de 1988, il est indiqué au sujet de l’article 246 de la LAU que « [s]ans empêcher l’exercice d’activités minières, une municipalité régionale de comté ou une municipalité pourrait énoncer des critères visant à minimiser les impacts négatifs qui résultent de l’exploration et de l’exploitation minière[28] ». Plus loin dans le même document, on peut lire qu’une municipalité régionale de comté (MRC) ou une municipalité locale peut demander au ministre de l’Énergie et des Ressources de voir soustraire une partie de son territoire aux opérations minières, par exemple pour assurer « la protection de sites d’intérêt régional ou d’utilité publique (prise d’eau potable, réservoir d’eau potable, …)[29] ». Ensuite, on mentionne qu’il serait fort pertinent « que la municipalité régionale de comté indique, pour certains éléments de contenu (périmètres d’urbanisation, sites d’intérêt…), ses intentions en ce qui concerne l’exercice de l’activité minière[30] ». Plus pertinent encore, le document ajoute que « certains sites d’utilités publiques tels les prises d’eau potable et les réservoirs naturels d’eau potable mériteraient d’être protégés des atteintes qui résultent de l’exploitation d’un gîte minier[31] ».

Certes, puisqu’il était aussi question de la possibilité pour une municipalité de demander l’intervention du ministre, cet article et ce document ne signifiaient pas que les municipalités avaient pleine compétence en matière d’aménagement et en matière minière à des fins de protection des sources d’eau. Cependant, ils voulaient dire que ni le législateur ni le gouvernement ne considéraient que les municipalités n’avaient aucun rôle à jouer en ces matières. Et cela est encore vrai à la lumière du nouveau paragraphe 7 de l’alinéa 1 de l’article 6 de la LAU. Par contre, ce rôle doit être concilié avec l’existence de l’article 246 de la LAU.

La jurisprudence va d’ailleurs dans ce sens. L’affaire Métro Excavation inc. c. Beauchamp[32] porte sur une MRC qui souhaite intervenir dans un litige opposant une compagnie qui exploite une carrière et le ministère de l’Environnement. La MRC s’oppose à un projet de la demanderesse allant à l’encontre de son plan d’aménagement multiressources et risquant de provoquer la migration de contaminants vers le fleuve. Dans ce contexte, la Cour supérieure permet l’intervention de la MRC après avoir précisé que « les dispositions de l’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme n’ont aucunement pour effet d’empêcher une M.R.C. de procéder à l’aménagement du territoire, celle-ci ayant un intérêt et la compétence sur le territoire désigné[33] ».

Dans l’affaire Chertsey (Municipalité de) c. Québec (Ministre de l’Environnement), il est question d’un article d’une loi et d’un article d’un règlement gouvernemental potentiellement contradictoires : « L’une établit qu’un règlement de zonage ne peut interdire l’exploitation d’une sablière (art. 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme) et l’autre interdit l’exploitation d’une sablière dans un territoire zoné résidentiel (art. 10 du Règlement sur les carrières et sablières)[34] ». Alors que le ministre a décidé de donner préséance à l’article 246 de la LAU, la Cour supérieure, tout en affirmant qu’un règlement municipal de zonage qui interdirait l’exploitation d’une sablière partout sur le territoire de la municipalité serait illégal, conclut que cette décision du ministre ne répond pas à la norme de la décision correcte puisqu’il y a lieu de réconcilier les deux articles. En l’espèce, cela signifie qu’un certificat d’autorisation concernant un projet de carrière dans une zone résidentielle au sens du règlement de zonage doit être annulé. Outre la confirmation que les municipalités peuvent jouer un rôle en matière minière, cette décision est capitale parce qu’elle contient un raisonnement favorable à l’interprétation stricte de l’article 246 de la LAU. En effet, on peut y lire ceci : « L’article 246 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme semble vouloir éviter que les villes ou municipalités interdisent, sur leur territoire, l’une ou l’autre des activités énumérées reliées aux opérations minières. Telle semble être l’intention du législateur[35] ».

Dans l’affaire Bélanger, la Cour d’appel nuance quelque peu la portée du raisonnement tenu dans l’affaire Chertsey. Le plus haut tribunal québécois y conclut qu’un projet de carrière est légal dans une zone agroforestière qui permet un usage résidentiel, et ce, malgré l’article 10 du Règlement sur les carrières et sablières[36]. C’est donc dire que la Cour d’appel adopte une interprétation stricte de cet article. Cela signifie-t-il qu’elle adopte, par le fait même, une interprétation large de l’article 246 de la LAU ? Non, puisqu’elle propose non pas une préséance systématique de cet article sur l’article 10 du Règlement sur les carrières et sablières, mais une conciliation de ces deux articles (bien qu’en l’espèce il n’y ait pas de conflit). Quant à la portée de l’article 246, la Cour d’appel mentionne à deux reprises qu’il empêche de « limiter » une activité conforme à la Loi sur les mines, mais à quatre reprises qu’il empêche de « prohiber » une telle activité[37].

L’affaire Bélanger jette donc un doute sur la portée exacte de l’article 246 de la LAU, à savoir s’il rend inopposable une réglementation municipale adoptée en vertu de la LAU seulement si elle interdit une activité conforme à la Loi sur les mines, ou dès lors qu’elle limite une telle activité. La première option peut sembler préférable, puisqu’elle tient compte du fait que cet article doit s’interpréter restrictivement. Elle est aussi davantage conforme aux décisions rendues dans les affaires Métro Excavation et Chertsey. Elle est également plus en conformité avec le document du ministère des Affaires municipales qui mentionne que, « [s]ans empêcher l’exercice d’activités minières, une municipalité régionale de comté ou une municipalité pourrait énoncer des critères visant à minimiser les impacts négatifs qui résultent de l’exploration et de l’exploitation minière[38] ». Et elle est conforme à la lettre de l’article 246 selon laquelle « [a]ucune disposition […] ne peut avoir pour effet d’empêcher le jalonnement ou la désignation sur carte d’un claim, l’exploration, la recherche, la mise en valeur ou l’exploitation de substances minérales et de réservoirs souterrains, faits conformément à la Loi sur les mines[39] ».

Toutefois, ce dernier article peut aussi être invoqué au soutien de la deuxième option, soit celle selon laquelle l’article 246 de la LAU rend inopposable une réglementation municipale adoptée sous l’empire de la LAU dès qu’elle limite une activité conforme à la Loi sur les mines. Car si le législateur avait voulu prévoir une certaine préséance de cette dernière loi sur les actes adoptés en vertu de la LAU, tout en permettant que ces actes soient en partie applicables aux opérations minières, il aurait pu le faire. Par exemple, l’article 98 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles prévoit une certaine préséance de cette loi, avant d’ajouter à son troisième alinéa qu’« une personne qui obtient une autorisation ou un permis conformément à la présente loi, ou qui exerce un droit que celle-ci lui confère ou lui reconnaît, n’est pas dispensée de demander un permis par ailleurs exigé en vertu […] d’un règlement municipal[40] ». Comme le législateur n’a pas prévu un alinéa semblable dans l’article 246, on peut aussi penser qu’il ferme la porte à toute application à une activité minière d’un règlement adopté conformément à la LAU, à moins qu’une autre disposition, comme celle de l’article 10 du Règlement sur les carrières et sablières, ne le rende applicable… ou à moins que le règlement municipal ne soit également fondé sur une disposition habilitante inscrite dans une loi autre que la LAU. Bref, cela dépend aussi de la qualification donnée au règlement.

2.1.3 La qualification du Règlement de Gaspé et l’article 246 de la LAU

Étant d’interprétation stricte, l’article 246 de la LAU prévoit une préséance de la Loi sur les mines uniquement à l’égard de certains types d’actes municipaux. Puisque le Règlement de Gaspé ne correspond manifestement à aucun de ces actes, sauf peut-être à un règlement de zonage, la question de savoir s’il s’agit bel et bien d’un règlement de zonage se pose.

À la base, un règlement de zonage permet de diviser le territoire d’une municipalité en zones et d’en déterminer la vocation dans le but d’y contrôler les usages, de même que l’implantation, la forme et l’apparence des constructions[41]. Outre des dispositions écrites souvent précises, il comprend généralement au moins une carte indiquant les zones et une grille des usages permis dans ces dernières. À la lumière de cette description, le Règlement de Gaspé ne correspond manifestement pas à un règlement de zonage typique.

Toutefois, notre investigation ne peut s’arrêter ici, puisque l’article 113 de la LAU, qui constitue la principale disposition habilitante en matière de règlement de zonage, prévoit une grande variété à la fois de sujets pouvant être ainsi réglementés et de manières de procéder. Les paragraphes 4, 16 et 16.1 de l’alinéa 2 de cet article pourraient sembler englober un règlement du type du Règlement de Gaspé. En effet, le paragraphe 4 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU permet à un règlement de zonage : « spécifier par zone l’espace qui doit être laissé libre, soit entre les constructions et les usages différents, soit entre les constructions ou entre les usages différents, que ces constructions ou ces usages soient regroupés ou non et que ceux-ci soient situés dans une même zone ou dans des zones contiguës ; prévoir, le cas échéant, l’utilisation et l’aménagement de cet espace libre[42] ».

Puis, l’alinéa 3 de l’article 113 de la LAU précise ce qui suit :

Le règlement de zonage ne peut contenir une disposition établissant une distance séparatrice, en vertu du paragraphe 4o du deuxième alinéa, lorsque l’une des constructions ou l’un des usages visés est dans une zone agricole établie en vertu de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, qu’aux fins d’assurer la protection d’une source d’approvisionnement en eau ou d’atténuer les inconvénients reliés aux odeurs inhérentes aux activités agricoles[43].

Comme il s’agit d’établir des distances séparatrices, on peut y voir une disposition habilitante permettant un règlement tel le Règlement de Gaspé. Surtout que l’alinéa 3 de l’article 113 de la LAU signifie a fortiori que l’établissement d’une distance pour protéger une source d’eau s’avère aussi possible dans une zone non agricole. Cependant, il est question ici de spécifier par zone, alors que le Règlement de Gaspé ne se réfère pas aux zones du plan de zonage.

Quant aux paragraphes 16 et 16.1 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU, ils permettent à un règlement de zonage de contenir des dispositions sur un ou plusieurs des objets suivants :

16o régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d’entre eux, compte tenu, soit de la topographie du terrain, soit de la proximité d’un cours d’eau ou d’un lac, soit des dangers d’inondation, d’éboulis, de glissement de terrain ou d’autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protection environnementale des rives, du littoral ou des plaines inondables ; prévoir, à l’égard d’un immeuble qu’il décrit et qui est situé dans une zone d’inondation où s’applique une prohibition ou une règle édictée en vertu du présent paragraphe, une dérogation à cette prohibition ou règle pour un usage du sol, une construction ou un ouvrage qu’il précise ;

16.1o régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d’entre eux, compte tenu de la proximité d’un lieu où la présence ou l’exercice, actuel ou projeté, d’un immeuble ou d’une activité fait en sorte que l’occupation du sol est soumise à des contraintes majeures pour des raisons de sécurité publique, de santé publique ou de bien-être général[44].

Pour bien comprendre la portée de ces paragraphes, il convient de se pencher sur l’alinéa 6 de l’article 113 de la LAU :

Pour l’application du paragraphe 16o ou 16.1o du deuxième alinéa, le règlement de zonage peut, de façon particulière, diviser le territoire de la municipalité, établir des catégories d’usages, de constructions ou d’ouvrages à prohiber ou à régir et établir des catégories d’immeubles, d’activités ou d’autres facteurs justifiant, selon le paragraphe visé, une telle prohibition ou réglementation. Il peut alors décréter des prohibitions ou des règles qui varient selon les parties de territoire, selon les premières catégories, selon les secondes catégories ou selon toute combinaison de plusieurs de ces critères de distinction. Le règlement peut, aux fins de permettre la détermination du territoire où s’applique une prohibition ou une règle à proximité d’une source de contraintes, faire appel à la mesure du degré des effets nocifs ou indésirables produits par la source[45].

Cet alinéa signifie que la municipalité peut délimiter une zone de protection par rapport à des contraintes en établissant des distances, par exemple en mètres[46]. Comme le Règlement de Gaspé établit des distances en kilomètres par rapport à des contraintes naturelles, soit un lieu de puisement d’eau de surface ou encore un puits artésien ou de surface, il pourrait être perçu comme découlant des paragraphes 16 et 16.1 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU. Cette qualification ne s’impose pas pour autant, car le paragraphe 16 vise « la proximité d’un cours d’eau ou d’un lac[47] », alors que l’article 8 du Règlement de Gaspé concerne aussi les puits artésiens.

Autrement dit, il est possible, mais non certain, qu’en vertu des paragraphes 4, 16 ou 16.1 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU le Règlement de Gaspé puisse être qualifié de règlement de zonage et dès lors être visé par l’article 246 de la LAU.

Cela dit, pour qualifier plus définitivement le Règlement de Gaspé de manière à le faire entrer ou non dans la catégorie des règlements de zonage et à l’assujettir ou non à l’article 246 de la LAU, il faut déterminer s’il appartient exclusivement ou également à une autre catégorie de règlements municipaux, car un règlement peut se fonder sur plusieurs dispositions habilitantes[48]. Plus précisément, on doit déterminer s’il s’inscrit dans une catégorie prévue dans une loi autre que la LAU. Puisque l’article 246 est d’interprétation stricte, il ne devrait pas s’appliquer à un acte ne relevant pas exclusivement de la LAU. A fortiori, cet article ne pourrait pas s’appliquer à un acte municipal découlant ainsi d’une double source et ayant pour effet non pas d’empêcher mais d’encadrer des activités minières, comme le fait le Règlement de Gaspé. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si ce règlement invoque dans son préambule des dispositions habilitantes, notamment en matière d’environnement et de bien-être, contenues dans une loi autre que la LAU[49].

Nous analyserons ultérieurement ces dispositions. À ce stade-ci, nous nous contentons d’analyser certaines décisions portant sur de semblables dispositions qui permettent de déterminer plus précisément la probabilité que le Règlement de Gaspé soit un règlement de zonage tombant sous l’article 246 de la LAU.

D’abord, il faut savoir qu’une municipalité ne peut interdire une nuisance que de manière uniforme sur tout son territoire[50]. Comme nous l’apprend la Cour d’appel dans l’affaire Saint-Michel Archange (Municipalité de) c. 2419-6388 Québec Inc.[51], si elle souhaite interdire certaines utilisations du sol dans différentes zones de son territoire, elle doit plutôt le faire par règlement de zonage. Toujours dans cet arrêt, la Cour d’appel se penche sur un règlement de zonage qui a notamment pour objet d’établir des distances entre des sites d’enfouissement et d’autres usages, puis elle cite parmi les sources de compétences municipales en matière d’urbanisme le paragraphe 16 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU. Dans cette optique, le Règlement de Gaspé, particulièrement son article 8 qui, avec ses distances séparatrices, interdit à certains endroits seulement des utilisations du sol, dont le forage, pourrait relever davantage du règlement de zonage que du règlement sur les nuisances.

Cependant, il convient de ne pas sauter trop vite aux conclusions, car il peut arriver qu’un règlement établissant des distances séparatrices à des fins environnementales ne soit pas considéré comme un règlement de zonage. Dans l’affaire 4410912 Canada inc. c. St-Télesphore (Municipalité de la paroisse de)[52], le Règlement de zonage no 189-92 établit des distances que doivent respecter les sablières. Or, malgré le titre de ce règlement, la Cour supérieure affirme au sujet des écrans d’arbres imposés aux sablières qu’« il s’agit, là aussi, d’une disposition à caractère environnemental plutôt qu’une règle de zonage à proprement parler[53] ». Plus récemment, dans l’affaire Wallot c. Québec (Ville de)[54], la Cour d’appel s’est penchée sur un règlement qui oblige les propriétaires résidant en bordure d’un lac à aménager une bande riveraine formée d’arbres et de plantes sur une largeur variant de 10 à 15 mètres, selon la topographie du terrain, et qui, en plus, leur interdit presque toute forme de coupe, et ce, dans le but de protéger une source d’eau potable. Ce règlement a été jugé valide en vertu de dispositions environnementales de la LCM[55] et de la Charte de la ville de Québec[56]. C’est donc dire qu’il n’a pas été qualifié de règlement de zonage, même si à première vue, il aurait pu l’être, considérant que les paragraphes 12 et 12.1 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU permettent d’obliger tout propriétaire à garnir son terrain de gazon, d’arbustes ou d’arbres et de restreindre l’abattage d’arbres[57]. De manière encore plus pertinente, dans l’affaire Jacques Mathieu c. Saint-Hyacinthe-le-Confesseur (Corporation municipale de la paroisse de)[58], un règlement prévoyant des distances séparatrices entre des établissements d’élevage et des puits ainsi que des cours d’eau est présenté comme relevant d’une compétence municipale en matière de bien-être général, et ensuite seulement du paragraphe 4 de l’alinéa 2 de l’article 113 de la LAU.

Donc, le Règlement de Gaspé pourrait être fondé sur l’article 113 de la LAU et également, hypothèse que nous vérifierons plus loin, sur une disposition d’une autre loi relative à l’environnement ou au bien-être général. Si tel était le cas, l’article 246 de la LAU le rendrait-il inopposable ? Selon nous, puisque cet article est d’interprétation stricte, il ne devrait pas voir sa portée s’étendre à un règlement dont une des assises se trouve dans une loi qui n’y est pas mentionnée. Par conséquent, dans l’affaire Pétrolia, la Cour supérieure n’a pas procédé de la bonne manière lorsqu’elle a invoqué l’article 246 pour conclure au caractère ultra vires des articles 9 à 14 du Règlement de Gaspé sans avoir d’abord qualifié ce dernier de règlement de zonage découlant exclusivement de la LAU. En outre, une telle conclusion à l’égard d’un règlement qui encadre une activité minière sans l’empêcher revient à interpréter largement l’article 246, puisque le libellé de ce dernier prévoit qu’un acte municipal découlant de cette loi « ne peut avoir pour effet d’empêcher[59] », et non simplement d’encadrer, une telle activité.

D’ailleurs, même s’il était déclaré opposable aux activités de Pétrolia, le Règlement de Gaspé ne serait pas nécessairement opérant pour autant, puisqu’il pourrait être rendu inopérant par un règlement gouvernemental en matière d’environnement portant sur le même objet.

2.2 L’article 124 de la LQE : une prépondérance en cas d’identité d’objet

L’alinéa 4 de l’article 124 de la LQE prévoit ceci au sujet des règlements adoptés par le gouvernement en vertu de cette loi :

Ces règlements, de même que les normes fixées en application du deuxième alinéa de l’article 31.5, prévalent sur tout règlement municipal portant sur le même objet, à moins que le règlement municipal ne soit approuvé par le ministre auquel cas ce dernier prévaut dans la mesure que détermine le ministre. Avis de cette approbation est publié sans délai à la Gazette officielle du Québec. Le présent alinéa s’applique malgré l’article 3 de la Loi sur les compétences municipales (chapitre C-47.1)[60].

Pour bien circonscrire la portée de cet alinéa, il convient de souligner qu’il écarte la règle traditionnelle reprise à l’article 3 de la LCM selon laquelle un règlement gouvernemental prévaut seulement sur les dispositions inconciliables d’un règlement municipal[61], et non sur les dispositions d’un règlement municipal portant sur le même objet qui sont conciliables avec ledit règlement gouvernemental. Pour nous, cela signifie deux choses. D’une part, puisque l’article 124 de la LQE écarte cette règle traditionnelle, toute interprétation de cet article devra déboucher sur une prépondérance du règlement gouvernemental allant au-delà des seules dispositions inconciliables. Ainsi, en vertu de l’article 124, un règlement municipal sera inopérant s’il porte sur le même objet qu’un règlement découlant de la LQE, peu importe qu’il soit ou non conciliable avec ce dernier. D’autre part, l’interprétation de l’article 124 devra tout de même ne pas être trop large, car celui-ci constitue une exception à la règle traditionnelle qui aurait été applicable autrement. De plus, une interprétation trop large du quatrième alinéa aurait pour effet de soumettre un plus grand nombre de règlements municipaux à l’obligation d’obtenir une approbation ministérielle. Cela contreviendrait au principe fondamental de l’autonomie des administrations décentralisées et à la règle selon laquelle il n’y a « pas de tutelle sans texte, pas de tutelle au-delà des textes[62] ».

Évidemment, tout cela est susceptible d’influer sur la réponse à la question de savoir si le Règlement de Gaspé porte sur le même objet qu’un règlement gouvernemental adopté en vertu de la LQE. Pour répondre à cette question, nous examinerons le test applicable en cette matière à la pertinence de ce test lorsqu’il est question d’un règlement qui ne traite pas de zonage exclusivement et son application à l’égard de règlements gouvernementaux relatifs à la protection de l’eau.

2.2.1 Le test de l’affaire Saint-Michel Archange

C’est dans l’affaire Saint-Michel Archange que la Cour d’appel a précisé le test découlant de l’article 124 de la LQE. Après avoir rappelé que le règlement municipal s’applique tant qu’un règlement gouvernemental n’entre pas en vigueur, elle a ajouté que « [c]e n’est donc pas tout règlement municipal qui, affectant de près ou de loin l’environnement, sera inopérant, mais seulement celui dont la finalité est identique[63] ». En l’espèce, ce test amène le tribunal à conclure que les dispositions d’un règlement de zonage prescrivant qu’un site de déchets ne peut être établi dans une sablière ni être situé dans certaines zones ne portent pas sur le même objet que le Règlement sur les déchets solides[64] et le Règlement sur les carrières et sablières. Par contre, les dispositions du même règlement, qui prévoient des distances séparatrices entre des lieux ou des usages et les sites d’enfouissement ou les usines de compostage, concernent, elles, le même objet qu’une disposition du Règlement sur les déchets solides qui établit des distances semblables aux mêmes fins.

De manière comparable, en 1996, dans l’affaire Gestion Raymond Denis inc. c. Val-Bélair (Ville de)[65] à laquelle se réfère l’affaire Pétrolia, un règlement municipal autorisait l’exploitation des carrières-sablières les jours ouvrables de 7 heures à 17 heures, alors que le Règlement sur les carrières et sablières du gouvernement permettait le dynamitage de 7 heures à 19 heures. Selon le tribunal, en restreignant ainsi la période de la journée où le dynamitage est permis, le règlement gouvernemental avait implicitement accepté que toute activité autre que le dynamitage puisse être pratiquée en dehors de ces heures. Dans ce contexte, les deux règlements portaient sur le même objet au sens du test de l’affaire Saint-Michel Archange et, dès lors, le règlement municipal était inopérant.

Plus récemment, en 2010, dans l’affaire Enfouissements J.C. Verreault ltée c. St-Robert (Municipalité de)[66], la Cour d’appel a aussi appliqué le test de l’affaire Saint-Michel Archange et a réitéré que la finalité des règlements doit être la même, voire identique, pour conclure à la prévalence du règlement gouvernemental[67]. Ce test l’a amenée à conclure qu’un règlement de zonage décrivant les matières dont l’enfouissement est autorisé dans la zone n’a pas le même objet que le Règlement sur l’enfouissement des sols contaminés[68] qui détermine les conditions applicables aux lieux d’enfouissement de sols contaminés. Il ne concerne pas non plus le même objet que le Règlement sur l’enfouissement et l’incinération des matières résiduelles[69], lequel porte sur les matières admissibles dans certaines installations et les conditions d’exploitation de ces installations. De même, il ne touche pas le même objet que le Règlement sur la protection et la réhabilitation des terrains[70] qui s’applique notamment au contrôle des eaux souterraines.

C’est donc dire que, même s’il y a des décisions pointant en différentes directions, le test élaboré dans l’affaire Saint-Michel Archange est rigoureux globalement, au point de limiter la portée de l’article 124 de la LQE, puisqu’il exige une finalité identique avant de conclure à l’inopérabilité d’une disposition d’un règlement municipal. Sauf dans l’hypothèse où un règlement gouvernemental découlant de la LQE prévoirait des distances semblables à celles du Règlement de Gaspé pour les mêmes raisons, ce test peut donc sembler rendre probable son opérabilité.

Le fait que la Cour supérieure arrive à une conclusion différente n’est sans doute pas étranger au fait qu’elle se réfère à l’affaire Gestion Raymond Denis et non à l’affaire Enfouissements J.C. Verreault qui est pourtant beaucoup plus récente. Certes, puisqu’elle porte sur des carrières-sablières, la première « s’apparente » davantage à l’affaire Pétrolia, pour reprendre le terme de la Cour supérieure[71]. Cependant, à la lumière de l’affaire Recyclage Saint-Michel c. St-Michel (Municipalité de)[72] et considérant que rien, pas même le raisonnement de la Cour supérieure dans l’affaire Pétrolia, ne démontre que le Règlement de Gaspé découle exclusivement de la LAU, l’affaire Gestion Raymond Denis n’est peut-être pas si pertinente non plus.

Dans l’affaire Recyclage Saint-Michel, la Cour d’appel reprend le test de l’affaire Saint-Michel Archange et conclut qu’en l’espèce la réglementation municipale sur les usages n’a pas le même objet que le Règlement sur les déchets solides et le Règlement sur les carrières et sablières. Elle arrive à cette conclusion notamment parce que « les finalités distinctes sont de l’essence même de la LQE et de la LAU[73] ». Dès lors se pose la question de l’application du test de l’affaire Saint-Michel Archange aux règlements municipaux qui ne découlent pas exclusivement de la LAU.

2.2.2 Le test de l’affaire Saint-Michel Archange et les règlements municipaux ne découlant pas exclusivement de la LAU

Dans l’affaire Sainte-Pétronille (Municipalité de) c. Stanley Welch[74], la Cour supérieure se penche sur un règlement en matière de nuisances que la municipalité tente de justifier en vertu du Code municipal du Québec[75]. Comme ce règlement concerne l’épandage de fumier dans le but de protéger l’eau et l’air, il porte sur l’environnement. Et puisqu’existe le Règlement sur la prévention de la pollution des eaux par les établissements de production animale[76] adopté par le gouvernement, la question de l’article 124 de la LQE se pose. Pour y répondre, la Cour supérieure applique le test de l’affaire Saint-Michel Archange et, constatant que les dispositions du règlement municipal « sont calquées sur celles du Règlement provincial[77] », elle conclut que le règlement municipal aurait dû être approuvé par le ministre et que, en l’absence d’une telle approbation, il est inopérant.

Dans l’affaire Jacques Mathieu, il est question d’un règlement municipal découlant à la fois de la LAU et du Code municiapal du Québec. Ce règlement prévoit des distances séparatrices entre des établissements d’élevage et d’autres usages. Après avoir mentionné que le fardeau de démonstration revient au demandeur qui invoque l’article 124 de la LQE, la Cour supérieure fait une comparaison des dispositions de ce règlement municipal et d’autres du Règlement sur la prévention de la pollution des eaux par les établissements de production animale. Elle affirme alors que « [l]es distances prévues au tableau de l’article 17.6.1.1 [du règlement municipal] ne sont pas conformes au règlement [provincial] Q-2, r. 18 lorsqu’elles traitent d’un puits et d’un cours d’eau, éléments du règlement provincial[78] ». Par contre, elle ajoute que les distances par rapport à d’autres usages « n’entrent pas en conflit avec des dispositions du règlement provincial, qui n’en traite pas[79] » et qu’elles ont donc été valablement incluses dans le règlement municipal. Une autre raison de la validité de cette inclusion est que ces distances concernent la protection de l’air, domaine qui fait alors l’objet d’une directive du ministère de l’Environnement, mais non d’un règlement.

Les affaires Sainte-Pétronille et Jacques Mathieu confirment que le test de l’affaire Saint-Michel Archange s’applique aux règlements municipaux qui ne découlent pas exclusivement de la LAU, ce qui est essentiel à notre propos, considérant que la question de l’article 124 de la LQE ne se pose que si le Règlement de Gaspé n’est pas un règlement visé par l’article 246 de la LAU. Ces décisions confirment aussi qu’une interprétation relativement stricte de l’article 124 de la LQE est de mise, particulièrement pour ces règlements municipaux. En effet, la décision rendue dans l’affaire Sainte-Pétronille peut être comprise comme exigeant un très haut degré de similitude entre le règlement municipal et le règlement gouvernemental pour que l’article 124 LQE s’applique. Et la décision rendue dans l’affaire Jacques Mathieu prône une interprétation stricte de cet article, puisqu’elle refuse d’étendre sa portée aux actes gouvernementaux autres qu’un règlement. Enfin, ces deux décisions sont importantes aussi parce qu’elles donnent la méthode pour l’application de l’article 124 : une comparaison des dispositions du règlement municipal et du règlement gouvernemental.

2.2.3 Le test de l’affaire Saint-Michel Archange, le Règlement de Gaspé et les règlements gouvernementaux découlant de la LQE

Les règlements gouvernementaux découlant de la LQE les plus susceptibles d’être perçus comme portant sur le même objet que le Règlement de Gaspé sont[80] :

  • le Règlement sur le captage des eaux souterraines[81] ;

  • le Règlement sur la déclaration des prélèvements d’eau[82] ;

  • le Règlement concernant le cadre d’autorisation de certains projets de transfert d’eau hors du bassin du fleuve Saint-Laurent[83] ;

  • le Règlement sur la redevance exigible pour l’utilisation de l’eau[84] et ;

  • le Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement[85].

Une analyse même sommaire des trois premiers règlements ne laisse aucun doute : alors qu’ils concernent le fait de capter ou de prélever de l’eau, le Règlement de Gaspé porte sur le fait d’introduire une substance dans l’eau. Si l’article 124 de la LQE était d’interprétation très large, il serait possible de dire que le Règlement de Gaspé a le même objet qu’un ou plusieurs de ces règlements, soit la protection des eaux notamment souterraines. Comme avec le test de l’affaire Saint-Michel Archange, cette interprétation doit être relativement stricte, on doit plutôt conclure qu’il n’a pas un objet identique et donc que les règlements gouvernementaux ne rendent pas inopérant le Règlement de Gaspé. Le même raisonnement est vrai pour le Règlement sur la redevance exigible pour l’utilisation de l’eau, qui « a pour objet d’établir une redevance pour l’utilisation de l’eau[86] », puisque le Règlement de Gaspé ne touche pas l’établissement d’une telle redevance.

Quant au Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, le paragraphe 6 de l’alinéa 1 de l’article 2 exclut les travaux de forage autorisés en vertu de la Loi sur les mines de l’application de l’article 22 de la LQE, soit celui qui portent sur l’obligation d’obtenir un certificat d’autorisation. Selon la décision dans l’affaire Pétrolia, puisque l’objectif de ce règlement est « la protection de l’environnement, dont l’eau », il serait « inconcevable » que le gouvernement décide de soustraire à la LQE une activité qu’il réglemente autrement, tout en permettant « à une autorité déléguée d’annihiler sa décision sans qu’il l’ait autorisée expressément[87] ». Ce raisonnement de la Cour supérieure nous semble peu convaincant parce qu’il est en porte-à-faux avec le test de l’affaire Saint-Michel Archange en vertu duquel « ce n’est pas tout règlement municipal qui, affectant de près ou de loin l’environnement, sera inopérant, mais seulement celui dont la finalité est identique » à celle d’un règlement gouvernemental. En effet, la « similitude » des objets qu’il pourrait y avoir entre le Règlement de Gaspé et cet article du Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement apparaît beaucoup plus faible que celle que l’on trouvait dans les affaires Gestion Raymond Denis et Sainte-Pétronille. La force de la « similitude » des objets de ces deux règlements rappelle plutôt celle que l’on retrouvait dans les affaires Recyclage Saint-Michel et Enfouissements J.C. Verreault où, justement, il a été décidé que les objets des règlements n’étaient pas suffisamment identiques pour conclure à l’inopérabilité du règlement municipal. Sans parler du fait que, comme nous le verrons plus loin, la LCM, dont l’esprit vient grandement relativiser l’exigence traditionnelle d’une autorisation expresse, pourrait très bien autoriser les municipalités à adopter des règlements protégeant les sources d’eau et affectant des travaux de forage.

Quant à l’autre règlement gouvernemental actuellement en vigueur qui peut ressembler au Règlement de Gaspé, soit le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains[88], puisqu’il émane de la Loi sur les mines et non de la LQE, l’article 124 ne lui est pas applicable. Par conséquent, le test applicable est non pas celui qui découle de cet article 124, mais plutôt celui découlant de l’article 3 de la LCM…

Cela dit, avant d’appliquer le test de l’article 3 de la LCM au Règlement de Gaspé, encore faut-il conclure que cette loi confère bel et bien la compétence d’adopter un tel règlement.

3 Les compétences municipales : portée et limite

La thèse de la validité et de l’opérabilité du Règlement de Gaspé est basée sur la LCM, plus précisément sur certaines de ses compétences et sur sa clause relative au conflit entre un règlement municipal et une loi ou un règlement gouvernemental.

3.1 Les compétences municipales liées à l’environnement : des compétences d’interprétation large

En 1999, le ministère des Affaires municipales et de la Métropole proposait de remplacer de très nombreuses compétences municipales expresses, détaillées et dispersées dans diverses lois, surtout le Code municipal du Québec et la Loi sur les cités et villes[89], par quelques compétences qui les englobent, et ce, dans une seule et même loi[90]. Plus qu’un changement de forme, cette nouvelle méthode de rédaction législative devait permettre de diminuer le « carcan législatif imposé aux municipalités », de leur offrir « une plus grande flexibilité dans leurs champs de compétence » et d’« accroître [leur] autonomie[91] ». La LCM adoptée en 2005 a donné suite à ces intentions. D’ailleurs, son article 2 précise que ses dispositions qui accordent des pouvoirs « ne doivent pas s’interpréter de façon littérale ou restrictive ».

Concernant le Règlement de Gaspé, comme il n’existe pas de compétence municipale précise sur la protection des sources d’eau ou le forage, nous nous référerons à la compétence portant sur l’environnement ou à la compétence générale, après avoir considéré le caractère véritable du Règlement du Gaspé pour déterminer auquel de ces deux sujets précis il peut être lié.

3.1.1 La détermination du caractère véritable du Règlement du Gaspé

Dans l’affaire Pétrolia, la Cour supérieure conclut que le premier volet du Règlement de Gaspé, soit son article 8, n’est pas rendu en soi ultra vires en raison de ses conséquences sur les activités de forage. Par contre, elle se base sur le fait que son deuxième volet, soit ses articles 9 à 14, exige et encadre un permis de forage pour conclure que « son objectif réel est de réglementer le forage » avant d’ajouter que « [s]es effets ne permettent pas de tirer une autre conclusion[92] ».

Pourtant, une analyse plus poussée, fondée non seulement sur les effets mais aussi sur d’autres éléments de preuve intrinsèque et extrinsèque, mène à une conclusion plus nuancée. Car, comme pour déterminer le caractère véritable il convient de se baser sur le but visé tel qu’il est révélé par la preuve intrinsèque[93], dont le titre et le préambule du Règlement de Gaspé, force est de constater que celui-ci porte sur la protection de l’eau. Son titre est sans équivoque : Règlement déterminant les distances séparatrices pour protéger les sources d’eau et puits artésiens et de surface dans la ville de Gaspé. Son préambule l’est tout autant en mentionnant à neuf reprises le mot « eau » mais jamais le mot « forage » ni le mot « pétrole ». Seule l’analyse des dispositions du Règlement de Gaspé donne un résultat plus nuancé. Son article 8, intitulé « Interdictions », « interdit à quiconque d’introduire ou de permettre, que ce soit introduit dans le sol par forage ou par tout autre procédé physique, mécanique, chimique, biologique ou autre, toute substance susceptible d’altérer la qualité de l’eau[94] ». Cet article tend à démontrer que le Règlement de Gaspé a pour objet la protection de l’eau en général, en interdisant différents types d’activités dont le forage. En revanche, il est vrai que les intitulés des articles 9, 10, 11 et 13 mentionnent explicitement la notion de « permis de forage » et non celle de « permis de forage ou autre procédé ».

Quant à la preuve extrinsèque, un article du journal Le Devoir datant du 15 septembre 2012, soit peu avant l’adoption du Règlement de Gaspé le 22 décembre suivant, nous en apprend sur son objectif, puisqu’on peut y lire ceci :

Pétrolia entend creuser un nouveau puits exploratoire, nommé Haldimand #4, à trois kilomètres du centre-ville de Gaspé, en janvier prochain […] Le hic, ont rappelé des citoyens de Gaspé cette semaine, c’est que ce nouveau puits sera foré à 350 mètres de résidences situées près de la baie de Gaspé. Ils craignent les inconvénients occasionnés par le bruit de la foreuse. Le transport de celle-ci nécessitera en outre le passage de quelques dizaines de camions. Mais surtout, ils redoutent la contamination de la nappe phréatique[95].

D’une part, le fait que le Règlement de Gaspé a été adopté très peu de temps avant le forage prévu d’un puits de pétrole jugé problématique par des citoyens tend à démontrer que le but de ce règlement est directement lié au forage pétrolier. D’autre part, le fait que les craintes des citoyens sont justifiées surtout par des risques de contamination de la nappe phréatique qui alimente des puits visés par ce règlement tend à démontrer que son but est bel et bien la protection de sources d’eau. Même s’il peut avoir comme but secondaire de réduire le bruit, cela n’a pas d’importance puisque c’est son objectif dominant qui compte pour déterminer son caractère véritable[96].

De manière comparable, seuls les effets principaux du Règlement de Gaspé sont pertinents eu égard à son caractère véritable[97]. Il ne fait pas de doute que ses effets sont de protéger des sources d’eau puisque tout ce règlement tourne autour de la question de la qualité de l’eau et de son altération possible. Toutefois, un de ses effets est aussi d’empêcher des activités de forage pétrolier en général, et des activités de forage pétrolier déjà prévues, voire entreprises par Pétrolia en particulier. À notre avis, vu l’importance des forages prévus interdits par le Règlement de Gaspé et le fait que ce dernier ne semble pas avoir eu pour effet d’interdire d’autres activités déjà prévues ou entreprises au moment de son adoption, cette répercussion ne peut être qualifiée de secondaire. Dès lors, il faut en tenir compte dans la détermination du caractère véritable de ce règlement.

On peut donc dire que la preuve intrinsèque quant au but visé par le Règlement de Gaspé penche plus fortement du côté de la thèse du caractère véritable lié à la protection des sources d’eau, quoique cela soit davantage vrai pour l’article 8 que pour les articles 9 à 14. Par contre, tant la preuve extrinsèque sur le but visé que les effets de ce règlement ne penchent de manière déterminante ni faveur de cette thèse ni en faveur de celle du caractère véritable lié au forage pétrolier. Considérant ces trois facteurs, il semble que la thèse du caractère véritable lié à la protection des sources d’eau soit la plus forte, mais de peu. Dans ce contexte, la conclusion de la Cour supérieure, selon laquelle les articles 9 à 14 ont pour objet réel de réglementer le forage, car leurs « effets ne permettent pas de tirer une autre conclusion[98] », est critiquable sans être indéfendable. Dès lors, comme la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante[99], il n’est pas évident que la Cour d’appel renversera la décision de la Cour supérieure sur ce point.

Pour compléter notre raisonnement, il convient tout de même de déterminer si le Règlement de Gaspé se rapporte à une compétence municipale. Cette détermination doit se faire à la fois en fonction de ce que nous estimons être son caractère véritable, soit la protection des sources d’eau, et en fonction du caractère véritable de ses articles 9 à 14 selon la Cour supérieure, soit la réglementation du forage pétrolier, et ce, en commençant par la compétence en matière d’environnement.

3.1.2 L’interprétation large de la compétence en matière d’environnement

L’article 19 de la LCM précise que « toute municipalité locale peut adopter des règlements en matière d’environnement[100] ». Selon la ministre des Affaires municipales et des Régions responsable de l’adoption de la LCM, le mot « environnement » de cette loi a le même sens large que dans la LQE. C’est pourquoi elle y associe notamment l’eau, le sol et les contaminants[101]. Dans le document intitulé La Loi sur les compétences municipales commentée article par article et publié peu après l’adoption de cette loi, le ministère des Affaires municipales et des Régions confirme que le terme « environnement » est d’interprétation large et qu’il concerne, entre autres, l’alimentation en eau[102].

Plus important encore, la jurisprudence va dans le même sens. Dans l’affaire Wallot, à laquelle se réfère l’affaire Pétrolia, la Cour supérieure et la Cour d’appel se sont penchées sur un règlement obligeant les propriétaires qui résident en bordure d’un lac à aménager une bande riveraine formée d’arbres et de plantes, tout en leur interdisant presque toute forme de coupe, et ce, dans le but de protéger une source d’eau potable. Ce règlement a été jugé valide par ces deux tribunaux, notamment en vertu de l’article 19 de la LCM. Ils interprètent donc largement cet article, de manière à ce qu’il englobe les questions liées à l’eau. Ils le font en invoquant l’article 2 de la LCM, mais aussi la Loi sur le développement durable[103] et la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection[104].

Sur la question des sources d’eau plus précisément, voici ce qu’affirme la Cour supérieure dans un passage repris par la Cour d’appel : « Une référence aux articles 26.1 et 90 (3.1o) de la “L.C.M.”, adoptés dans l’année suivant l’entrée en vigueur de cette même loi, dissipe tout doute quant à l’intention du législateur et démontre bien que toute disposition réglementaire relative à la protection d’une source d’eau potable relève bien des pouvoirs conférés aux municipalités locales par l’article 19 de la “L.C.M.”[105]. » Ce raisonnement est convaincant puisque l’article 26.1 de la LCM parle « d’un règlement adopté en vertu de l’article 19 relativement à la protection d’une source d’alimentation en eau potable[106] » et l’article 90 (3.1o), « des matières prévues aux articles 4 et 85 à 89 » et de « la protection d’une source d’alimentation en eau potable[107] ».

Il est clair que l’article 19 de la LCM confère aux municipalités la compétence de réglementer afin de protéger des sources d’eau. Cependant, leur donne-t-il pour autant la compétence de réglementer l’environnement associé au forage pétrolier ? Deux éléments portent à croire que oui. D’abord, conformément au principe selon lequel les mêmes termes employés dans deux lois différentes devraient avoir une signification identique, tant les débats parlementaires que la doctrine et la jurisprudence confirment que le mot « environnement » dans la LCM a le même sens que dans la LQE[108]. Et cette dernière loi comprend à son article 1 (4) une définition du terme « environnement » qui fait référence à « l’eau, [à] l’atmosphère et [au] sol » et à son article 1 (5) une définition du terme « contaminant » qui inclut « une matière solide, liquide ou gazeuse […] ou toute combinaison de l’un ou l’autre susceptible d’altérer de quelque manière la qualité de l’environnement[109] ». Évidemment, le pétrole et divers produits utilisés à l’occasion d’un forage pétrolier correspondent à des contaminants au sens de cette définition qui, d’ailleurs, n’est pas sans rappeler le Règlement de Gaspé qui parle de « substance susceptible d’altérer la qualité de l’eau[110] ». Dès lors, il est raisonnable de penser que le terme « environnement » de la LCM concerne, entre autres, le pétrole et les produits utilisés au moment d’un forage dans la mesure où ceux-ci peuvent contaminer l’eau, l’atmosphère ou le sol et que, de ce fait, le Règlement de Gaspé entre dans le champ de la compétence de la LCM sur l’environnement.

Plus pertinent encore, comme la LCM avait pour objet de remplacer de très nombreuses compétences municipales détaillées et dispersées dans diverses lois, surtout le Code municipal du Québec et la Loi sur les cités et villes, par quelques compétences municipales vastes les englobant, il est possible de faire une recherche parmi ces compétences détaillées qui sont aujourd’hui abrogées pour connaître l’ampleur minimale des compétences de la LCM. Ainsi, le document gouvernemental intitulé La Loi sur les compétences municipales commentée article par article nous apprend que l’article 19 LCM est venu remplacer notamment les articles 555 (7.1o) du Code municipal du Québec et 412 (32o) de la Loi sur les cités et villes[111]. Or, ce dernier article, applicable à la Ville de Gaspé avant l’adoption de la LCM, prévoyait ceci :

Le conseil municipal peut faire des règlements :

[…]

pour réglementer ou défendre l’emmagasinage et l’usage de […] pétrole […] ainsi que d’autres matières combustibles, explosives, corrosives, toxiques, radioactives ou autrement dangereuses pour la santé ou la sécurité publiques sur son territoire ou dans un rayon de 1 km à l’extérieur de ce territoire ;

Un règlement adopté en vertu du premier alinéa à l’égard de matières corrosives, toxiques ou radioactives requiert l’approbation du ministre de l’Environnement […].

Certes, ces articles prévoyaient une approbation du ministre de l’Environnement dans le cas d’un règlement portant sur une matière corrosive, toxique ou radioactive. C’est pourquoi, dans l’affaire Beaumont (Municipalité de) c. Lévis (Ville de)[112], il a été jugé qu’était sujet à cette approbation un règlement interdisant l’emmagasinage et l’entreposage de substances tels l’essence et le diesel sur le territoire de la municipalité et dans un rayon d’un kilomètre à l’extérieur. Cependant, le pétrole étant une matière combustible plutôt qu’une matière corrosive, toxique ou radioactive au sens de ces articles, et une clause prévoyant une approbation ministérielle étant d’interprétation stricte, un règlement sur le pétrole n’aurait possiblement pas requis une telle approbation[113]. D’ailleurs, dans l’affaire Beaumont, si le règlement a été jugé comme nécessitant une approbation ministérielle, c’est notamment parce que l’essence était considérée comme une matière toxique par une fiche signalétique de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Or, contrairement à la fiche sur l’essence qui précise que cette substance est toxique et inflammable[114], la fiche signalétique de la CSST sur le pétrole brut ne qualifie pas cette substance de toxique, mais seulement d’inflammable[115].

De toute manière, avec le remplacement des anciens articles 555 (7.1) du Code municipal du Québec et 412 (32) de la Loi sur les cités et villes par l’article 19 de la LCM, l’approbation ministérielle n’est plus requise et en l’absence de texte on ne peut la recréer puisqu’il n’y a « pas de tutelle sans texte[116] ». À preuve, la compétence extraterritoriale que conféraient ces articles a également disparu lors de leur remplacement, et l’arrêt Beaumont nous apprend qu’il est impossible de faire comme si elle existait toujours en vertu de l’article 19 de la LCM (car une telle compétence est exceptionnelle et nécessite donc une disposition législative[117]… tout comme l’approbation ministérielle). D’ailleurs, cette affaire nous apprend aussi que le ministre de l’Environnement ne donne plus d’approbation relevant de l’article 555 (7.1) du Code municipal du Québec depuis l’abrogation de cet article lors de l’adoption de la LCM. Évidemment, la même logique est applicable à l’égard de l’approbation prévue dans l’article 412 (32) de la Loi sur les cités et villes.

Tout cela signifie qu’en vertu de l’article 19 de la LCM la Ville de Gaspé pouvait, sans obtenir d’approbation ministérielle, adopter un règlement concernant la protection des sources d’eau et ayant pour effet d’affecter le forage pétrolier. Car, peu importe que l’on qualifie le caractère véritable du Règlement de Gaspé comme étant lié à la protection des sources d’eau ou à l’encadrement de ce type de forage, qui constitue un usage, on devra conclure qu’il relève de la compétence municipale en matière d’environnement.

C’est pourquoi nous croyons que dans l’affaire Pétrolia la Cour supérieure aurait dû se pencher sur les anciens articles 555 (7.1) du Code municipal du Québec et 412 (32) de la Loi sur les cités et villes pour comprendre la portée de l’article 19 de la LCM. À sa décharge, il faut dire que, selon ce qu’on peut lire dans son jugement, la Ville de Gaspé avait reconnu « que le forage pétrolier relève de la compétence exclusive de la législature provinciale et qu’elle n’a aucun pouvoir de le réglementer[118] ». La décision aurait peut-être été différente si la Ville avait plaidé avoir le pouvoir de réglementer l’environnement associé au forage pétrolier en vertu de sa compétence en matière d’environnement ou de sa compétence générale.

3.1.3 L’interprétation large de la compétence générale

L’article 85 de la LCM précise que, « en outre des pouvoirs réglementaires prévus à la présente loi, toute municipalité locale peut adopter tout règlement pour assurer la paix, l’ordre, le bon gouvernement et le bien-être général de sa population ». Au sujet dudit article 85, le document gouvernemental intitulé La Loi sur les compétences municipales commentée article par article mentionne une chose importante. Cet article est venu remplacer notamment l’article 410 de la Loi sur les cités et villes[119] dont il « reprend essentiellement le contenu », y compris la notion de « bien-être général » que la « Cour suprême a interprétée généreusement […] dans l’affaire Spraytech c. Ville de Hudson[120] ». C’est donc dire que l’article 85 doit s’interpréter à la lumière de cette affaire, comme l’indique également la jurisprudence[121].

Dans l’affaire 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville de), consacrant une tendance jurisprudentielle et doctrinale[122], le plus haut tribunal canadien a conclu qu’en vertu de sa compétence générale une municipalité peut réglementer un domaine pour lequel elle n’a pas de compétence précise. Cette conclusion est justifiée par le fait que « [l]es dispositions moins limitatives ou “omnibus”, tel l’art. 410, permettent aux municipalités de relever rapidement les nouveaux défis auxquels font face les collectivités locales sans qu’il soit nécessaire de modifier la loi provinciale habilitante[123] ». Il semble que ce raisonnement soit particulièrement vrai en matière d’environnement, puisque dans l’affaire Spraytech il a permis à la Ville de réglementer les pesticides. En plus, dans cette affaire, la Cour suprême rappelle que « la protection de l’environnement est […] un problème international qui exige une action des gouvernements de tous les niveaux[124] ». Plus loin, citant la Cour d’appel de l’Ontario, elle mentionne même que, « devant une situation où la santé et l’environnement sont en jeu », la municipalité exerce un rôle de « fiduciaire de l’environnement[125] ». Évidemment, comme la situation de la Ville de Gaspé ressemble à celle qui a été vécue par la Ville de Hudson, en ce qu’elle est placée devant un nouveau défi en matière d’environnement et de santé sans avoir une compétence très précise pour s’y attaquer, ce précédent se révèle à la fois pertinent et déterminant.

À la lumière de l’affaire Spraytech, même en l’absence d’une compétence en matière d’environnement, la compétence générale de l’article 85 de la LCM permettrait donc de conclure à la validité du Règlement de Gaspé. Cependant, un autre aspect de cette loi et de cet arrêt pose la question de son opérabilité.

3.2 L’article 3 de la LCM : une prépondérance en cas de conflit réel

Puisque le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains ne découle pas de la LQE, l’article 124 de cette dernière ne lui est pas applicable. Et comme la compétence d’adopter le Règlement de Gaspé découle de la LCM, c’est plutôt vers l’article 3 de ladite loi qu’il faut se tourner. Celui-ci prévoit que « [t]oute disposition d’un règlement d’une municipalité adopté en vertu de la présente loi, inconciliable avec celle d’une loi ou d’un règlement du gouvernement ou d’un de ses ministres, est inopérante[126] ».

Pour comprendre la portée de cet article avant de l’appliquer au Règlement de Gaspé et au Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains, il convient de se référer au test qui existait en cette matière avant son adoption et à l’interprétation dont il a fait l’objet depuis son adoption.

3.2.1 Le test du conflit d’application avant l’adoption de l’article 3 de la LCM

Comme l’indique le document intitulé La Loi sur les compétences municipales commentée article par article[127], pour comprendre l’article 3 de la LCM il faut une fois encore se référer à l’affaire Spraytech. Bien que celle-ci date d’avant la LCM, comme l’article 3 reprend les principes d’interprétation du droit administratif, la jurisprudence antérieure en général et cette affaire en particulier demeurent pertinentes[128].

Dans l’affaire Spraytech, la Cour suprême précise que, en matière de conflit entre un règlement municipal et une loi, il convient d’appliquer le même critère qu’en matière constitutionnelle. C’est donc dire qu’il y a prépondérance d’une norme ou exclusion d’une autre seulement en cas de conflit réel, soit lorsque « l’observation d’un ensemble de règles entraîne l’inobservation de l’autre ». Autrement dit, « le critère fondamental demeure l’impossibilité de se conformer aux deux textes[129] ». Concrètement, cela signifie qu’un règlement municipal peut imposer des normes plus exigeantes que celles d’un règlement gouvernemental sur le même objet, pour autant que ledit règlement municipal n’interdise pas ce que le règlement gouvernemental en question rend obligatoire.

Au moment de l’adoption de l’article 3 de la LCM, la ministre des Affaires municipales et des Régions affirmait d’ailleurs ceci :

C’est une disposition, là, qui est cohérente avec les principes généraux d’interprétation et de droit administratif […] Deux dispositions réglementaires, adoptées l’une par le gouvernement et l’autre par une municipalité, pourront coexister si elles n’entrent pas en conflit. Il y a conflit direct lorsqu’un texte impose ce que l’autre interdit. La simple existence d’une loi provinciale ou fédérale dans un domaine donné n’écarte pas le pouvoir des municipalités de réglementer cette matière[130].

Reste à voir si la jurisprudence est fidèle à cette intention du législateur.

3.2.2 Le test du conflit d’application et l’interprétation de l’article 3 de la LCM

Différentes décisions ont confirmé que le test du conflit d’application qui existait avant l’adoption de l’article 3 de la LCM continue de s’appliquer depuis. Par exemple, dans l’affaire Terrebonne (Ville de) c. Hervieux, le tribunal précise que « cette disposition n’enlève pas aux municipalités tout pouvoir de réglementation dans un domaine où l’autorité provinciale exerce elle-même son propre pouvoir, mais prévoit uniquement l’inapplicabilité du règlement municipal dans le cas où les deux dispositions sont inconciliables[131] ». Puis il en tire comme conclusion qu’« un règlement municipal peut ajouter aux exigences de la loi provinciale dans la mesure où, de façon pratique, il ne la rend pas ainsi inapplicable[132] ». Concrètement, cela signifiait en l’espèce que l’article 3 de la LCM permettait à la municipalité d’édicter un règlement relatif à la chasse, par exemple pour interdire les coups de feu en direction d’un bâtiment ou à moins de 2 000 mètres de ce dernier. Puisqu’il avait pour effet non pas d’interdire cette pratique sur l’ensemble du territoire municipal, mais plutôt d’assujettir le droit de chasse prévu dans la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune[133] à des règles de sécurité tenant compte du milieu, ce règlement était opérant.

Certes, des règlements municipaux portant sur un sujet déjà régi par une norme gouvernementale ont été jugés ultra vires dans certaines affaires malgré l’existence de l’article 3 de la LCM. Cependant, ces affaires peuvent être distinguées du cas de la Ville de Gaspé. Par exemple, dans l’affaire Iredale c. Mont-Tremblant (Ville de)[134], des règlements municipaux en matière de bruit sont jugés inconciliables avec la LQE et dès lors partiellement inopérants, notamment en raison de l’article 3 de la LCM. En l’espèce, le tribunal arrive à cette conclusion parce que les règlements municipaux sont en partie déraisonnables, ce qui les rend inconciliables avec la LQE puisque « le fait qu’une norme municipale soit irréconciliable par rapport à une loi provinciale s’évalue dans son contexte[135] ». Dans le cas du Règlement de Gaspé, nous ne nous penchons pas sur son caractère raisonnable ou déraisonnable dans le présent article. Nous nous contenterons donc de rappeler ici que comme tout règlement municipal il est présumé valide, c’est-à-dire raisonnable, et qu’il revient à la personne qui le conteste de démontrer son invalidité pour cause de « déraisonnabilité ». Tant que cela n’a pas été fait, nous ne pouvons conclure qu’il a un caractère déraisonnable le rendant inconciliable avec une norme gouvernementale. Dès lors, à ce stade-ci, l’affaire Iredale ne nous semble guère problématique eu égard à l’opérabilité du Règlement de Gaspé. Surtout que dans cette affaire le juge se réfère à l’affaire Spraytech pour interpréter l’article 3 de la LCM, ce qui confirme du coup que l’interprétation de cet article n’écarte pas le test du conflit d’application qui existait avant son adoption[136].

3.2.3 Le test du conflit d’application de l’article 3 de la LCM, le Règlement de Gaspé et le Règlement sur le pétrole, le gaz naturel et les réservoirs souterrains

Selon la Cour supérieure, le Règlement gouvernemental sur le pétrole, qui découle de la Loi sur les mines, et non de la LQE, est inconciliable avec l’article 8 du Règlement de Gaspé. Puisque la cour parle de l’obligation de mettre en place un système antiéruption, elle fait référence sans doute à l’article 33 du Règlement gouvernemental sur le pétrole qui précise ceci : « Le titulaire de permis de forage de puits doit inclure un réseau de conduites au système anti-éruption. Ce réseau de conduites comprend 2 tuyaux d’acier, l’un servant au retour du fluide de forage et l’autre à la détente de la pression[137]. » Avec ses références à une obligation, l’emploi du terme « doit », et la mention d’un « retour du fluide », ce qui suppose qu’un fluide a été introduit, cet article semble effectivement rendre obligatoire l’introduction d’un fluide. Or, l’article 8 du Règlement de Gaspé interdit l’introduction dans le sol d’un fluide susceptible d’altérer la qualité de l’eau à proximité d’un lieu de puisement d’eau de surface ou d’un puits. C’est ce qui fait dire à la Cour supérieure que « le détenteur d’un permis de forage en vertu de la Loi sur les mines et du règlement adopté sous son empire ne peut donc respecter à la fois cette loi et ce règlement et l’article 8 de celui de la Ville[138] ».

Toutefois, ce raisonnement nous paraît inexact, puisqu’il serait parfaitement possible pour une compagnie pétrolière de forer uniquement à l’extérieur des aires où l’introduction d’un fluide dans le sol est interdite par le Règlement de Gaspé. Autrement dit, elle pourrait introduire un fluide dans le sol, tel que cela est prescrit par l’article 33 du Règlement gouvernemental sur le pétrole, seulement là où c’est permis par l’article 8 du Règlement de Gaspé… comme dans l’affaire Terrebonne où il était possible de chasser conformément à la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune à l’extérieur des endroits prohibés par le règlement municipal. Il n’y a donc pas impossibilité de respecter les deux règlements. De ce fait, les deux devraient demeurer opérants.

Et l’on voit mal comment l’affaire Côte de Gaspé (Municipalité régionale de) c. Gaspésia[139], citée longuement par la Cour supérieure, pourrait influer sur ce raisonnement. Cette affaire et le passage cité datent d’il y a plus de 20 ans et sont basés sur un ouvrage de doctrine[140] ainsi qu’un précédent[141] qui remontent respectivement à une trentaine et à près d’une quarantaine d’années, soit bien avant l’affaire Spraytech de 2001 et la LCM de 2005. De plus, l’affaire Côte de Gaspé ne concerne ni l’article 3 de la LCM ni la Loi sur les mines.

Conclusion

Dans tout ce cheminement qui nous amène à conclure que le Règlement de Gaspé pourrait, voire devrait, être considéré comme valide, opposable et opérant, l’étape la plus incertaine est celle de sa qualification, à savoir s’il est ou non un règlement de zonage découlant de la LAU. Il s’agit d’ailleurs d’une étape escamotée par la Cour supérieure.

L’article 246 de la LAU qui rend les actes municipaux découlant de cette dernière inopposables à des activités faites conformément à la Loi sur les mines constitue une exception devant être interprétée strictement. Une application de cet article à des actes ne relevant pas exclusivement de la LAU ou encadrant des activités minières sans les empêcher reviendrait à interpréter largement ledit article. Comme le Règlement de Gaspé peut être qualifié de règlement découlant plus assurément de la LCM que de la LAU, et qu’il encadre certaines activités minières sans les empêcher, il n’y a pas lieu de conclure que l’article 246 le rend inopposable.

Quant à l’article 124 de la LQE, en raison du test de l’affaire Saint-Michel Archange qui exige une identité d’objet pour conclure à l’inopérabilité du règlement municipal, il ne devrait pas poser de problème, malgré l’existence de règlements gouvernementaux concernant l’eau en particulier ou l’environnement en général. Pour ce qui est de l’article 3 de la LCM, le test de l’affaire Spraytech et son exigence d’un conflit véritable devraient permettre la coexistence entre le Règlement de Gaspé et le Règlement gouvernemental sur le pétrole.

Pour toutes ces raisons, peu importe son sort en appel, la décision rendue en première instance dans l’affaire Pétrolia ne va sans doute pas renverser complètement la tendance lourde qui existe particulièrement depuis l’arrêt Spraytech de la Cour suprême et l’adoption de la LCM par le Parlement, tendance en vertu de laquelle il est possible pour des communautés locales de se prendre en main et de protéger elles-mêmes leur patrimoine naturel, et ce, conformément au droit.