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L’ouvrage dont nous faisons la recension offre une synthèse de la recherche actuelle en sociologie du droit selon trois spécialistes des sciences sociales. Les auteurs se gardent toutefois d’une approche uniquement sociologique et, pour ce faire, pigent par-ci par-là dans l’histoire, la science politique et l’anthropologie pour étayer leurs propos. À cette interdisciplinarité s’ajoute aussi une perspective internationale des thèmes abordés.

Droit et régulation sociale

Dans un premier temps, les auteurs exposent la fonction régulatrice du droit en société. Les règles juridiques indiquent à la population le comportement qu’il faut suivre, et ceci contribue à canaliser les conflits, à diminuer le désordre et à harmoniser les conduites de tout un chacun. La régulation s’effectue peu à peu en intégrant dans le droit les règles qui font consensus, phénomène consacré par le terme « juridicisation ». Une autre manière de réguler les comportements se produit par des jugements judiciaires et l’on attribue à sa récente prolifération la notion de « judiciarisation ». Les auteurs apportent cependant un bémol à ce portrait général, en exposant que la vocation régulatrice du droit est amenuisée par le fait que des acteurs puissent ne pas respecter la loi tout en n’étant jamais découverts.

Cultures et conscience du droit

Les auteurs exposent dans ce chapitre que la culture d’une société se reflète dans son droit. La délinquance sexuelle revêt par exemple une réprobation sociale très particulière aux États-Unis, et ceci s’exprime par un droit oppressif en la matière. Un autre exemple serait la manière dont est évaluée la crédibilité des témoins au Maroc, soit en fonction de l’ampleur de leur réseau de contacts. La logique étant que plus un témoin noue d’associations, plus le fait de mentir sera susceptible de nuire à sa réputation. Les auteurs expliquent aussi que le droit est susceptible de modifier la culture, en prenant l’exemple de la valorisation des minorités ethniques et des handicapés à travers des lois leur accordant des droits fondamentaux. La question de la conscience du droit renvoie, quant à elle, à la manière dont les justiciables perçoivent le droit, tantôt d’une manière positive et tantôt d’une manière négative. Un exemple du premier serait la source d’aide que représentent les programmes sociaux pour les plus défavorisés et un exemple du second serait la limite législative en France au nombre de 35 heures par semaine pour les cadres qui désirent travailler davantage.

Sociologie des jugements ordinaire et judiciaire

Les auteurs établissent d’emblée dans ce chapitre que les jugements ne sont pas exclusifs au monde judiciaire. Tout le monde peut porter un jugement face à une situation qu’il vit et, dépendamment de sa définition de la justice, qualifier la situation de juste ou d’injuste. De manière plus formelle, d’autres institutions que les tribunaux peuvent rendre un jugement. La décision de retirer à Lance Armstrong ses titres pour cause de dopage en serait un exemple. L’analyse des auteurs porte ensuite sur la spécificité du jugement judiciaire. Celui-ci est tout d’abord la suite logique d’un individu qui réclame justice dans un contexte où un règlement à l’amiable s’est souvent révélé infructueux. En théorie, le jugement se résume à l’interprétation que fait le juge du droit à la lumière des faits, mais les auteurs rappellent qu’en pratique les propriétés sociales du justiciable, les valeurs du juge et la conséquence pratique de la décision sur la société seront prises en considération.

Droit et État

Les auteurs ouvrent ce chapitre en établissant que l’État est structuré par le droit. Les pouvoirs de chaque organe politique se retrouvent ainsi précisés dans les lois, ce qui accorde à l’État une légitimité toute particulière. Cette légitimité se renforce aussi par la présence dans la société de juges, de légistes et d’avocats qui pratiquent le droit au sein de la chose publique. Les auteurs poursuivent en expliquant que, pour autant que le droit puisse servir l’État, le droit peut aussi être mobilisé par les justiciables pour revendiquer des changements. Les arrêts américains Brown v. Board of Education of Topeka (1954)[1] sur la déségrégation raciale et Roe v. Wade (1973)[2] sur la libéralisation de l’avortement en sont de bons exemples. Le droit peut aussi dépasser l’État, comme la présence d’institutions de justice pénale internationale et la présence de la charte des droits de l’homme de l’ONU en témoignent.

Droit et action publique

Les auteurs se penchent dans ce chapitre sur la manière dont le gouvernement utilise la loi pour mettre en oeuvre ses politiques publiques. Alors que c’est classiquement le cas en territoire civiliste comme la France, un pays de common law comme les États-Unis n’a pas la même proximité avec la loi, même si ce constat doit désormais se nuancer avec la montée en flèche du statute law. Les auteurs expliquent que l’édiction d’une loi vise avant tout à répondre à une demande sociale qui peut provenir de plusieurs acteurs, autant du lobbyisme industriel que des particuliers. La multiplicité des personnes impliquées dans l’élaboration de la loi comme telle est ensuite décortiquée. Les auteurs passent aussi quelques pages sur la marge de manoeuvre que possèdent ceux qui appliquent et interprètent la loi pour sa mise en oeuvre effective sur le terrain.

Institutions de justice

Les auteurs établissent d’emblée dans ce chapitre que les tribunaux ne possèdent pas le monopole de la justice. La justice extrajudiciaire par le biais des modes alternatifs de règlement des conflits a désormais pris un essor considérable. Ce phénomène a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre, autant par les partisans que par les détracteurs. Les premiers observent un accroissement de l’accès à la justice, mais les seconds y voient une possibilité de léser les plus pauvres. La discussion se poursuit avec l’examen des différences entre pays dans l’accession à la position de magistrat, avec en France une école de la magistrature distincte et aux États-Unis, en principe, une nomination politique d’un avocat sénior. Ensuite, les auteurs analysent les rapports entre la justice et le politique, en prenant pour exemple le cas du contrôle de la constitutionnalité des lois par les juges ou encore la présence de procès politiques tel qu’a été celui de Trotsky au temps de l’URSS.

Professionnels du droit et de la justice

Les auteurs exposent dans ce chapitre que les professionnels du droit sont devenus essentiels dans un contexte où le droit devient fort complexe. Le client se retourne ainsi vers un spécialiste capable de comprendre ce qu’il ne comprend pas lui-même. La suite de leurs propos traite de l’accession des juristes au statut de « profession » et de la chasse gardée sur certains actes que ceci implique en société. Les distinctions entre les différents professionnels du droit que sont les greffiers, les huissiers, les avocats et les magistrats sont ensuite analysées. Les auteurs consacrent aussi quelques pages à la disparité de prestige entre les avocats d’affaires en grand cabinet et les avocats en plus petit cabinet exerçant en droit pénal, familial et social. Quelques mots suivent sur la production de la doctrine par les professeurs dans un objectif désintéressé et leur opposition à la même activité par les avocats qui peuvent le faire dans un objectif intéressé, par exemple pour une interprétation du droit favorable à leur clientèle.

Droit et économie

Les auteurs se penchent dans ce chapitre sur la manière dont le droit structure l’économie. Le tout débute par la Lex mercatoria qui apparaît à l’époque médiévale pour répondre aux besoins des marchands et s’oriente plus tard vers une régulation étatique complexe des transactions économiques mondiales d’aujourd’hui. Quelques mots sont consacrés aussi à l’intervention positive de l’État dans l’économie pour protéger les plus vulnérables du marché. Les auteurs expliquent ensuite l’évolution de l’économie capitaliste à travers des concepts juridiques tels que la propriété et le contrat. Enfin, la fonction grandissante des avocats d’affaires pour le conseil stratégique des entreprises dans leurs fusions et acquisitions et leur expansion outre-mer clôt l’ouvrage.