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Le silence de l’Administration suscite actuellement en France une cacophonie retentissante. Une récente réforme présentée comme « une révolution juridique » fait l’unanimité contre elle, et il semblerait que les auteurs rivalisent d’imagination pour la qualifier et aient accepté implicitement de participer à un concours de métaphores. La règle plus que séculaire selon laquelle le silence de l’Administration sur une demande vaut rejet a en effet été renversée par une loi du 12 novembre 2013 qui prévoit que désormais le silence de l’Administration vaut acceptation. Les critiques se focalisent, non seulement sur la manière dont la nouvelle règle a été imposée sans étude d’impact préalable, par un amendement du gouvernement lors de la discussion sur la loi l’habilitant à simplifier les relations entre l’Administration et les citoyens[1], mais aussi sur la portée réduite qu’elle revêt, puisque, sur 3 600 procédures administratives répertoriées en droit administratif français seulement 1 200 environ, soit un tiers, sont concernées par la réforme, en raison des multiples exceptions dont elle fait l’objet. Les enjeux d’une telle réforme ne sont pourtant pas négligeables. Du point de vue politique, est toujours recherchée l’amélioration des relations entre l’Administration et les administrés, sinon une revalorisation de la démocratie administrative au profit des citoyens et un renforcement de leurs droits ; du point de vue économique, et l’analyse économique du droit n’y est pas étrangère, les arguments relatifs à l’encouragement des initiatives n’ont pas manqué ; du point de vue juridique enfin, il fallait sacrifier à la simplification du droit, si tant est qu’elle soit possible, car la complexité inhérente au droit, et au droit administratif en particulier, semble bien irréductible. Et, de ce point de vue, le résultat atteint dépasse l’imagination : au lieu du « choc de simplification » annoncé[2], un observateur a vu au contraire « un choc de complexification » avec une « zone grise » où aucune règle n’est applicable[3]. Il est certain que l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, dégagé par le Conseil constitutionnel[4], n’est pas atteint, malgré les efforts réalisés par le gouvernement, qui a pris pas moins de 31 décrets relatifs aux exceptions à l’application de la nouvelle règle et qui a listé sur le site du Premier Ministère les procédures pour lesquelles le silence de l’Administration vaut bien acceptation.

Si le législateur français n’a fait que suivre les préconisations d’un rapport parlementaire rendu en 2013[5] et qui se prononçait en faveur du renversement de la règle « le silence vaut rejet », il convient de ne pas occulter l’influence du droit européen. D’une part, l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit « le droit à une bonne administration[6] », que le législateur français invoque d’ailleurs pour justifier certaines exceptions à l’application de la nouvelle règle, ce qui tend à prouver que cet argument de la bonne administration est aisément réversible. D’autre part, la directive sur les services dans le marché intérieur du 12 décembre 2006, dite directive Bolkenstein, invite les États membres à simplifier leurs régimes d’autorisations administratives en octroyant celles-ci de manière implicite à l’expiration d’un certain délai, afin de faciliter la liberté d’établissement des opérateurs économiques[7]. Du reste, la France a été précédée par certains de ses voisins dans cet effort de simplification. Ainsi en Italie, après plusieurs lois ayant fait progresser la règle du silence-acceptation, une loi du 14 mai 2005 a établi un principe général selon lequel le silence vaut autorisation tacite, sauf dispositions contraires, et hormis les domaines sectoriels expressément exclus du champ d’application du principe, comme celui du patrimoine culturel et paysager, celui de l’environnement ou encore les domaines de l’immigration et de la santé publique[8]. D’autres États, comme l’Allemagne, ont modifié leur législation pour transposer la directive « services » en instaurant une « autorisation fictive[9] ». D’autres encore, comme la Suède ou la Grande-Bretagne[10], préfèrent un autre système qui consiste à juridictionnaliser la procédure administrative en demandant au juge d’enjoindre à l’Administration de prendre position sur une demande.

Quelle que soit la solution retenue, il ne semble pas qu’elle soit autant débattue qu’en France. La demande, formulée le 13 août 2013 par le premier ministre, d’une étude par le Conseil d’État sur l’application du principe « silence valant accord » fait figure d’appel à l’aide de la part du gouvernement pour appliquer une réforme, prévue avec un cortège d’exceptions aux effets inattendus, et cache mal l’embarras du gouvernement d’avoir passé outre à la consultation préalable du Conseil d’État sur tout projet de loi. L’étude adoptée par l’Assemblée générale plénière le 30 janvier 2014 se présente elle-même comme une contribution à « un travail d’acculturation des administrations[11] » et entend fournir des éléments de contexte de l’ancienne et de la nouvelle règle. Une « double intention didactique et opérationnelle » a guidé cette étude portant sur une loi déjà votée[12], qui comporte un prétendu principe assorti d’exceptions si nombreuses qu’elles anéantissent le principe et qu’elles prêtent à dérision : ainsi, un professeur malicieux a pu répertorier 1 125 exceptions à la nouvelle règle, alors qu’il n’y en avait que 500 à la règle ancienne[13]. Par conséquent, la loi toujours en vigueur du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations[14], qu’elle soit considérée dans sa version initiale ou dans sa version résultant de la loi du 12 novembre 2013, comporte une règle — en vertu de laquelle le silence gardé pendant un certain délai par l’Administration sur une demande d’un administré est constitutif d’une décision administrative — règle dont le sens est soit un refus, soit une acceptation, avec des exceptions dans l’un et l’autre cas qui obscurcissent le sens de la règle.

Le droit donne donc une signification au silence, qui ne relève pas du non-droit, mais au contraire est assimilé à la prise d’une décision administrative à portée individuelle. C’est évidemment une « fiction légale », décelée déjà par Édouard Laferrière[15], qui impute à l’Administration un acte, alors même qu’elle s’est abstenue de répondre à la demande d’un administré, par inertie ou du fait de l’encombrement de ses services. À cet égard, le silence de l’Administration se rattache davantage au silence des actes, par opposition au silence des personnes[16], car la personne de l’administrateur disparaît derrière sa fonction et les règles de compétence qui y sont attachées. Alors qu’il n’est aucunement une manifestation de volonté d’une personne publique, le silence est revêtu de la même signification que l’action de dire ou d’écrire, en tant qu’il représente un signe. Et il emporte paradoxalement les mêmes conséquences qu’un acte formel volontaire, tant du point de vue contentieux, puisqu’il est susceptible de recours pour excès de pouvoir, que du point de vue du fond du droit, puisqu’il peut maintenir le statu quo, conférer des droits aux administrés ou encore porter atteinte aux droits des tiers. Mais la fiction, parce qu’elle est dotée par nature d’une stabilité certaine, ne concerne que la signification du silence comme acte administratif[17]. Contrairement à l’acception courante, suivie par la plupart des auteurs et des acteurs de la réforme, il semble que la distinction entre la signification du silence et le sens du silence soit fructueuse, en ce que le signe diffère de l’interprétation qui lui est donnée. Dans un deuxième temps, après la signification du silence, « rechercher le sens du silence des actes présuppose que quelque chose a été dit ou écrit et que cela est reconnu comme un acte juridique[18] ». Le sens, en tant que manière d’être compris et interprété, ne peut donc être recherché et saisi qu’après qu’a été établie avec certitude l’existence d’une décision. Quant au sens du silence, et parce qu’il est changeant suivant les époques, il fait jouer — non pas une fiction — mais une présomption[19] posée par le législateur — le refus ou l’acceptation — qui est simple, puisque beaucoup d’exceptions trouvent à s’appliquer dans les deux cas. Aussi, le silence comme fiction et comme présomption du droit paraît pouvoir être étudié, abstraction faite des revirements du législateur dans le temps.

1 La signification du silence ou la fiction d’une décision administrative

La fiction de l’intervention d’une décision administrative, en dehors de toute manifestation de volonté par l’Administration, répond à une logique contentieuse, qui permet aux administrés d’exercer leur droit au recours malgré le silence gardé sur leur demande, ainsi qu’à une logique administrative, qui tend à pousser l’Administration à traiter la demande si elle ne veut pas que le sens du silence, quel qu’il soit, lui soit opposé.

1.1 La logique contentieuse de la fiction

Si l’Administration peut choisir de se taire, volontairement ou involontairement, elle peut avoir aussi l’obligation de dire[20], et, même sans dire, elle se trouve émettrice d’une décision administrative. En effet, l’histoire du silence de l’Administration montre que, depuis l’origine, sa signification a été paradoxalement décisoire, afin d’éviter les dénis d’administration et de favoriser l’extension du champ du recours pour excès de pouvoir contre tout acte administratif, dans un contexte de soumission progressive de l’Administration au droit et au juge administratif. Déjà un décret du 2 novembre 1864 prévoyait que, lorsque les ministres statuaient sur des recours contre les décisions d’autorités subordonnées, leur décision devait intervenir dans le délai de quatre mois et qu’après l’expiration de ce délai, s’il n’était intervenu aucune décision, les parties pouvaient considérer leur réclamation comme rejetée et se pourvoir devant le Conseil d’État. C’est la loi du 17 juillet 1900 qui généralisa la règle à « toutes les affaires contentieuses », mettant fin à ce que Maurice Hauriou appelait « le privilège du silence », et fit des administrés « les contrôleurs de l’administration publique[21] ». La logique contentieuse était clairement exprimée, non seulement par le champ d’application de la règle explicité de la manière suivante : « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le Conseil d’État que sous la forme de recours contre une décision administrative », mais aussi par la circonstance que l’absence de décision à l’expiration du délai de quatre mois n’empêchait pas « les parties intéressées » de « se pourvoir » devant le Conseil d’État et donc de lier le contentieux grâce à une décision implicitement acquise. Il est remarquable que le législateur, à cette époque, gardait — si l’on ose dire — le silence sur le silence de l’Administration, préférant une formulation neutre, impersonnelle et non stigmatisante pour l’Administration, libellée en ces termes : « lorsqu’un délai de plus de quatre mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision ». Ce n’est qu’en 1956 que le législateur instaure à proprement parler la règle du silence qui vaut rejet dans une loi du 7 juin 1956 relative aux délais de recours contentieux en matière administrative[22], après que les tribunaux administratifs, récemment créés, ont remplacé les conseils de préfecture et sont devenus juges de droit commun en première instance[23]. La réitération de cette équivalence entre silence et décision implicite de rejet par la loi du 12 avril 2000, alors que l’idée du renversement de la règle était déjà débattue, renforce la thèse ancienne de la fiction, quand bien même elle serait limitée à l’existence d’une décision administrative attaquable.

La logique contentieuse de la fiction a conduit le Conseil d’État à traiter les décisions implicites de rejet comme les décisions expresses de rejet. Ainsi, il a jugé rapidement qu’un administré pouvait exercer, dans le délai de deux mois, un recours hiérarchique contre une décision prise à son encontre, puis devait exercer son recours contre la décision implicite de rejet en cas de silence du supérieur hiérarchique dans le délai de deux mois après sa formation[24]. De la même façon, si l’Administration rejette expressément la réclamation après la formation de la décision implicite de rejet, le réclamant dispose encore d’un délai de deux mois pour exercer son recours à partir de la date de la notification de la décision expresse[25]. En outre, le législateur dès 1900 avait pris la précaution d’imposer à l’Administration qui reçoit une réclamation la délivrance d’un récépissé, lequel devait permettre au réclamant d’apporter la preuve, non seulement de la réalité de sa réclamation, mais aussi de la date à partir de laquelle serait calculé le délai de quatre mois. Or, dans le cas où l’Administration n’avait pas voulu délivrer ledit récépissé, le Conseil d’État a admis tout autre mode de preuve pour établir la réalité de la réclamation, notamment le constat d’huissier[26], l’aveu du ministre[27], ainsi que le récépissé de la lettre recommandée et l’avis de réception postal[28]. En 1920, le Conseil d’État rend un arrêt de principe, considéré par Maurice Hauriou comme « un bel exemple de sa sagesse jurisprudentielle, interprétant la lettre de la loi par l’esprit de la loi », parce qu’il met bien en exergue la portée de la règle du silence vaut rejet et de l’obligation de délivrer un récépissé à la charge de l’Administration. On y lit ceci :

[La] difficulté, à laquelle ladite loi a entendu remédier, subsisterait tout entière, si lesdites administrations pouvaient, en ne délivrant pas de récépissé, empêcher de courir le délai de quatre mois à l’expiration duquel le pourvoi peut être formé ; qu’il suit de là que la disposition qui oblige le réclamant à fournir, à défaut d’une production de la décision attaquée, le récépissé de sa demande, doit être entendue comme n’ayant d’autre but que d’exiger une preuve certaine que la réclamation a été remise à une date déterminée à l’autorité compétente[29].

Le Conseil d’État a estimé alors qu’il appartient au juge d’apprécier, « d’après les éléments du dossier, si le requérant apporte cette preuve » et si, en conséquence, le délai de quatre mois a pu courir, ce qui laissait ouverts tous les modes de preuve. L’interprétation libérale de la loi du 17 juillet 1900, à laquelle s’est livré le Conseil d’État, s’est inscrite dans la volonté d’ouvrir le recours pour excès de pouvoir au plus grand nombre possible de décisions, dans un contexte de soumission de l’Administration au droit et au juge administratif à l’époque de l’édification de l’État de droit en France.

Le renversement de la règle du « silence vaut rejet » par la loi du 12 novembre 2013 qui modifie l’article 21 de la loi du 12 avril 2000[30] est accompagné d’une garantie comparable pour les tiers, seuls intéressés à exercer un recours pour excès de pouvoir, garantie qui n’est pas sans susciter beaucoup d’interrogations, tellement la rédaction de la loi est obscure. Ce n’est pas la décision implicite d’acceptation qui doit être publiée à destination des tiers, afin de préserver leur droit au recours, mais c’est la demande initiale avec l’indication de la date à laquelle elle sera réputée acceptée, si aucune décision expresse n’intervient. En outre, cette publicité de la demande initiale n’est requise que si l’Administration a l’obligation de publier à l’égard des tiers la décision expresse quand elle est prise. Enfin, la publicité est assurée « par les soins de l’administration, le cas échéant par voie électronique[31] », ce qui laisse aux tiers la perspective d’une longue navigation sur Internet, quand ils y auront accès. Et à cet égard, on peut craindre que le délai de deux mois du recours pour excès de pouvoir soit fréquemment dépassé et ne vide de son contenu le droit au recours des tiers. À l’intention du demandeur, la loi n’a pas modifié l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 qui prévoit que « toute demande adressée à une autorité administrative fait l’objet, [de la part de celle-ci], d’un accusé de réception[32] ». À l’expiration du délai, la nouvelle loi ne prévoit qu’une « attestation » de la décision implicite d’acceptation, et encore à la demande de l’intéressé, laquelle attestation n’est pas de nature à protéger son droit au recours qui est sans objet, puisqu’il aura été donné satisfaction à sa demande. Comme le souligne le Conseil d’État dans son étude, la délivrance de l’accusé de réception n’est soumise à aucun délai, et son absence ne fait pas obstacle à la naissance de la décision implicite d’acceptation. Toutefois, en cas de contestation de la part de l’Administration, il appartiendra toujours au demandeur de rapporter la preuve du dépôt de sa demande et d’établir la date de celle-ci[33], et, on le suppose, par tout mode de preuve. La logique contentieuse, initialement favorable au demandeur, ne semble donc pas aussi prégnante à l’égard des tiers depuis le renversement de la règle. L’une des raisons, qui explique la moindre protection de ces derniers, est que le législateur a voulu réduire le contentieux généré par les décisions implicites et a, par conséquent, privilégié une logique administrative, qui doit pousser l’Administration à répondre expressément à la demande.

1.2 La logique administrative de la fiction

La période de silence ne profite pas seulement à la personne qui adresse une réclamation à l’Administration et qui sait qu’elle pourra, à son terme, se prévaloir d’une décision implicite susceptible de recours devant le juge administratif, ou au tiers par rapport à la demande qui pourra remettre en cause une décision implicite d’acceptation qui serait de nature à léser ses intérêts. Le temps de réflexion, qu’il soit de quatre ou de deux mois, est aussi laissé à l’Administration pour qu’elle examine la demande en respectant la règle de l’examen particulier du dossier, impérieuse en situation de compétence discrétionnaire pour qu’elle ne dégénère pas en arbitraire. C’est aussi le moment de la conciliation possible entre les revendications individuelles de l’administré et la défense de l’intérêt général par l’Administration, pouvant aboutir à un compromis qui évitera le procès. Si la condition de la décision préalable pour saisir le juge administratif est automatiquement remplie dans le contentieux de l’excès de pouvoir, puisque le recours est dirigé nécessairement contre un acte — ici une décision implicite consécutive au silence de l’Administration sur une demande initiale —, elle retrouve tout son intérêt dans le contentieux indemnitaire, où l’administré est obligé de provoquer une décision de l’Administration en lui réclamant une indemnisation pour le préjudice qu’il prétend avoir subi. Un règlement amiable peut alors être trouvé dans le temps laissé à l’Administration pour répondre et celle-ci convient souvent, à l’inverse de Balzac, de ce qu’un bon compromis vaut mieux qu’un mauvais procès. En tout état de cause, le silence sur une telle réclamation équivaut toujours à une décision implicite de rejet, puisque la loi du 12 novembre 2013 exclut expressément du champ d’application de l’acceptation implicite les demandes présentant « un caractère financier[34] ». Par conséquent, la particularité procédurale posée par un décret du 11 janvier 1965[35] est toujours valable. Elle consiste à ne prévoir, en matière de plein contentieux, la forclusion de la demande qu’après un délai de deux mois à compter de la notification d’une décision expresse de rejet, ce qui signifie a contrario qu’il n’y a pas de forclusion possible en cas de décision implicite de rejet et que le recours en annulation peut être formé sans délai contre celle-ci. Ainsi, dans le contentieux indemnitaire, la décision implicite — toujours de rejet — suit un régime contentieux extrêmement favorable au demandeur et menaçant pour l’Administration, constamment à la merci, pendant la période de prescription quadriennale des dettes des personnes publiques, d’une action en responsabilité.

Abstraction faite de ce cas de rejet qui demeure, avec beaucoup d’autres, comme nous le verrons, la nouvelle règle du silence valant décision implicite d’acceptation va obliger l’Administration à tirer parti du délai de deux mois pour étudier la demande et opposer, le cas échéant, une décision expresse, pour éviter que l’administré acquière des droits automatiquement, éventuellement au détriment de la protection de l’intérêt général, et en particulier du respect nécessaire du principe de légalité. C’est aussi la raison pour laquelle l’Administration a le droit au remords. En effet, le retrait des décisions implicites est toujours possible par l’Administration qui, pour des motifs d’illégalité de la décision, pourra, dans le délai du recours contentieux, et en cas de saisine du juge jusqu’à ce qu’il ait statué, revenir sur la décision implicite et rompre le silence par une décision expresse[36]. La limitation à deux mois du délai de retrait des décisions implicites s’explique par des considérations évidentes de sécurité juridique des situations administratives, que le Conseil d’État a érigé en « principe » récemment[37].

La fiction d’une décision implicite qui résulte du silence ne va cependant pas jusqu’à obliger l’Administration à rester inerte et à se taire pendant le délai de réflexion qui lui est donné. Au contraire, deux circonstances particulières peuvent la faire sortir de sa léthargie ou l’inciter à surmonter l’encombrement de ses services. D’une part, la demande a pu être adressée à une autorité administrative incompétente pour en connaître. Dans ce cas, l’article 20 de la loi du 12 avril 2000 prévoit — et il n’a pas été modifié sur ce point — que cette dernière la transmet à l’autorité administrative compétente et en avise l’intéressé. Par ailleurs, le délai au terme duquel intervient la décision implicite est différent suivant le sens du silence : en cas de décision implicite de rejet, il débute à la date de réception de la demande par l’autorité initialement saisie, mais en cas de décision implicite d’acceptation, il débute à la date de réception de la demande par l’autorité compétente, qui doit, dans tous les cas, délivrer l’accusé de réception. Ce délai différencié d’intervention de la décision implicite marque bien l’attention dont doit faire preuve l’Administration compétente pour instruire une demande, lorsque son silence peut conférer des droits au demandeur. Et si ce n’est pas à proprement parler une invitation du législateur à une réponse expresse de l’Administration, au moins a-t-il pris la précaution de laisser à cette dernière l’intégrité du délai de deux mois pour dire ou se taire. D’autre part, une deuxième circonstance, prévue par la loi du 12 novembre 2013[38], peut conduire l’Administration à sortir de son silence. L’autorité compétente peut en effet informer l’auteur de la demande qu’il n’a pas fourni l’ensemble des informations ou des pièces exigées par les textes. Cette demande de pièces complémentaires ne fera courir le délai qu’à compter de la réception de celles-ci par l’autorité administrative. La décision implicite peut donc intervenir à l’expiration d’un délai bien supérieur au délai de deux mois, puisque la loi n’a pas prévu de délai particulier, ni à l’encontre de l’autorité administrative pour la demande de pièces complémentaires, — laquelle pourra attendre la dernière limite avant que naisse la décision implicite — ni à l’encontre de l’administré pour envoyer celles-ci — quoiqu’on puisse supposer que son intérêt bien compris est de se montrer diligent à cet égard.

Ainsi, la logique administrative de la fiction de la décision implicite est différente suivant le sens de cette dernière : en cas de refus, l’Administration n’est pas incitée à l’action, puisque son silence maintiendra un statu quo des situations du demandeur et des tiers ; mais en cas d’acceptation, l’Administration est obligée à une étude minimale de la demande, ne serait-ce que pour vérifier si elle est bien compétente pour en connaître et si la demande est complète. Même si rien ne l’oblige finalement à répondre, une logique vertueuse de bonne administration sera enclenchée, qui devra inciter l’autorité compétente à sortir de son mutisme. Cette conséquence n’a pas échappé au Conseil d’État qui pense que la réforme de 2013 entraînera nécessairement « des changements dans les méthodes de travail et d’organisation des administrations, s’agissant notamment des systèmes d’information de computation des délais et de l’information des usagers[39] ». Dans cette perspective, le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) a pu, dans une décision du 17 juillet 2013, écrire que « cette importante réforme juridique devra s’accompagner de gains d’efficacité dans le travail des services qui seront notamment acquis grâce à la dématérialisation des procédures[40] ». Cependant, le risque a pu être souligné que la qualité du traitement des dossiers s’en ressente, si les moyens ne suivent pas l’accroissement des charges[41], et que l’Administration ne cherche finalement à externaliser une tâche qui ne lui incombait pas auparavant, ou du moins pas avec autant de risques. Car, à l’évidence, le changement de sens du silence renforce les droits des administrés, mais alourdit les responsabilités de l’Administration.

2 Le sens du silence ou la présomption du rejet ou de l’acceptation d’une demande

La présomption dont il est question ici est une présomption légale, et non une présomption posée par le juge, qui donne le sens négatif ou positif du silence — le refus ou l’acceptation. Il est remarquable en effet que la traduction du silence de l’Administration a toujours été le fait du législateur en 1900, en 2000 et en 2013, quel que soit le sens du silence retenu et même si, à chaque époque, des exceptions ont pu être aménagées par la voie réglementaire. L’impossibilité de déceler avec certitude la valeur de règle ou de principe, étant donné le nombre d’exceptions prévues, au sens du silence en fait un paralogisme, en ce que le législateur a tendance à raisonner de bonne foi à faux. Ce paralogisme se double paradoxalement d’une contradiction inhérente à la présomption, pour la raison que l’administré, demandeur ou tiers à la demande, éprouve les plus grandes difficultés à connaître le régime juridique applicable à sa situation.

2.1 Le paralogisme de la présomption du rejet ou de l’acceptation implicite

Sous l’empire de la loi du 12 avril 2000, le sens du silence était présumé comme rejetant la demande dans la grande majorité des cas, même si la présomption était simple et les exceptions, qui faisaient du silence une acceptation de la demande, n’avaient fait que croître en nombre avec le temps. Dans la mesure où cette loi prévoyait que de nouveaux régimes de décision implicite d’acceptation pouvaient être prévus par le pouvoir réglementaire[42], les exceptions au principe bénéficiaient ainsi d’une habilitation législative. Celle-ci a permis au Conseil d’État de vider une vieille querelle avec le Conseil constitutionnel à propos de la qualification du silence-rejet et de reconnaître, à l’instar du juge constitutionnel, l’existence d’un « principe général du droit selon lequel le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet[43] ». Le législateur, en votant la loi du 12 novembre 2013, a donc renversé un principe général du droit, sans s’interroger sur la question de savoir s’il était possible de le faire, eu égard à l’antériorité et à la supériorité de ce genre de principe issu de la tradition républicaine ininterrompue et tirant ses racines de l’histoire de la juridiction administrative en France, et sans même mesurer les conséquences d’un tel renversement. Le législateur a, par conséquent, traité le sens du silence comme une simple règle de procédure, ce qu’il n’est plus depuis l’intervention de la loi du 12 avril 2000, en intervertissant purement et simplement le principe et l’exception. Il a donc présumé acceptation ce qui était présumé rejet en réécrivant à l’inverse l’article 21-I de la loi du 12 avril 2000 dans ces termes : « Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation. »

Le paralogisme provient de ce que le législateur a raisonné, non seulement abstraction faite de la valeur de principe général du droit reconnue par toutes les juridictions au sens du silence-rejet, mais aussi abstraction faite de la nature intrinsèque d’un principe, même s’il n’est pas hissé au niveau des principes généraux du droit. En effet, l’article 21-I, tel qu’il est réécrit par le législateur de 2013, est complété par un deuxième alinéa qui prévoit que « [l]a liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d’acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre[44] ». Or, alors que le procédé de la liste est normalement utilisé pour prévoir des exceptions à un principe, puisque les exceptions sont d’interprétation stricte, c’est ici le principe — ou la règle — qui est décliné dans toutes ses applications possibles dans une énumération, dont rien ne garantit par ailleurs l’exhaustivité. Qui plus est, le site LégiFrance qui a publié, le 6 novembre 2014, la liste des procédures pour lesquelles le silence gardé par l’Administration sur une demande « vaut accord », comporte une précision étonnante, suivant laquelle « cette liste n’a pas par elle-même de valeur juridique. Elle est publiée aux fins d’information du public. Elle recense les procédures qui n’entrent dans aucune des exceptions prévues par la loi ou par les décrets qui prévoient, dans les conditions fixées par la loi, les dérogations au principe du “silence vaut accord”[45]. » Si le raisonnement sous-jacent à une telle manière de procéder est bien compris, il revient à énumérer les hypothèses d’application d’un prétendu principe, en laissant entendre que l’énumération n’a pas de valeur juridique et n’est donnée qu’à titre informatif, sinon indicatif, puis à affirmer que les applications du principe n’entrent pas dans le champ des exceptions prévues au principe, ce qui conduit à s’interroger sur l’identité et du principe et de l’exception. Le paralogisme est donc flagrant : la loi pose un principe, qui n’a aucune des qualités d’un principe, et des dérogations au principe qui sont pensées comme relevant d’un principe. La complexification est poussée à son comble quand on constate que la liste en question se déploie sur 113 pages, qui répartissent les demandes en deux catégories : celles qui figurent dans un texte codifié (il y a 63 codes en droit français…) et celles qui relèvent de procédures non codifiées qui sont elles-mêmes classées par secteur en suivant l’ordre alphabétique des ministères et de leurs attributions respectives (affaires étrangères, agriculture, culture, défense, écologie-transports-énergie, etc.). Pour chaque code, un tableau des hypothèses d’acceptation comporte en abscisse l’objet de la demande, l’autorité compétente, le délai de naissance de la décision — puisqu’il peut être différent du délai de droit commun de deux mois[46] — et l’article de référence. Ainsi, par exemple, au titre du Code de l’environnement sont recensées 47 procédures pour lesquelles le silence vaut acceptation. Dès lors que le principe du silence-acceptation fait l’objet d’une telle énumération pour chaque code, énumération qui est réputée exhaustive et d’interprétation stricte, la présomption du silence-rejet s’impose pour les autres procédures non listées.

Pour autant, cette présomption du silence-rejet n’empêche pas que le pouvoir réglementaire intervienne pour confirmer expressément que certaines procédures sont écartées du champ d’application de l’article 21-I, qui pose le principe du silence valant acceptation. En effet, le pouvoir réglementaire dispose de deux fondements textuels différents pour expliciter les demandes pour lesquelles le silence de l’Administration vaut toujours rejet. Le premier fondement se trouve dans l’article 21-I-4 qui prévoit les cas, devant être précisés par décret en Conseil d’État, « où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public[47] ». Le second fondement se trouve dans l’article 21-II disposant que des décrets peuvent intervenir pour écarter l’application du nouveau principe à raison de l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration[48]. Il y aurait donc, au vu de cet article, des décisions qui, par leur objet même, sinon leur nature, ne peuvent pas supporter l’acceptation implicite de la demande. Par ailleurs, les motifs de bonne administration pour rejeter la présomption du silence-acceptation sont laissés à l’appréciation discrétionnaire des services ministériels, qui peuvent trouver plus commode de faire perdurer l’ancienne présomption du silence-rejet, car elle conforte à peu de frais l’inertie administrative. En conséquence, deux catégories de décrets ont été prises sur les deux fondements susévoqués, qui ont dressé de nouveau deux listes distinctes des procédures pour lesquelles le silence sur une demande équivaut à une décision de rejet. Au total, 32 décrets ont été publiés, dont la liste est disponible sur Legifrance et dont la dernière mise à jour remonte au 2 décembre 2014. Cette liste récapitulative est classée par ministère et débute par les services du premier ministre. C’est ainsi que, concernant ces derniers, le décret pris sur le fondement de l’article 21-II apprend à l’administré que le silence vaut toujours rejet, non seulement pour les demandes relatives à l’accès aux documents ou informations détenus par une administration de l’État ou un établissement public de l’État ou l’Administration des archives, mais aussi pour les demandes de réutilisation d’informations publiques et pour l’anonymisation par l’Administration de données à caractère personnel en vue de leur réutilisation[49]. C’est ainsi encore, et sans qu’il soit besoin de multiplier à l’infini les exemples, que, concernant les services du ministère de l’Écologie, le décret pris sur le même fondement textuel dresse une liste de 40 procédures pour lesquelles le silence sur une demande vaut toujours rejet[50]. Mais, pour le même ministère, le décret pris sur le fondement de l’article 21-I-4 dresse une liste de 226 procédures pour lesquelles le silence sur une demande vaut rejet, si tout au moins le comptage effectué est juste[51].

Il est donc clair que le nouveau principe, comme ses nombreuses exceptions prévues par le pouvoir réglementaire, n’existe qu’au travers de 33 listes, à savoir la liste explicitant les cas dans lesquels le silence vaut acceptation et les 32 listes annexées aux 32 décrets exposant par ministère les procédures pour lesquelles le silence vaut rejet. Le sens du silence et la présomption du rejet et de l’acceptation de la demande ont eu beau être retournés, le procédé de l’énumération a paru encore le plus fiable pour assurer un minimum de sécurité juridique aux administrés. Ceux-ci ne se trouvent d’ailleurs pas dans une situation très enviable, car elle est de nature à inhiber leur velléité de demandes ou à encourager leur responsabilisation à ne pas trop quémander… Abstraction faite de la fracture numérique, qui se résorbera progressivement, mais qui peut encore constituer un obstacle à l’information de certains citoyens, l’administré normal devra consulter au moins deux listes pour savoir de quel type de silence sa demande relève — de l’acceptation ou du rejet. Le sens du silence ne peut donc pas être présumé a priori aller dans un sens ou dans un autre, dans le sens de l’acceptation ou dans le sens du rejet, contrairement à ce qu’une présentation flatteuse de la réforme pouvait laisser sous-entendre. Au surplus, l’administré devra surtout apprécier approximativement de quel code ou de quel ministère peut bien relever sa demande, ce qui n’est pas aussi simple qu’il y paraît, quand on sait que le périmètre des compétences des ministères change à chaque nouveau gouvernement et que les listes des procédures, dont il est question, ne concernent que les administrations de l’État et de ses établissements publics administratifs. Si la demande de l’administré relève de la compétence d’une collectivité territoriale, il devra attendre l’année prochaine pour consulter probablement d’autres listes[52]… En outre, le champ d’application de la loi du 12 avril 2000, que la loi du 12 novembre 2013 n’a pas modifié, ne s’étend pas aux établissements publics ou aux organismes privés gérant un service public industriel et commercial. L’administré, avant de formuler une demande, devra donc identifier la nature du service public auquel il a l’intention de s’adresser, ce qui n’est pas chose aisée, même pour un juriste aguerri.

Certes, le procédé de la liste n’est évidemment pas blâmable en lui-même, mais il rend absolument vaine l’affirmation d’un principe assorti d’exceptions. En outre, il ne garantit pas qu’aucune procédure n’ait été omise par les auteurs des listes, si bien qu’une « zone grise[53] » de procédures orphelines peut exister, pour lesquelles il serait utile de savoir si la présomption du silence-acceptation peut réellement jouer. En tout état de cause, la présomption ne joue que par défaut de la complétude des listes et comporte, à l’examen, une contradiction qui la mine de l’intérieur.

2.2 La contradiction inhérente à la présomption du rejet ou de l’acceptation implicite

La présomption législative posée par la loi du 12 novembre 2013 de l’acceptation implicite d’une demande, à la suite du silence observé par l’Administration, est affaiblie par la loi elle-même qui prévoit quatre séries d’exceptions générales au principe du silence qui vaut accord, indépendamment de celles qui ont été prévues par décret dans les conditions exposées ci-dessus. Deux de ces exceptions légales sont d’ailleurs formulées négativement, ce qui n’est pas propice à une compréhension directe par l’administré des exceptions posées au principe. La première série d’exceptions concerne les demandes qui tendent à l’adoption de décisions réglementaires[54], au nombre desquelles il faut compter les demandes d’abrogation de règlements pour illégalité adressées à leur auteur. La deuxième série d’exceptions concerne les demandes qui ne s’inscrivent pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire, ou qui présentent le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif, ce qui exclut l’acceptation implicite de toute demande qui s’inscrit dans un contentieux futur. À cet égard du reste, et au moins la cohérence du système est assurée sur ce point précis, l’article R421-2 du Code de justice administrative n’a pas été modifié, qui prévoit dans le même sens que, « [s]auf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet[55] ». La troisième série d’exceptions concerne les demandes présentant « un caractère financier ». Mais l’illisibilité de cette exception est portée à son comble, puisqu’elle est complétée par une exception à l’exception, libellée en ces termes : « sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret[56] ». Il faut donc lire que le silence observé sur une demande en matière de sécurité sociale peut valoir accord si un décret le prévoit. La formulation de la troisième exception suscite deux observations : du point de vue de la logique juridique, il est déjà discutable de prévoir une exception à une exception pour revenir à l’application d’un principe ; mais il est encore plus étonnant de prévoir l’intervention de décrets pour rendre applicable un principe posé par une loi ; du point de vue pratique, le législateur n’a fait que reprendre l’article 22, alinéa 2 de la loi du 12 avril 2000 qui disposait que le pouvoir réglementaire ne pouvait pas instituer un régime d’acceptation implicite pour les demandes présentant un caractère financier, sauf en matière de sécurité sociale. L’état du droit ne change donc pas — notamment pour l’acceptation implicite de certains actes de soins onéreux pour la sécurité sociale mais nécessaires au traitement d’un malade —, et il n’était peut-être pas utile de surcharger la loi de cette troisième exception. Quant à la quatrième exception[57], elle concerne les relations entre les autorités administratives et leurs agents, hypothèse qui était déjà exclue du champ des décisions implicites d’acceptation sous l’empire du droit antérieur. Le Conseil d’État a été conduit à justifier cette exclusion en soulignant que « la nature des relations qu’un agent entretient, en sa qualité de personne employée par une personne publique, avec la personne publique qui l’emploie, est différente de celle qu’il est susceptible d’entretenir en sa qualité de citoyen ou d’usager avec cette personne publique en tant qu’autorité administrative[58] ».

La présomption qui, de par sa nature, est destinée à favoriser la situation de l’administré en lui donnant le sens du silence, comme la présomption de faute facilite l’administration de la preuve du fait générateur d’un dommage pour la victime, prend ici toute l’apparence d’une « machine infernale » (Jean Cocteau) dans la formation d’une décision implicite d’acceptation à la suite du silence observé par l’Administration sur une demande. En effet, l’administré ne sera jamais certain de profiter de cette avancée, présentée comme une simplification du droit, tant il risque de tomber sous le coup d’une des nombreuses exceptions qui émaillent le principe. En outre, s’il croit de bonne foi bénéficier d’une décision implicite d’acceptation, il laissera passer le délai du recours pour attaquer la décision implicite de rejet qui sera née à son insu. Il convient d’ailleurs de relever que les anciens régimes d’acceptation implicite, prévus par décret en Conseil d’État en application de l’article 22 de la loi du 12 avril 2000[59], n’ont pas été abrogés et, dès lors qu’ils ne rentrent pas dans le champ de l’une des exceptions prévues par la loi du 12 novembre 2013 ou par décret, ils peuvent trouver à s’appliquer à certaines demandes, notamment les demandes d’utilisation des sols en matière d’urbanisme. La combinaison de ces régimes avec la liste des demandes pour lesquelles le silence vaut acceptation et qui est publiée sur le site du premier ministère, ainsi qu’avec les listes d’exceptions publiées par décret, promet d’être compliquée, précisément dans des domaines sensibles comme la santé ou l’environnement[60].

Conclusion

Finalement, la présomption du rejet ou de l’acceptation implicite est vidée de sa substance par les exceptions et par l’instabilité à laquelle elle semble vouée. On lit en effet, dans la note de service envoyée par le secrétaire général du gouvernement aux préfets, que la liste des exceptions, justifiées par l’objet de la décision ou des motifs de bonne administration, « sera réexaminée régulièrement dans le but de réduire le nombre des exceptions à la règle du silence vaut acceptation[61] ». De la même façon, la liste des procédures pour lesquelles le silence vaut acceptation, et publiée sur le site du Premier Ministère, « sera régulièrement mise à jour en fonction de l’évolution de la réglementation applicable aux diverses procédures concernées[62] ». Si la logique contentieuse a laissé place à une « logique d’action[63] » de l’Administration, force est de constater que l’administré sera astreint tout autant à l’action et à la recherche d’informations pour s’enquérir de la fluctuation du sens du silence. À titre d’illustration, le décret no 2014-1280 du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du paragraphe II de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 — et qui concerne les procédures du ministère des Finances et des Comptes publics et du ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique — a déjà été modifié par un décret du 7 mai 2015 modifiant le Code de la propriété intellectuelle[64]. D’après sa notice, ce décret modificatif a pour objet de préciser les conditions de formation d’une décision implicite de rejet en cas de silence de l’Administration pour les procédures suivantes : enregistrement et prorogation d’un enregistrement d’un dessin ou modèle, requête en renonciation, en limitation ou en déchéance de brevet, enregistrement et renouvellement de l’enregistrement de marque. Le décret du 7 mai 2015 supprime dans l’annexe du décret du 23 octobre 2014 les références à ces procédures et celles relatives à la délivrance de brevet et à l’opposition à la demande d’enregistrement de marque, l’instruction de ces demandes étant régie par des dispositions législatives spécifiques du Code de la propriété intellectuelle. Par conséquent, il faut comprendre que, pour ces demandes, le sens du silence est toujours le rejet, mais que le fondement juridique de celui-ci se trouve dans le Code de la propriété intellectuelle et non dans les textes relatifs aux procédures applicables à l’économie et au numérique. Il n’est donc pas certain que l’administré trouve rapidement l’autorité compétente pour instruire sa demande. Au moins peut-il être rasséréné en pensant que l’autorité incompétemment saisie aura l’obligation de transmettre la demande à l’autorité compétente.

Entre « la loi d’airain du silence » qui vaut rejet et « le silence est d’or » du silence qui vaut acceptation, l’administré aura du mal à trouver sa voie et à placer sa voix.