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Le droit des technologies de l’information dans les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) se construit progressivement[1] en vue du soutien du développement économique. La nécessité d’un encadrement juridique permanent s’est imposée dès 2008, l’intérêt étant de contenir les atteintes aux droits des usagers, de protéger les équipements du numérique et de concilier l’usage des technologies du numérique avec le développement économique. Cette convergence d’intérêt, liée aux priorités du droit des activités économiques des pays en développement de la CEMAC[2], a permis au législateur communautaire des affaires de réformer son dispositif juridique pour l’adapter à l’exploitation d’une économie digitale[3]. Ainsi, l’ère de la révolution numérique manifeste largement ces finalités économiques dans la CEMAC et suscite la question de la capacité du droit des technologies de l’information à contribuer au développement économique sous-régional[4], 11 années après sa matérialisation.

Le droit des technologies de l’information peut s’entendre comme l’ensemble des règles juridiques qui organisent l’usage social et commercial des communications électroniques[5]. Il est question, de manière pratique, des règles juridiques qui encadrent l’utilisation des technologies modernes de communication, qui constituent désormais aux yeux du législateur de la CEMAC un levier pour relever le défi du développement économique. Les enjeux sont en effet importants, au regard des avantages apportés par l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le développement des activités économiques. En effet, quel système économique pourrait, en matière de croissance, se passer du concours de la révolution technologique ? À l’heure où l’activité numérique permet de réaliser l’intégration des marchés grâce aux technologies modernes et de l’électronique[6], le législateur de la CEMAC a concilié les intérêts du droit des activités économiques avec l’essor du numérique dans la communauté.

Les fondements du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information et de la communication sont présents dans le Traité instituant la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)[7], et de la CEMAC à travers la convention qui organise l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC)[8]. Cependant, le dispositif juridique relatif à l’encadrement fonctionnel du régime des communications électroniques s’est matérialisé il y a une décennie par l’adoption du Règlement no 21/08-UEAC-133-CM-18 relatif à l’harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein des États membres de la CEMAC et ses directives consécutives signées le 19 décembre 2008[9]. Ces instruments contraignants, dont la transposition fidèle[10] parmi les ordres juridiques nationaux se réalise progressivement, fixent désormais le cadre juridique de l’exploitation de l’économie numérique avec, en toile de fond, l’objectif de contribuer au développement de la croissance économique de la CEMAC[11].

L’économie numérique renvoie à l’ensemble des activités et des revenus économiques réalisés à partir des terminaux et des équipements électroniques. Elle englobe les activités économiques et sociales qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux Internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique. L’économie numérique a ainsi pour moyen le commerce électronique, lequel est défini comme l’accompagnement du commerce traditionnel, national ou international, par des outils de télécommunication[12]. La révolution numérique est aujourd’hui une réalité dans tous les secteurs de l’économie ; et pour la plupart des entreprises, les communications électroniques sont devenues un canal de communication et de vente incontournable[13]. Dans ce contexte, la vitalité de l’économie numérique en faveur du développement économique dépend majoritairement de la convergence de son dispositif juridique en fonction du droit des activités économiques, de la confiance des acteurs et de la protection des investisseurs.

Toutefois, la prospérité de l’économie numérique envisagée dans la CEMAC devra sans doute encore surmonter quelques obstacles de la pratique pour combler les attentes[14]. Ceux-ci sont liés au coût et à l’entretien des infrastructures[15], au déficit de création et d’innovation des logiciels, aux difficultés d’accès à Internet à haut débit et à l’absence de souveraineté sur les infrastructures du réseau Internet[16]. Ces facteurs sont de nature à relativiser les résultats de l’objectif de développement d’une économie numérique dans la CEMAC. Cependant, les inquiétudes ponctuelles ont trouvé un début de réponse à travers la systématisation du droit des activités économiques de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) avec le régime des technologies de l’information de la CEMAC. Plus d’une décennie après l’élaboration d’un régime juridique des technologies de l’information au service du développement économique, on peut remettre en question son parcours, apprécier sa contribution et réadapter ses perspectives. Si l’aptitude du droit à réaliser le développement économique n’est plus sujette à débat[17], il devient indispensable d’interroger l’impact du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information à l’aune du développement économique dix années après son implémentation. Ainsi, comment peut-on appréhender l’accompagnement du droit des technologies de l’information dans le processus de développement de la CEMAC ?

L’interrogation ne manque pas d’intérêt au regard des difficultés infrastructurelles qui handicapent matériellement la pratique du commerce électronique dans les États membres de la CEMAC. Ceux-ci ont d’ailleurs adopté, en guise de réponse, un cadre juridique des communications électroniques complémentaire du droit des activités économiques. Ce constat nous permet d’apprécier la mutualisation des perspectives du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information et du droit des affaires de l’OHADA en vue de constituer le socle du développement économique dans la CEMAC. Rappelons que l’objectif du législateur de la CEMAC est de faire de la révolution numérique un creuset des investissements en vue de la réduction de la pauvreté[18].

L’environnement juridique des affaires de la CEMAC s’est alors actualisé[19] pour encadrer les réalités juridiques relatives aux activités économiques dématérialisées. La révision du droit commercial de l’OHADA en 2010 manifestait ainsi la volonté des pouvoirs publics de la CEMAC de bénéficier des avantages potentiels de l’économie numérique. Ils ont choisi d’organiser juridiquement un marché numérique sous-régional pour impacter le développement économique par la pratique des affaires et de l’entreprise dans la CEMAC. Aussi allons-nous démontrer l’adaptation du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information en ce qui a trait à la création d’une économie numérique (partie 1) et à son développement (partie 2).

1 L’adaptation du droit CEMAC des technologies de l’information dans la création d’une économie numérique

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information, à l’ère du numérique, organise progressivement la pratique des activités économiques réalisées à partir des terminaux et des équipements technologiques dans l’optique de renforcer le développement économique de la communauté[20]. Les solutions technologiques ainsi apportées au soutien des affaires ont permis le développement graduel d’une économie numérique, dont l’importance et les conséquences sur l’économie communautaire méritent d’être relevées.

En effet, l’économie numérique englobe un ensemble d’activités économiques et sociales qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux de télécommunication, Internet, mobiles et capteurs, y compris le commerce électronique[21]. L’implémentation de ces équipements dans le circuit des affaires a révélé une dynamique certaine des affaires dont le législateur de la CEMAC a entendu tirer profit sur le plan social. À la faveur de certaines directives communautaires relatives aux communications électroniques adoptées en 2008, le législateur de la CEMAC a accentué les finalités économiques des technologies de l’information et de la communication. L’impact de cette option sur le droit des affaires sera immédiat. Pour sa part, le législateur de l’OHADA procédera deux ans plus tard à la révision de l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit commercial général (AUDCG) pour considérer les particularités de l’économie numérique[22] et du régime des activités électroniques[23]. En outre, il fallait tenir compte du principe de la liberté d’accès aux technologies de l’information et de la communication consacrée par le législateur de la CEMAC pour percevoir ses conséquences sur le droit des affaires. À cet effet, quelques règles adaptées au droit des activités économiques ont été édictées en vue d’accompagner les ambitions économiques de la CEMAC, notamment le principe de la liberté de l’entreprise numérique (1.1) et de la sécurité des transactions numériques dans la CEMAC (1.2).

1.1 La liberté de l’entreprise numérique dans la CEMAC

L’article 3 (4) du Règlement no 21/08-UEAC-133-CM-18 relatif à l’harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein des États membres de la CEMAC pose les principes directeurs suivants : la libéralisation des activités de communications électroniques, la facilitation de l’accès aux réseaux de communications interopérables et leur mise en place. C’est ni plus ni moins la consécration du libre accès des populations aux infrastructures des communications électroniques.

Le principe de la liberté de l’entreprise numérique s’insère dans la logique du libre accès aux technologies de l’information dans la CEMAC. Ce principe, qui n’est pas nouveau, constitue lui-même la consécration du principe de la liberté du commerce et de l’industrie inscrit dans le décret d’Allarde[24]. Ainsi, le renouvellement de la liberté de l’entreprise numérique renvoie à la liberté de créer et de développer les activités économiques à partir de plateformes électroniques. Dans la pratique, il s’agit d’entériner l’opérationnalisation des entreprises virtuelles dans l’espace de la CEMAC, sous réserve de conformité aux règles de création[25].

Les réformes adoptées par le droit des affaires de l’OHADA en 2010 permettront, à cet effet, le développement de l’entrepreneuriat électronique (1.1.1), l’intérêt étant d’intégrer les avantages des technologies du numérique dans les économies de la CEMAC. Par ailleurs, le développement d’une administration électronique des affaires (1.1.2) se révélera indispensable à cet égard.

1.1.1 Le développement de l’entrepreneuriat électronique

Le développement de l’entrepreneuriat électronique, essentiel pour asseoir et garantir la dynamique d’une économie numérique, est désormais une réalité dans l’espace de la CEMAC. Cet engouement pour l’entrepreneuriat électronique repose, prioritairement, sur l’aptitude des infrastructures techniques communautaires à faciliter, grâce à leur interopérabilité, la multiplication des échanges commerciaux en ligne dans la sous-région par la modernisation des moyens d’entreprendre. L’entrepreneuriat peut être défini comme une activité[26], soit ce que quelqu’un entreprend. De plus, ce qu’on s’est chargé de faire correspond à une entreprise[27]. C’est dire que la notion d’entrepreneuriat est synonyme d’entreprise, car les deux renvoient communément à une activité de l’entrepreneur. L’entrepreneuriat électronique s’entend à cet effet comme toute activité à but lucratif ou non exploitée en prenant pour support les communications électroniques. L’avènement du phénomène numérique a consacré ainsi son atout de vecteur entrepreneurial et de débouchés socioéconomiques dans la CEMAC.

L’entrepreneuriat électronique peut être à l’initiative de l’entreprenant ou du commerçant selon le principe de la liberté de l’entreprise. Il se manifeste à travers la multiplication des opérations de production, de traitement, de distribution et d’échange des biens et des services au moyen d’appareils digitaux, des réseaux de télécommunication et d’Internet. À noter que le développement de l’entrepreneuriat électronique dans le domaine commercial constitue une source potentielle de croissance des économies nationales de la CEMAC. En ce sens, les exigences relatives à la conformité aux normes légales qui régissent la profession commerciale, les activités économiques et les particularités de l’exploitation numérique dans l’espace de la CEMAC méritent d’être satisfaites. Or, à la faveur de la liberté d’entreprendre dans le secteur des communications électroniques, les perspectives entrepreneuriales en matière commerciale se réalisent progressivement avec efficacité dans le contexte d’une réadaptation de la norme au profit des professionnels des activités numériques.

Les règles relatives à la liberté d’accès aux technologies de l’information sont également prévues dans le nouveau droit commercial de l’OHADA. L’article 3 de l’AUDCG précise d’ailleurs que l’opération de télécommunication est un acte de commerce par nature. La liberté de l’entreprise est aussi réaffirmée par l’article 5 (1) de la Loi no 2015/018 du 21 décembre 2015 régissant l’activité commerciale au Cameroun[28]. En application de ce texte, les commerçants peuvent exercer le commerce de leur choix et donc exploiter une entreprise de télécommunication. Ils peuvent, en leur qualité d’entreprenant ou de commerçant, exploiter librement les équipements technologiques de l’information et de la communication, notamment les terminaux[29], les installations de réseaux et les équipements de toute nature.

1.1.1.1 Le statut d’entreprenant des services électroniques

« L’entreprenant est un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole[30] » : le droit des affaires de l’OHADA permet ainsi aux personnes physiques de jouir d’un statut légal dans la pratique des activités économiques, sous réserve de déclarer leurs activités[31]. La dispense d’immatriculation[32], au profit de l’entreprenant, entraîne l’exemption légale de constituer un patrimoine professionnel pour garantir sa responsabilité à l’égard des cocontractants sur le marché numérique. La doctrine a majoritairement analysé cette dispense d’immatriculation comme un avantage qui permet de faire reculer l’exploitation informelle des activités commerciales dans la CEMAC. Il est en revanche perceptible qu’une dynamique de l’entrepreneuriat électronique informelle tend à relativiser cette certitude. En effet, la liberté d’accès aux technologies numériques a favorisé la création d’un marché numérique informel et la facilitation des échanges à titre onéreux. Le Cameroun, considéré comme la première économie de la CEMAC, a enregistré une augmentation considérable du nombre d’internautes depuis les années 2000. On y est passé de 40 000 usagers en 2000 à 5 millions en 2016 grâce à l’arrivée de la 3G, puis par la mode des Smartphones chez les abonnés au mobile[33]. En ce sens, les individus se sont investis dans diverses activités génératrices de revenus soit par le travail autonome, soit par l’emploi d’une main-d’oeuvre supplémentaire.

La pratique des activités commerciales a été profondément modifiée avec l’avènement des TIC dans la CEMAC. Ce modèle échappant au contrôle du commerce classique, les entrepreneurs électroniques réalisent quotidiennement d’importants bénéfices commerciaux à partir des actes de commerce entrepris à l’aide de supports électroniques, et ce, en marge de tout statut juridique. Cette situation s’observe dans la pratique du commerce électronique dans la CEMAC où une importante quantité de produits et de services sont désormais cédés à travers des plateformes numériques personnelles et professionnelles tels que Sellam Quick[34], Kerawa.com[35], Himore Medical[36], Je Wanda Magazine[37], Gifted Mom[38] ou encore le site Les Bonnes Affaires, sans oublier les pages Facebook personnelles et le groupe WhatsApp Business.

1.1.1.2 Le statut de commerçant des services électroniques

Le droit des activités économiques de l’OHADA, et donc de la CEMAC, définit le commerçant comme celui qui fait de l’accomplissement d’actes de commerce par nature sa profession[39]. À l’opposé de l’entreprenant, le professionnel commerçant a fière allure et se distingue par l’existence d’un patrimoine professionnel, gage général des créanciers professionnels, ainsi que d’un numéro d’immatriculation au registre de commerce qui consacre sa personnalité juridique[40]. En sa qualité de professionnel du commerce, le commerçant doit encore démontrer de l’esprit d’entreprise pour percevoir les possibilités de profit qui se présentent à l’ère du numérique, car la pérennité de la société commerciale dépend certainement de l’aptitude de l’entrepreneur à s’adapter aux réalités et aux besoins de son époque. Dans une étude relative à la fonction entrepreneuriale dans la firme, Luc Tardieu, spécialiste des organisations et de la transformation managériale, constate que « l’évolution de la firme est entrepreneuriale[41] ». Selon lui, lorsque la firme recherche le profit, la découverte des occasions de profit relève, par définition, de la fonction entrepreneuriale[42].

Le développement d’un entrepreneuriat électronique a pour objet de redynamiser les activités commerciales et professionnelles. Pour ce qui est des services électroniques, ils s’implantent progressivement dans le marché des biens et des services de la CEMAC[43]. Certes, la plupart des sociétés commerciales existantes ont procédé à l’informatisation de leurs activités dans l’intérêt de conquérir une certaine clientèle numérique, mais c’est moins un simple processus d’informatisation qu’une mise en valeur des capacités de l’entrepreneur à faire preuve d’innovation professionnelle et à se renouveler dans la manière de gérer son affaire à l’ère du numérique. Le recours progressif aux plateformes dématérialisées par les professionnels commerçants concerne la compétitivité de l’entreprise. Ainsi, l’ouverture aux procédés électroniques, tels que la commande en ligne ou la vente des billets d’avion en ligne ou encore l’acceptation des paiements électroniques par transfert téléphonique ou par carte bancaire, démontre la vitalité économique de l’activité électronique.

L’impact de l’entrepreneuriat électronique sur l’amélioration de la productivité, de l’emploi et du travail autonome dans la CEMAC par l’activation des sites de vente de biens et de services autorise à prophétiser une réelle croissance économique. Selon l’économiste Adam Smith, « le travail est le véritable déterminant de la croissance, le travail est créateur de valeur, ce qui permet la stabilité de la croissance[44] ». Par exemple, l’économie numérique a contribué à hauteur de 3,5 % à l’augmentation du produit intérieur brut (PIB) du Cameroun en 2016[45]. De plus, au terme d’une conférence internationale intitulée « L’économie numérique en Afrique centrale : état des lieux et défis dans un monde globalisé[46] », organisée par l’Union internationale des télécommunications au Cameroun en 2018, le gouvernement a annoncé l’apport de l’économie numérique au développement économique suivant un plan stratégique de l’ordre d’une contribution au PIB de 5 p. 100 en 2016 à 10 p. 100 en 2020, la création d’emplois directs passant de 10 000 en 2016 à 50 000 en 2020 et la hausse des impôts, de 136 milliards de francs CFA en 2016 à 300 milliards en 2020, le tout avec l’ambition à court terme de faire du Cameroun un leader technologique africain[47]. Dans ce contexte, l’entrepreneuriat électronique est favorisé par les législateurs de l’OHADA et de la CEMAC pour encourager les initiatives entrepreneuriales valorisant l’économie numérique dans la communauté. Ce sera là une certaine modernisation de la pratique des activités économiques qui nécessitera, pour une meilleure coordination, un mécanisme d’administration électronique.

1.1.2 Le développement d’une administration électronique des affaires

La volonté du législateur de la CEMAC de développer une économie numérique ne saurait se réaliser en marge d’une administration électronique qui prend en considération les réalités particulières des entreprises numériques. L’administration électronique peut se définir comme « l’utilisation des technologies de l’information et de la communication et en particulier de l’Internet en tant qu’outil permettant de mettre en place une administration de meilleure qualité[48] ». En outre, l’administration électronique est toujours associée à la qualité de services rendus aux usagers[49]. Dans ce contexte, l’administration électronique des affaires est entendue comme l’utilisation des TIC et d’Internet, dans la collecte, la gestion et l’utilisation de l’information économique. Elle ne se résume pas à une informatisation de la procédure en matière économique, mais consiste plutôt en l’opérationnalisation d’une certaine gouvernance par les administrations publiques et privées qui intègrent au profit des investisseurs les avantages de célérité, de sécurité, d’efficacité et du juste coût, indispensables dans la pratique des affaires. Ainsi le législateur de l’OHADA a-t-il innové lors de la révision de certains actes uniformes par l’introduction de l’usage des communications électroniques dans la vie des affaires.

L’administration électronique des affaires permet aussi de saisir juridiquement et de contrôler les activités économiques réalisées à partir des terminaux et des équipements électroniques. Elle constitue, au regard de ses avantages, la cheville ouvrière du développement de l’économie numérique. En effet, l’administration électronique propose une offre rapide et performante de services aux acteurs économiques et rassure sur la transparence des opérations. Et parce que ses pratiques ont pour objet la modernisation, l’amélioration et l’optimisation des coûts, on a pu dire que l’administration électronique représentait le « fer de lance de la société de l’information[50] ».

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information s’est adapté aux perspectives des politiques économiques communautaires du droit des affaires pour articuler les moyens du développement de l’économie numérique. À cet effet, sur le fondement de l’article 31 de la convention de l’UEAC signée le 25 janvier 2008 et les directives de la CEMAC consécutives, les États membres ont adopté des normes qui consacrent une administration électronique des activités numériques. C’est le cas de l’article 35 (2) de la loi camerounaise de 2010 sur le commerce électronique qui dispose que « [l]’authentification des documents à caractère officiel peut être faite par des certificats et signature électroniques dans les Administrations publiques, suivant les conditions fixées par des textes particuliers[51] ». En outre, le droit des affaires consacre, par des dispositions pertinentes, le développement d’une économie numérique s’adaptant formellement au commerce électronique.

1.1.2.1 L’administration électronique de l’immatriculation des sociétés

L’innovation est entrée en vigueur en décembre 2010 à la faveur de la révision de l’AUDCG. L’article 79 de ce texte évoque la possibilité pour les professionnels d’immatriculer les entreprises en ligne, en disposant ceci : « Les dispositions du présent Livre s’appliquent aux formalités ou demandes prévues par le présent Acte uniforme, par tout autre acte uniforme ou par toute autre réglementation. Ces demandes ou formalités peuvent être effectuées par voie électronique, dès lors qu’elles peuvent être transmises et reçues par cette voie par leurs destinataires[52]. » La consécration de l’administration électronique de la création des sociétés commerciales en droit communautaire des affaires envisage dès lors la facilitation des processus de création des entreprises physiques et numériques. Il s’agit, entre autres, de saisir juridiquement les activités économiques exploitées à partir des terminaux électroniques, quoique l’impact sur le droit des affaires consiste à créer une certaine inégalité dans le traitement des acteurs. Toutefois, l’administration électronique des affaires ne saurait se réduire à une simple informatisation du registre du commerce. Si l’objectif de l’informatisation est de faciliter l’information et son échange[53], l’administration électronique des affaires réalise une simplification de la pratique des activités économiques, le rapprochement des partenaires et la sécurisation des biens des investisseurs[54].

En effet, l’objet et les finalités du registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) sont précisés par l’AUDCG[55]. L’immatriculation que le commerçant reçoit confère l’existence légale à la société commerciale et renforce la sécurité juridique des entrepreneurs électroniques[56]. Le législateur de l’OHADA consacre l’immatriculation électronique ou encore la déclaration des entreprises numériques[57]. L’article 82 al. 1 de l’AUDCG précise à cet effet que « les formalités accomplies auprès des Registres du Commerce et du Crédit Mobilier au moyen de documents électroniques et de transmissions électroniques ont les mêmes effets juridiques que celles accomplies avec des documents sur support papier, notamment en ce qui concerne leur validité juridique et leur force probatoire[58] ». Toutefois, les choses ne dépassent pas ici la reconnaissance du principe de non-discrimination entre le papier et l’électronique en droit des affaires de la CEMAC : c’est en réalité l’appropriation d’une pratique en vue d’une modification des habitudes dans l’esprit de dynamiser l’entreprise.

L’administration électronique du RCCM offre une simplification de la centralisation des données relatives aux investisseurs et un accès aisé aux données concernant les transactions économiques[59]. La simplification de la procédure d’immatriculation est ainsi couplée à la célérité, car le greffier ou l’organe compétent dans l’État partie peut délivrer l’attestation d’immatriculation sur-le-champ, ce qui est pertinent pour le commerçant qui jouira, de ce fait, des avantages de l’immatriculation sans avoir à trop attendre et pour les économies des États parties dont les investissements pourront connaître un réel coup d’accélération[60]. Toutes choses qui, à n’en point douter, constituent une plus-value au profit du développement économique et de la multiplication des échanges à distance dans la CEMAC.

L’appropriation des technologies de l’information par le droit des affaires de l’OHADA se caractérise aussi par la reconnaissance de l’écrit électronique dans l’administration du RCCM. Le greffier ou l’organe compétent dans l’État partie peut recevoir les formalités d’inscription ou de modification des inscriptions de garantie, de transaction ou de publicité par voie électronique à tout moment et en donner acte[61]. Il en est de même des états financiers de synthèse du commerçant qui peuvent lui parvenir par voie électronique[62]. En guise de plus-value, l’administration électronique du RCCM offre au commerçant un gain de temps plus important (24 h) pour accomplir un acte, la dispense d’une présence physique et des coûts compétitifs. Les formalités électroniques accomplies auprès des divers registres aux moyens des documents et des pièces électroniques conservent le caractère licite, valide, et la valeur probante reconnue à l’écrit traditionnel[63] à la faveur des intérêts économiques induits.

1.1.2.2 L’intérêt économique de l’administration électronique des affaires

L’administration électronique des affaires manifeste un réel intérêt au profit des transactions électroniques[64]. La convention en cause est régulée par un régime juridique concret et les sujets ont l’avantage de connaître le contenu de la loi du contrat[65] et y font confiance. Le droit des technologies de l’information vient au secours de l’économie nationale à la fois pour tirer les conséquences juridiques, sociales et économiques de l’assimilation des technologies de l’information à la pratique des affaires et pour renforcer son efficacité. Notons, à titre d’exemple, que le règlement des transactions commerciales par des moyens électroniques, notamment par la carte de paiement[66] ou par l’échange de données informatisées (EDI), devient un atout sécuritaire pour les consommateurs et une source de revenus pour les professionnels[67]. L’outil technologique remplace dans certains cas le porte-monnaie[68] ; de même, son importance en matière de développement de la recherche universitaire, agricole ou médicale en faveur de la croissance économique communautaire se précise[69].

1.2 La sécurité des contrats de l’entreprise numérique dans la CEMAC

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information réaffirme son objectif de promouvoir une économie numérique en guise de réponse à la question du développement. Le législateur de la CEMAC a adopté en 2008 un ensemble de directives communautaires[70] par lesquelles il tente d’assurer la sécurité et la rentabilité des transactions électroniques. Son geste a permis d’adapter la protection du patrimoine des entrepreneurs du numérique par l’encadrement juridique des transactions électroniques (1.2.1). En outre, la politique communautaire de désenclavement des zones de production et d’installation des équipements technologiques neutres et interopérables a constitué un véritable atout d’intensification des contrats du commerce électronique[71].

La sécurité juridique des opérations électroniques des entreprises numériques s’observe encore de la réalité et de l’adaptabilité des transpositions nationales du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information en vue de renforcer la confiance et l’adhésion des entreprises numériques à l’égard de ces nouveaux canaux économiques. La juridicité de ces opérations convoque l’analyse du régime de la preuve en droit des affaires en rapport avec l’écrit électronique. En effet, les particularités du contrat électronique connaissent un régime adapté de la preuve (1.2.2) dans l’utilisation des supports numériques comme moyen servant à conclure des transactions électroniques.

1.2.1 La validité des contrats électroniques

La validité des contrats électroniques est désormais organisée par le droit de l’OHADA[72] ainsi que par le droit des technologies de l’information et de la communication de la CEMAC. En effet, l’article 3 du Règlement no 21/08-UEAC-133-CM-18 relatif à l’harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein de la CEMAC indique l’intention du législateur de développer un marché intérieur[73] et la Directive no 10/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre 2008 harmonisant les modalités d’établissement et de contrôle des tarifs de services de communications électroniques au sein de la CEMAC apporte des précisions sur le cadre légal dont la transposition au sein des droits nationaux est nécessaire pour l’adapter au contrat électronique[74]. C’est également le cas de l’AUDCG qui s’est adapté à la nature du contrat électronique lors de la récente réforme[75].

Dans le contexte de la transposition en droit interne des instruments juridiques communautaires nouvellement créés, certains pays de la CEMAC ont adopté une réglementation d’adaptation. Ainsi, la République démocratique du Congo a voté la Loi no 9-2009 du 25 novembre 2009 portant réglementation du secteur des communications électroniques[76]. Pour sa part, le législateur du Cameroun a été prolifique en la matière dès 2010 avec l’adoption de lois favorisant le développement de l’économie à travers l’encadrement juridique effectif du contrat électronique, soit principalement :

  • la Loi no 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun ;

  • la Loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun et le Décret no 2011/1521/PM du 15 juin 2011 fixant les modalités d’application de la loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun ;

  • la Loi no 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au Cameroun[77].

De son côté, le législateur du Tchad a adopté la Loi no 013/PR/2014 portant régulation des communications électroniques et des activités postales. Enfin, le législateur du Gabon a récemment transposé sur le plan interne le règlement communautaire dans l’Ordonnance no 00000013/PR/2018 du 23 février 2018 portant réglementation des communications électroniques en République Gabonaise[78]. Ces instruments juridiques traduisent la ferme volonté de construire un marché numérique communautaire.

Le contrat s’avère, par nature, un phénomène interrelationnel[79]. À travers le prisme sociologique, le contrat est un moyen de rapprochement, d’échange et de communication entre les individus[80]. À cet effet, le contenu de l’échange qui intéresse davantage les parties prime la forme. Toutefois, la multiplication des contrats électroniques à l’ère du numérique a suscité une réglementation qui permet l’harmonisation du droit des activités économiques de l’OHADA avec l’évolution technologique, sans pour autant remettre en cause les règles du droit des affaires et encore moins consacrer un traitement discriminatoire des commerçants. Le contrat électronique apparaît a priori comme un contrat transfrontalier, lequel intègre en droit camerounais la prise en charge des revenus économiques du marché intérieur de la CEMAC, ce qui va plus loin que la sécurisation des attentes[81].

La validité du contrat électronique renvoie précisément à la reconnaissance juridique[82] du contrat conclu à partir des terminaux et des équipements de communication électronique[83]. Au fil du temps, l’émergence d’un marché numérique communautaire s’est accompagnée de règles particulièrement adaptées pour encadrer la validité des transactions électroniques. Ainsi, le législateur de l’OHADA a été suivi par son homologue camerounais, lequel a réalisé la convergence du régime juridique du contrat électronique[84] et celui du droit commun du Code civil du Cameroun[85] ainsi que du droit uniforme des affaires de l’OHADA. Il faut en déduire relativement à la formation du contrat électronique deux types de conditions : d’une part, les conditions impératives d’existence du contrat[86], notamment la réalité d’un consentement éclairé des parties[87], objet précis de l’engagement, la capacité et une cause licite[88], d’autre part, les conditions propres à la nature immatérielle du contrat électronique[89] exprimées par l’exigence d’authenticité et d’intégrité du document électronique[90].

L’encadrement juridique du contrat électronique au Cameroun clarifie avant tout ses conditions de formation[91] et de validité. En effet, la pratique du contrat électronique met en relation des personnes à distance. Ainsi, la question suivante a surgi : à quel moment et où le contrat était-il supposé entrer en vigueur ? Cette interrogation, qui avait longtemps divisé la doctrine civiliste, s’était conclue à l’époque sur le choix entre deux théories : celle de l’émission de l’offre et celle de la réception de la réponse du destinataire par l’auteur. Sur cette question, la loi type de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) sur le commerce électronique demeure muette[92], le législateur se bornant à favoriser l’utilisation des nouvelles technologies dans les relations commerciales internationales. Considérant les particularités de l’usage contractuel des moyens technologiques, le législateur communautaire de l’OHADA a fait le choix de la sécurité des transactions[93]. Il s’est prononcé, dans son article 244 al. 1 de l’AUDCG, en faveur de la cohérence de son régime juridique par l’adoption de la théorie de la réception en indiquant que « l’acceptation d’une offre prend effet au moment où l’expression de l’acquiescement parvient à l’auteur de l’offre[94] ». Cette solution est d’ailleurs consacrée par plusieurs législations aujourd’hui[95]. Elle a précisément pour objet la protection du consentement des utilisateurs des TIC[96] au regard de la complexité formelle du contrat électronique[97].

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information s’articule désormais avec les exigences de l’économie numérique pour s’adapter effectivement aux prescriptions du droit des affaires de l’OHADA. Le législateur camerounais consacre également la théorie de la réception avec plus de prudence, en particulier lorsqu’il évoque la qualité et la disponibilité du support contractuel. En effet, l’article 12 de la Loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun dispose ce qui suit :

  • (1) Un contrat ne peut être considéré comme valablement conclu que si le destinataire de l’offre a eu au préalable la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total, et de corriger d’éventuelles erreurs avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation.

  • (2) L’auteur de l’offre doit accuser réception en ligne de la commande qui lui a été adressée dans un délai ne devant pas excéder cinq (5) jours.

  • (3) La commande, la confirmation de l’acceptation de l’offre et l’accusé de réception sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès[98].

La compréhension de l’alinéa 3 renvoie simplement au récapitulatif de l’acte de la commande dont la validation par le destinataire au profit de l’auteur engage les parties. Notons la proximité de ce texte et de celui du droit français[99] pour ce qui est de la consécration d’un commerce électronique et du développement d’une économie numérique.

Certains reprocheront aux législateurs de l’OHADA et du Cameroun de considérer a priori le domicile de l’auteur de l’offre comme le lieu de création du contrat électronique, alors même que dans les faits c’est l’acceptation (validation par un clic) du destinataire qui donne naissance au contrat. La consécration du commerce électronique comme support du développement économique doit intégrer à titre de préalables l’adhésion et la confiance des utilisateurs. Ainsi, l’option du domicile de l’auteur de l’offre en tant que domicile légal du contrat électronique constituera un obstacle majeur à la confiance des populations en cet outil, car le domicile du contrat détermine à la fois le droit applicable et la juridiction compétente en cas de contentieux. Donc, si la nature transfrontalière du contrat électronique justifie la cohérence des législations transnationales, il faut relever que l’objectif de lutter contre la pauvreté dans la CEMAC, impulsé par les politiques d’encouragement de l’entrepreneuriat électronique, repose sur le développement d’une économie numérique capable d’assurer le bien-être social. Toutefois, il faudrait encore compter sur la permanence et la stabilité du réseau Internet qui, le plus souvent, représente un obstacle constant dans les transactions en ligne.

1.2.2 La force probante des contrats électroniques

Le droit contemporain associe à la preuve une fonction de démonstration de l’existence d’un fait ou d’un acte selon certaines conditions. Ainsi, la preuve, elle-même, fait l’objet d’un contrôle de recevabilité[100]. Elle occupe donc une place fondamentale dans la théorie générale du droit et se trouve d’ailleurs au service des sujets de droit. C’est pourquoi on dit souvent que ce qui ne peut être prouvé est considéré comme inexistant[101]. La validité du contrat électronique confère la justiciabilité en tant qu’objet du droit et à titre de preuve[102].

La justiciabilité débouche sur un phénomène universel englobant l’intervention du juge[103]. C’est parce que le contrat électronique est désormais une donnée juridique dans le droit des technologies de l’information qu’il peut donner lieu à jugement[104]. En effet, inspirée des études d’Hermann Kantorowicz, philosophe du droit, une sociologie juridique met en évidence le critère de la juridicité à l’aide de l’idée de justiciabilité[105]. Ainsi, le doyen Jean Carbonnier séduit par la référence à la mise en question. Seules les règles pouvant donner lieu à un jugement précédé d’un doute sont ou peuvent être juridiques[106].

La question de la justiciabilité du contrat électronique pose la problématique de la preuve de l’engagement électronique devant les juridictions. L’article 22 du Décret no 2011/1521/PM du 15 juin 2011 fixant les modalités d’application de la loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun dispose que, « [d]ans le cadre des activités de commerce électronique, l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, et a la même force probante que celui-ci, sous réserve que puisse être dument identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité[107] ».

Une responsabilité en matière de réception de la preuve électronique pèse sur le juge camerounais[108]. En effet, le contrat de droit moderne rythme traditionnellement l’écrit. La preuve de l’acte contractuel ou le caractère probant de l’engagement des contractants constitue le point focal qui intéresse le juge. À l’ère du numérique, l’écrit contractuel ou le document électronique emprunte désormais la forme d’un chiffrement, soit un ensemble des données enregistrées ou mises en mémoire sur quelque support que ce soit par un système informatique ou un dispositif semblable et qui peuvent être lues ou perçues par une personne ou encore par un tel système ou dispositif[109].

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information représente réellement un atout en matière de vitalité des activités économiques, et ce, à travers la facilitation de l’entrepreneuriat économique. Cependant, il oblige à un formalisme rigoureux relativement à la manifestation de la preuve des transactions électroniques. Sans égard à la dématérialisation des transactions numériques, l’écrit électronique a simplement remplacé l’écrit traditionnel. Toutefois, ont disparu dans le droit des communications électroniques les notions d’écrits authentiques, sous seing privé, ou encore de copie originale, quand bien même le contrat électronique demeure soumis au régime du contrat écrit en ce qui concerne sa validité[110]. Aussi, pour être recevable, le contrat électronique en la forme doit-il respecter certaines conditions.

1.2.2.1 L’authenticité physique des actes

La dématérialisation de l’écrit électronique n’a pas entraîné un abandon de la preuve physique devant les juridictions contentieuses. En effet, la forme authentique des actes y est souvent requise. Se posent toutefois les problèmes liés à l’authenticité du document, à la fiabilité des données ou encore à la datation de ceux-ci, sans oublier les difficultés rattachées à l’archivage. L’article 13 de la Loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun précise ceci :

  • (1) Lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1317 et suivants du Code civil, relatifs à la preuve littérale.

  • (2) Lorsqu’il est exigé une mention écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut être effectuée que par lui-même, exception faite aux dispositions de l’alinéa 1 ci-dessus pour :

    • – les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des successions ;

    • – les actes sous seing privé relatifs aux sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou commerciale, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession[111].

L’article 22 du Décret no 2011/1521/PM du 15 juin 2011 fixant les modalités d’application de la loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun complète les dispositions de l’article 13 en indiquant ce qui suit :

  • (1) Dans le cadre des activités de commerce électronique, l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier et a la même force probante que celui-ci, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité.

  • (2) La conservation des documents sous forme électronique doit se faire pendant une période de dix (10) ans et dans les conditions suivantes :

    • – l’information que contient le message de données doit être accessible, lisible et intelligible pour être consultée ultérieurement ;

    • – le message de données doit être conservé sous la forme sous laquelle il a été crée, envoyé ou reçu, ou sous une forme dont on peut démontrer qu’elle n’est susceptible ni de modification, ni d’altération dans son contenu et que le document transmis et celui conservé sont strictement identiques ;

    • – les informations qui permettent de déterminer l’origine et la destination du message de données, ainsi que les indications de date et d’heure de l’envoi ou de la réception, doivent être conservées si elles existent[112].

La preuve par les actes physiques du contrat électronique, en raison de sa nature abstraite, se fait en la forme authentique par les certificats électroniques[113].

1.2.2.2 L’authenticité des actes électroniques

La loi camerounaise régissant le commerce électronique a également pris une mesure concernant l’encadrement de la preuve des contrats électroniques par la signature électronique et les certificats de sécurité électronique fournis par l’autorité chargée du contrôle en la matière. À cet effet, l’article 35 de la Loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun précise ceci :

  • (1) L’utilisation par toute personne physique ou morale du certificat et de la signature électroniques dans le cadre du commerce électronique est autorisée dans les conditions fixées par un texte particulier.

  • (2) L’authentification des documents à caractère officiel peut être faite par des certificats et signature électroniques dans les Administrations publiques, suivant les conditions fixées par des textes particuliers[114].

Surgit encore le problème de la fiabilité et de la présentation permanente des documents électroniques dans la loi camerounaise en question[115]. Les échanges électroniques et la signature électronique sont, par nature, abstraits, ce qui fait obstacle à la permanence du droit de revendication placé ici devant la brièveté de la prescription[116]. Le législateur camerounais prescrit l’obligation de conserver les documents et les conventions électroniques pour une durée de 10 ans. En outre, la garantie d’un accès permanent à l’information en ligne et l’assurance de la qualité des équipements s’imposent comme des moyens de la bonne exécution du contrat électronique[117].

L’ordre public contractuel dicte aussi aux parties contractantes le respect irréfragable d’un formalisme pointilleux au moment de la conclusion des contrats[118]. Malgré l’actualité du principe du consensualisme, le législateur exige l’accomplissement de certaines formalités à la fois administratives, fiscales[119] et processuelles[120] comme préalable à la reconnaissance de la validité des contrats[121]. Ainsi, dans le droit camerounais, à l’image du droit français de la preuve, depuis la Loi no 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information relative à la signature électronique, l’écrit sous forme électronique[122] est admis comme preuve judiciaire au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dument identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans les conditions de nature à en garantir l’intégrité[123].

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information rassure quant à la volonté de créer et d’administrer une économie numérique pour contribuer au développement économique de la sous-région. Le développement d’un entrepreneuriat électronique en faveur de l’émergence d’un travail autonome et également au soutien d’une meilleure production nationale a permis de diversifier et de densifier les revenus de l’économie numérique de la CEMAC. Le législateur de la CEMAC a donc estimé nécessaire d’organiser juridiquement les moyens technologiques au service de l’entreprise et surtout de favoriser un régime protecteur de l’entrepreneur électronique en vue d’encourager l’installation des entreprises numériques, celles-ci étant un moyen incontournable en vue de la progression d’une économie numérique, dont la contribution au développement économique est indéniable.

Toutefois, il y a lieu de reprocher aux organes de la CEMAC des lenteurs administratives dans l’implémentation des directives adoptées par le législateur dans l’optique de rendre viable le cadre légal de l’économie numérique. La directive de la CEMAC portant sur le commerce électronique en vue d’adopter un cadre unique de réglementation du marché communautaire est encore en projet, alors qu’on remarque une forte intégration économique matérialisée par l’usage des TIC dans la CEMAC. Rappelons que la protection juridique de l’entreprise électronique et des emplois électroniques constitue un atout fondamental du développement économique. Cependant, il reste encore à remettre en question les perspectives à mi-parcours, notamment l’appropriation sociologique efficace des mécanismes juridiques de l’économie numérique après 11 années d’application dans la CEMAC. La mission clairement définie de contribuer au développement de l’économie sous-régionale transpire du droit des technologies de l’information dans la communauté.

2 La portée du droit CEMAC des technologies de l’information dans le développement de l’économie numérique

La mise en place d’un cadre réglementaire adapté à l’usage des technologies de l’information et de la communication dans la CEMAC, et globalement dans la CEEAC, permettra avec certitude aux États membres de bénéficier des ressources de l’économie numérique. Au-delà des multiples avantages tirés de la dématérialisation de toute procédure liée aux activités économiques, les diverses administrations étatiques disposent aussi d’un meilleur contrôle sur les données et les attentes économiques.

L’analyse de l’impact du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information sur le développement de l’économie numérique dans la CEMAC permet d’apprécier l’atteinte de ses objectifs. En effet, le législateur de la CEMAC a précisé dans les différents instruments juridiques y relatifs que les communications électroniques ont pour objet de promouvoir le développement harmonieux et équilibré des réseaux et des services de communications électroniques, en vue d’assurer la contribution de ce secteur au développement économique communautaire[124]. Et la satisfaction de cette ambition impose le renforcement de la confiance des consommateurs des services électroniques, indispensable pour l’existence d’un marché numérique. Le législateur a donc tenté d’y intéresser le consommateur par l’adoption de règles particulières dérogatoires qui lui assureront une totale sécurité. Ainsi, dans la perspective de sauvegarder durablement l’exploitation des communications électroniques dans la CEMAC, le consommateur s’est vu accorder des droits particuliers (2.1) pour garantir la contribution effective de la dématérialisation des activités économiques au profit du développement des économies de la communauté (2.2).

2.1 L’encadrement juridique effectif des activités numériques

L’encadrement juridique des activités économiques dans la CEMAC s’articule progressivement avec les avancées technologiques. Il est question de concilier et de compléter le droit commun des activités économiques, mais aussi de densifier les revenus économiques relatifs aux activités dématérialisées, lesquelles échappaient autrefois au contrôle du marché. Il a donc fallu, avec le droit des communications électroniques de la CEMAC, encourager la pratique du commerce immatériel, c’est-à-dire la promotion et la facilitation des cessions de droits et d’obligations à partir de terminaux électroniques en vue de réaliser la croissance et le développement économique.

L’intense activité des entreprises numériques et des contrats d’affaires portant acquisition de biens et de services a pour conséquence la production d’importants revenus économiques. Ainsi, l’encadrement juridique du commerce électronique par le droit des technologies de la CEMAC se résume à inspirer la confiance et à susciter l’adhésion des consommateurs à l’usage des technologies du numérique dans l’intérêt d’optimiser la consommation. L’impulsion de l’entrepreneuriat numérique par la dématérialisation des activités économiques permet aussi de fixer l’attention d’une masse pour l’amener à consommer[125]. C’est notamment le cas de l’activité de publicité sur Internet (parfois appelée « e-publicité ») qui cherche à promouvoir un produit, un service, une marque ou une organisation auprès des internautes. L’objectif du législateur de la CEMAC de faire du droit des technologies de l’information un levier du développement communautaire s’apprécie avec la densification des revenus économiques (2.1.2), celle-ci étant consécutive à une dynamique des activités numériques des professionnels (2.1.1).

2.1.1 L’importance des activités numériques des professionnels

L’application du droit des technologies de l’information dans la CEMAC révèle un investissement majeur des politiques en faveur de la construction d’un environnement adapté à l’exploitation de l’économie numérique. L’adoption de la neutralité technologique et l’interopérabilité des réseaux renseignent sur la volonté gouvernementale de stimuler l’utilisation des technologies pour atteindre massivement les populations de la communauté visée[126] et au-delà de cette dernière. En réponse, de nombreux investisseurs offrent des services électroniques accessibles en permanence et sur plusieurs formes, que ce soit pour satisfaire la demande ou la susciter[127].

La révolution du numérique a entraîné une explosion des activités réalisées à partir des terminaux et des équipements électroniques. Pensons notamment à l’accroissement, au cours des dernières années, des activités électroniques des entreprises physiques. Celles-ci se sont investies dans la diversification et la multiplication de leur clientèle dans l’espace communautaire et à l’échelle mondiale à partir des sites Web. De plus, on assiste actuellement à l’activation et à la multiplication des services bancaires en ligne et de transfert d’argent en ligne ou au moyen des téléphones cellulaires[128]. Cependant, ces transactions ne sont pas sans conséquence relativement à la résolution des contentieux qui en découlent.

L’importance des activités numériques se traduit aussi par la hausse de la consommation des équipements électroniques et informatiques. La possession d’un appareil digital, tel que le téléphone cellulaire, constitue désormais une prédisposition pour plusieurs opérations du commerce électronique (achat d’unités de communication, paiement de factures d’électricité, réservation de billets d’avion, etc.). Notons à cet effet, dans l’espace de la CEMAC, l’expérimentation de diverses formes du commerce électronique, notamment :

  • le commerce électronique entre entreprises (business-to-business e-commerce ou B2B), par lequel les entreprises physiques ou numériques s’offrent des services à travers des plateformes numériques (banque électronique (e-banking), paiement électronique (e-payment)) ;

  • le commerce électronique de détail, c’est-à-dire entre commerçants et consommateurs (business-to-consumer e-commerce ou B2C), par lequel le professionnel commerçant offre des biens et des services à un consommateur à partir d’un site Web professionnel. C’est également une réalité pour le consommateur de l’espace de l’OHADA qui y a de plus en plus recours, particulièrement dans des villages éloignés des grands centres urbains, avec la pratique des transferts d’argent au moyen d’appareils mobiles ;

  • le commerce électronique consommateur à consommateur en ligne (consumer-to-consumer e-commerce ou C2C), par lequel un consommateur, à partir de son blogue ou d’une page Web privée, cède des biens personnels sans avoir pour autant l’intention de s’installer comme un acteur du commerce électronique.

Le cadre juridique prévoyant l’utilisation du numérique dans les échanges commerciaux et la procédure qui s’y rattache dans l’espace communautaire de l’OHADA a permis d’accroître les activités économiques et l’amélioration du flux économique des revenus au profit des administrations publiques. La multiplication des activités électroniques a d’ailleurs favorisé au sein des États membres de la CEMAC l’institution d’une autorité de régulation dont la mission est de coordonner et de surveiller la protection des droits des acteurs économiques et la concurrence entre eux de même que la protection de l’environnement et des droits des consommateurs.

2.1.2 La densification des revenus des administrations publiques

L’administration électronique des affaires a pour conséquence immédiate la traçabilité et la rentabilité des opérations économiques dématérialisées au profit des administrations. À travers l’encadrement juridique du commerce électronique, les administrations publiques ont dû réduire à la portion congrue les pertes de revenus pour l’État. En effet, la contribution des technologies modernes à la collecte des revenus gouvernementaux établis par budget n’est plus à démontrer. L’introduction du procédé de la télédéclaration dans les opérations fiscales permet désormais de contrôler activement les revenus fiscaux et de traiter les réclamations des contribuables, notamment celles des acteurs du commerce électronique[129]. L’adaptation du droit fiscal aux particularités du commerce électronique a assuré la fiscalisation effective des revenus de l’économie numérique. De plus, la territorialité internationale des revenus du commerce électronique oblige les États membres de la CEMAC à organiser la fiscalisation des entreprises numériques non résidentes.

2.1.2.1 Le caractère international des revenus issus du commerce électronique

Le commerce électronique, dont le mécanisme évacue la notion de distance dans l’exercice des activités économiques, représente un enjeu économique important[130]. Son indifférence à l’idée de frontières pour la réalisation des opérations commerciales emporte parallèlement la nécessaire imposition des revenus transfrontaliers. Véritable porte-flambeau du commerce transnational, le commerce électronique contribue, avec le développement des firmes transnationales et les exigences de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à accélérer le recul du rôle de l’État-nation dans la régulation des échanges internationaux[131].

Les sociétés commerciales et les personnes physiques s’accoutument progressivement à la logique du cybermarché qui rend très aisées la circulation des capitaux et la mobilité des fonds. On rejoint à cet effet le concept du village planétaire, où chacun est libre d’acheter et de vendre des biens et des services sans aucune restriction territoriale ou continentale, douanière ou fiscale, ce qui associe à l’instantanéité des échanges la garantie des transactions[132]. Il faut toutefois relever que, contrairement à la situation dans les États membres de la CEMAC, la maîtrise de l’évolution technologique dans les pays développés constitue un avantage considérable dans l’exploitation du commerce électronique où ceux-ci conservent une importante part de marché. L’élaboration des mécanismes adaptés d’imposition des revenus du commerce électronique devient incontournable à cet effet au bénéfice des États. Dans ce contexte, la coopération du droit des technologies et du droit des affaires, y compris les politiques fiscales mises en oeuvre avec les autres pays, s’avère indispensable pour dûment reconnaître et contrôler les transactions transfrontalières.

Il revient aux administrations fiscales de la CEMAC de prendre des mesures idoines pour imposer de manière juste les opérations conclues sur leur territoire fiscal à partir des terminaux et des équipements électroniques. À noter que l’administration électronique des impositions[133] n’est pas aisée dans le recouvrement des impôts[134]. La pratique du commerce électronique entraîne en effet de nombreuses difficultés en matière de fiscalité directe et indirecte[135], comme l’illustre la notion d’établissement virtuel qui rend ardue l’application du concept de territorialité. En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée par exemple, le recouvrement de la taxe sur la consommation est devenu complexe en raison des problèmes liés à la détermination de la nature commerciale ou civile des multiples transactions électroniques[136]. En outre, l’imposition ou non du commerce électronique devient un sujet à débattre. Pour certains pays, comme les États-Unis, le commerce électronique devrait bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire, voire d’une exemption, contrairement aux autres pays qui n’y sont pas favorables et qui soutiennent que de telles mesures peuvent créer des distorsions sur le marché traditionnel[137].

Dans le contexte de la CEMAC, la mise en place d’un cadre juridique propice représente le premier défi pour que les États profitent pleinement des revenus fiscaux issus du développement du commerce électronique. C’est notamment l’intérêt de la facilitation des immatriculations électroniques adoptées en vue de renforcer le tissu économique de la communauté. La Direction générale des impôts du Cameroun expérimente, depuis deux années déjà, la procédure de la télédéclaration comme modèle de recouvrement des impôts : celle-ci permet à la fois d’amenuiser les effets de la corruption fiscale, de s’assurer du contrôle du paiement des impôts par les contribuables numérisés et de suivre en permanence le statut des ressources de l’État. Il faudrait alors envisager un mécanisme de contrôle de l’imposition des transactions électroniques des entreprises non résidentes qui réalisent des opérations électroniques au Cameroun.

2.1.2.2 La traçabilité des revenus du commerce électronique

En raison de l’anonymat qui caractérise les transactions électroniques, le commerce électronique pose des difficultés réelles quant à la traçabilité des opérations imposables. En effet, alors qu’elles sont très souvent transfrontalières, les opérations commerciales réalisées à partir des supports téléphoniques, de la messagerie Internet ou des réseaux privés demeurent discrètes. La solution à cette préoccupation a consisté en l’immatriculation en ligne comme exigence pour les entreprises numériques.

Pour sa part, le législateur de l’OHADA s’est adapté en instituant la procédure d’immatriculation électronique[138] dans son droit commercial[139]. Désormais, les États membres de la CEMAC peuvent, à travers l’application effective de cette mesure, bénéficier des revenus légaux issus du commerce électronique. Les pouvoirs publics peuvent également prévoir une telle procédure à l’égard des entreprises étrangères en relation commerciale permanente avec les États de la CEMAC. Il pourrait s’agir par exemple, dans le contexte d’une convention, d’envisager la mise en place d’un répertoire électronique obligatoire qui enregistrerait les entrepreneurs étrangers du commerce électronique en relation permanente avec le marché communautaire de la CEMAC. Ce système d’immatriculation spéciale pourrait intégrer toute procédure fiscale communautaire qui facilite l’imposition des revenus du commerce électronique. Au Cameroun, une telle approche serait favorable aux entreprises étrangères dans la mesure où le coût de la discipline fiscale serait amoindri et le recours à un représentant fiscal exempté. De surcroît, ces entreprises devraient également observer les obligations déclaratives.

La loi de finance du Cameroun pour l’exercice 2019 innove désormais avec l’imposition de plusieurs services électroniques : il en est ainsi notamment du téléchargement de logiciels et d’applications pour les téléphones portables Android. Les revenus fiscaux des services fournis par voie électronique peuvent être prélevés par l’administration douanière à l’entrée du territoire ou pendant l’utilisation par le consommateur à la charge de l’opérateur de téléphonie visé. La mondialisation des activités économiques à partir des plateformes électroniques permet ainsi de rentabiliser les économies nationales dont la préservation impose la protection du consommateur.

2.2 La protection du consommateur des services numériques

La portée du droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information s’apprécie encore en raison de la volonté effective des législateurs dans l’espace communautaire[140] de protéger les consommateurs de biens et de services électroniques. En effet, parmi les objectifs fixés par le Règlement no 21/08-UEAC-133-CM-18 relatif à l’harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des communications électroniques au sein des États membres de la CEMAC figurent en bonne place la garantie des intérêts des populations et la lutte contre la pauvreté au sein de la communauté. Le législateur de la CEMAC insiste d’ailleurs pour que soit garanti au profit du consommateur un niveau de protection élevé à l’égard du professionnel[141].

La volonté d’assurer un régime de protection particulier aux consommateurs des services électroniques dans le droit des technologies de l’information participe avant tout de la sauvegarde de l’économie numérique, encore embryonnaire dans l’espace de la CEMAC. L’usage commercial des moyens électroniques au préjudice des droits du consommateur peut entamer la confiance des clients et conduire à des pertes économiques importantes. L’institution d’un régime d’exception trouve également son explication dans le traditionnel régime spécial de protection du consommateur, auquel s’assimilent parfaitement la complexité des moyens technologiques utilisés et l’assistance des professionnels.

Le législateur de la CEMAC canalise ainsi l’essor de l’économie numérique par la protection du fonds de commerce numérique. Cette dernière expression désigne la clientèle qui consomme les services électroniques et dont la satisfaction est nécessaire pour le développement de l’économie numérique[142]. Le droit des technologies de l’information engage par conséquent les professionnels du commerce électronique dans une obligation de résultat à l’égard des consommateurs. C’est le cas du droit de se dédire unilatéralement dans le contrat électronique (2.2.1) et c’est aussi la consécration de la responsabilité de plein droit du professionnel pour tout préjudice aux consommateurs (2.2.2).

2.2.1 Le droit de se dédire du contrat électronique : la rétractation du consommateur

La promotion de l’économie numérique dans la CEMAC mise fondamentalement sur l’adhésion de la clientèle des services électroniques à ces derniers par la consécration d’un droit exceptionnel : le droit de rétractation du consommateur. Cette faveur du droit du commerce électronique[143] s’articule avec les principes du droit commun de la consommation[144] reconnus dans le contexte de la protection de la partie faible dans les contrats à distance[145]. La rétractation est la faculté reconnue par la loi, ou établie par le contrat, qui permet à son bénéficiaire, pendant un certain délai, de rétracter unilatéralement son engagement, par dérogation au principe de l’irrévocabilité de la promesse[146]. C’est un avantage qui autorise le consommateur à substituer une volonté contraire à sa volonté initiale, comme le prévoit l’article 48 du projet de directive de la CEMAC sur le commerce électronique[147]. Le législateur camerounais a toutefois précédé celui de la CEMAC pour offrir une forme précise de protection des consommateurs nationaux en mettant sur pied un cadre légal de protection des consommateurs des contrats à distance à partir du fondement du projet de directive communautaire.

Il ressort par exemple de l’article 20 de la Loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun que l’exécution du contrat de consommation offre la possibilité au consommateur de disposer du droit de se dédire par la rétractation dans un délai de 15 jours suivant la signature du contrat électronique[148]. La rétractation est suivie de la restitution des marchandises par le consommateur, si elles n’ont pas été altérées. En retour, le vendeur est tenu de rembourser les sommes perçues dans un délai de 15 jours à compter de la date de retour des marchandises ou de la renonciation au service. Le refus de restituer les sommes perçues par le vendeur est sanctionné d’une peine d’emprisonnement allant de 6 à 12 mois et d’une amende qui varie de 300 000 à 3 000 000 francs CFA, ou de l’une de ces deux peines seulement[149].

On peut en revanche mettre en doute l’efficacité de cette sanction dans le contexte transfrontière qui caractérise le réseau Internet et surtout les conditions de sa mise en oeuvre. En effet, au regard de la distance qui sépare très souvent les parties, la volonté de faire subir au professionnel une peine d’emprisonnement peut rapidement s’essouffler. L’exercice du droit de rétractation aboutira, dans la plupart des cas, à l’ouverture d’un contentieux judiciaire que le consommateur n’a pas intérêt à affronter ou auquel il ne peut faire face. En outre, l’action judiciaire doit être portée au lieu du domicile du fournisseur de services électroniques, ce qui peut apparaître ruineux ou dissuasif pour le consommateur. Donc, l’option du projet de directive de la CEMAC sur le commerce électronique et du droit camerounais en faveur d’une peine d’emprisonnement ou d’amende en guise de sanction ne peut a priori être salutaire pour le consommateur de services électroniques dans la CEMAC. À notre avis, il serait plus judicieux de suivre la voie du législateur québécois qui a opté pour la rétrofacturation en guise de sanction, celle-ci ayant l’avantage d’être déjudiciarisée et surtout de favoriser le remboursement à la charge d’un tiers.

Si le droit de rétraction participe au renforcement de la satisfaction du consommateur des services électroniques, notons qu’il heurte le principe de cohérence indispensable en matière contractuelle. En effet, il faut craindre que la possibilité de se rétracter de son engagement pour le consommateur puisse l’amener à se dédire simplement au préjudice du professionnel et non pour défaut de satisfaction. Déduit des articles 1134 et 1174 du Code civil applicable au Cameroun, le principe de cohérence dans le contrat suggère l’obligation de garantir la confiance chez le cocontractant et d’interdire à celui qui a dit de se dédire[150] de sa seule initiative[151]. Ledit principe favorise en ce sens le respect par les cocontractants de la parole donnée, afin de ne pas porter préjudice aux attentes de l’autre partie[152].

Le droit des technologies de l’information se fonde également sur le déséquilibre des parties au contrat électronique en vue de consacrer au profit du consommateur le droit de se dédire unilatéralement à travers le droit de modifier ou d’annuler son engagement pour insatisfaction de la prestation du professionnel[153]. Dans certains cas définis par l’article 22 de la Loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun, le législateur pose des exceptions pertinentes suivant lesquelles le consommateur ne pourrait pas se rétracter, notamment lorsqu’il :

  • demande livraison du service avant l’expiration du délai de rétraction et que le vendeur le lui a fourni ;

  • reçoit des produits confectionnés selon les caractéristiques personnalisées ou des produits qui ne peuvent être réexpédiés ou sont susceptibles d’être détériorés ou périmés à cause de l’expiration des délais de validité ;

  • descelle les enregistrements audio ou vidéo ou les logiciels informatiques livrés ou téléchargés ;

  • achète des journaux et magazines[154].

Le droit de rétractation du consommateur dans les services électroniques permet, en dépassant la politique de protection des consommateurs, de faire pénétrer l’utilisation des technologies de l’information dans le quotidien des populations dans l’espace de la CEMAC et d’accentuer, au profit de l’économie numérique, la sécurisation par la digitalisation des services sociaux économiques. C’est ce qui justifie l’engagement préventif des acteurs du commerce électronique dans le droit des technologies de l’information et de la communication à travers la responsabilité de plein droit.

2.2.2 La responsabilité de plein droit du professionnel du commerce électronique

Le droit de la CEMAC concernant les technologies de l’information et de la communication n’a pas procédé à une discrimination dans sa volonté de protéger les usagers des technologies du numérique. La protection de la vie privée et des données des individus bénéficiaires des services numériques constitue évidemment un centre d’intérêt du droit des communications électroniques[155]. Les fournisseurs de biens et de services électroniques qui récoltent des informations sur les consommateurs s’engagent inéluctablement à la protection des données, mais encore à la satisfaction du service escompté, sous réserve de réparer le préjudice subi par le consommateur. On peut y voir, en substance, une obligation de résultat à la charge du professionnel du commerce électronique sanctionnée par une responsabilité de plein droit.

La responsabilité de plein droit du professionnel du commerce électronique sous-entend une responsabilité sans faute. Ce dernier doit garantir au profit du consommateur la bonne administration du service proposé ou conjurer toute menace pouvant porter préjudice aux droits du client. C’est ce qui ressort de l’article 25 du Décret no 2011/1521/PM du 15 juin 2011 fixant les modalités d’application de la loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun, qui précise que « [t]oute personne physique ou morale exerçant l’activité de commerce électronique au Cameroun est responsable de plein droit à l’égard de son cocontractant, de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, et sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci[156] ». Ainsi, le professionnel du commerce électronique devrait prendre des mesures appropriées dans l’intérêt de se prémunir de l’utilisation frauduleuse des informations électroniques qu’il fournit à son client, sous réserve d’être tenu pour responsable.

La pleine responsabilité du professionnel du commerce électronique est une conséquence du régime applicable de la preuve électronique en droit des affaires dans l’espace de l’OHADA. Il ressort de l’article 5 de l’AUDCG que l’écrit établi par voie électronique a la même valeur probante que l’écrit sur support papier. Il en est de même, en droit camerounais, de l’équivalence entre la preuve par document électronique et la preuve sur support papier[157]. Ainsi, la manifestation de la preuve électronique demeure une activité technique gérée uniquement par le professionnel. Il doit satisfaire à l’obligation de sécuriser les transactions électroniques qu’il offre au consommateur, sous réserve de dédommager ce dernier de tout préjudice subi sans pouvoir s’en exonérer[158]. C’est le cas en l’occurrence d’un acte de piratage informatique (hacking) ou de cybercriminalité dont peut être victime le consommateur. C’est dire que, contrairement au principe du droit commun de l’administration de la preuve en matière civile ou commerciale, l’article 23 du Décret no 2011/1521/PM du 15 juin 2011 fixant les modalités d’application de la loi no 2010/021 du 21 décembre 2010 régissant le commerce électronique au Cameroun opère un renversement de la charge de la preuve au profit du consommateur en précisant que, dans le commerce électronique, la charge de la preuve pèse sur le fournisseur de services[159], ce qui fonde la responsabilité de plein droit du professionnel dans le commerce électronique.

Conclusion

L’avènement de l’ère du numérique modifie progressivement les habitudes liées à la production, à la diffusion et à la consommation des biens et des services dans l’espace de la CEMAC. Le phénomène de la dématérialisation a également révélé et renforcé les inégalités qui marquent les économies des pays avancés par rapport à ceux du tiers-monde. Au cours des dernières décennies, l’évolution des technologies de l’information et de la communication a contribué à la croissance des économies des pays développés et des pays en transition. Cette transformation représente de plus en plus un atout important et incontournable dans les échanges commerciaux transnationaux, dont la CEMAC entend tirer le meilleur parti. Ainsi, dans le contexte de la réalisation de son développement économique et de la lutte contre la pauvreté, le législateur de la CEMAC a pris la résolution de faire des TIC un moyen d’action stratégique, et ce, par la création d’un marché numérique communautaire. À cet effet, la mise en place, il y a plus d’une décennie, d’un cadre juridique approprié concernant l’usage des technologies du numérique dans le droit de la CEMAC a constitué une réelle contribution au développement progressif d’une économie numérique au sein de la communauté. Le législateur a ainsi choisi d’encadrer et d’encourager rigoureusement par les textes de droit l’entrepreneuriat électronique des individus, le travail autonome et la pérennité des entreprises numériques dans la CEMAC. L’intérêt du droit des technologies de l’information est plus que jamais visible à travers la densification graduelle des revenus de l’économie numérique et la digitalisation des divers services des entreprises qui apportent une plus-value au développement économique de la communauté. Toutefois, il faut encore espérer que la qualité des infrastructures liées aux communications électroniques dans la CEMAC permettra de garantir durablement les attentes du législateur dans ce domaine.